L'improbable voyage à vélo de Besançon au cap Nord en 2022.
À Caroline ma fille et à Gaël mon petit-fils,
De Besançon au cap Nord… Chiche !
Besançon – le cap Nord…
Partir en solitaire, un défi pour un si long voyage à vélo !
Il faut donc relever la bravade par un premier coup de pédale. Mes premiers voyages de cinq-cents kilomètres, qu’aujourd’hui je considère comme de courtes distances, m’ont fait découvrir ce qui m’apportait de l’étonnement, de multiples surprises et surtout, ce qui me procurait un véritable sentiment de liberté. Au fur et à mesure, j’ai allongé ces dernières années mes périples avec parfois une impression de frustration. À mon retour, ce n’était jamais assez…
Celui-ci sera le plus long, le plus ambitieux que j’aurai entrepris !
Toutes mes pérégrinations à vélo ont été l’occasion de faire des rencontres magiques, de découvrir des paysages magnifiques, de vivre des surprises émouvantes. Quand je pédale, j’éprouve un grand sentiment de liberté. Je deviens philosophe, poète, artiste.
Je partage mes réflexions et mes sentiments, mes efforts aussi, avec les cyclotouristes qui m’accompagnent quelquefois sur des dizaines de kilomètres. Certains me disent que croiser une dame de mon âge, j’ai soixante-huit ans, seule, à vélo, partant si loin, les aide et les motive. Moi aussi je suis très enthousiaste et je continue, le nez au vent et les sourires dans mon baluchon.
Mais le plus amusant et flatteur aussi, je l’avoue, c’est de lire dans le regard de certains l’étonnement, l’admiration et le respect. Parfois même, on me perçoit comme une personne « perchée à l’âme romantique ». Mais tous font preuve d’humanité. Ils sont accueillants, aimables, généreux et surtout émerveillés !
Certaines amies m’ont attribué le terme de « jeunior ». D’autres sont subjuguées. Rares sont celles qui me regardent d’un air circonspect voire dubitatif. Ma fille Caroline, qui sait que je ne suis pas une personne éthérée et que je n’outrepasserai pas mes capacités physiques, me fait confiance et c’est important. De cette façon, je pars tranquille pour ce long voyage, l’esprit léger.
Quant à Gaël, mon petit-fils, adepte de cyclotourisme depuis nos échappées complices, il sera penché sur les cartes, à tracer mon parcours et à dessiner des campings et des restaurants.
Mais je sais qu’au fond de lui, il aimerait partir avec moi pour pouvoir cueillir les cadeaux comme autant de fleurs magiques parce qu’il est sûr que je vais rencontrer le père Noël au cap Nord !
Enfin, pour mon retour, fin août 2022, lorsque je prendrai l’avion à Alta en Norvège, mes sacoches, mon cœur, ma tête, mes jambes aussi, seront sans doute pleins de souvenirs, de rencontres, de paysages, de saines fatigues qui me rendront heureuse et fière d’avoir fait ce que j’aurai fait en trois mois.
Quand : 15/05/2022
Durée : 94 jours
Durée : 94 jours
Distance globale :
5638km
Dénivelées :
+26238m /
-26332m
Alti min/max : -1m/488m
Carnet publié par Jacqueline25
le 09 mai 2022
modifié le 14 avr. 2023
modifié le 14 avr. 2023
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Vue d'ensemble
Le topo : Section 19. Du 8 août au 13 aout (mise à jour : 05 janv.)
Distance section :
159km
Dénivelées section :
+1676m /
-1387m
Section Alti min/max : 0m/306m
Description :
Tromsø / Breivikeidet / Svensby / Lyngseidet / Olderdalen / Storslett / Sandnes / Oksfjordhamn / Badderen / Alteidet / Ørbakken / Talvik / Storvik / Alta / Skaidi / Olderfjord
Le compte-rendu : Section 19. Du 8 août au 13 aout (mise à jour : 05 janv.)
5 août – Posté sur Facebook par Caroline
Petit message d'une fille admirative à sa mère,
« 🚴🚴♂️🚵🚴♀️🚵♂️🚵♀️
C'est rare, mais je vais vous parler un peu de ma môôôman... Cette grande dame...
Elle s'est lancée dans un périple un peu fou il y a plusieurs mois déjà.
Rejoindre le cap Nord, tout au-dessus de la Norvège, à vélo, sans assistance électrique !
🇳🇴🇳🇴🇳🇴🇳🇴
Le 15 mai, il y a déjà deux mois et demi, nous l'avions, Gaël et moi, accompagnée à Langres pour le top départ.
Aujourd'hui, elle arrive presque au bout de son voyage. Il reste moins de dix étapes pour rejoindre ce point ultime, clôture de ce voyage, de ce défi, de ce tour de force, le cap Nord !
🌍🌍🌍
Au fil des semaines, elle a rencontré des gens formidables, qui pour certains, ont été croisés l'espace d'un instant, d'autres ont été des compagnons de routes quelques jours, et d'autres encore l'ont accompagnée pendant de nombreuses étapes de son parcours.
Au fil des semaines, elle a vu mille paysages, tantôt désertés de presque tout habitant, tantôt colorés avec les habitations en bois si typiques de la Norvège, tantôt idylliques comme une plage découverte avec son eau turquoise faisant penser à un lagon...
Au fil des semaines elle a pédalé, pris le bus, le ferry, poussé son vélo dans les montées. Elle a été surnommée « La française qui pousse son vélo dans les montagnes. »
Ce voyage en solitaire l’a ramenée parfois à des souvenirs d'enfance, à ses voyages passés, à des anecdotes, parfois drôles, parfois touchantes.
🥵🥵🥶🥶😁😁
Le fil rouge de toutes ces semaines, c’est l'humain, les rencontres, le partage, l'entraide, le courage...
Et ce groupe d'hommes de divers horizons, de plusieurs pays, avec qui elle a déjà fait nombre d’étapes, de visites, de partages de cabanes, la pêche, des shots en discothèque ! ...
Et qu’elle a encore retrouvés il y a peu.
Rafael et Juan Carlos les Espagnols ; Youn et Ewen les Bretons ; Emiel le Hollandais ; Andi l’Allemand ; Stéphane le Lyonnais ; Paul l’Écossais, Les Frenchies en Norvège, des compagnons de route, hauts en couleurs, musiciens, pêcheurs, sportifs, et surtout généreux, attentifs et bienveillants.
❤️❤️❤️
Petit message d'une fille admirative à sa mère. 🥰🥰🥰 😘😘😘 »
Lundi 8 août – 86e jour
Tromsø / Breivikeidet / Svensby / Lyngseidet / Olderdalen – 96 km
Aller à la pêche et avoir des soirées un peu plus longues
Ce matin il faut replier tout l’équipement trempé. Tout est humide ! Ça n’a pas d’importance, les garçons ont réservé deux chalets pour ce soir. Tout sèchera ! Malgré leur attitude qui peut ressembler à de la désinvolture, ils sont plus prévoyants que moi. Je ne réserve jamais mes hébergements.
Je quitte Tromsø deux heures avant les garçons encore endormis sous leur tente. Je m’arrête peu après dans un kiosque, pour un petit déjeuner… Il faut dire qu’en Norvège, il est tellement rare de rencontrer en pleine campagne des endroits réconfortants, où l’on peut se restaurer, que je n’hésite pas une seconde !
Accaparée par le kiosque, je n’ai pas vu les panneaux et je repars tout schuss, droit devant moi. Mon étourderie me fait parcourir plusieurs kilomètres et je dois revenir sur mes pas. Cela étant, je prends un petit chemin indiqué par les panneaux manqués précédemment. Je gravis une bonne côte, cela me prend du temps. Des travaux d’ampleur ne me permettent pas de passer. À mon grand dépit, je dois rebrousser chemin pour rejoindre la route. Décidément !
Lorsque je reviens au kiosque, les quatre garçons arrivent. Ils pensent que je lambine vraiment. Nous devons emprunter la grande route pour contourner le chantier. Nous continuons à nos propres rythmes, le peloton devant et moi à l’arrière.
J’entre au pays Sami en Laponie, le Finnmark, la province la plus septentrionale du pays. Semi-désertique, infestée de moustiques en été et j’en suis la preuve vivante aujourd’hui, piquée à travers mes vêtements.
Le paysage se transforme peu à peu. J’aperçois les Alpes de Lyngen, le massif des Alpes scandinaves. Des glaciers attirent mon regard. C’est magnifique ! C’est grandiose ! Je sens le froid venir de là-bas.
