L'improbable voyage à vélo de Besançon au cap Nord en 2022.
À Caroline ma fille et à Gaël mon petit-fils,
De Besançon au cap Nord… Chiche !
Besançon – le cap Nord…
Partir en solitaire, un défi pour un si long voyage à vélo !
Il faut donc relever la bravade par un premier coup de pédale. Mes premiers voyages de cinq-cents kilomètres, qu’aujourd’hui je considère comme de courtes distances, m’ont fait découvrir ce qui m’apportait de l’étonnement, de multiples surprises et surtout, ce qui me procurait un véritable sentiment de liberté. Au fur et à mesure, j’ai allongé ces dernières années mes périples avec parfois une impression de frustration. À mon retour, ce n’était jamais assez…
Celui-ci sera le plus long, le plus ambitieux que j’aurai entrepris !
Toutes mes pérégrinations à vélo ont été l’occasion de faire des rencontres magiques, de découvrir des paysages magnifiques, de vivre des surprises émouvantes. Quand je pédale, j’éprouve un grand sentiment de liberté. Je deviens philosophe, poète, artiste.
Je partage mes réflexions et mes sentiments, mes efforts aussi, avec les cyclotouristes qui m’accompagnent quelquefois sur des dizaines de kilomètres. Certains me disent que croiser une dame de mon âge, j’ai soixante-huit ans, seule, à vélo, partant si loin, les aide et les motive. Moi aussi je suis très enthousiaste et je continue, le nez au vent et les sourires dans mon baluchon.
Mais le plus amusant et flatteur aussi, je l’avoue, c’est de lire dans le regard de certains l’étonnement, l’admiration et le respect. Parfois même, on me perçoit comme une personne « perchée à l’âme romantique ». Mais tous font preuve d’humanité. Ils sont accueillants, aimables, généreux et surtout émerveillés !
Certaines amies m’ont attribué le terme de « jeunior ». D’autres sont subjuguées. Rares sont celles qui me regardent d’un air circonspect voire dubitatif. Ma fille Caroline, qui sait que je ne suis pas une personne éthérée et que je n’outrepasserai pas mes capacités physiques, me fait confiance et c’est important. De cette façon, je pars tranquille pour ce long voyage, l’esprit léger.
Quant à Gaël, mon petit-fils, adepte de cyclotourisme depuis nos échappées complices, il sera penché sur les cartes, à tracer mon parcours et à dessiner des campings et des restaurants.
Mais je sais qu’au fond de lui, il aimerait partir avec moi pour pouvoir cueillir les cadeaux comme autant de fleurs magiques parce qu’il est sûr que je vais rencontrer le père Noël au cap Nord !
Enfin, pour mon retour, fin août 2022, lorsque je prendrai l’avion à Alta en Norvège, mes sacoches, mon cœur, ma tête, mes jambes aussi, seront sans doute pleins de souvenirs, de rencontres, de paysages, de saines fatigues qui me rendront heureuse et fière d’avoir fait ce que j’aurai fait en trois mois.
Quand : 15/05/2022
Durée : 94 jours
Durée : 94 jours
Distance globale :
5638km
Dénivelées :
+26238m /
-26332m
Alti min/max : -1m/488m
Carnet publié par Jacqueline25
le 09 mai 2022
modifié le 14 avr. 2023
modifié le 14 avr. 2023
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Vue d'ensemble
Le topo : Section 16. Du 21 juillet au 27 (mise à jour : 05 janv.)
Distance section :
398km
Description :
Ågskardet / Forøya / Reipå / Kjøpstad / Salstraumen / Loding / Bodø / Îles Lofoten / Moskenes / Leknes / Valberg
Le compte-rendu : Section 16. Du 21 juillet au 27 (mise à jour : 05 janv.)
Jeudi 21 juillet – 68e jour
Ågskardet / Forøya / Reipå / Kjøpstad / Salstraumen – 120 km
Le tourbillon sauvage
Paul et moi sommes aux premières loges pour prendre le ferry ce matin. Ravis d’avoir passé la nuit à l’abri, car le bruit de la pluie nous a accompagnés tout du long. Elle tombe encore ce matin.
