L'improbable voyage à vélo de Besançon au cap Nord en 2022.
À Caroline ma fille et à Gaël mon petits-fils,
De Besançon au cap Nord… Chiche !
Partir en solitaire, un défi pour un si long voyage !
« Un voyage de mille lieues commence toujours par un premier pas » Lao-Tseu.
Il faut donc relever la bravade par un premier coup de pédale. Mes premiers voyages à vélo de cinq-cents kilomètres sur des durées courtes m’ont fait découvrir ce qui m’apportait de l’étonnement et de multiples surprises et surtout ce qui me procurait un véritable sentiment de liberté. Au fur et à mesure j’ai allongé mes distances avec néanmoins un sentiment de frustration, car à mon retour, ce n’était jamais assez…
Ce sera mon plus long voyage. Si je cumule tous les kilomètres que j’aurai faits depuis mon premier coup de pédale il y a déjà quelques années, j’aurai bouclé environ vingt-quatre-mille kilomètres soit 60 % du tour de l’Équateur.
J’ai traversé dix pays de Saint-Nazaire à Constanta en Roumanie, j’ai suivi le Rhin d’Andermatt à Rotterdam, j’ai fait deux fois le tour de Bourgogne dont l’un avec mon petit-fils Gaël. Au cours d'un tour de la France, j’ai rejoint la côte Atlantique par la Camargue, le canal des Deux-Mers puis je suis remontée jusqu’à Saint-Nazaire et j’ai terminé par L’EuroVelo 6 jusqu’à Besançon.
Et début avril, en guise de reprise d’entraînement, j’ai aussi fait le tour d’Alsace, petite balade de sept-cents kilomètres… Enfin, pour ne pas perdre les bons réflexes et les muscles, petits moteurs qu’il faut indispensablement garder en forme, j’ai pris l’habitude de me rendre à vélo chez mes amis à Strasbourg, en Suisse… avec Gaël, grand garçon de cinq ans, qui m’accompagne dans sa remorque à vélo à pédales.
Tous ces voyages ont été l’occasion de faire des rencontres magiques, de découvrir des paysages magnifiques, avoir des surprises émouvantes. Quand je pédale, j’éprouve un grand sentiment de liberté. Je deviens philosophe, poète, artiste. Je partage mes réflexions et mes sentiments, mes efforts aussi, avec les cyclotouristes qui m’accompagnent quelquefois sur des dizaines de kilomètres. Certains me disent que croiser une dame de mon âge -j’ai soixante-huit ans- seule, partant si loin, les aide et les motive. Moi aussi je suis très motivée et je continue, le nez au vent et les sourires dans mon baluchon. Quand je rejoins mon point de chute, je retrouve quelques-unes de ces rencontres et je découvre d’autres cyclotouristes avec qui nous échangeons sur nos expériences.
Mais le plus amusant et un peu flatteur aussi je l’avoue, c’est de lire dans le regard de certains l’étonnement, l’admiration et le respect. Parfois même, on me perçoit comme une personne perchée à l’âme romantique. Mais tous font preuve d’humanité, ils sont accueillants, aimables, généreux et surtout admiratifs !
Certaines amies m’ont attribué le terme de jeunior. D’autres sont subjuguées. Rares sont celles qui me regardent d’un air circonspect voire dubitatif. Ma fille Caroline, qui sait que je n’outrepasserai pas mes capacités physiques, me fait confiance et c’est important. De cette façon, je pars tranquille, l’esprit léger.
Quant à Gaël, mon petit-fils, adepte de cyclotourisme depuis nos échappées complices, il sera penché sur les cartes, à tracer mon parcours et à dessiner des campings et des restaurants ! Mais je sais qu’au fond de lui, il aimerait partir avec moi parce qu’il est sûr que je vais voir le père Noël au cap Nord et pouvoir cueillir les cadeaux poussant sur le sol comme autant de fleurs magiques.
Enfin, pour mon retour, fin août 2022, lorsque je prendrai l’avion à Alta, mes sacoches, mon cœur, ma tête, mes jambes aussi, seront pleins de souvenirs de rencontres, de paysages, de saines fatigues qui me rendront heureuse et fière d’avoir fait ce que j’aurai fait en trois mois et demi.
Quand : 15/05/22
Durée : 94 jours
Durée : 94 jours
Distance globale :
5638km
Dénivelées :
+26238m /
-26332m
Alti min/max : -1m/488m
Carnet publié par Jacqueline25
le 09 mai 2022
modifié le 14 avr.
modifié le 14 avr.
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Vue d'ensemble
Le topo : Section 18. Du 1ier août au 7 août.. (mise à jour : 14 avr.)
Distance section :
417km
Description :
Stave / Bleik / Bleik / Andenes / Grillefjord / Skaland / Stønnesbotn / Botnhamn / Hillesøy / Eidkjosen / Tromsø
Bleik - Andenes - ? - Tromso
Bleik - Andenes - ? - Tromso
Le compte-rendu : Section 18. Du 1ier août au 7 août.. (mise à jour : 14 avr.)
Jour 79 - Lundi 1 août 2022
Stave / Bleik
12 km
Quant à moi je ne passerai pas devant mes compagnons de route car j’ai décidé de prendre des vacances à Bleik.
Après une bonne nuit, je quitte ce charmant endroit. Je parcours douze kilomètres. Un joli parc pour enfants est installé à l’entrée d’un village. De nombreux retraités boivent un café et mangent les fameuses gaufres en forme de cœur, sur la terrasse ensoleillée d’un Joker. Une atmosphère particulière se dégage de ce village.