J’ai parcouru cinquante kilomètres depuis Tromsø. La péninsule est partiellement coupée par le fjord Kjosen que je longe. L’eau est d’un vert turquoise. C’est éblouissant ! C’est somptueux ! Dominée par deux montagnes colossales de plus de mille-six-cents mètres d’altitude, je me sens minuscule et insignifiante.
Aujourd’hui, je dois prendre deux ferries. Mes extases successives devant ces sites majestueux, me font voir le deuxième ferry partir juste au moment de mon arrivée. Je dois attendre une heure qui est vite mise à profit grâce à une discussion avec un jeune couple toulousain très sympathique, Johanna et Rémy. Ils passent quinze jours de vacances ici. Ils ont loué une petite maison et font de la randonnée. Ils sont d’ailleurs allés à pied jusqu’au glacier.
J’arrive au camping d’Olderdalen deux heures après les quatre garçons. Ils ont pu investir les lieux, ils ont eu le temps d’aller à la pêche, de faire des courses, de faire sécher leurs affaires dans le jardin. Youn est ravi, parce qu’il a aussi réparé le contacteur de démarrage d’une voiture en panne appartenant à un Norvégien…
Quant à moi j’ai eu la satisfaction d’avoir fait une longue étape de presque cent kilomètres, d’avoir pris le temps de m’arrêter peu après mon départ dans un kiosque, de discuter avec les gens pendant ma journée, d’avoir admiré et photographié ce qui m’entourait, d’avoir lambiné comme ils disent…
Mais j’aimerais quand même bien aller à la pêche et avoir des soirées un peu plus longues !
Mardi 9 août – 87e jour
Olderdalen – Storslett – Sandnes – 65 km
À l’image du couple Vivian et Geirr
Tout va bien ce matin après une bonne nuit de sommeil. Il m’arrive parfois de ne pas dormir. Ce qui peut, éventuellement, perturber mon mental à cause de toutes les endorphines accumulées. C’est une perturbation extrêmement minime, néanmoins je la ressens.
Évidemment, les garçons me doublent. Ewen me dira au passage que je suis une « grosse nase », puisque j’ai fait un bon détour pour rien. Je sais aussi que je ne ferai plus équipe avec eux puisqu’ils vont faire une grande étape et j’ai décidé de ralentir ma cadence. J’ai encore beaucoup de temps devant moi, j’ai prévu mon retour le 24 août 2022.
Un van me double, ses passagers sont très bruyants, des mains s’agitent à l’extérieur. Je suis étonnée ! En principe les Norvégiens sont discrets. Au loin, je vois le van arrêté, les gens m’attendent au bord de la route, à mon approche ils m’applaudissent. Cela vaut tout l’or du monde, en effet ce n’est pas facile de toujours pédaler, de toujours forcer pour grimper les côtes, de toujours être seule sur la route. Les rencontres viennent ponctuer les journées, les embellissent, renforcent ce que je fais. On ne me dit plus « Courage ! » comme au début. Maintenant, si loin de chez moi on me dit « Respect ! » « Incroyable ! » Et on me demande régulièrement mon âge.
Ce sont donc trois couples de Français retraités. Ils ont loué un van à Bodø et ils vont au cap Nord. Ils logent dans les chalets des campings. Ils n’en reviennent pas que je sois partie de Besançon à vélo, seule. Ils me prennent en photo sous toutes les coutures ainsi qu’en me plaçant au milieu du groupe. Ils veulent un souvenir de « la Française à vélo ! »
Je passe un vrai bon moment avec eux. Une des dames me pose deux questions : « Que peut-on faire pour vous ? » « De quoi avez-vous besoin ? » Deux messieurs m’avaient posé exactement les mêmes questions lorsque j’ai fait le tour de la France à vélo l’année passée. Ces phrases sont gravées dans ma mémoire ainsi que les visages des personnes qui me les ont énoncées.
Ces voyageurs en van s’arrêtent plus souvent que moi. Ils me doubleront à plusieurs reprises dans la journée avec les mains s’agitant à l’extérieur. En règle générale, on ne klaxonne pas un cycliste, car la surprise peut le faire chanceler. D’aucuns semblent avoir intégré implicitement cette règle.
Le petit camping de Sandnes, situé en pleine campagne, possède de nombreux petits chalets disposés sur le coteau du fjord. Lorsque j’entre dans le bâtiment commun, je suis surprise ! En effet, les campeurs utilisent la maison des propriétaires ; sanitaires, cuisine et salle à manger. La sympathique et efficace Vivian et l’aimable Geirr son compagnon me reçoivent.
Au premier abord, j’ai du mal à définir le genre de Geirr. Ce n’est pas la première fois que cela m’arrive dans le nord de la Norvège. Parfois le genre masculin n’est pas très précis, vu que le visage de certains hommes sont fins et glabres.
Geirr se précipite dans la cuisine pour me préparer tout spécialement des gaufres, la spécialité norvégienne qu’il m’offre accompagnée de thé. Il rit tant et plus lorsque je lui dis d’où je viens. Il m’étreint étroitement sur son cœur, à mon grand désarroi. En effet, je n’ai pas l’habitude de ce genre d’effusion. Je pense qu’ils me prennent pour une originale, je pense qu’ils le sont aussi.
Ensuite je pars à la pêche. À mon retour, lorsqu’ils me demandent si tout s’est bien passé je n’ose leur dire que je n’ai pas trouvé d’endroit propice, que mon seul lancer n’a attrapé que des algues et que j’ai fait une belle promenade le long de la mer, la canne à pêche à la main. Je pense que Geirr aurait là encore frappé dans ses mains en rigolant, ou m’aurait finalement étreinte.
Mon petit cabanon est agréablement décoré. Je m’y sens bien. Il y a même une petite étagère de livres, des miroirs en forme de cœur, des coussins… C’est à l’image du couple Vivian et Geirr.
Olderdalen – Storslett – Sandnes – 65 km
À l’image du couple Vivian et Geirr
Tout va bien ce matin après une bonne nuit de sommeil. Il m’arrive parfois de ne pas dormir. Ce qui peut, éventuellement, perturber mon mental à cause de toutes les endorphines accumulées. C’est une perturbation extrêmement minime, néanmoins je la ressens.
Évidemment, les garçons me doublent. Ewen me dira au passage que je suis une « grosse nase », puisque j’ai fait un bon détour pour rien. Je sais aussi que je ne ferai plus équipe avec eux puisqu’ils vont faire une grande étape et j’ai décidé de ralentir ma cadence. J’ai encore beaucoup de temps devant moi, j’ai prévu mon retour le 24 août 2022.
Un van me double, ses passagers sont très bruyants, des mains s’agitent à l’extérieur. Je suis étonnée ! En principe les Norvégiens sont discrets. Au loin, je vois le van arrêté, les gens m’attendent au bord de la route, à mon approche ils m’applaudissent. Cela vaut tout l’or du monde, en effet ce n’est pas facile de toujours pédaler, de toujours forcer pour grimper les côtes, de toujours être seule sur la route. Les rencontres viennent ponctuer les journées, les embellissent, renforcent ce que je fais. On ne me dit plus « Courage ! » comme au début. Maintenant, si loin de chez moi on me dit « Respect ! » « Incroyable ! » Et on me demande régulièrement mon âge.
Ce sont donc trois couples de Français retraités. Ils ont loué un van à Bodø et ils vont au cap Nord. Ils logent dans les chalets des campings. Ils n’en reviennent pas que je sois partie de Besançon à vélo, seule. Ils me prennent en photo sous toutes les coutures ainsi qu’en me plaçant au milieu du groupe. Ils veulent un souvenir de « la Française à vélo ! »
Je passe un vrai bon moment avec eux. Une des dames me pose deux questions : « Que peut-on faire pour vous ? » « De quoi avez-vous besoin ? » Deux messieurs m’avaient posé exactement les mêmes questions lorsque j’ai fait le tour de la France à vélo l’année passée. Ces phrases sont gravées dans ma mémoire ainsi que les visages des personnes qui me les ont énoncées.
Ces voyageurs en van s’arrêtent plus souvent que moi. Ils me doubleront à plusieurs reprises dans la journée avec les mains s’agitant à l’extérieur. En règle générale, on ne klaxonne pas un cycliste, car la surprise peut le faire chanceler. D’aucuns semblent avoir intégré implicitement cette règle.
