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L'improbable voyage à vélo de Besançon au cap Nord en 2022.

(réalisé)
     
À Caroline ma fille et à Gaël mon petits-fils,     
  
De Besançon au cap Nord… Chiche !
 
Partir en solitaire, un défi pour un si long voyage !
« Un voyage de mille lieues commence toujours par un premier pas » Lao-Tseu. 
Il faut donc relever la bravade par un premier coup de pédale. Mes premiers voyages à vélo de cinq-cents kilomètres sur des durées courtes m’ont fait découvrir ce qui m’apportait de l’étonnement et de multiples surprises et surtout ce qui me procurait un véritable sentiment de liberté. Au fur et à mesure j’ai allongé mes distances avec néanmoins un sentiment de frustration, car à mon retour, ce n’était jamais assez…
 
Ce sera mon plus long voyage. Si je cumule tous les kilomètres que j’aurai faits depuis mon premier coup de pédale il y a déjà quelques années, j’aurai bouclé environ vingt-quatre-mille kilomètres soit 60 % du tour de l’Équateur. 
J’ai traversé dix pays de Saint-Nazaire à Constanta en Roumanie, j’ai suivi le Rhin d’Andermatt à Rotterdam, j’ai fait deux fois le tour de Bourgogne dont l’un avec mon petit-fils Gaël. Au cours d'un tour de la France, j’ai rejoint la côte Atlantique par la Camargue, le canal des Deux-Mers puis je suis remontée jusqu’à Saint-Nazaire et j’ai terminé par L’EuroVelo 6 jusqu’à Besançon.
 
Et début avril, en guise de reprise d’entraînement, j’ai aussi fait le tour d’Alsace, petite balade de sept-cents kilomètres… Enfin, pour ne pas perdre les bons réflexes et les muscles, petits moteurs qu’il faut indispensablement garder en forme, j’ai pris l’habitude de me rendre à vélo chez mes amis à Strasbourg, en Suisse… avec Gaël, grand garçon de cinq ans, qui m’accompagne dans sa remorque à vélo à pédales.

Tous ces voyages ont été l’occasion de faire des rencontres magiques, de découvrir des paysages magnifiques, avoir des surprises émouvantes. Quand je pédale, j’éprouve un grand sentiment de liberté. Je deviens philosophe, poète, artiste. Je partage mes réflexions et mes sentiments, mes efforts aussi, avec les cyclotouristes qui m’accompagnent quelquefois sur des dizaines de kilomètres. Certains me disent que croiser une dame de mon âge -j’ai soixante-huit ans- seule, partant si loin, les aide et les motive. Moi aussi je suis très motivée et je continue, le nez au vent et les sourires dans mon baluchon. Quand je rejoins mon point de chute, je retrouve quelques-unes de ces rencontres et je découvre d’autres cyclotouristes avec qui nous échangeons sur nos expériences.

 
Mais le plus amusant et un peu flatteur aussi je l’avoue, c’est de lire dans le regard de certains l’étonnement, l’admiration et le respect. Parfois même, on me perçoit comme une personne perchée à l’âme romantique. Mais tous font preuve d’humanité, ils sont accueillants, aimables, généreux et surtout admiratifs ! 
Certaines amies m’ont attribué le terme de jeunior. D’autres sont subjuguées. Rares sont celles qui me regardent d’un air circonspect voire dubitatif. Ma fille Caroline, qui sait que je n’outrepasserai pas mes capacités physiques, me fait confiance et c’est important. De cette façon, je pars tranquille, l’esprit léger.
Quant à Gaël, mon petit-fils, adepte de cyclotourisme depuis nos échappées complices, il sera penché sur les cartes, à tracer mon parcours et à dessiner des campings et des restaurants ! Mais je sais qu’au fond de lui, il aimerait partir avec moi parce qu’il est sûr que je vais voir le père Noël au cap Nord et pouvoir cueillir les cadeaux poussant sur le sol comme autant de fleurs magiques.
 