Je m’arrête et m’installe sur la terrasse. Une deuxième terrasse à l’avant est couverte en cas de pluie. Ce Joker est particulier, accueillant. Il n’est pas très grand, et il a une particularité car il faut entrer dans une chambre froide, ou plutôt glacée, pour se servir en produits laitiers, œufs et charcuterie. Pour parachever le tout, la supérette s’ouvre sur une cafétéria, avec gâteaux, vraies glaces, tables… Des thermos sont à la disposition des clients. Et pour la modique somme de trois euros, le café est à discrétion. Qui est-ce qui disait que la Norvège était hors de prix ?
Le village est accueillant, chaleureux, il y a de la vie, il se nomme Bleik et compte quatre-cent-cinquante habitants. Les enfants jouent dehors, font du vélo. Ils descendent la route en pente devant le Joker, et remontent pour recommencer inlassablement. Je me souviens… C’était dans les années soixante à Damprichard. Oh là là ! comme c’est loin ! Nous, les enfants du village, descendions la rue très pentue devant l’usine Marguet, en luges de bois, les patins ferraillés. Il fallait s’arrêter à temps, avant d’enfoncer les portes et d’atterrir dans les magnifiques cuves de cuivre de la fromagerie. À cette époque-là, en Franche-Comté, il y avait encore de vrais hivers avec de bonnes hauteurs de neige.
Après deux heures d’observation de la vie trépidante qui m’entoure, je quitte la terrasse. Je me promène dans le village et j’admire l’habitat constitué de jolies maisons en bois. Je flâne. J’apprécie d’être ici. Depuis le petit port, je vois se dresser les falaises de Bleik, échancrées de calanques et de plages sauvages. Je m’y rends. L’endroit est idyllique, paradisiaque ! Je ne peux passer outre, je décide de rester quelques jours en vacances ici. J’installe ma tente face à un haut îlot. C’est presque le même paysage que j’apercevais depuis la fenêtre de ma maison à Mayotte, donnant sur l’îlot de Sada, la deuxième ville de l’île.
Je décide de me baigner dans une eau à dix degrés et non à vingt-cinq ou trente degrés comme dans l’autre hémisphère. C’est lorsque je commence à avoir vraiment froid aux bras (étonnant !) que je sors. Il est dit qu’il ne faut pas se baigner plus de dix minutes dans une eau à dix degrés, cinq minutes dans une eau à cinq degrés. Je ne pense pas avoir atteint dix minutes de baignade. Voilà, c’est fait ! Je me suis baignée dans la mer de Norvège.
Je téléphone aux garçons. Ils sont à cent kilomètres sur une autre île et font de la randonnée, après avoir fait une sortie en drakkar. Ils pensent trouver demain un pêcheur qui pourra les faire traverser en bateau pour me rejoindre, ils éviteraient ainsi une grande boucle et de nombreux kilomètres.
Je pars à la pêche. Mon hameçon se coince dans les algues. Ma canne s’arc-boute, mais l’hameçon ne revient pas. Je tire, je secoue… Décidément ! Je cherche mon couteau pour couper le fil, plus de couteau… j’essaie de couper le fil avec mes dents, impossible… J’ai appris que face à une impasse il faut s’arrêter, respirer, prendre son temps. Quelques instants après je mouline et l’hameçon jaillit hors de l’eau. Je me rends compte que ce sport est plus compliqué que le vélo. J’arrête !!! Si, en plus, par inadvertance, je pêche un poisson, comment vais-je l’attraper et le tuer ?
J’ai posé la question à mes amies, aucune d’entre elles ne s’est adonnée à cette activité. Toutes pensent qu’il faut taper le poisson au sol et Emiel me disait qu’il fallait lui donner un coup de couteau au milieu du front. Je n’ai qu’un opinel à bout rond que je ne retrouve plus. Je pense que je ne suis pas au bout de mes peines et je crains de ne pas pouvoir saisir un poisson. Je vais persévérer. C’est un nouveau défi pour les jours à venir.
Ce soir, j’ai des nouvelles : Jean-Marc a gravi les 1664 marches du Reinebringen et retourne à une fête Viking ; l’aimable famille m’a envoyé une photo, elle est arrivée au cap Nord (en voiture) sous un magnifique ciel bleu ; Rafael et Juan Carlos avancent rapidement, la roue arrière du vélo de Rafael a été changée à Tromsø et ils ont été ébahis par deux rennes qui se sont mis en travers de leur route ; Stéphane est toujours derrière moi, il n’arrive pas à partir tôt le matin ; les garçons n’ont pas trouvé de bateau pour demain, ils doivent faire cent-cinquante kilomètres pour me rejoindre ; les Frenchies en Norvège (blog commun) sont devant, ils allient randonnée et vélo.
Quant à moi je ne passerai pas devant mes compagnons de route car j’ai décidé de prendre des vacances à Bleik.
Jour 80 - Mardi 2 août 2022
Bleik / Andenes
12 km
Désolé ! Nous n'avons pas de Wi-Fi. Parlez-vous et buvez un bon café.
Ce matin je jurerais bien comme Emiel le fait. Il pleut des cordes ! Mes vacances n’ont duré que peu de temps. Je voulais de nouveau me baigner, retourner au Joker du village, pêcher depuis le port où il n’y a pas d’algue, me promener dans le village, ressentir la vie des gens dynamiques, observer les détails des maisons… J’aime les maisons !
Fichu ! C’est fichu ! Il est très fastidieux de tout ranger lorsqu’il pleut. Quand je démonte ma tente, je réussis à mouiller considérablement mes chaussures avec les multiples, les innombrables perles d’eau déposées sur elles, qui dégoulinent à mon insu.