Je dépasse un camping à six kilomètres. Mes camarades de route sont encore endormis. Je repère leurs vélos appuyés contre la balustrade d’un chalet. J’y étais presque ! Maudits horaires !
Mais cela a été l’occasion de faire plus ample connaissance avec Paul. Il a cinquante-deux ans, il est saisonnier ; cela lui permet de voyager une grande partie de l’année. Il a déjà arpenté une importante partie du monde. Il possède le flegme anglais, il en détient aussi la grande courtoisie.
Impatiente, je me hâte aujourd’hui. J’ai plus de cent kilomètres à parcourir dans la journée pour admirer le Saltstraumen, le tourbillon, le plus puissant maelström du monde, non loin de Bodø.
Je domine à peine l’eau d’un fjord et tout à coup, je le vois...
Il est tout en haut de la montagne. Je le regarde, je vois sa gueule noire béante aux babines mal dessinées. Je pédale ardemment en pensant à lui, tellement obnubilée que je ne cherche pas à poser le pied à terre. Le dénivelé est fort, mais qu’importe. Il est loin encore, j’ai le temps de fabriquer ma peur. Je regrette que l’équipe des champions ne soit pas avec moi pour l’affronter.
Et brusquement je lève la tête, je sors de mes pensées. Quelle surprise ! Le voilà ! Ses lèvres sont bien ourlées, symétriques, harmonieuses, et une belle chevelure de rochers, s’envole sur sa gauche. Je vois la clarté, la vie à son extrémité. Un tunnel, un tout petit tunnel de rien du tout !
Soulagée, je me dis que parfois, quand on voyage en solitaire il est bon de s’inventer des histoires pour tenir toute la journée juchée sur son vélo.
Peu après le tunnel, je m’arrête au bord de la route pour admirer une imposante cascade. L’équipe de champions arrive. Cela tombe bien puisque je peux les observer. Ils sont essoufflés, ils ahanent, ils ont l’air éreinté. Ces garçons sportifs sont très souvent en dehors de leur zone de confort. Peut-être rivalisent-t-ils entre eux ? Je pense alors, qu’avec mon système d’alternance entre marche et pédalage, je ne suis jamais fatiguée en haut d’une côte. Pourtant, sur ces derniers kilomètres, je n’ai pas mis le pied au sol et je ne suis pas essoufflée ! Mais je respecte mon rythme.
Quel plaisir de les revoir ! On ne s’arrête jamais très longtemps après l’effort. En effet, nous sommes vite transis de froid. Nous repartons, le peloton en avant avec son effectif de cinq et moi seule derrière, vite distancée.
J’approche ! J’y suis presque ! C’est la fin de l’après-midi. Ils n’ont pas tant d’avance sur moi. Ils s’arrêtent régulièrement. Je ne m’arrête presque jamais. J’attribue à mes marches forcées le terme de pause. Ils sont arrivés au sommet de l’immense pont en arc, situé avant la ville de Bodø. Ils se sont bien amusés quand ils ont aperçu au loin, très loin, une forme lumineuse, jaune, descendant à toute vitesse, me diront-ils, le flanc de la montagne d’un des fjords de cette région. Ils savaient, à juste titre, que c’était moi. Mais je suis encore loin. J’admire un entremêlement de fjords et de falaises, puis le premier pont telle une ligne rectiligne, diagonale, qui s’élance depuis le bord des eaux d’un des fjords pour atteindre l’autre coteau, bien en hauteur. Avec bien des difficultés, en m’auto-convainquant, je gravis, pédalant, respirant, ravie de voir défiler mètre par mètre l’asphalte de la chaussée. Puis quelques kilomètres plus loin j’arrive à l’immense pont. Et en mobilisant toutes mes forces je parviens à le gravir bien péniblement jusqu’à son sommet. Je désire ardemment que la bande de garçons me voie arriver sur mon vélo et non à côté. Il en va de mon honneur, même si je n’offre pas la grâce d’un bon cycliste de route.