Le petit camping de Sandnes, situé en pleine campagne, possède de nombreux petits chalets disposés sur le coteau du fjord. Lorsque j’entre dans le bâtiment commun, je suis surprise ! En effet, les campeurs utilisent la maison des propriétaires ; sanitaires, cuisine et salle à manger. La sympathique et efficace Vivian et l’aimable Geirr son compagnon me reçoivent.
Au premier abord, j’ai du mal à définir le genre de Geirr. Ce n’est pas la première fois que cela m’arrive dans le nord de la Norvège. Parfois le genre masculin n’est pas très précis, vu que le visage de certains hommes sont fins et glabres.
Geirr se précipite dans la cuisine pour me préparer tout spécialement des gaufres, la spécialité norvégienne qu’il m’offre accompagnée de thé. Il rit tant et plus lorsque je lui dis d’où je viens. Il m’étreint étroitement sur son cœur, à mon grand désarroi. En effet, je n’ai pas l’habitude de ce genre d’effusion. Je pense qu’ils me prennent pour une originale, je pense qu’ils le sont aussi.
Ensuite je pars à la pêche. À mon retour, lorsqu’ils me demandent si tout s’est bien passé je n’ose leur dire que je n’ai pas trouvé d’endroit propice, que mon seul lancer n’a attrapé que des algues et que j’ai fait une belle promenade le long de la mer, la canne à pêche à la main. Je pense que Geirr aurait là encore frappé dans ses mains en rigolant, ou m’aurait finalement étreinte.
Mon petit cabanon est agréablement décoré. Je m’y sens bien. Il y a même une petite étagère de livres, des miroirs en forme de cœur, des coussins… C’est à l’image du couple Vivian et Geirr.
Mercredi 10 août – 88e jour
Sandnes / Oksfjordhamn / Badderen / Alteidet – 59 km
Mais si j’étais allée là-bas je n’aurais pas rencontré Inger !
J’arrive rapidement à une montée raide et interminable. Je règle mes vitesses ! Petit plateau, grand pignon ! J’ai trente vitesses sur mon vélo, ça compense un peu son poids. À vide, il pèse environ dix-sept kilogrammes. Avec Ewen, on a compté le nombre de rayons de nos vélos respectifs. J’en ai trente-six, lui trente-deux. J’ai des roues de vingt-six pouces, lui vingt-huit. Il casse régulièrement des rayons à l’arrière, son vélo est trop chargé. C’est lui qui porte essentiellement les courses et, avec Youn, ils ne se contentent pas de quelques galettes de pomme de terre et de deux yaourts ! Youn porte la caisse à outils de trois kilos, la mienne en pèse seulement un, elle est a minima. Je pense avoir l’essentiel, trois rayons de rechange, une chambre à air, une clé multifonctions, le matériel pour réparer ma chaîne, de l’huile, des serflex, une petite clé pour serrer les écrous, des patins de freins, des attaches pour les sacoches. Aucune casse, aucun écrou à resserrer, aucune crevaison jusqu’à maintenant.
Donc, je monte… je gravis la côte… je pédale… je mouline… jusqu’au moment où je sens poindre deux petites douleurs, une au tibia gauche et une autre à l’arrière de la hanche droite. Je ne sais pas si une douleur peut s’amplifier à l’effort et causer des dommages ou si elle reste en l’état et disparaît telle qu’elle est apparue. Dans l’incertitude, je descends et je pousse mon vélo. Les douleurs disparaissent comme par magie. Ce ne sont pas les mêmes muscles et tendons qui sont sollicités à la marche et au pédalage.
Après avoir poussé mon vélo sur plusieurs kilomètres, ce qui m’a pris beaucoup de temps, tous mes efforts sont récompensés par une vue mirifique depuis un col de quatre-cent-un mètres d’altitude. Je surplombe un assemblage de fjords encadré par une ligne de montagnes enneigées, le Kvænangsfjellet. Mes photos sont de piètres représentations de ce panorama. Au cours de mes voyages j’ai abandonné mes appareils photos. J’utilise maintenant un appareil multifonctions que l’on appelle… téléphone ! Les premiers téléphones portables d’un kilo, ont fait leur apparition dans les années quatre-vingt-dix. Ils utilisaient les réseaux des bornes radio. Que de progrès accomplis depuis…
Je reviens à ma réalité de contemplative depuis le point de vue. Un couple de camping-caristes vient vers moi. Ils m’ont vue sur la route les jours précédents et ont repéré que je voyageais seule. S’ensuit une discussion sympathique. Ils sont partis d’Allemagne en juin, vont au cap Nord, puis visiteront la Finlande à leur retour. Ils sont surpris de savoir que je suis partie de si loin et surtout seule. Monika me montre des photos. Ils font également du cyclotourisme avec leurs deux petits-fils. Je leur avoue que je fais parfois équipe du soir, avec quatre jeunes, qu’ils vont vite et que j’arrive plusieurs heures après eux aux campings. Ils rient ! Wolfgang déclare que les jeunes vont trop vite, qu’ils ne prennent pas assez le temps d’observer et de communiquer avec les autres durant leur voyage.
Plus loin, je rencontre cinq jeunes hommes dans un petit supermarché de village. Ils sont parisiens. Ils sont partis du cap Nord à pied depuis un bon mois pour rejoindre le sud de la Norvège. Ils ont récemment acheté des tentes pour être à l’abri. Ils n’avaient pas imaginé une météo pareille ! Ils font vingt-cinq kilomètres par jour. Ils ont de longues barbes et portent des boubous. Leur tête est enrubannée de blanc. Les gens d’ici leur ont dit qu’ils rencontreraient très certainement des difficultés, car ils vont arriver dans le sud en plein hiver, en novembre. J’ai l’impression qu’ils sont transis de froid, pourtant ils sont très habillés mais pas très bien chaussés… qu’est-ce que ce sera lorsqu’il neigera ! Ils font chaque année un voyage à pied dans un pays étranger et semblent être dans un processus religieux.
L’un me demande le but de mon voyage. Lorsque je leur exprime que je n’ai pas de raison, que c’est juste pour le plaisir et le bonheur de faire ce que je fais, il est surpris. Il est étonné d’apprendre aussi que je voyage seule, et me répond, « Dieu vous accompagne ! » comme si cela pouvait me venir en aide. Ma réponse le laisse stupéfait ! En effet, pour lui, il est inconcevable de ne pas avoir de croyances !
Je leur souhaite beaucoup de plaisir et de bonheur dans leur expédition. Je pense aussi que le froid du Grand Nord et la neige risquent de les rattraper.
Je me souviens d’un article de Nathan dans la revue 200, parti au cap Nord à vélo en novembre 2021 en plein hiver. Il avait fait deux paris ; se faire héberger chez l’habitant et collecter des fonds au profit de la recherche sur la sclérose en plaque. Les gens d’ici lui disaient qu’il allait mourir de froid dans les montagnes. Il a réussi de façon incroyable !
Lorsque j’ai parlé de Nathan à Marilyne, partie avec Radia à vélo pour Oslo, de façon inattendue, elle m’a dit le connaître. C’est un garçon de sa région. Le monde est vraiment petit !
Au camping d’Alteidet, Inger séjourne dans le chalet à côté du mien. À mon arrivée et à mon insu, elle me photographie sous toutes les coutures. Elle me montrera dans la soirée les photos lorsque nous ferons connaissance. Elle me dit avoir été surprise de me voir apparaître avec cette impressionnante bicyclette et seule de surcroît. Elle a quelques années de plus que moi. Elle habite du côté de Narvik, à environ cinq heures de voiture de là. Elle rend visite à la famille de son mari décédé depuis peu.
Elle a toutes les caractéristiques des Norvégiens ; la douceur, le calme, le temps de vivre… et elle est rigolote. J’aimerais pouvoir mieux échanger et davantage avec Inger. J’aime bien Inger ! Nous sommes restées en contact après mon retour en France.
Deux jeunes motards parisiens partis pour le cap Nord, me remarquent aussi dans le camping. Les bras leur en tombent de savoir que je voyage seule à vélo. Ils pensaient vivre une véritable aventure, mais comparé à moi, ils me disent qu’ils ne peuvent que réviser leur point de vue.
« Mais vous voyagez seule ? » Aujourd’hui, à trois reprises, on m’exprimera cette interrogation. Parfois, posée avec une intonation un peu brusque au début de mon voyage, cette phrase mélangeait la surprise, la peur, le doute, voire l’incompréhension.