En un tour de main, je suis prête à partir sous la pluie pour Andenes. J’ai oublié que le temps peut changer brusquement, qu’il peut refaire beau dans la journée ou le lendemain et que j’ai le temps.
J’ai vu tardivement hier soir une photo de Sarah et de Joris, postée sur le blog des Frenchies, avec l’îlot en fond. Ils sont ici, un peu plus loin en fonction de leur angle de prise de vue. À cent-cinquante mètres, j’avise une tente plantée dans l’herbe avec deux bicyclettes. Depuis le chemin j’appelle, je crie Sarah ! Joris ! Il est 8h30 du matin, ils me répondent, c’est bien eux.
Je marche une cinquantaine de mètres dans l’herbe haute sur un sol gorgé d’eau… mes pauvres chaussures ! Elles absorbent tout ce qui était encore possible d’eau. Mais il y a pire, Joris a laissé les siennes dehors et elles sont en partie remplies d’eau. Ils sont surpris de me voir apparaître. Nous sommes contents de nous retrouver, nous n’avions pas eu le temps de vraiment échanger lors de notre précédente rencontre. Ils ont pris un congé sabbatique pour voyager. Lorsque je leur dis que je me suis baignée la veille, je crois lire dans l’expression de Sarah un peu de perplexité, pour elle l’eau est vraiment trop froide.
Je fais deux-cents mètres et je m’arrête au Joker, je suis la première cliente de la cafétéria. Je suis déjà trempée, rincée. Les vieux briscards du cyclotourisme portent des sandales-vélos. Je pense que c’est une excellente solution mais j’ai craint d’avoir froid aux pieds dans le Grand Nord.
Les retraités d’hier arrivent. Ils sont mieux installés à l’intérieur sur les banquettes et les chaises. Hier, certains ont rencontré des difficultés à s’extirper des bancs attachés aux tables en bois. L’un d’eux mange un Miko. En Norvège on mange des glaces à partir de neuf heures du matin. Youn aussi. Moi aussi. Leurs prénoms sont écrits sur les tasses. Je découvre, accroché au mur, un panneau sur lequel sont suspendues quarante-neuf tasses prénommées. On se croirait à la maternelle. C’est assez hilarant.
Une bonne partie des gens du village vient à la cafétéria du Joker. Il règne une ambiance chaleureuse au sein de ce lieu. Un coin avec quelques jeux de construction a été prévu, de jeunes enfants encore en pyjama jouent, laissant les parents prendre tranquillement un café et discuter.
Il est écrit, à la craie blanche, sur un grand tableau noir : « Désolé ! Nous n'avons pas de Wi-Fi. Parlez-vous et buvez un bon café ».
Sur un panneau dans le village, j’ai pu lire : « Bienvenue à Bleik. Ne tuer que le temps. Ne prener que des photos. Ne retirer que les déchets. Ne laisser que des empreintes. »
Je peux dire que les habitants de Bleik sont fantastiques, étonnants, surprenants, plein d’humour, je pourrais ajouter encore de nombreux qualificatifs. Je peux repartir maintenant, j’ai pris mon temps, je me suis baignée, j’ai vu de bonnes personnes, j’ai respecté les directives.
En sortant du Joker je croise un Italien, il est barbu comme tous les cyclo-voyageurs. Il est parti de Milan jusqu’au cap Nord et il continue sa route jusqu’à Saint-Jacques-de-Compostelle.
J’ai prévenu les garçons que j’allais à Andenes, petit port tout au bout de l’île d’Andøya, dernier village de l’archipel des Vesteralen, connu pour ses safaris-baleines. Dès mon arrivée à Andenes situé à quelques kilomètres, je loue un chalet au fond du jardin de particuliers. Il est prévu pour cinq personnes pour la modique somme de cinq-cents couronnes (cinquante euros). Un prix tout à fait abordable.
Les garçons arrivent demain. Ils m’ont demandé d’aller me renseigner au sujet des safaris-baleines. Des réductions sont accordées aux étudiants et aux seniors. Je dois donner nos noms, mais je n’ai plus en tête le patronyme des garçons. Il est plus simple de dire qu’ils sont mes petits-fils, et la jeune fille à l’accueil ne me demande que leur prénom et leur âge. Je dis vingt, vingt-et-un et vingt-deux ans. Heureusement qu’ils n’étaient pas là, car ils ont trop de barbe pour avoir cet âge-là. En réalité, ils ont vingt-cinq, vingt-cinq et vingt-huit ans. Mais on ne met pas en doute la parole d’une grand-mère qui est partie à vélo de Besançon et qui va bientôt arriver au cap Nord.
Ce n’est pas tout pour la journée. Je croise trois jeunes français, Jérémy, Bastien et Thibault, qui m’accueillent en me demandant « Vous êtes Jacqueline ? ». Là encore c’est Gauthier qui a parlé de moi. Jérémy habite à Morteau où l’on fabrique la Mortuacienne, à soixante kilomètres de Besançon. Ils ne font que du camping sauvage. Ils font au minimum cent kilomètres par jour. Pour éviter d’avoir les chaussures mouillées, Jérémy pédale en tongs. Ils redescendent du cap Nord et vont au cap Tigani en Grèce. Ils ont arrêté leur travail pour faire ce voyage. Je leur donne l’information de la nourriture gratuite des supermarchés.
Mercredi nous partirons faire le safari et je vais reprendre la route jeudi. Tout va bien ! Mes chaussures et mes vêtements sèchent dans le petit chalet confortable au fond du jardin. Et le ciel est redevenu bleu.