À mon arrivée, ils m’applaudissent, m’acclament : « Jacqueline ! Jacqueline ! »
Moralité, il faut arriver le dernier ou la dernière pour produire un effet considérable. Paul et Stéphane sont là aussi. Paul leur avait dit que je ne réussirais pas à arriver jusqu’ici aujourd’hui, que c’était trop difficile. En effet, tout était au rendez-vous, la pluie, le vent, les tunnels, les ponts, les côtes, une longue distance.
Je fais la connaissance de Sarah et Joris deux français partis depuis peu, et allant jusqu’à Tromsø.
Après bien des congratulations, il ne nous reste plus qu’à admirer le Saltstraumen. Au moment de la marée, les eaux des fjords rencontrent la mer. Les maelströms puissants dessinent dans l’eau des figures endiablées. Cependant, on n’est pas arrivés au bon moment de la marée pour être subjugués par ce mouvement d’agitation des eaux qui se dit irrésistible. Dommage !
Comme tous les soirs, Youn, Emiel, Juan Carlos et Rafael vont pêcher. Durant leur voyage, ils se sont acheté des cannes à pêche. Quelle bonne idée ! Ewen n’aime pas le poisson, il ne pêche donc pas. On s’entend bien, on s’accorde bien, on s’aime bien ! Rafael et Juan Carlos, quadragénaires, pourraient être mes fils. Emiel, Youn et Ewen, dans la bonne vingtaine ont l’âge d’être mes petits-fils.
Mus par le même objectif, nos différences générationnelles sont estompées.
Ågskardet / Forøya / Reipå / Kjøpstad / Salstraumen – 120 km
Le tourbillon sauvage
Paul et moi sommes aux premières loges pour prendre le ferry ce matin. Ravis d’avoir passé la nuit à l’abri, car le bruit de la pluie nous a accompagnés tout du long. Elle tombe encore ce matin.
Je dépasse un camping à six kilomètres. Mes camarades de route sont encore endormis. Je repère leurs vélos appuyés contre la balustrade d’un chalet. J’y étais presque ! Maudits horaires !
Mais cela a été l’occasion de faire plus ample connaissance avec Paul. Il a cinquante-deux ans, il est saisonnier ; cela lui permet de voyager une grande partie de l’année. Il a déjà arpenté une importante partie du monde. Il possède le flegme anglais, il en détient aussi la grande courtoisie.
Impatiente, je me hâte aujourd’hui. J’ai plus de cent kilomètres à parcourir dans la journée pour admirer le Saltstraumen, le tourbillon, le plus puissant maelström du monde, non loin de Bodø.
Je domine à peine l’eau d’un fjord et tout à coup, je le vois...
Il est tout en haut de la montagne. Je le regarde, je vois sa gueule noire béante aux babines mal dessinées. Je pédale ardemment en pensant à lui, tellement obnubilée que je ne cherche pas à poser le pied à terre. Le dénivelé est fort, mais qu’importe. Il est loin encore, j’ai le temps de fabriquer ma peur. Je regrette que l’équipe des champions ne soit pas avec moi pour l’affronter.
Et brusquement je lève la tête, je sors de mes pensées. Quelle surprise ! Le voilà ! Ses lèvres sont bien ourlées, symétriques, harmonieuses, et une belle chevelure de rochers, s’envole sur sa gauche. Je vois la clarté, la vie à son extrémité. Un tunnel, un tout petit tunnel de rien du tout !
Soulagée, je me dis que parfois, quand on voyage en solitaire il est bon de s’inventer des histoires pour tenir toute la journée juchée sur son vélo.
Peu après le tunnel, je m’arrête au bord de la route pour admirer une imposante cascade. L’équipe de champions arrive. Cela tombe bien puisque je peux les observer. Ils sont essoufflés, ils ahanent, ils ont l’air éreinté. Ces garçons sportifs sont très souvent en dehors de leur zone de confort. Peut-être rivalisent-t-ils entre eux ? Je pense alors, qu’avec mon système d’alternance entre marche et pédalage, je ne suis jamais fatiguée en haut d’une côte. Pourtant, sur ces derniers kilomètres, je n’ai pas mis le pied au sol et je ne suis pas essoufflée ! Mais je respecte mon rythme.