Enfin, pour mon retour, fin août 2022, lorsque je prendrai l’avion à Alta, mes sacoches, mon cœur, ma tête, mes jambes aussi, seront pleins de souvenirs de rencontres, de paysages, de saines fatigues qui me rendront heureuse et fière d’avoir fait ce que j’aurai fait en trois mois et demi. 
vélo de randonnée
Quand : 15/05/22
Durée : 94 jours
Distance globale : 5638km
Dénivelées : +26238m / -26332m
Alti min/max : -1m/488m
Carnet publié par Jacqueline25 le 09 mai 2022
modifié le 14 avr.
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Vue d'ensemble

Le topo : Section 5 - Du 4 au 8 juin H.. (mise à jour : 12 avr.)

Distance section : 300km

Description :

Harlingen / Sint Jacobiparochie / Blije / Zoutcamp / Ternaard / Lauwersoog / Ulrum / Pieterburen / Uithuizen / Spijk / Termunterzijl / Bünde (Allemagne) / Bingum / Leer / Firrel / Friedeburg / Varel / Neuwapelergroden

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Le compte-rendu : Section 5 - Du 4 au 8 juin H.. (mise à jour : 12 avr.)

Section 5 - Du 4 au 8 juin H..
Jour 21 - Samedi 4 juin 2022
Harlingen / Sint Jacobiparochie / Blije / Ternaard  
65 km
 
Les yeux baignés par la luminosité, par le soleil pendant de nombreuses journées, deviennent translucides.
 
Des pensées s’insinuent en moi. Je me souviens de Jean, parti du Portugal et rencontré à Besançon en mars dernier dans le froid et la pluie. Il avait des yeux transparents. Les yeux baignés par la luminosité, par le soleil pendant de nombreuses journées, deviennent translucides. Lorsque ces yeux vous regardent on peut y lire la générosité, le bonheur, la quiétude, la félicité du nomade, du voyageur à pied ou à vélo. Ce regard favorise aussi de belles rencontres ! 

Je reviens à une autre réalité car mon ennemi réapparaît. Je le brave toute la journée. Il rabat ma vitesse à 9 km/h et je n’ai aucun moment de répit… Je pédale pendant presque sept heures sur une piste plate pour seulement soixante-six kilomètres. Si je devais grimper avec un tel vent… autant ne pas y penser !
 
Malgré tout, je m’arrête car de petites cabanes permettent d’acheter des œufs, des légumes et des fruits. Une petite cabane permet aussi de se faire un café-crème avec biscuits, jus de fruit, soupe… On glisse son argent dans de petites tirelires. Cela me prend du temps de goûter un peu à tout, de reprendre un petit déjeuner. Je décide donc de couper de grandes boucles, et de quatre-vingt-un kilomètres selon ma prévision je réduis ma distance à soixante-six kilomètres, mais je me prive du passage dans de multiples petits villages.
 
Je longe par sa base une haute digue en pensant que la mer est derrière, mais pas du tout. Je grimpe et je suis surprise de découvrir une immensité de champs. La mer est invisible ! J’arrive tardivement au camping de Ternaard qui paraît désaffecté. Mais quelques signes indiquent qu’il y a encore un peu de vie. Des chaussures sont posées au sol devant le seul camping-car présent, deux tondeuses robots sont au travail et le sanitaire homme est ouvert. Un poulailler avec poules, canards… animent le camping. Ma petite tente et ma bicyclette viennent compléter le tableau. L’employé de mairie passe à dix-neuf heures et je paie huit euros pour quelques mètres carrés, une douche et un endroit clôt. Pas moins de services que les grands campings à vingt euros.
 
Que de moutons ! Je pense que j’aurais pu faire le « métier de nez ». J’ai ce qu’on appelle un nez subtil ; c’est de famille ! Mais ici cela me dérange encore plus que de coutume. Les digues que je longe servent de lieu de vie à des milliers de brebis et agneaux. Les déjections des herbivores sont prégnantes et c’est pour moi une véritable nuisance olfactive. Les digues sont des pâturages pour moutons et ces derniers maintiennent les particularités écologiques et entretiennent la digue de protection à la mer. En broutant l’herbe et en piétinant le sol, les moutons contribuent au maintien d’un couvert herbacé et ainsi au renforcement de la digue. 
 