Jour 81 - Mercredi 3 août 2022
Andenes
28 kilomètres
Nyksund, village fantôme
Le phare d’Andenes est une grande tour de quarante mètres, cylindrique, effilée, en fonte et entièrement rouge. Ce matin, le gardien du phare me talonne durant l’ascension des cent-quarante-six marches. Au sommet, la vue à trois-cent-soixante degrés est époustouflante, donnant sur Andenes et ses maisons en bois coloré. L’horizon de l’océan Atlantique nord paraît se perdre à l’infini.
Mais ce n’est pas la vue qu’il veut me montrer, mais la plaque du fabricant français du mécanisme rotatif.
Puis il me dit qu’une Française, ici, n’est pas un fait coutumier.
Enfin, il me fait remarquer que j’ai une semaine d’avance. En effet, m’explique-t-il, le phare reste éteint, en raison du soleil de minuit.
Les garçons arrivent en milieu d’après-midi. En fin de journée, il est temps pour moi de reprendre une leçon de pêche, au bout de la longue digue du port d’Andenes. Pendant que mes compagnons pêchent tranquillement, le nœud de mon hameçon se détache et le crochet disparaît au fond de la mer. Je casse ensuite le fil en lançant vigoureusement ma canne… Voilà, plus d’hameçon. C’est désespérant !
Youn vient à mon aide, et c’est à ce moment-là que nous entendons Emiel. Il crie, il jure… Une toute petite martre file, encombrée d’un de ses poissons plus gros qu’elle. Ne doutant de rien, elle revient après avoir mis en sécurité son butin. Elle ne sait pas à qui elle a à faire. Non mais !
Pour terminer, les garçons pêchent trois maquereaux et moi …. Rien de rien !
Puis ce sont les midges qui nous attaquent pendant notre apéritif sur la terrasse de notre chalet. Nous nous transformons en vrais apiculteurs coiffés de nos chapeaux moustiquaires. Quelle allure ! C’est efficace, mais boire et manger avec n’est pas très pratique.
Hier, les garçons ont atteint le village fantôme de Nyksund par des pistes de terre et des digues. Ils ont découvert cet ancien port de pêche abandonné au début des années soixante-dix. Ils me racontent cette histoire.
À cette époque, le gouvernement a décidé de déplacer les habitants. En échange d’une prime, il leur était interdit de revenir à Nyksund pendant trente ans. Et la municipalité de Nyksund décide d’éteindre ses lumières. C’est ainsi que l’une des principales communautés de pêcheurs de Norvège a fait ses valises et a déménagé dans le port moderne et animé de Myre non loin.
La tempête de 1975, qui ravagea le hangar à poisson, découragea les derniers réfractaires. Seul le forgeron y demeura… jusqu’à sa mort. On peut imaginer son isolement. On peut aussi gamberger sur l’amertume des déplacés.
Abandonné aux vents et aux tempêtes pendant les années 1980, Nyksund doit sa renaissance à un jeune Allemand qui y débarqua par hasard dans les années 2000. Il initia de nombreux chantiers de restauration, soutenus par l’UE, qui ont largement contribué à redonner vie au lieu.
Nyksund était, dans les années soixante, le deuxième endroit du nord de la Norvège à disposer d’un éclairage public électrique. Mais c’était alors. Les nouveaux habitants d’aujourd’hui aiment être dans le noir absolu, et ont délibérément choisi de ne pas rallumer cet éclairage public. Il fait donc nuit noire à Nyksund pendant la longue période hivernale. La seule atmosphère lumineuse est créée par les lampes suspendues, véritables luminions scintillants, toujours allumées à chaque fenêtre à l’intérieur des maisons. Les conditions sont parfaites pour voir les aurores boréales. Le village fantôme ne l’est plus tout à fait maintenant avec ses vingt habitants.
J’aime l’histoire de Nyksund ! Je regrette de ne pas avoir fait un détour jusque là-bas, et de n’avoir pu m’imprégner du mystère de ce tout petit village.
Jour 82 - Jeudi 4 août 2022
Andenes
10 km et beaucoup en bateau
Il ne put s’empêcher de poser la question.
Le centre d’observation des baleines recèle de surprises, il y a même un squelette de cachalot, long de plus de dix mètres. Lors de la captivante conférence sur les baleines, Youn ne put s’empêcher de poser la question qui lui tenait à cœur depuis la veille. Il obtient la réponse de la conférencière. Entre deux mètres cinquante et trois mètres, et pour les autres attributs, c’est de cinquante à cent kilogrammes. Ça lui vaut quelques regards en coin, quelques sourires et gloussements des autres touristes.
On embarque pour plusieurs heures avec la quasi-certitude d’apercevoir des baleines. Elles se nourrissent en effet dans les eaux extrêmement riches, à environ une heure du port d’Andenes. Nous sommes bien frigorifiés à la proue de ce bateau, à scruter le lointain. Une baleine éloignée, daigne enfin se montrer. Mais pas pour moi ! C’est une bousculade qui retient mon attention. Bien sûr, les garçons ricanent, me montrent du doigt, car je ne l’ai pas vue.
Tout n’est pas perdu, car peu après, nous repérons une autre baleine. Il est dit que c’est toujours l’animal qui détermine la distance à laquelle il est possible de l’observer. Afin de ne pas perturber la vie de ces animaux, le capitaine du bateau, spécialiste des cétacés, fait une approche responsable et respectueuse, c’est-à-dire que nous restons bien éloignés. Heureusement ce mammifère cétacé est de très grande taille, et lorsque la baleine remonte, reste à la surface de l’eau, nous apercevons l’air de ses poumons qu’elle rejette en nuage parfois jusqu’à trois mètres au-dessus d’elle. Quel magnifique spectacle !