Quel plaisir de les revoir ! On ne s’arrête jamais très longtemps après l’effort. En effet, nous sommes vite transis de froid. Nous repartons, le peloton en avant avec son effectif de cinq et moi seule derrière, vite distancée.
J’approche ! J’y suis presque ! C’est la fin de l’après-midi. Ils n’ont pas tant d’avance sur moi. Ils s’arrêtent régulièrement. Je ne m’arrête presque jamais. J’attribue à mes marches forcées le terme de pause. Ils sont arrivés au sommet de l’immense pont en arc, situé avant la ville de Bodø. Ils se sont bien amusés quand ils ont aperçu au loin, très loin, une forme lumineuse, jaune, descendant à toute vitesse, me diront-ils, le flanc de la montagne d’un des fjords de cette région. Ils savaient, à juste titre, que c’était moi. Mais je suis encore loin. J’admire un entremêlement de fjords et de falaises, puis le premier pont telle une ligne rectiligne, diagonale, qui s’élance depuis le bord des eaux d’un des fjords pour atteindre l’autre coteau, bien en hauteur. Avec bien des difficultés, en m’auto-convainquant, je gravis, pédalant, respirant, ravie de voir défiler mètre par mètre l’asphalte de la chaussée. Puis quelques kilomètres plus loin j’arrive à l’immense pont. Et en mobilisant toutes mes forces je parviens à le gravir bien péniblement jusqu’à son sommet. Je désire ardemment que la bande de garçons me voie arriver sur mon vélo et non à côté. Il en va de mon honneur, même si je n’offre pas la grâce d’un bon cycliste de route.
À mon arrivée, ils m’applaudissent, m’acclament : « Jacqueline ! Jacqueline ! »
Moralité, il faut arriver le dernier ou la dernière pour produire un effet considérable. Paul et Stéphane sont là aussi. Paul leur avait dit que je ne réussirais pas à arriver jusqu’ici aujourd’hui, que c’était trop difficile. En effet, tout était au rendez-vous, la pluie, le vent, les tunnels, les ponts, les côtes, une longue distance.
Je fais la connaissance de Sarah et Joris deux français partis depuis peu, et allant jusqu’à Tromsø.
Après bien des congratulations, il ne nous reste plus qu’à admirer le Saltstraumen. Au moment de la marée, les eaux des fjords rencontrent la mer. Les maelströms puissants dessinent dans l’eau des figures endiablées. Cependant, on n’est pas arrivés au bon moment de la marée pour être subjugués par ce mouvement d’agitation des eaux qui se dit irrésistible. Dommage !
Comme tous les soirs, Youn, Emiel, Juan Carlos et Rafael vont pêcher. Durant leur voyage, ils se sont acheté des cannes à pêche. Quelle bonne idée ! Ewen n’aime pas le poisson, il ne pêche donc pas. On s’entend bien, on s’accorde bien, on s’aime bien ! Rafael et Juan Carlos, quadragénaires, pourraient être mes fils. Emiel, Youn et Ewen, dans la bonne vingtaine ont l’âge d’être mes petits-fils.
Mus par le même objectif, nos différences générationnelles sont estompées.
De G à D : Youn et Ewen Bretons ; Juan Carlos Espagnols, Emiel Hollandais, Rafaell Espagnol et moi prenant la photo la doyenne solitaire, la seule de mon âge partant seule au cap Nord.
Vendredi 22 juillet – 69e jour
Salstraumen / Loding / Bodø – 40 km
Si loin de chez nous
Je quitte le camping en même temps que mes cinq camarades. Je ne me mets pas en colonne avec eux pour monter le pont, leur cadence est déjà rapide.
Je pensais n’avoir que quelques kilomètres à parcourir jusqu’à Bodø, mais cette étape de quarante kilomètres me semble interminable.
Je croise Mathieu, barbu, accompagné de deux jeunes Allemands, barbus aussi. La barbe est un trait du voyageur. À la longueur de celle-ci, on peut évaluer le temps passé depuis le départ. Parti de Nice à vélo il y a quatre mois, Mathieu est passé par la Turquie pour se rendre ensuite au cap Nord. Attachée à leurs sacoches, lui et ses deux acolytes ont en grande quantité des légumes, des fruits, des viennoiseries, de la charcuterie... Ils se procurent leur nourriture gratuitement.