Les brebis et leurs agneaux sont parfois mes seules compagnes sur des dizaines de kilomètres et nous faisons bon ménage. Les brebis me regardent passer, intéressées par ma présence, même si elles restent quelque peu impassibles. Quant aux agneaux, d’un saut gracieux, ils se mettent en protection derrière leur mère. Certaines bêtes très âgées, peuvent rester longtemps dans le troupeau,  jusqu’à ce qu’elles perdent leurs dents.
 
Que de moutons ! Parfois ils ont des rubans colorés autour du cou marquant sans doute leur appartenance et leur donnant un petit air apprêté. Les portions de prairie sont à certains endroits délimitées et closes. La difficulté est de passer les multiples portillons qui sont posés à l’oblique avec un ressort puissant pour les refermer automatiquement. Il faut avancer tout en étant à califourchon sur son vélo avec les pieds au sol, se pencher et tirer le portillon à soi tout en reculant, le maintenir sur le côté avec force et ensuite avancer progressivement jusqu’au moment où l’on ne peut plus retenir ce satané portillon qui se referme avec violence sur les sacoches arrière. Sacrée gymnastique !
C’était précédemment à Dordrecht. Jacob me montre une photo de son voyage à Saint-Jacques-de-Compostelle.
C’était précédemment à Dordrecht. Jacob me montre une photo de son voyage à Saint-Jacques-de-Compostelle.
Radia et Marilyne
Radia et Marilyne
Harlingen au petit matin
Harlingen au petit matin
Les grosses mémères ne bronchent pas à mon passage, les petits d’un bond se réfugient derrière leur mère.
Les grosses mémères ne bronchent pas à mon passage, les petits d’un bond se réfugient derrière leur mère.
Dans la petite cabane il y a : café-crème et vraie cafetière, bouilloire, biscuits, jus de fruits…
Dans la petite cabane il y a : café-crème et vraie cafetière, bouilloire, biscuits, jus de fruits…
Une piste sablonneuse
Une piste sablonneuse
Jolies ces chèvres grises
Jolies ces chèvres grises
Chaque village expose au moins une sculpture
Chaque village expose au moins une sculpture
Jour 22 - Dimanche 5 juin 2022
Ternaard / Lauwersoog / Ulrum / Pieterburen
65 km
 
Des tapes ou des caresses dans le dos 
 
Aujourd’hui de jeunes allemands ralentissent leur allure et m’accompagnent durant une dizaine de kilomètres. La jeune fille est ravie de pouvoir parler français. Ils portent sur leur visage le sourire sympathique des gens heureux. 
 
J’ai une petite étape aujourd’hui, donc pas question de couper les grandes boucles passant par les villages. C’est la fête avec de nombreux stands au village de Zoutkamp. Je ne passe pas inaperçue avec ma bicyclette et mon accoutrement de cycliste. On m’identifie aisément comme cyclo-voyageuse. Brusquement je suis entourée et je deviens un vrai stand de curiosités. Les gens sont fascinés par ce vélo chargé de toutes ses sacoches. Tout est en harmonie de couleur, jusqu’aux gourdes. Je dois raconter… Ils veulent savoir où j’habite, où je vais, quel âge j’ai, combien j’ai déjà fait de kilomètres, combien il m’en reste, où je dors, combien de kilos de bagages, le poids du vélo, si je voyage seule. Ne serait-ce pas une sorte d’évaluation pour savoir « si je vaux le coup » de cet intérêt ? Je dois admettre que l’estimation est fort correcte car j’entends : « Elle va au cap Nord ! » et le groupe forcit. 
 
Pour finir on me libère en me touchant. Un homme me tape dans le dos, cela vaut pour l’ensemble du groupe et une femme me frotte le dos et me malaxe le bras, c’est pareil, elle représente le groupe des femmes. Les femmes n’ont pas le même toucher que les hommes. C’est fréquent que l’on me touche ainsi. Lorsque je suis une cyclo-voyageuse, les barrières sociales tombent. On est dans l’empathie avec un cycliste et on ose le toucher, on a envie de le pousser, de lui venir en aide. Mais touche-t-on aussi aisément un homme cycliste ? 
 