Le ton s’est peu à peu transformé. Désormais, pour cette dernière partie de mon voyage, l’attitude se mue en respect, parfois en admiration. Le courage, et même la peur, mentionnés tant de fois au début, ne sont plus de mise maintenant. Sur la ligne où le courage se situerait entre la peur et l’audace, c’est bien la ténacité, l’aplomb, la maîtrise, la hardiesse qui l’emporte lorsqu’on me parle actuellement.
Les Frenchies en Norvège n’ont de cesse de parler de moi aux gens qu’ils rencontrent. Les Banana NorthCape m’acceptent avec beaucoup d’enthousiasme dans leur groupe.
D’ailleurs Ewen me téléphone et m’avertit qu’ils ont dormi la nuit précédente dans une vraie hytte de Samis, construite en terre avec des peaux de renne suspendues et le braséro au milieu de l’abri. Ils l’ont utilisé pour griller le poisson de leur pêche. C’est à quelques centaines de mètres de mon camping où je suis déjà installée. Dommage !
Mais si j’étais allée là-bas je n’aurais pas rencontré les Parisiens à moto et Inger la Norvégienne !
Sandnes / Oksfjordhamn / Badderen / Alteidet – 59 km
Mais si j’étais allée là-bas je n’aurais pas rencontré Inger !
J’arrive rapidement à une montée raide et interminable. Je règle mes vitesses ! Petit plateau, grand pignon ! J’ai trente vitesses sur mon vélo, ça compense un peu son poids. À vide, il pèse environ dix-sept kilogrammes. Avec Ewen, on a compté le nombre de rayons de nos vélos respectifs. J’en ai trente-six, lui trente-deux. J’ai des roues de vingt-six pouces, lui vingt-huit. Il casse régulièrement des rayons à l’arrière, son vélo est trop chargé. C’est lui qui porte essentiellement les courses et, avec Youn, ils ne se contentent pas de quelques galettes de pomme de terre et de deux yaourts ! Youn porte la caisse à outils de trois kilos, la mienne en pèse seulement un, elle est a minima. Je pense avoir l’essentiel, trois rayons de rechange, une chambre à air, une clé multifonctions, le matériel pour réparer ma chaîne, de l’huile, des serflex, une petite clé pour serrer les écrous, des patins de freins, des attaches pour les sacoches. Aucune casse, aucun écrou à resserrer, aucune crevaison jusqu’à maintenant.
Donc, je monte… je gravis la côte… je pédale… je mouline… jusqu’au moment où je sens poindre deux petites douleurs, une au tibia gauche et une autre à l’arrière de la hanche droite. Je ne sais pas si une douleur peut s’amplifier à l’effort et causer des dommages ou si elle reste en l’état et disparaît telle qu’elle est apparue. Dans l’incertitude, je descends et je pousse mon vélo. Les douleurs disparaissent comme par magie. Ce ne sont pas les mêmes muscles et tendons qui sont sollicités à la marche et au pédalage.
Après avoir poussé mon vélo sur plusieurs kilomètres, ce qui m’a pris beaucoup de temps, tous mes efforts sont récompensés par une vue mirifique depuis un col de quatre-cent-un mètres d’altitude. Je surplombe un assemblage de fjords encadré par une ligne de montagnes enneigées, le Kvænangsfjellet. Mes photos sont de piètres représentations de ce panorama. Au cours de mes voyages j’ai abandonné mes appareils photos. J’utilise maintenant un appareil multifonctions que l’on appelle… téléphone ! Les premiers téléphones portables d’un kilo, ont fait leur apparition dans les années quatre-vingt-dix. Ils utilisaient les réseaux des bornes radio. Que de progrès accomplis depuis…
Je reviens à ma réalité de contemplative depuis le point de vue. Un couple de camping-caristes vient vers moi. Ils m’ont vue sur la route les jours précédents et ont repéré que je voyageais seule. S’ensuit une discussion sympathique. Ils sont partis d’Allemagne en juin, vont au cap Nord, puis visiteront la Finlande à leur retour. Ils sont surpris de savoir que je suis partie de si loin et surtout seule. Monika me montre des photos. Ils font également du cyclotourisme avec leurs deux petits-fils. Je leur avoue que je fais parfois équipe du soir, avec quatre jeunes, qu’ils vont vite et que j’arrive plusieurs heures après eux aux campings. Ils rient ! Wolfgang déclare que les jeunes vont trop vite, qu’ils ne prennent pas assez le temps d’observer et de communiquer avec les autres durant leur voyage.
Plus loin, je rencontre cinq jeunes hommes dans un petit supermarché de village. Ils sont parisiens. Ils sont partis du cap Nord à pied depuis un bon mois pour rejoindre le sud de la Norvège. Ils ont récemment acheté des tentes pour être à l’abri. Ils n’avaient pas imaginé une météo pareille ! Ils font vingt-cinq kilomètres par jour. Ils ont de longues barbes et portent des boubous. Leur tête est enrubannée de blanc. Les gens d’ici leur ont dit qu’ils rencontreraient très certainement des difficultés, car ils vont arriver dans le sud en plein hiver, en novembre. J’ai l’impression qu’ils sont transis de froid, pourtant ils sont très habillés mais pas très bien chaussés… qu’est-ce que ce sera lorsqu’il neigera ! Ils font chaque année un voyage à pied dans un pays étranger et semblent être dans un processus religieux.
L’un me demande le but de mon voyage. Lorsque je leur exprime que je n’ai pas de raison, que c’est juste pour le plaisir et le bonheur de faire ce que je fais, il est surpris. Il est étonné d’apprendre aussi que je voyage seule, et me répond, « Dieu vous accompagne ! » comme si cela pouvait me venir en aide. Ma réponse le laisse stupéfait ! En effet, pour lui, il est inconcevable de ne pas avoir de croyances !
Je leur souhaite beaucoup de plaisir et de bonheur dans leur expédition. Je pense aussi que le froid du Grand Nord et la neige risquent de les rattraper.
Je me souviens d’un article de Nathan dans la revue 200, parti au cap Nord à vélo en novembre 2021 en plein hiver. Il avait fait deux paris ; se faire héberger chez l’habitant et collecter des fonds au profit de la recherche sur la sclérose en plaque. Les gens d’ici lui disaient qu’il allait mourir de froid dans les montagnes. Il a réussi de façon incroyable !
Lorsque j’ai parlé de Nathan à Marilyne, partie avec Radia à vélo pour Oslo, de façon inattendue, elle m’a dit le connaître. C’est un garçon de sa région. Le monde est vraiment petit !
Au camping d’Alteidet, Inger séjourne dans le chalet à côté du mien. À mon arrivée et à mon insu, elle me photographie sous toutes les coutures. Elle me montrera dans la soirée les photos lorsque nous ferons connaissance. Elle me dit avoir été surprise de me voir apparaître avec cette impressionnante bicyclette et seule de surcroît. Elle a quelques années de plus que moi. Elle habite du côté de Narvik, à environ cinq heures de voiture de là. Elle rend visite à la famille de son mari décédé depuis peu.
Elle a toutes les caractéristiques des Norvégiens ; la douceur, le calme, le temps de vivre… et elle est rigolote. J’aimerais pouvoir mieux échanger et davantage avec Inger. J’aime bien Inger ! Nous sommes restées en contact après mon retour en France.
Deux jeunes motards parisiens partis pour le cap Nord, me remarquent aussi dans le camping. Les bras leur en tombent de savoir que je voyage seule à vélo. Ils pensaient vivre une véritable aventure, mais comparé à moi, ils me disent qu’ils ne peuvent que réviser leur point de vue.
« Mais vous voyagez seule ? » Aujourd’hui, à trois reprises, on m’exprimera cette interrogation. Parfois, posée avec une intonation un peu brusque au début de mon voyage, cette phrase mélangeait la surprise, la peur, le doute, voire l’incompréhension.
Le ton s’est peu à peu transformé. Désormais, pour cette dernière partie de mon voyage, l’attitude se mue en respect, parfois en admiration. Le courage, et même la peur, mentionnés tant de fois au début, ne sont plus de mise maintenant. Sur la ligne où le courage se situerait entre la peur et l’audace, c’est bien la ténacité, l’aplomb, la maîtrise, la hardiesse qui l’emporte lorsqu’on me parle actuellement.
Les Frenchies en Norvège n’ont de cesse de parler de moi aux gens qu’ils rencontrent. Les Banana NorthCape m’acceptent avec beaucoup d’enthousiasme dans leur groupe.