La nourriture en Norvège est très aseptisée, tout est emballé dans de la cellophane ou en barquettes. Je n’ai jamais vu de marchés. Ici les cyclos se donnent le mot, il faut prendre la nourriture dans les conteneurs-poubelles à l’arrière des supermarchés. Nourriture qui n’est pas avariée, même pas défraîchie, parfois à peine périmée. L’équipe de mes copains de route a adopté elle aussi cette façon de faire les courses. Ils ont rencontré des difficultés à s’y mettre mais ils ont pris l’habitude après tant de kilomètres en Norvège. Pas moi ! Je suis trop âgée pour plonger dans les poubelles, et je ne suis pas regardante à mes dépenses.
À peine arrivés, les garçons me téléphonent, ils ont trouvé une chambre commune à huit lits à l’auberge internationale des voyageurs au centre de Bodø, pour quarante euros chacun. Parfait ! Inutile de dire que je suis la seule fille dans la chambre parmi ces cinq garçons, et deux motards. En cette fin d’après-midi, nous passons un excellent moment dans le salon commun de l’auberge. Certains d’entre nous jouent aux dés, d’autres discutent. On boit de la bière et un alcool fort norvégien à base de pommes de terre et mis en fûts parfumés à la cerise.
L’alcool en Norvège s’achète seulement dans les Vinmonopolet, qui ont le monopole de la vente d’alcool. C’est un organisme d’État dirigé par le ministère de la santé dont la création remonte à 1922. L’alcool est cher, taxé, cela fait partie de l’action sanitaire antialcoolisme. Les bières à moins de cinq pour cent d’alcool sont vendues dans les supermarchés, mais plus après dix-sept heures.
En un tour de main ils préparent le dîner. Avec leur poisson pêché du jour, les cuisiniers hors pair qu’ils sont, les repas partagés avec eux sont toujours extrêmement appétissants et d’une grande convivialité. Je suis une médiocre cuisinière. Ils sont d’ailleurs surpris qu’une dame de mon âge ne sache pas cuisiner. Encore un poncif qu’ils doivent abandonner. Ils prennent soin de moi, ils refusent que je fasse le moindre effort en dehors de mes journées de pédalage.
Je peux enfin ressortir ma robe à paillettes de ma sacoche. Heureusement qu’elle est infroissable. Leur premier regard sur moi est assorti d’un espiègle « Hé ! hé ! »
Tout naturellement, dans la soirée, ils m’entraînent faire la fête avec eux. Dans la petite ville de Bodø, les garçons dénichent les meilleures adresses pour notre soirée de noctambules.
Nous nous installons dans un café. Les jolis lampadaires rabattent leur lumière sur le zinc du bar qui renvoie une agréable couleur jaune aurore. Le billard, lui aussi, est éclairé d’une douce atmosphère vert forêt. Cela confère au lieu une ambiance particulière, paisible, appelant au chuchotement. Certains d’entre nous jouent au billard dans la lumière du tapis vert. Je reste attablée avec Youn à discuter de sa mère institutrice, de sa grand-mère qui se prénomme aussi Jacqueline. Il me demande d’envoyer un message rassurant à sa mère, inquiète de le savoir parti si loin. Sa mère me répondra fort sympathiquement, m’invitant même chez elle en Bretagne.
Nous changeons de lieu pour une boîte de nuit, à l’éclairage rouge cette fois-ci. Je suis la seule à porter des tongs dans le cercle polaire pour cette soirée, mais j’évite le discrédit grâce à ma robe à paillettes. Tout le monde est jeune, je ne passe donc pas inaperçue. Nous nous offrons des tournées de bière. Je gère tant bien que mal, mais heureusement je sauve en grande partie mon honneur, car je ne finis jamais mes verres, ils s’en chargent. Le prix n’incite pas au gaspillage.