Puis elle reprend quelques inspirations avant de replonger.
Et arrivent nos exclamations ! Ohhhh ! lorsque celle-ci, d’un magnifique saut, nous présente sa nageoire caudale hors de l’eau, bien verticale. Celle-ci peut atteindre une envergure de cinq mètres, pour ensuite disparaitre peu à peu au cours de son plongeon. Nous sommes enchantés par ce divertissement hors du commun.
Mais bien gelés à la proue du bateau, nous nous précipitons à l’intérieur pour le retour.
Selon leur habitude, les garçons se rendent à l’arrière de la supérette, située à proximité de notre chalet. Le gérant leur explique qu’une employée s’est trompée lorsqu’elle a apposé la date de péremption et qu’ils peuvent prendre sans crainte, dans le conteneur, tous les paquets de jambon fumé reçus dans la journée. Retiré du conteneur, ils rapportent aussi, un gâteau d’anniversaire, des légumes, des fruits et deux boites de Toffifee : une noisette croquante dans une délicieuse coque de caramel avec de la crème de noisette et une pincée de chocolat noir. Un délice !
Pour fêter cette opulence de nourriture gratuite, Youn sort son accordéon diatonique, et nous offre un petit récital sur la terrasse. Il se montre modeste en disant qu’il est encore novice dans la pratique de cet instrument. Nous sommes à la fois enchantés de l’écouter et subjugués par le fait qu’il transporte cet instrument depuis la Bretagne. Son poids est de presque quatre kilogrammes, alors que l’on sait qu’un cyclo-voyageur, allège au maximum son vélo.
Demain, je quitterai l’archipel. Faire du vélo dans les paysages des îles Lofoten et Vesterålen m’a libéré l’esprit, m’a permis de retrouver des souvenirs enfouis et de faire corps avec la magnificence des nombreux et différents panoramas.
Un petit endroit sur terre, mais un grand endroit pour l’aventure. La seule attente que l’on peut avoir, c’est d’être surpris.
Les pieds sur les pédales, la tête dans les nuages. Pas de meilleure façon de décrire mes deux dernières semaines.
Andenes
10 km et beaucoup en bateau
Il ne put s’empêcher de poser la question.
Le centre d’observation des baleines recèle de surprises, il y a même un squelette de cachalot, long de plus de dix mètres. Lors de la captivante conférence sur les baleines, Youn ne put s’empêcher de poser la question qui lui tenait à cœur depuis la veille. Il obtient la réponse de la conférencière. Entre deux mètres cinquante et trois mètres, et pour les autres attributs, c’est de cinquante à cent kilogrammes. Ça lui vaut quelques regards en coin, quelques sourires et gloussements des autres touristes.
On embarque pour plusieurs heures avec la quasi-certitude d’apercevoir des baleines. Elles se nourrissent en effet dans les eaux extrêmement riches, à environ une heure du port d’Andenes. Nous sommes bien frigorifiés à la proue de ce bateau, à scruter le lointain. Une baleine éloignée, daigne enfin se montrer. Mais pas pour moi ! C’est une bousculade qui retient mon attention. Bien sûr, les garçons ricanent, me montrent du doigt, car je ne l’ai pas vue.
Tout n’est pas perdu, car peu après, nous repérons une autre baleine. Il est dit que c’est toujours l’animal qui détermine la distance à laquelle il est possible de l’observer. Afin de ne pas perturber la vie de ces animaux, le capitaine du bateau, spécialiste des cétacés, fait une approche responsable et respectueuse, c’est-à-dire que nous restons bien éloignés. Heureusement ce mammifère cétacé est de très grande taille, et lorsque la baleine remonte, reste à la surface de l’eau, nous apercevons l’air de ses poumons qu’elle rejette en nuage parfois jusqu’à trois mètres au-dessus d’elle. Quel magnifique spectacle !
Puis elle reprend quelques inspirations avant de replonger.
Et arrivent nos exclamations ! Ohhhh ! lorsque celle-ci, d’un magnifique saut, nous présente sa nageoire caudale hors de l’eau, bien verticale. Celle-ci peut atteindre une envergure de cinq mètres, pour ensuite disparaitre peu à peu au cours de son plongeon. Nous sommes enchantés par ce divertissement hors du commun.
Mais bien gelés à la proue du bateau, nous nous précipitons à l’intérieur pour le retour.
Selon leur habitude, les garçons se rendent à l’arrière de la supérette, située à proximité de notre chalet. Le gérant leur explique qu’une employée s’est trompée lorsqu’elle a apposé la date de péremption et qu’ils peuvent prendre sans crainte, dans le conteneur, tous les paquets de jambon fumé reçus dans la journée. Retiré du conteneur, ils rapportent aussi, un gâteau d’anniversaire, des légumes, des fruits et deux boites de Toffifee : une noisette croquante dans une délicieuse coque de caramel avec de la crème de noisette et une pincée de chocolat noir. Un délice !
Pour fêter cette opulence de nourriture gratuite, Youn sort son accordéon diatonique, et nous offre un petit récital sur la terrasse. Il se montre modeste en disant qu’il est encore novice dans la pratique de cet instrument. Nous sommes à la fois enchantés de l’écouter et subjugués par le fait qu’il transporte cet instrument depuis la Bretagne. Son poids est de presque quatre kilogrammes, alors que l’on sait qu’un cyclo-voyageur, allège au maximum son vélo.
Demain, je quitterai l’archipel. Faire du vélo dans les paysages des îles Lofoten et Vesterålen m’a libéré l’esprit, m’a permis de retrouver des souvenirs enfouis et de faire corps avec la magnificence des nombreux et différents panoramas.