D’ailleurs Ewen me téléphone et m’avertit qu’ils ont dormi la nuit précédente dans une vraie hytte de Samis, construite en terre avec des peaux de renne suspendues et le braséro au milieu de l’abri. Ils l’ont utilisé pour griller le poisson de leur pêche. C’est à quelques centaines de mètres de mon camping où je suis déjà installée. Dommage !
Mais si j’étais allée là-bas je n’aurais pas rencontré les Parisiens à moto et Inger la Norvégienne !
Jeudi 11 août – 89e jour
Alteidet / Ørbakken / Talvik / Storvika / Alta – 135 km
Je ne doute de rien !
Je pensais partir tôt, mais il y a Inger avec qui j’échange encore avec plaisir ce matin.
J’ai une longue étape aujourd’hui, puisque le premier camping est fermé. Alta est à cent-trente-cinq kilomètres. Deux étapes en une et plusieurs tunnels à franchir ! Je ne suis pas au bout de mes peines…
Très rapidement j’ai l’impression de retrouver la même côte qu’hier. Depuis l’île de Senja ça grimpe sec ! Je vais y arriver saperlipopette ! Je pédale… pédale… Je pédale inlassablement.
J’avance très lentement, je comprends d’autant mieux l’expression de Paul : « Ma tortue verte préférée ! » À la force que je dois mettre à chaque appui sur les pédales, je sais que mon vélo est lourdement chargé et que cela grimpe dur. Mais aujourd’hui, j’y arrive ! Aucune petite douleur. Et même si elles étaient apparues j’aurais continué à pédaler.
J’y suis parvenue, je n’ai jamais posé le pied à terre durant mes lentes progressions. Il m’a fallu arriver en Laponie norvégienne, faire plus de six-mille kilomètres pour pouvoir gravir des côtes de sept à neuf pour cent, avec un vélo et son équipement pesant entre quarante et cinquante kilos. Je ne suis plus la Française qui pousse son vélo dans les montagnes de Norvège.
Je suis comblée !
Il pleut à verse. Les voitures, les camping-cars, les caravanes et les camions vont vite, beaucoup plus vite qu’hier. La ville d’Alta est proche, la circulation est intense. La route mouillée provoque un bruit considérable. La vitesse est autorisée jusqu’à 90 km/h, ce qui n’est pas le cas ailleurs. Le gouvernement a-t-il oublié que cette route est aussi l’EuroVelo 1 qui va du cap Nord au Portugal ?
Je vais rejoindre Alta où sont déjà arrivés les garçons. Je ferai en une journée ce qu’ils ont fait en deux journées. Ils me diront ce soir qu’ils ont trouvé hier, une hytte chez l’habitant, avec sauna de surcroît, à soixante kilomètres d’Alta. C’est dans un supermarché qu’ils ont eu l’information. Ils sont quatre, ils ont donc plus de ressources que moi pour dénicher des endroits sympathiques.
Je repère les quatre tunnels sur ma carte. Deux sont interdits aux cyclistes. Une jolie petite route côtière contourne le premier. Plus loin, pour le deuxième, les choses se compliquent. Après plusieurs kilomètres sur la petite route d’évitement, je suis bloquée. La route n’existe plus. Elle a disparu avec le versant de la colline à cause d’un glissement de terrain.
J’appelle les garçons. Ils sont surpris de me savoir déjà là. Ils ne pensaient pas que j’arriverais à Alta aujourd’hui. Ils allaient me téléphoner ce soir pour m’informer de ne pas faire comme eux. En effet, ils ont évité avec bien des difficultés ce glissement de terrain, en passant par la forêt située plus haut sur la colline. Au risque que l’ensemble du versant s’effondre aussi. Impossible et hors de question pour moi ! Ils vont remplacer le camping sauvage par la location d’un chalet pour nous cinq et m’attendre.
Je retourne sur mes traces pour rejoindre le tunnel et faire du stop.
Je me souviens… Lorsque j’habitais à Mayotte, ma voiture tombait fréquemment en panne. J’étais une rare m’zungu – une blanche – à prendre le taxi brousse et à faire du stop. La première fois, j’ai été très gênée. Je n’avais pas renouvelé le geste depuis ma jeunesse. Une dame faire du stop pour se rendre à son travail ! Puis je me suis aperçue que c’était toujours d’excellents moments, propices à l’échange.
Mais faire du stop avec un vélo chargé de la sorte… Il ne faut douter de rien ! Qui ne tente rien, n’a rien ! Surtout que je n’aime pas les tunnels norvégiens ! Et les automobilistes roulent comme des fous aujourd’hui. Le premier véhicule arrive. Il s’arrête. C’est une camionnette. Le chauffeur s’enquiert de mes difficultés, mais il ne peut pas prendre mon vélo à l’arrière de son fourgon. Bon ! Il repart. Y’a de l’espoir !
Les voitures arrivent par salves. C’est toujours comme ça en Norvège, étant donné que personne ne double un autre véhicule. Évidemment, personne ne s’arrête. Il faudrait un pick-up. Je me sens un peu ridicule. Puis je vois au loin un bus. Je lui fais signe de la main et contre toute attente, il stoppe à ma hauteur. Quelle belle aubaine ! Je monte tout mon chargement. Le chauffeur refuse que je lui paye la course.
Une vingtaine de kilomètres après, j’arrive à Alta. Il est vingt heures. J’ai contourné à vélo un tunnel et traversé trois autres en bus, dont deux interdits pour les cyclos. Ce qui veut dire qu’à vélo je serais arrivée à plus de vingt-deux heures au camping d’Alta.
Je retrouve les garçons alors que nous pensions ne plus nous revoir. Ils m’applaudissent à mon arrivée, j’ai fait une étape d’environ cent-trente kilomètres dont une vingtaine en bus. Ils ont eu le temps d’aller au site d’art rupestre d’Alta. Tout n’est pas perdu pour moi ! J’ai beaucoup d’avance, j’aurai le temps d’y aller à mon retour du cap Nord, lorsque je reviendrai à Alta.
Les garçons ont fait des courses gratuites. Tous les quatre se mettent à cuisiner. Quant à moi j’ai interdiction de bouger le petit doigt. Emiel est surpris, car il veut me servir une boisson et je n’ai qu’un bol à lui présenter. Pour lui, ce récipient ne peut que recevoir de la soupe. Je lui explique que pour m’alléger, j’ai renvoyé par la Poste la plupart de mes affaires. Je n’ai plus que le strict nécessaire. Il me regarde étrangement. Puis nous nous régalons d’énormes hamburgers, tellement épais qu’il est presque impossible de les manger, sinon en les déquadruplant. Quel bonheur de les avoir rencontrés !
Alteidet / Ørbakken / Talvik / Storvika / Alta – 135 km
Je ne doute de rien !
Je pensais partir tôt, mais il y a Inger avec qui j’échange encore avec plaisir ce matin.
J’ai une longue étape aujourd’hui, puisque le premier camping est fermé. Alta est à cent-trente-cinq kilomètres. Deux étapes en une et plusieurs tunnels à franchir ! Je ne suis pas au bout de mes peines…
Très rapidement j’ai l’impression de retrouver la même côte qu’hier. Depuis l’île de Senja ça grimpe sec ! Je vais y arriver saperlipopette ! Je pédale… pédale… Je pédale inlassablement.
J’avance très lentement, je comprends d’autant mieux l’expression de Paul : « Ma tortue verte préférée ! » À la force que je dois mettre à chaque appui sur les pédales, je sais que mon vélo est lourdement chargé et que cela grimpe dur. Mais aujourd’hui, j’y arrive ! Aucune petite douleur. Et même si elles étaient apparues j’aurais continué à pédaler.
J’y suis parvenue, je n’ai jamais posé le pied à terre durant mes lentes progressions. Il m’a fallu arriver en Laponie norvégienne, faire plus de six-mille kilomètres pour pouvoir gravir des côtes de sept à neuf pour cent, avec un vélo et son équipement pesant entre quarante et cinquante kilos. Je ne suis plus la Française qui pousse son vélo dans les montagnes de Norvège.
Je suis comblée !
Il pleut à verse. Les voitures, les camping-cars, les caravanes et les camions vont vite, beaucoup plus vite qu’hier. La ville d’Alta est proche, la circulation est intense. La route mouillée provoque un bruit considérable. La vitesse est autorisée jusqu’à 90 km/h, ce qui n’est pas le cas ailleurs. Le gouvernement a-t-il oublié que cette route est aussi l’EuroVelo 1 qui va du cap Nord au Portugal ?