Puis j’arrive à Pieterburen, le marché est installé sur la place du village. Je voulais juste acheter quelques fruits, j’ai beau dire au maraîcher que je suis à bicyclette, je la lui montre, il ne m’écoute pas. Je me retrouve avec une quantité impressionnante de fruits et légumes pour une somme dérisoire. Je partage ce stock avec le réceptionniste du très agréable camping municipal de la petite ville de Pieterburen. Ici on a réfléchi et choisi d’installer dans le confort les voyageurs à petites tentes avec un grand espace abrité et un grand mobil-home avec salon et marmite-room. C’est comme en France les municipalités pratiquent des prix très bas. 


Des rencontres émouvantes
 
Je me souviens d’une vieille dame en Serbie en 2019. Elle avait mis à ma disposition un hébergement chez elle. Son fils travaillait en Allemagne. À mon départ, elle me prit dans ses bras, les larmes aux yeux, pour une longue étreinte.  Je ne sais si toutefois elle revivait les départs de son fils pour leur longue séparation pour un pays inconnu d’elle ou si elle se faisait du souci pour moi, partie de si loin et allant jusqu’à la mer Noire à vélo, ce qui n’était pas la porte à côté. Son visage est resté gravé en moi.
 
Je me souviens aussi, lors de mon tour de la France à vélo en 2021, de deux messieurs qui m’ont demandé ce qu’ils pouvaient faire pour moi, de quoi j’avais besoin. Des touristes français me demanderont exactement les mêmes choses dans le nord de la Norvège, mais je n’y suis pas encore… 
 
Je me souviens aussi de ce monsieur qui m’a demandé si j’avais une famille. Il lui semblait impensable de faire le tour de la France lorsque l’on est entouré. Qu’il n’y a pas de raison « valable » pour partir à vélo pour de si nombreux kilomètres et seule de surcroît. 
 
Différents paramètres vont favoriser fortement les interactions : je suis seule ; je suis atypique en tant que dame d’un certain âge ; je parcours et je découvre le monde sur une frêle monture très chargée ; je montre qu’il est possible de s’échapper de son quotidien sur une longue durée ; j’expose que c’est possible à tout âge. Tout le monde sait aussi que chaque étape à vélo doit se gagner aux prix d’efforts. 
Les efforts s’accumulant, je me sens de mieux en mieux, parfois même j’en deviens euphorique ! Et cette joie facilite considérablement les rencontres !
 
On ne m’a jamais demandé pourquoi je faisais ça. Cette question peut paraître intime. Pour ce voyage au cap Nord, mes raisons sont très simples. Cyclo-voyageuse depuis plusieurs années, j’ai rencontré, en 2020, sur l’EuroVelo 15, un homme descendant le col d’Andermatt dans les Alpes suisses. Il m’a raconté être allé au cap Nord. J’ai pensé que si lui l’avait fait, je le pourrais aussi, car il n’avait pas l’air plus sportif que moi ! Et après quelque temps, me voilà sur les routes du Nord.
 
 
Des étincelles dans le regard
 
Il y a parfois des destinations qui inspirent la crainte ou l’admiration et le cap Nord en fait partie. Je m’en suis rendu compte lorsque j’ai commencé à parler de mon projet. On répétait en écho : « Au cap Nord ! » avec des étincelles dans le regard. Parfois on me demandait où se situait réellement le cap Nord avec un peu de confusion avec le pôle Nord.
 
Cela me fait penser à Zanzibar. Tout le monde connaît ce mot étonnant de « Zanzibar ». À une période de ma vie, j’ai habité dans l’océan Indien, à proximité de l’archipel de Zanzibar. Je m’étais rendue sur l’île de Unguja où j’avais été éblouie par ses paysages, ses plages de sable blanc, son lagon d’un bleu turquoise, la ville de Zanzibar, ville de pierre parce que les maisons sont bâties en pierre de corail, … J’ai simplement fait le tour de l’île sur un vieux biclou que j’avais loué. Mes quelques mots de mahorais et ce vélo m’avaient été bien utiles pour entrer en excellent contact avec la population qui en principe est assez fermée aux les touristes.