Un petit endroit sur terre, mais un grand endroit pour l’aventure. La seule attente que l’on peut avoir, c’est d’être surpris.
Les pieds sur les pédales, la tête dans les nuages. Pas de meilleure façon de décrire mes deux dernières semaines.
Jour 83 - Vendredi 5 août 2022
Andenes / Grillefjord / Skaland / Stønnesbotn
96 km
Une victoire aujourd’hui ! Je ne pose pas les pieds au sol.
Accompagnée de mes trois compagnons, je me rends au ferry pour l’île de Senja. En quelques minutes nous y arrivons, poussés par un vent violent ce qui évite à la pluie de nous cingler le visage. Nous sommes totalement trempés. Nous aurons froid durant la traversée en bateau.
L’étape d’aujourd’hui est longue et difficile car le dénivelé est important. Des travaux allongent encore mon étape. J’obtiens une petite victoire, car je ne pose pas le pied au sol. Je pédale jusqu’au sommet de chaque pente, pour ensuite mériter la descente qui arrive sans faillir.
Devant les difficultés que j’ai rencontrées dans les tunnels, j’avais décidé de prendre le bus pour traverser l’impressionnant tunnel sous-marin, reliant le continent à l’île du cap Nord. Il me reste encore une dizaine de jours d’entraînement. Je décide que je prendrai à vélo ce fameux tunnel. Certes, ce sera difficile. Il est long, sept ou huit kilomètres. Il descend profondément au fond de la mer. Ensuite, pour sortir de là, il faut évidemment remonter. Les avis de ceux qui reviennent du cap Nord divergent. Personne ne sait s’il est éclairé, s’il y a un trottoir.
Je le prendrai de nuit. J’éviterai ainsi la circulation et la pollution due aux gaz d’échappement. Et vraisemblablement je resterai longtemps dans ce tunnel, car le dénivelé descendant et ascendant, est de 9 %.
J’arrive bien tardivement au camping de Stønnesbotn où je retrouve les garçons. Je fais la connaissance d’Andréas, trentenaire, Allemand. Les garçons l’ont rencontré à Nyksund et l’ont retrouvé aujourd’hui sur la route.
Les adeptes du voyage en solitaire, sont un peu moins nombreux que ceux qui ont l’instinct grégaire. Dans cet espace, le cyclotourisme est parfois la première expérience pour ces jeunes gens. L’aventure s’organise, ils trouvent des coéquipiers, ils roulent au même rythme, ils se motivent, ils s’entraident. Ils forment au fur et à mesure de leur voyage des groupes qui peuvent se défaire au gré du périple.
Mais au-delà des nouvelles rencontres et parce que j’ai réussi le défi que je m’étais imposée, je me sens fière. C’est une victoire, je n’ai pas posé le pied par terre aujourd’hui.
Ils se sont arrêtés boire un café au village de … à la sortie du ferry. Ils ont rencontre Andi, Allemand, à Nyksund, il fait route avec eux maintenant. Quant à moi je pars avant eux, je m’arrête rarement, j’arrive bien après eux. À chacun son rythme !
Jour 84 - Samedi 6 août 2022
Stønnesbotn / Botnhamn / Hillesøy / Eidkjosen / Tromsø
86 km
Deux étoiles
Je pars bien avant les quatre garçons. J’ai une heure trente devant moi pour prendre le ferry. Il est à onze kilomètres de distance. Je dois être prévoyante en raison d’éventuelles côtes. Bonne surprise, c’est plat, enfin presque. Je roule donc vite ce matin, en suivant la courbe du fjord. J’arrive bien en avance ce qui ne sera pas le cas pour mes quatre coéquipiers. Ils entreront après les voitures, juste à temps.
En attendant le départ, un jeune vacancier hollandais vient discuter avec moi, et m’offre un café sur l’embarcadère. Il circule avec sa voiture, et il fait du camping sauvage. Il lui suffit d’ouvrir son coffre pour organiser son mini-bar. Lorsqu’il apprend que j’ai fait environ six-mille kilomètres, il rit, il s’exclame, il lève les bras au ciel comme la plupart des gens depuis quelque temps. Pour moi aussi, ça me semble incroyable ! J’ai l’impression que la traversée des autres pays, Belgique, Pays-Bas, Allemagne, Danemark, faisait partie d’un autre voyage.
Après le ferry, je continue à rouler sur une route qui semble être juste pour moi. Très rarement, je dois me serrer à la ligne blanche sur le bord de la route. Quand cela se produit, c’est sans stress, les touristes ont disparu. Les conducteurs norvégiens montrent, comme toujours, un grand respect pour les cyclistes.
La nature est un cadeau inspirant le respect, le calme, l’observation, les pensées. Au cours de ma vie, je n’ai jamais eu autant de temps pour penser. Être au milieu de nulle part permet à mes pensées de vagabonder. Je me rappelle. Je me souviens d’eux...
C’était dans les années soixante. Ils avaient onze ans. Ils étaient inséparables. C’était une gamine et un gamin incroyablement vivants. Claude était un vrai garçon manqué, malicieuse, espiègle, que nos parents ne parvenaient pas à dompter !
Ils ne l’ont donc pas bridée par une éducation trop stricte. Les deux enfants étaient intrépides, audacieux. Ils grimpaient aux arbres. Ils se baignaient dans les mares. Sur leur luge, ils descendaient la côte de chez Marguet. Dédé avait un vélo, ce qui était exceptionnel dans le village.
Ils n’avaient qu’une hâte, celle de se retrouver après l’école, car à cette époque-là, les écoles n’étaient pas mixtes à Damprichard, dans le Haut-Doubs.