Je vais rejoindre Alta où sont déjà arrivés les garçons. Je ferai en une journée ce qu’ils ont fait en deux journées. Ils me diront ce soir qu’ils ont trouvé hier, une hytte chez l’habitant, avec sauna de surcroît, à soixante kilomètres d’Alta. C’est dans un supermarché qu’ils ont eu l’information. Ils sont quatre, ils ont donc plus de ressources que moi pour dénicher des endroits sympathiques.
Je repère les quatre tunnels sur ma carte. Deux sont interdits aux cyclistes. Une jolie petite route côtière contourne le premier. Plus loin, pour le deuxième, les choses se compliquent. Après plusieurs kilomètres sur la petite route d’évitement, je suis bloquée. La route n’existe plus. Elle a disparu avec le versant de la colline à cause d’un glissement de terrain.
J’appelle les garçons. Ils sont surpris de me savoir déjà là. Ils ne pensaient pas que j’arriverais à Alta aujourd’hui. Ils allaient me téléphoner ce soir pour m’informer de ne pas faire comme eux. En effet, ils ont évité avec bien des difficultés ce glissement de terrain, en passant par la forêt située plus haut sur la colline. Au risque que l’ensemble du versant s’effondre aussi. Impossible et hors de question pour moi ! Ils vont remplacer le camping sauvage par la location d’un chalet pour nous cinq et m’attendre.
Je retourne sur mes traces pour rejoindre le tunnel et faire du stop.
Je me souviens… Lorsque j’habitais à Mayotte, ma voiture tombait fréquemment en panne. J’étais une rare m’zungu – une blanche – à prendre le taxi brousse et à faire du stop. La première fois, j’ai été très gênée. Je n’avais pas renouvelé le geste depuis ma jeunesse. Une dame faire du stop pour se rendre à son travail ! Puis je me suis aperçue que c’était toujours d’excellents moments, propices à l’échange.
Mais faire du stop avec un vélo chargé de la sorte… Il ne faut douter de rien ! Qui ne tente rien, n’a rien ! Surtout que je n’aime pas les tunnels norvégiens ! Et les automobilistes roulent comme des fous aujourd’hui. Le premier véhicule arrive. Il s’arrête. C’est une camionnette. Le chauffeur s’enquiert de mes difficultés, mais il ne peut pas prendre mon vélo à l’arrière de son fourgon. Bon ! Il repart. Y’a de l’espoir !
Les voitures arrivent par salves. C’est toujours comme ça en Norvège, étant donné que personne ne double un autre véhicule. Évidemment, personne ne s’arrête. Il faudrait un pick-up. Je me sens un peu ridicule. Puis je vois au loin un bus. Je lui fais signe de la main et contre toute attente, il stoppe à ma hauteur. Quelle belle aubaine ! Je monte tout mon chargement. Le chauffeur refuse que je lui paye la course.
Une vingtaine de kilomètres après, j’arrive à Alta. Il est vingt heures. J’ai contourné à vélo un tunnel et traversé trois autres en bus, dont deux interdits pour les cyclos. Ce qui veut dire qu’à vélo je serais arrivée à plus de vingt-deux heures au camping d’Alta.
Je retrouve les garçons alors que nous pensions ne plus nous revoir. Ils m’applaudissent à mon arrivée, j’ai fait une étape d’environ cent-trente kilomètres dont une vingtaine en bus. Ils ont eu le temps d’aller au site d’art rupestre d’Alta. Tout n’est pas perdu pour moi ! J’ai beaucoup d’avance, j’aurai le temps d’y aller à mon retour du cap Nord, lorsque je reviendrai à Alta.
Les garçons ont fait des courses gratuites. Tous les quatre se mettent à cuisiner. Quant à moi j’ai interdiction de bouger le petit doigt. Emiel est surpris, car il veut me servir une boisson et je n’ai qu’un bol à lui présenter. Pour lui, ce récipient ne peut que recevoir de la soupe. Je lui explique que pour m’alléger, j’ai renvoyé par la Poste la plupart de mes affaires. Je n’ai plus que le strict nécessaire. Il me regarde étrangement. Puis nous nous régalons d’énormes hamburgers, tellement épais qu’il est presque impossible de les manger, sinon en les déquadruplant. Quel bonheur de les avoir rencontrés !
Vendredi 12 août – 90e jour
Alta / Skaidi / Olderfjord – 120 km
Un bateau sur son vélo…
Je quitte le camping après une petite séance photo organisée par Ewen. Emiel et Andi ne sont jamais loin et à mon insu ils apparaissent sur mes photos. Elles sont très belles, pleines de vie. J’ai toujours aussi une surprise lorsque je reprends mon appareil à Ewen, en effet, il se prend en autoportrait, grimaçant, affreux…
Aujourd’hui, les quatre garçons vont faire une grande étape. Quant à moi, je dois organiser mon voyage retour qui aura lieu dans dix jours. Je dois trouver un grand carton pour ranger ma bicyclette dans l’avion. J’ai l’impression que ce ne sera pas une mince affaire.
Je suis surprise de recevoir une petite vidéo. Ce matin, Marion et Gauthier m’ont filmée traversant une rue à Alta. Depuis le tunnel de Leknes, je ne les ai pas revus et je n’ai même pas vu le bus les transportant pour Stockholm. Leur voyage à vélo est terminé. Ils sont repartis du cap Nord il y a quelques jours.
Je règle mon organisation en un tour de main à Intersport, par la réservation d’un grand carton. Je rencontre Ando devant un supermarché. Elle fait partie du groupe des Frenchies en Norvège. En tant que femmes seules, nous nous donnons régulièrement des nouvelles. Elle est partie de Paris à vélo électrique, neuf au départ. Un si long voyage à vélo électrique, est certes plus facile, mais les pannes sont difficiles à faire réparer. Une importante réparation à Oslo, très onéreuse, s’est avérée nécessaire et parfois il est impossible de procéder à des réparations sur ce genre de vélo en dehors des grandes villes. Il est donc rare de rencontrer des cyclo-voyageurs à vélo électrique. Il faut aussi pouvoir recharger sa batterie quotidiennement. Elle va rejoindre le cap Nord en bus, car elle a été contaminée par la Covid-19 et se sent épuisée. Je me tiens un peu éloignée d’elle.
Devant ce supermarché un garçon s’adresse à nous. C’est Jordan, Lillois, trente-et-un ans, parti de Porto le 15 novembre 2021. Il a traversé pendant huit mois tous les pays d’Europe, enfin presque. Il est entré depuis peu en Norvège arrivant directement à Alta depuis la Finlande.
Incroyable ! Mais ahurissant ! Il transporte depuis son départ un bateau gonflable sur son porte-bagages arrière. Ce bateau occupe de l’espace même s’il est bien enroulé. Il est midi lorsque je lui dis que je vais me mettre en route, il me répond qu’il va m’accompagner, que cela fait longtemps qu’il n’a pas eu de compagnie.
En route, il me raconte ses aventures et aussi qu’il n’a pas franchement utilisé son bateau. Peut-être une fois par mois, pour descendre certaines rivières. Son bateau est suffisamment spacieux, pour installer ses bagages et son vélo. Il me parle de son impossibilité à se séparer de lui, tout comme Ewen n’a pas pu se détacher de son accordéon qu’il n’a jamais utilisé. Seul Youn jouait avec le sien. Je lui raconte les arlequinades des garçons, les miennes… et nous passons un bon moment en pédalant ensemble.
Il fallait bien s’y attendre… les côtes sont là et les nuages arrivent. On entre dans les nuages ! C’est comme ça ici ! Les nuages se faufilent entre les montagnes et nous englobent, nous mouillant comme on n’aimerait pas qu’ils le fassent. Il faut alors rapidement enfiler nos vêtements de pluie. Jordan pédale plus vite que moi. Il m’attend régulièrement en haut des côtes.
Puis tout se complique. Le vent se lève et lorsqu’il est de face la pluie se transforme, comme d’habitude, en une multitude de petites aiguilles glacées qui me piquent le visage. Il fait très froid. Jordan a disparu du paysage. Je suis obligée de mettre pour la première fois mes gants d’hiver mais je n’arrive pas à les enfiler correctement. Mes mains sont mouillées, trop froides et je me retrouve avec des doigts recroquevillés, sans pouvoir les glisser au fond des gants. Tant pis ! J’ai trop froid aux mains et je ne dois pas rester immobile trop longtemps par ce temps glacial. Il faut que je reparte rapidement. Mais la tenue des poignées de mon guidon n’est pas facile.