Ewen m’apprend qu’il m’appelle « Jacqueline la Machine ». Je danse un rock endiablé avec Juan Carlos. Il me demande d’où je tiens toute cette énergie. Une Samie vient danser avec moi et d’autres filles m’invitent aussi. Tout le monde est extrêmement bienveillant avec nous. Ils savent que nous sommes partis de loin à vélo pour rejoindre le cap Nord.
Nous faisons la fermeture. Personne ne marche droit, eux, comme les Norvégiens. Sauf moi me semble-t-il… On rit, on parle, certains titubent un peu, on est heureux ensemble. Heureusement, vu que nous sommes si loin de nos maisons, arrivés dans le Grand Nord et de surcroît à vélo. Trois voitures de « Politi » sont stationnées à proximité. C’est du superflu ! Les Norvégiens sont réputés pour être des personnes calmes, tranquilles, pacifiques et cela se perçoit.
Il y a si longtemps que je n’étais pas allée en boîte, je ne me rappelais pas non plus avoir bu plus d’un verre, ou bien deux… Quelle merveilleuse soirée et nuit avec mes compagnons temporaires de voyage !
Nous rentrons à quatre heures du matin sous la lumière bleutée du ciel. Nous tentons de ne pas faire trop de bruit, les deux motards dorment depuis longtemps déjà. Ils nous avaient demandé d’être discrets à notre retour. Ils avaient sans doute repéré que mes camarades étaient de gais lurons.
Demain, plus précisément tout à l’heure, nous prenons le ferry pour les îles Lofoten…
Salstraumen / Loding / Bodø – 40 km
Si loin de chez nous
Je quitte le camping en même temps que mes cinq camarades. Je ne me mets pas en colonne avec eux pour monter le pont, leur cadence est déjà rapide.
Je pensais n’avoir que quelques kilomètres à parcourir jusqu’à Bodø, mais cette étape de quarante kilomètres me semble interminable.
Je croise Mathieu, barbu, accompagné de deux jeunes Allemands, barbus aussi. La barbe est un trait du voyageur. À la longueur de celle-ci, on peut évaluer le temps passé depuis le départ. Parti de Nice à vélo il y a quatre mois, Mathieu est passé par la Turquie pour se rendre ensuite au cap Nord. Attachée à leurs sacoches, lui et ses deux acolytes ont en grande quantité des légumes, des fruits, des viennoiseries, de la charcuterie... Ils se procurent leur nourriture gratuitement.
La nourriture en Norvège est très aseptisée, tout est emballé dans de la cellophane ou en barquettes. Je n’ai jamais vu de marchés. Ici les cyclos se donnent le mot, il faut prendre la nourriture dans les conteneurs-poubelles à l’arrière des supermarchés. Nourriture qui n’est pas avariée, même pas défraîchie, parfois à peine périmée. L’équipe de mes copains de route a adopté elle aussi cette façon de faire les courses. Ils ont rencontré des difficultés à s’y mettre mais ils ont pris l’habitude après tant de kilomètres en Norvège. Pas moi ! Je suis trop âgée pour plonger dans les poubelles, et je ne suis pas regardante à mes dépenses.
À peine arrivés, les garçons me téléphonent, ils ont trouvé une chambre commune à huit lits à l’auberge internationale des voyageurs au centre de Bodø, pour quarante euros chacun. Parfait ! Inutile de dire que je suis la seule fille dans la chambre parmi ces cinq garçons, et deux motards. En cette fin d’après-midi, nous passons un excellent moment dans le salon commun de l’auberge. Certains d’entre nous jouent aux dés, d’autres discutent. On boit de la bière et un alcool fort norvégien à base de pommes de terre et mis en fûts parfumés à la cerise.
L’alcool en Norvège s’achète seulement dans les Vinmonopolet, qui ont le monopole de la vente d’alcool. C’est un organisme d’État dirigé par le ministère de la santé dont la création remonte à 1922. L’alcool est cher, taxé, cela fait partie de l’action sanitaire antialcoolisme. Les bières à moins de cinq pour cent d’alcool sont vendues dans les supermarchés, mais plus après dix-sept heures.