Le cimetière est à l’image des maisons : extrêmement bien entretenu.
Le cimetière est à l’image des maisons : extrêmement bien entretenu.
Un égaré
Un égaré
Exposition de théières dans le jardin
Exposition de théières dans le jardin
Derrière la digue, la mer
Derrière la digue, la mer
Voici Radia et Marilyne et leurs moutons. Elles débutent leur journée à vélo à 9 heures. Cela fait déjà deux heures que je pédale
Voici Radia et Marilyne et leurs moutons. Elles débutent leur journée à vélo à 9 heures. Cela fait déjà deux heures que je pédale
Zoutcamp
Zoutcamp
Zoutcamp
Zoutcamp
Zoutcamp
Zoutcamp
Chaque maison est décorée
Chaque maison est décorée
Zoutcamp
Zoutcamp
Jour 23 - Lundi 6 juin 2022
Pieterburen / Uithuizen / Spijk / Termunterzijl
75 km
 
Il n’y a pas de mauvais temps, que de mauvais vêtements.

Je reçois un message sur mon GPS « avertissement météo marine ». Une dame au camping de Pieterburen me montre la météo sur son téléphone et me dit qu’hier c’était le sud qui était touché par le vent et la pluie, mais aujourd’hui c’est le nord où nous nous trouvons. Jan Peter, néerlandais cyclo-voyageur, rencontré lors d’un précédent voyage jusqu’à la mer Noire disait l’adage suivant : « Il n’y a pas de mauvais temps, que de mauvais vêtements ».

 
Je ne sais pas si scientifiquement cela se vérifie mais j’avais remarqué pendant mon séjour à Mayotte, que les pluies s’arrêtaient au lever du jour pour reprendre après. Ce matin j’ai donc trente minutes de répit pour plier bagages. Je ne tergiverse pas, j’enfile mon équipement complet de pluie. La pluie mais surtout le vent sont redoutables aujourd’hui. Mais… le vent me pousse ! J’ai l’impression que ma bicyclette a une assistance électrique. Hormis à certains moments, car pour rendre le parcours plus attrayant, je dois quitter la digue des moutons et faire des boucles avec vent de face pour passer dans les villages.
 
Le vent des jours derniers était une peccadille ! Lors du passage sur un petit pont, je dois redoubler de vigueur pour me maintenir en équilibre et ne pas finir contre la balustrade. C’est moins fatiguant pour moi de marcher en poussant le vélo que de pédaler de toutes mes forces. La pluie est intermittente et lorsque les nuages se déversent, elle me cingle le visage telle de petites aiguilles.

Il n’y a pas âme qui vive dehors aujourd’hui sauf… au bout d’un chemin, loin devant, j’aperçois ce qui pourrait être une autruche. Mais je connais trop ces silhouettes. Sans compter que des autruches en liberté aux Pays-Bas… Je sais que c’est un cyclo-voyageur avec l’ensemble de l’équipement. J’ai le vent puissant dans le dos et lorsque l’on se rapproche, que l’on s’identifie en tant que femmes, nous agitons nos bras, nous nous exprimons avec fortes salutations et hilarité. 

 
Il est coutume de s’arrêter et d’échanger entre cyclotouristes, notamment lorsque la rencontre se fait dans des endroits improbables où lors de conditions complexes comme cette météo d’aujourd’hui. Mais nous savons toutes les deux que si elle s’arrête elle ne pourra pas repartir, sinon en déployant des efforts colossaux. J’ai le temps de remarquer son équipement. Nous avons le même. C’est une voyageuse au long court. Ces sacoches Ortlieb sont d’un vert pastel et ses deux gourdes sont de la même couleur aussi. C’est harmonieux, c’est beau ! 
 
Je n’ai pas le temps d’apercevoir quelle sorte de vélo elle a, mais cela pourrait être le même que le mien au vu de la configuration de l’ensemble. Cette rencontre me fait du bien. Nous sommes deux femmes seules, liées par le même désir, le même plaisir et nous avançons, bravant les éléments.

Ce soir, j’ai des nouvelles de Radia et Maryline. Elles sont arrivées en Allemagne. Elles ont une cinquantaine de kilomètres d’avance sur moi. Ce qui me parait bien peu au vu des performances d’un vélo électrique par rapport à un vélo mécanique. Elles font à peu près les mêmes distances que les miennes, mais évidemment en beaucoup moins de temps et en fournissant moins d’énergie pour avancer.