Un bon moment après, la doublure intérieure de mes gants se remet enfin en place, me permettant d’allonger mes doigts et m’apportant un véritable confort.
J’ai toujours espoir de voir Jordan en haut d’une côte, mais j’ai trop de retard. Il m’a abandonnée !
Je dois pédaler activement pour ne pas ressentir le froid intense et tenter d’arriver le plus vite possible à la fin de mon étape. Je sais qu’elle sera longue avant le camping.
Je suis au pays des Samis. Peut-être m’accepteraient-ils si je leur demandais l’hospitalité ! Je ne suis pas encore prête à ça. Finalement, je prends mon courage à deux mains pour une demande d’hébergement mais les deux maisons sont inhabitées. Ce n’est pas de chance !
J’arrive à un plateau extrêmement venté, les monts sont érodés. Il n’y a plus que de rares arbustes, quelques maisons de Samis et de grands troupeaux de rennes. Longtemps après, le paysage se transforme subitement, c’est plus à l’abri, il pleut moins, il fait moins froid. On trouve ici des chalets en bois, utilisés comme résidences secondaires pour les fins de semaine et les vacances par les habitants de Hammerfest. La petite ville est non loin sur la côte. Les Hammerfesting viennent pêcher le saumon dans le Goahtemuorjohka, magnifique fleuve agrémenté de méandres, cascades, que j’ai eu le loisir de longer une grande partie de ma journée.
De minuscules arbres, rachitiques, tordus, font leur apparition mais ils sont tous cassés. La partie supérieure tombée à la base de chaque arbre. Paysage de désolation causé par des vers.
Il est tard, presque vingt-et-une heures. J’ai encore quinze kilomètres à faire avant d’arriver au carrefour de Skaïdi où se trouvent un camping, un hôtel et un motel. Je redouble de vigueur, j’avale rapidement les kilomètres. Mais comble de malheur, le camping est privé. Et l’hôtel est fermé. Et le motel est complet. Et il est vingt-deux heures ! Je suis déconcertée !
Les garçons sont à vingt-deux kilomètres dans un chalet pour six personnes. Je décide de les rejoindre. Il pleut toujours, mais il fait un peu moins froid. J’ai maintenant le vent dans le dos pour une dernière côte de sept kilomètres et pour le reste des kilomètres en descente, avant d’atteindre le village d’Olderfjord.
Nous sommes le 12 août 2022, il est vingt-deux heures. À mon grand étonnement, le jour permanent est terminé… Il fait nuit ! Je dois faire vingt-cinq kilomètres dans l’obscurité… Une longue portion de route est encaissée entre d’épais fourrés. Je ne suis pas très rassurée. J’espère qu’aucun animal ne sortira des taillis. La peur me tenaille, ça me stimule et j’avance vite.
J’arrive à vingt-trois heures quinze. Fantastique ! J’ai battu mon record de vitesse !
Deux des garçons m’ont préparé à dîner, les autres dorment déjà. Je pense toujours ne plus les revoir mais encore aujourd’hui, ils sont là, les quatre, au bout de ma longue étape de cent-vingt kilomètres. Quelle journée éprouvante ! Mais quand c’est fini, j’oublie, il ne me reste que la joie d’avoir réussi. C’est génial !
Je n’ai pas le numéro de téléphone de Jordan pour prendre des nouvelles. Lorsque je raconte que Jordan a un bateau sur son vélo, Ewen dira qu’il veut le rencontrer… Un bateau sur son vélo, c’est plus exceptionnel qu’un accordéon sur son vélo !
Alta / Skaidi / Olderfjord – 120 km
Un bateau sur son vélo…
Je quitte le camping après une petite séance photo organisée par Ewen. Emiel et Andi ne sont jamais loin et à mon insu ils apparaissent sur mes photos. Elles sont très belles, pleines de vie. J’ai toujours aussi une surprise lorsque je reprends mon appareil à Ewen, en effet, il se prend en autoportrait, grimaçant, affreux…
Aujourd’hui, les quatre garçons vont faire une grande étape. Quant à moi, je dois organiser mon voyage retour qui aura lieu dans dix jours. Je dois trouver un grand carton pour ranger ma bicyclette dans l’avion. J’ai l’impression que ce ne sera pas une mince affaire.
Je suis surprise de recevoir une petite vidéo. Ce matin, Marion et Gauthier m’ont filmée traversant une rue à Alta. Depuis le tunnel de Leknes, je ne les ai pas revus et je n’ai même pas vu le bus les transportant pour Stockholm. Leur voyage à vélo est terminé. Ils sont repartis du cap Nord il y a quelques jours.
Je règle mon organisation en un tour de main à Intersport, par la réservation d’un grand carton. Je rencontre Ando devant un supermarché. Elle fait partie du groupe des Frenchies en Norvège. En tant que femmes seules, nous nous donnons régulièrement des nouvelles. Elle est partie de Paris à vélo électrique, neuf au départ. Un si long voyage à vélo électrique, est certes plus facile, mais les pannes sont difficiles à faire réparer. Une importante réparation à Oslo, très onéreuse, s’est avérée nécessaire et parfois il est impossible de procéder à des réparations sur ce genre de vélo en dehors des grandes villes. Il est donc rare de rencontrer des cyclo-voyageurs à vélo électrique. Il faut aussi pouvoir recharger sa batterie quotidiennement. Elle va rejoindre le cap Nord en bus, car elle a été contaminée par la Covid-19 et se sent épuisée. Je me tiens un peu éloignée d’elle.
Devant ce supermarché un garçon s’adresse à nous. C’est Jordan, Lillois, trente-et-un ans, parti de Porto le 15 novembre 2021. Il a traversé pendant huit mois tous les pays d’Europe, enfin presque. Il est entré depuis peu en Norvège arrivant directement à Alta depuis la Finlande.
Incroyable ! Mais ahurissant ! Il transporte depuis son départ un bateau gonflable sur son porte-bagages arrière. Ce bateau occupe de l’espace même s’il est bien enroulé. Il est midi lorsque je lui dis que je vais me mettre en route, il me répond qu’il va m’accompagner, que cela fait longtemps qu’il n’a pas eu de compagnie.
En route, il me raconte ses aventures et aussi qu’il n’a pas franchement utilisé son bateau. Peut-être une fois par mois, pour descendre certaines rivières. Son bateau est suffisamment spacieux, pour installer ses bagages et son vélo. Il me parle de son impossibilité à se séparer de lui, tout comme Ewen n’a pas pu se détacher de son accordéon qu’il n’a jamais utilisé. Seul Youn jouait avec le sien. Je lui raconte les arlequinades des garçons, les miennes… et nous passons un bon moment en pédalant ensemble.
Il fallait bien s’y attendre… les côtes sont là et les nuages arrivent. On entre dans les nuages ! C’est comme ça ici ! Les nuages se faufilent entre les montagnes et nous englobent, nous mouillant comme on n’aimerait pas qu’ils le fassent. Il faut alors rapidement enfiler nos vêtements de pluie. Jordan pédale plus vite que moi. Il m’attend régulièrement en haut des côtes.
Puis tout se complique. Le vent se lève et lorsqu’il est de face la pluie se transforme, comme d’habitude, en une multitude de petites aiguilles glacées qui me piquent le visage. Il fait très froid. Jordan a disparu du paysage. Je suis obligée de mettre pour la première fois mes gants d’hiver mais je n’arrive pas à les enfiler correctement. Mes mains sont mouillées, trop froides et je me retrouve avec des doigts recroquevillés, sans pouvoir les glisser au fond des gants. Tant pis ! J’ai trop froid aux mains et je ne dois pas rester immobile trop longtemps par ce temps glacial. Il faut que je reparte rapidement. Mais la tenue des poignées de mon guidon n’est pas facile.
Un bon moment après, la doublure intérieure de mes gants se remet enfin en place, me permettant d’allonger mes doigts et m’apportant un véritable confort.
J’ai toujours espoir de voir Jordan en haut d’une côte, mais j’ai trop de retard. Il m’a abandonnée !
Je dois pédaler activement pour ne pas ressentir le froid intense et tenter d’arriver le plus vite possible à la fin de mon étape. Je sais qu’elle sera longue avant le camping.
Je suis au pays des Samis. Peut-être m’accepteraient-ils si je leur demandais l’hospitalité ! Je ne suis pas encore prête à ça. Finalement, je prends mon courage à deux mains pour une demande d’hébergement mais les deux maisons sont inhabitées. Ce n’est pas de chance !