Ils s’étaient fait le serment qu’ils ne se sépareraient jamais. Leur grand bonheur prit fin, trop rapidement, beaucoup trop tôt dans leur jeune vie. Dédé à vélo, fut fauché par une des rares voitures traversant le village. Il disparut laissant Claude, pendant longtemps, dans un chagrin incommensurable. Ils avaient onze ans, ils avaient connu un rare bonheur.
C’était deux étoiles ces deux-là ! La première s’est éteinte en 1967.
Claude avait gardé cette étincelle, elle était devenue une femme rayonnante, pétillante, remarquable. Elle aussi, s’est éteinte ensuite en 2019, nous laissant inconsolables. Claude était ma sœur. Quelle chance pour nous qu’elle ait partagé nos vies !
Je suis ramenée à la réalité. Les garçons sont là, en haut d’une côte. Ils repartent de leur arrêt pique-nique. Ils me voient avant que je ne les voie. Ils m’appellent. Ils m’attendent. Ils prennent soin de moi. Ils veulent que je déjeune, mais je n’ai pas faim, j’ai un peu mangé en pédalant. Il est incontestable que je ne fais pas très attention à mon alimentation. Grignoter en pédalant au péril de ma sécurité ! C’est franchement téméraire. Nous reformons une colonne, tous devant et moi derrière, vite distancée, ne cherchant pas à rester dans le peloton.
Nous décidons de nous retrouver à Tromsø, ville très animée à une telle latitude. Tromsø occupe une petite île longue, coincée entre la côte et l’imposante île de Kvaløya qui la protège.
Sur mon chemin, quelle n‘est pas ma surprise d’être arrêtée par deux rennes, se promenant au bord de la route. Ils s’arrêtent fréquemment pour manger les meilleures plantes, les champignons peut-être. C’est la première fois de ma vie que je suis en présence de ces animaux. Je peux les observer à ma guise, les approcher, les photographier. Les rennes du père Noël !
Je fais une vidéo en direct avec Caroline et Gaël. Mon voyage prend un véritable tournant pour lui. Je suis dans le royaume du père Noël… Il ne manque que la neige. On ne peut pas tout avoir ! Gaël ne veut pas encore se défaire de la légende selon laquelle, le traîneau du père Noël est tiré par neuf rennes.
Ils ont fière allure avec leurs bois majestueux qui se dressent à la verticale. C’est le seul animal dont les deux sexes portent des bois, un peu plus courts chez la femelle. Les bois sont caducs et tombent chaque année en automne pour ensuite repousser au printemps, atteindre un mètre trente de hauteur et déployer parfois plus de dix ramifications. Je prends congé lorsque l’un deux commence à soutenir mon regard, et à émettre un drôle de son rauque. Je me réfugie derrière ma bicyclette, et prend mon courage à deux mains pour le dépasser tranquillement, mine de rien.
Je m’apercevrai plus tard que les rennes sont des animaux sauvages, et ne se laissent pas approcher. Ces deux-là étaient sans doute des animaux domestiqués.
En arrivant à Tromsø par une belle descente à 15 %, quelqu’un m’appelle, « Eh Jacqueline ! Tu ne t’arrêtes plus ! » c’est Stéphane. Quelle coïncidence ! Quel plaisir ! Il est bloqué quelques jours ici, car il a cassé la jante arrière de son vélo. Il a loué une chambre sur une des collines de la ville. Quant à moi je vais rejoindre les garçons au camping situé après l’immense pont en dos d’âne avec ma bicyclette solide comme un roc.
Ewen qui voulait apprendre à jouer de l’accordéon. Il le transporte juste pour le plaisir. Ces multiples livres sont presque tous lus.
Soirée du samedi 6 août 2022
Tromsø
10 km
Les recalés des bars de Tromsø.
Après avoir bu un excellent gin tonic au camping, nous voici repartis pour la ville, à vélo en empruntant le magnifique pont en dos d’âne. Décidément, il est très facile de se laisser entraîner par ce groupe de garçons !
Pour notre première rencontre avec les habitants de Tromsø, nous nous installons dans un café situé dans un ancien cinéma, le Kinematograf. Le lieu est agréable avec de nombreuses affiches de cinéma et des dizaines de vinyles sur des étagères.
La petite salle de cinéma est magnifique, restée dans son esprit historiquement authentique du début du vingtième siècle. La date de 1915 orne fièrement la façade jaune. À l’intérieur de belles peintures restaurées de contes de fées embarquent le visiteur.
Ensuite c’est un pub qui nous accueille pour un shot à la menthe. Puis les garçons ont envie de danser, les voici donc à la recherche du lieu approprié. Ils le dénichent. Toutefois les choses se compliquent. Les vigiles estiment qu’ils sont trop alcoolisés. Les garçons sont pourtant calmes, tranquilles, je ne sais sur quels critères les vigiles jugent ça. Mais je ne suis certainement pas impartiale ! Les garçons ont peut-être l’œil qui frise et une haleine à quarante-cinq degrés !
Nous repartons au pub, et là encore, la serveuse refuse de nous resservir un verre. Décidément ! Alors qu’elle nous avait servis peu avant.
Les cafés sont presque déserts, mais il y a du monde en ville. Un monde considérable dans les rues ! Les gens sont éméchés. Il est dit qu’en Norvège, les fins de semaine sont bien arrosées. Les taxis sont là ! Ils attendent ! La police stationne aussi ! Une ambulance patiente également. Ils ne sont certainement pas là pour nous qui ne sommes que de passage. Nous, les cyclistes de différentes nationalités, partis pour le cap Nord, et venant de si loin, nous sommes les recalés des bars de Tromsø. C’est pas de veine !