 
Je n’ai pas prévu de jours d’arrêts. Je fais régulièrement de petites étapes de soixante-cinq à soixante-quinze kilomètres pour compenser. Je vais aussi de temps à autre à l’hôtel lorsque le temps est trop capricieux. À mon étape il y a l’hôtel de Termundjil. Cela me permet de sauvegarder les données, les photos de mon téléphone grâce au wifi et d’éviter des conditions météorologiques « extrêmes ». 

 
J’entre dans ce magnifique hôtel ! Je m’adresse à la patronne. Elle me regarde comme si j’arrivais d’une autre planète, dans mes habits de cycliste, de pluie et… dégoulinante. Elle rit, se moque un peu, elle qui est tout apprêtée, bien vêtue, bien coiffée. Moi, de surcroît, j’ai un bonnet sur la tête ! Signe qu’il fait froid.

La chambre est extrêmement coquette. Je déballe toutes mes affaires : tente trempée, lessive qui n’a pas séché la veille, etc… je transforme la chambre en buanderie. Et je me métamorphose aussi… c’est ainsi qu’un peu plus tard, je descends au restaurant, coiffée, habillée de mon seul vêtement de ville, prévu pour mes sorties des mois à venir. C’est une robe noire à paillettes et un petit boléro brillant avec une seule ombre au tableau je n’ai que des tongs et non des escarpins… La patronne me regarde médusée, fait un geste me montrant de haut en bas et s’exclame : « Ha ! Maaadame ! » Qui est-ce qui disait que « L’habit ne fait pas le moine ! ».

Nous avons bien ri ensemble de ces deux versions de la même personne. 
Demain je quitte les Pays-Bas pour l’Allemagne.
Le jardin de la ferme mis à disposition des cyclos.
Le jardin de la ferme mis à disposition des cyclos.
Voici l’intérieur. Thé, café, soupe, biscuits, tirelire pour paiement, et gonfleur pour vélo
Voici l’intérieur. Thé, café, soupe, biscuits, tirelire pour paiement, et gonfleur pour vélo
Des moutons par milliers sur les digues hollandaises
Des moutons par milliers sur les digues hollandaises
Delfzijl
Delfzijl
Allemagne
Jour 24 - Mardi 7 juin 2022
Termunterzijl / Bünde (Allemagne) / Bingum / Leer  
45 km
 
Le Coronavirus
 
Après quinze jours à traverser d’est en ouest et du sud au nord les Pays-Bas, après avoir rencontré ses habitants sympathiques, chaleureux et entrant aisément en relation, après avoir emprunté des pistes cyclables ou plus exactement des routes pour vélos avec ses propres feux, ses tunnels, ses ronds-points, après avoir circulé à vélo dans les dunes, le long des digues et croisé le regard de milliers de brebis et agneaux, après avoir admiré de magnifiques paysages, après avoir vu pour la première fois la mer du Nord, après avoir traversé Amsterdam à vélo, après avoir traversé tant de villages et de villes, après avoir fait une multitude de photos, j’en suis sûre, je suis absolument enchantée, ravie par ce pays. Et pourtant, je le quitte aujourd’hui.

Maintenant j’arrive en Allemagne et d’immenses troupeaux de vaches ont remplacé les milliers de brebis et leurs agneaux. Je dois acquérir de nouveaux repères. Les panneaux indiquent les villages et les villes. C’est plus complexe car il faut vérifier sur la carte les noms des villes et villages et les mémoriser. Je dois abandonner mes quelques mots de néerlandais au profit des mots d’usage en allemand. Plus j’avance plus je m’aperçois qu’il n’existe pas, ici, l’intense réseau routier pour cyclistes. A priori aucun pays ne peut égaler les Pays-Bas à ce niveau !