J’arrive à un plateau extrêmement venté, les monts sont érodés. Il n’y a plus que de rares arbustes, quelques maisons de Samis et de grands troupeaux de rennes. Longtemps après, le paysage se transforme subitement, c’est plus à l’abri, il pleut moins, il fait moins froid. On trouve ici des chalets en bois, utilisés comme résidences secondaires pour les fins de semaine et les vacances par les habitants de Hammerfest. La petite ville est non loin sur la côte. Les Hammerfesting viennent pêcher le saumon dans le Goahtemuorjohka, magnifique fleuve agrémenté de méandres, cascades, que j’ai eu le loisir de longer une grande partie de ma journée.
De minuscules arbres, rachitiques, tordus, font leur apparition mais ils sont tous cassés. La partie supérieure tombée à la base de chaque arbre. Paysage de désolation causé par des vers.
Il est tard, presque vingt-et-une heures. J’ai encore quinze kilomètres à faire avant d’arriver au carrefour de Skaïdi où se trouvent un camping, un hôtel et un motel. Je redouble de vigueur, j’avale rapidement les kilomètres. Mais comble de malheur, le camping est privé. Et l’hôtel est fermé. Et le motel est complet. Et il est vingt-deux heures ! Je suis déconcertée !
Les garçons sont à vingt-deux kilomètres dans un chalet pour six personnes. Je décide de les rejoindre. Il pleut toujours, mais il fait un peu moins froid. J’ai maintenant le vent dans le dos pour une dernière côte de sept kilomètres et pour le reste des kilomètres en descente, avant d’atteindre le village d’Olderfjord.
Nous sommes le 12 août 2022, il est vingt-deux heures. À mon grand étonnement, le jour permanent est terminé… Il fait nuit ! Je dois faire vingt-cinq kilomètres dans l’obscurité… Une longue portion de route est encaissée entre d’épais fourrés. Je ne suis pas très rassurée. J’espère qu’aucun animal ne sortira des taillis. La peur me tenaille, ça me stimule et j’avance vite.
J’arrive à vingt-trois heures quinze. Fantastique ! J’ai battu mon record de vitesse !
Deux des garçons m’ont préparé à dîner, les autres dorment déjà. Je pense toujours ne plus les revoir mais encore aujourd’hui, ils sont là, les quatre, au bout de ma longue étape de cent-vingt kilomètres. Quelle journée éprouvante ! Mais quand c’est fini, j’oublie, il ne me reste que la joie d’avoir réussi. C’est génial !
Je n’ai pas le numéro de téléphone de Jordan pour prendre des nouvelles. Lorsque je raconte que Jordan a un bateau sur son vélo, Ewen dira qu’il veut le rencontrer… Un bateau sur son vélo, c’est plus exceptionnel qu’un accordéon sur son vélo !
Samedi 13 août – 91e jour
Olderfjord – 20 km
Je dois sortir de là à toute vitesse
Les garçons repartent ce matin. Je vais faire une pause d’une journée au camping d’Olderfjord. Sur la terrasse de la cafétéria d’un magasin de souvenirs situé au bord de la seule route menant au cap Nord, je patiente en attendant les clefs d’un plus petit chalet.
Il fait beau ! J’observe un trafic incessant de bus pour le cap Nord. L’arrêt est obligatoire ici pour l’achat de quelques babioles à rapporter chez soi ou à offrir. Mon vélo chargé de ses bagages fait sensation auprès des touristes un peu âgés, tout ankylosés après les centaines de kilomètres qu’ils viennent de parcourir. Nombreux sont ceux qui s’approchent pour discuter avec moi. Une dame de Fribourg délaisse la grande boutique et s’installe à ma table. Elle est émue ! Je lui rappelle de bons moments qu’elle a vécus autrefois en tant que cyclotouriste.
Qui vois-je arriver ? C’est Jordan ! Il était tellement gelé hier qu’il ne m’a pas attendue. Je pense qu’il a oublié que l’on doit se préoccuper les uns des autres. Face au vent, il a rejoint un camping à plusieurs kilomètres de Skaïdi et avec bien des difficultés, c’est sous la pluie et dans le vent qu’il a planté sa tente. Hier, j’ai voulu éviter cette situation et j’ai préféré une fin de course plus longue et dans la nuit afin d’arriver et dormir confortablement au chaud.
Il est midi, Jordan repart et continue son étape d’une distance de cent-trente kilomètres. Il a le désir de rencontrer les garçons qu’il ne connaît pas encore, au camping de Honningsvåg dans le sud de l’île du cap Nord.
Je reste un bon moment sur la terrasse. De multiples fois, je suis prise en photo avec mon vélo. En toute humilité, j’ai l’impression d’être les prémices à la sculpture du globe métallique du cap Nord.
Ce matin, Emiel m’a montré sur son application un endroit propice à la pêche. J’y vais ! L’endroit est très joli. Je marche sur un tapis végétal dense, une vraie moquette de vingt centimètres d’épaisseur. Je suis prête ! Et hop ! Mon lancer est toujours parfait… mais impossible d’enrouler mon fil. Je n’avais pas vu qu’à une quinzaine de mètres il y avait de nombreuses algues. Décidément !
Je n’attends pas. Je sors rapidement mon couteau pour couper le fil et vite ranger mes affaires. Je dois déguerpir de là à toute vitesse, car de ce tapis de sol très moelleux ont émergé des centaines de midges qui me tournent autour et m’attaquent.
Auparavant, je n’avais jamais imaginé que la pêche était tout un art.
Youn m’a avertie ce matin que demain un fort vent latéral risquera de me mettre en difficulté. Demain, je dois franchir mon plus long tunnel, le plus profond. Je suis confiante…
Olderfjord – 20 km
Je dois sortir de là à toute vitesse
Les garçons repartent ce matin. Je vais faire une pause d’une journée au camping d’Olderfjord. Sur la terrasse de la cafétéria d’un magasin de souvenirs situé au bord de la seule route menant au cap Nord, je patiente en attendant les clefs d’un plus petit chalet.
Il fait beau ! J’observe un trafic incessant de bus pour le cap Nord. L’arrêt est obligatoire ici pour l’achat de quelques babioles à rapporter chez soi ou à offrir. Mon vélo chargé de ses bagages fait sensation auprès des touristes un peu âgés, tout ankylosés après les centaines de kilomètres qu’ils viennent de parcourir. Nombreux sont ceux qui s’approchent pour discuter avec moi. Une dame de Fribourg délaisse la grande boutique et s’installe à ma table. Elle est émue ! Je lui rappelle de bons moments qu’elle a vécus autrefois en tant que cyclotouriste.
Qui vois-je arriver ? C’est Jordan ! Il était tellement gelé hier qu’il ne m’a pas attendue. Je pense qu’il a oublié que l’on doit se préoccuper les uns des autres. Face au vent, il a rejoint un camping à plusieurs kilomètres de Skaïdi et avec bien des difficultés, c’est sous la pluie et dans le vent qu’il a planté sa tente. Hier, j’ai voulu éviter cette situation et j’ai préféré une fin de course plus longue et dans la nuit afin d’arriver et dormir confortablement au chaud.
Il est midi, Jordan repart et continue son étape d’une distance de cent-trente kilomètres. Il a le désir de rencontrer les garçons qu’il ne connaît pas encore, au camping de Honningsvåg dans le sud de l’île du cap Nord.
Je reste un bon moment sur la terrasse. De multiples fois, je suis prise en photo avec mon vélo. En toute humilité, j’ai l’impression d’être les prémices à la sculpture du globe métallique du cap Nord.
Ce matin, Emiel m’a montré sur son application un endroit propice à la pêche. J’y vais ! L’endroit est très joli. Je marche sur un tapis végétal dense, une vraie moquette de vingt centimètres d’épaisseur. Je suis prête ! Et hop ! Mon lancer est toujours parfait… mais impossible d’enrouler mon fil. Je n’avais pas vu qu’à une quinzaine de mètres il y avait de nombreuses algues. Décidément !
Je n’attends pas. Je sors rapidement mon couteau pour couper le fil et vite ranger mes affaires. Je dois déguerpir de là à toute vitesse, car de ce tapis de sol très moelleux ont émergé des centaines de midges qui me tournent autour et m’attaquent.
Auparavant, je n’avais jamais imaginé que la pêche était tout un art.
Youn m’a avertie ce matin que demain un fort vent latéral risquera de me mettre en difficulté. Demain, je dois franchir mon plus long tunnel, le plus profond. Je suis confiante…