Il est deux heures du matin. Comme d’habitude, il fait jour. Ewen et moi décidons de rentrer. Nous repartons à vélo, pas besoin de taxi pour nous.
Puis c’est le bouquet final ! Nous décidons, en passant devant un Café-Bar-Music situé sur le port, de nous y arrêter avant de rejoindre le camping. Là encore nous nous faisons rejeter car nous n’avons pas de tampon sur la main. Il semble qu’il est trop tard pour de nouveaux clients. Ewen plaide notre cause, mais il n’y a rien à faire ! Les vigiles sont inflexibles, même assez désagréables. Ils n’ont pas le calme et la gentillesse des Norvégiens. Dépités, nous repartons sur nos vélos et je vois Ewen se retourner et lever un bras et un doigt, dans un geste grossier.
Je me souviens d’une histoire… C’était il y a fort longtemps à l’école Champrond. Une jolie petite école du centre-ville de Besançon, au bord du Doubs. Lorsque je me retournai, je vis Jules avec ce doigt levé en ma direction, me disant : « Maîtresse ! Je me suis trompé de doigt ! » Il avait six ans et c’était un enfant bien élevé.
Donc, avec son bras levé, dans ce geste vulgaire, indélicat, Ewen et moi nous nous retournons de concert. Les vigiles nous regardent. S’ils ne savaient pas qui nous étions, ils le comprennent à ce moment-là. Seuls des Français peuvent avoir cette attitude.
Et pourtant, les codes du savoir-vivre à la Française sont réputés, jusqu’en Norvège !
Ewen le garçon de vingt-cinq ans et moi la dame respectable de Besançon de soixante-huit ans, ancienne directrice d’école de l’Éducation nationale française, nous partîmes, pédalant et heureux, virevoltant sur nos bécanes trop légères, soulagées du poids considérable que nous leur faisons porter habituellement.
Au bas du magnifique pont en dos d’âne, devant la Cathédrale arctique, nous vîmes le point d’orgue de notre soirée, un ciel rouge, somptueux et sublime.
Les trois autres garçons ne verront pas ce ciel, ils continueront la fête, acceptés ailleurs.
Jour 85 - Dimanche 7 août 2022
Tromsø
12 km
Je suis la seule étrangère, installée dans un endroit sombre du pub, pianotant sur son téléphone pendant qu’il pleut des hallebardes !
Après la soirée et la nuit animée et agitée, je m’extirpe de ma tente. C’est le milieu de l’après-midi. Il tombe des cordes !
Le sensible et intellectuel Ewen est à l’abri dans sa tente. Toute la journée, il restera plongé dans sa lecture. Les trois autres garçons sont déjà partis en ville depuis longtemps, pour visiter le Polar Museet (musée Polaire).
Je rejoins la ville à vélo. La rue principale commerçante, la Storgata, est en partie piétonne. Elle est bordée d’anciennes maisons en bois coloré. Je ne me lasse pas du charme des maisons norvégiennes.
Installée sur la terrasse de l’excellente bakeri (boulangerie) de Tromsø, je hèle Paul l’Écossais passant devant moi. Il termine son étape avec difficulté. Il a dû pédaler avec une pédale cassée pendant vingt kilomètres. Son voyage se termine ici. Dans quelques jours il prendra l’avion pour rentrer chez lui. Nos rencontres sont toujours un grand plaisir. Il a été un vrai compagnon de voyage. Nous sommes sur les mêmes courants de pensées ce qui rend nos discussions très agréables. Lorsque je lui raconte nos mésaventures de la nuit, il rit en me disant « Donc, cette ville est ouvertement une ville de fête. Je suppose que vous devriez aller dans un endroit plus calme où les enfants peuvent jouer sur des balançoires ! ». Il fait référence, avec beaucoup d’humour, à mon âge et à celui des garçons qui pourraient être mes petits-fils !
Il me dit aussi qu’il aimerait connaître le français pour pouvoir, vraiment et mieux, échanger avec moi.
Et c’est au tour de Stéphane de passer devant nous. Il s’est transformé en randonneur en attendant la réparation de la jante de son vélo. Il me propose de l’accompagner pour sa randonnée de plusieurs jours. Je décline son invitation car je ne fais pas de randonnée. Les sentiers me paraissent trop glissants dans la montagne norvégienne. Je préfère me rendre tranquillement au cap Nord à vélo. Lorsque je verrai plus tard ses photos, je me rendrai compte que j’ai raté un aspect intéressant de la Norvège, des panoramas que l’on ne voit qu’en marchant.
Il va ensuite opérer un demi-tour à Tromsø. Il repartira à vélo en direction du sud pour visiter les fjords.
Puis les garçons passent aussi. Décidément ! Cette bakeri est située à un carrefour stratégique. Ils sont enchantés de leur visite au musée polaire qui retrace l’histoire des expéditions de trappeurs et d’explorateurs dans les régions arctiques. Maintenant, Ils cherchent le bowling pour terminer leur fin d’après-midi. Quant à moi, je pars m’installer dans un pub pour écrire mon carnet de voyage. Plusieurs femmes et hommes sont là aussi. Ils regardent un match de foot à la télévision. Ils sortent de leur réserve naturelle, ils s’exclament, ils gesticulent en s’écriant lorsque le but est marqué. Y’a de l’ambiance ! Je me sens un peu une intruse. Je suis la seule étrangère, installée dans un endroit sombre du pub, pianotant sur son téléphone pendant qu’il pleut des hallebardes !