Pour la première fois depuis mon départ les réceptionnistes du camping de Bingum me demandent mon pass-sanitaire et portent des masques. Nous sommes en 2022, l’épidémie de Covid-19 est apparue en 2019 et a fait plus de six millions de morts dans le monde. J’ai une pensée pour Vittorio, mon père, un inconditionnel du vélo, emporté par cette maladie sans que nous ayons eu l’autorisation de le revoir. La peur de cette épidémie a rendu notre humanité très inhumaine !
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Ils sont hollandais. Ils testent leur matériel car ils partiront de Bergen au cap Nord en juillet. Elle me dit qu’elle grimpe les côtes à pied. On sera deux
Je dois passer au milieu de ces vaches. Elles me font un peu peur.
Je dois passer au milieu de ces vaches. Elles me font un peu peur.
Au milieu de nulle part ! Exposition de peinture.
Au milieu de nulle part ! Exposition de peinture.
Mes derniers moments en Hollande.
Mes derniers moments en Hollande.
La campagne allemande
La campagne allemande
Jour 25 - Mercredi 8 juin 2022
Bingum / Firrel / Friedeburg / Varel / Neuwapelergroden    
78 km 
 
Ne plus penser aux choses essentielles.
 
Le couple installé à côté de moi au camping, seulement deux tentes dans ce camping désert, m’offre le petit-déjeuner. Beatrix et Gottfried habitent dans la chaîne de montagnes de l’Hartz et sont en vacances. J’expérimente vraiment cette fois-ci mon traducteur vocal. Super ! La conversation est parfaite et on ne se coupe jamais la parole ! Parfois le traducteur facétieux, faisant des jeux de mots nous fait rire aux éclats. Mais c’est parfait ! La conversation est fluide et nous communiquons réellement.

Je décide de ne pas prendre « le chemin des écoliers » et je vais directement de Leer à Varel. La campagne allemande ressemble à celle de Hollande, cependant moins ordonnée.

L’élevage des vaches est prédominant. La résidence des fermiers est attenante au corps de ferme. C’est un joli pavillon de briques rouges, comme aux Pays-Bas. Les abords sont parfaitement entretenus avec un jardinet à l’avant, bien végétalisé et des objets décoratifs pour l’embellir. Une tondeuse-robot est en action autour de chaque maison. Tout cela est parfait s’il n’y avait pas, à la ronde des fermes, cette odeur pestilentielle sur des kilomètres.

Je n’y comprends plus rien ! Selon l’organisation de mon parcours cette étape devait se faire le dix et j’entends à la radio que nous sommes le huit juin. J’ai deux jours d’avance ! Mais pourquoi ? Je reprends mes fiches, et oh ! Horreur ! je devais rester une journée complète à Amsterdam pour visiter le musée van Gogh. J’avais programmé aussi une journée complète à Maastricht. Je dois être dans ce « second souffle » exceptionnel qui supprime les choses essentielles. Pendant quinze minutes je suis vraiment en colère, puis je me dis que je reviendrai une autre année à Amsterdam…

 
Leer, très jolie petite ville portuaire
Leer, très jolie petite ville portuaire
Leer
Leer
Deux fermes
Deux fermes
Commentaires
Monique - 19 mai 2022
Coucou Jacqueline merci pour ces chouettes photos. Bon vent

domii70 - 06 juin 2022
Coucou Jacqueline, je suis toujours aussi éblouie par toutes ces sublimes photos et oui tu l'as ce regard pétillant .....
Bon vent , bisous.

Dom Bonnemain - 06 juin 2022
Magnifique de nous faire vivre ces moments d'exception. Tes textes nous forcent à fermer les yeux et à visualiser les endroits décrits. C'est aussi une aventure pour nous. Grosses bises d'encouragement.

Marie France - 08 juin 2022
Coucou Jacqueline ! Merci pour ces récits passionnants ! Il y a des jours où je t'envie, et d'autres où je suis bien contente d'être dans mon canapé en imaginant la pluie et le vent que tu affrontes !

Voisine12 - 08 juin 2022
Hello !!
J'ai découvert grâce à toi la Hollande qui semble être un bien joli pays... quelle énergie pour braver ainsi les intempéries...!! 👍💦
Continue bien.!

LVCroixblanche - 12 juin 2022
Coucou Jacqueline, nous suivons ton voyage de très près, les photos sont magnifiques. Tu es vraiment courageuse, ne lâche rien.
Des bisous du village de la croix blanche ;)