En un tour de main ils préparent le dîner. Avec leur poisson pêché du jour, les cuisiniers hors pair qu’ils sont, les repas partagés avec eux sont toujours extrêmement appétissants et d’une grande convivialité. Je suis une médiocre cuisinière. Ils sont d’ailleurs surpris qu’une dame de mon âge ne sache pas cuisiner. Encore un poncif qu’ils doivent abandonner. Ils prennent soin de moi, ils refusent que je fasse le moindre effort en dehors de mes journées de pédalage.
Je peux enfin ressortir ma robe à paillettes de ma sacoche. Heureusement qu’elle est infroissable. Leur premier regard sur moi est assorti d’un espiègle « Hé ! hé ! »
Tout naturellement, dans la soirée, ils m’entraînent faire la fête avec eux. Dans la petite ville de Bodø, les garçons dénichent les meilleures adresses pour notre soirée de noctambules.
Nous nous installons dans un café. Les jolis lampadaires rabattent leur lumière sur le zinc du bar qui renvoie une agréable couleur jaune aurore. Le billard, lui aussi, est éclairé d’une douce atmosphère vert forêt. Cela confère au lieu une ambiance particulière, paisible, appelant au chuchotement. Certains d’entre nous jouent au billard dans la lumière du tapis vert. Je reste attablée avec Youn à discuter de sa mère institutrice, de sa grand-mère qui se prénomme aussi Jacqueline. Il me demande d’envoyer un message rassurant à sa mère, inquiète de le savoir parti si loin. Sa mère me répondra fort sympathiquement, m’invitant même chez elle en Bretagne.
Nous changeons de lieu pour une boîte de nuit, à l’éclairage rouge cette fois-ci. Je suis la seule à porter des tongs dans le cercle polaire pour cette soirée, mais j’évite le discrédit grâce à ma robe à paillettes. Tout le monde est jeune, je ne passe donc pas inaperçue. Nous nous offrons des tournées de bière. Je gère tant bien que mal, mais heureusement je sauve en grande partie mon honneur, car je ne finis jamais mes verres, ils s’en chargent. Le prix n’incite pas au gaspillage.
Ewen m’apprend qu’il m’appelle « Jacqueline la Machine ». Je danse un rock endiablé avec Juan Carlos. Il me demande d’où je tiens toute cette énergie. Une Samie vient danser avec moi et d’autres filles m’invitent aussi. Tout le monde est extrêmement bienveillant avec nous. Ils savent que nous sommes partis de loin à vélo pour rejoindre le cap Nord.
Nous faisons la fermeture. Personne ne marche droit, eux, comme les Norvégiens. Sauf moi me semble-t-il… On rit, on parle, certains titubent un peu, on est heureux ensemble. Heureusement, vu que nous sommes si loin de nos maisons, arrivés dans le Grand Nord et de surcroît à vélo. Trois voitures de « Politi » sont stationnées à proximité. C’est du superflu ! Les Norvégiens sont réputés pour être des personnes calmes, tranquilles, pacifiques et cela se perçoit.
Il y a si longtemps que je n’étais pas allée en boîte, je ne me rappelais pas non plus avoir bu plus d’un verre, ou bien deux… Quelle merveilleuse soirée et nuit avec mes compagnons temporaires de voyage !
Nous rentrons à quatre heures du matin sous la lumière bleutée du ciel. Nous tentons de ne pas faire trop de bruit, les deux motards dorment depuis longtemps déjà. Ils nous avaient demandé d’être discrets à notre retour. Ils avaient sans doute repéré que mes camarades étaient de gais lurons.
Demain, plus précisément tout à l’heure, nous prenons le ferry pour les îles Lofoten…
Samedi 23 juillet – 70e jour
Bodø / Îles Lofoten / Moskenes – 10 km à vélo et 100 km de ferry
Les Lofoten, épicentre de rencontres
Le réveil est difficile et brutal. Nous prenons le ferry en fin de matinée pour les îles Lofoten. Les yeux ne sont pas tout à fait en face des trous, mais on est prêts à l’heure. Le ferry est immense. Il a deux cales pour les véhicules. C’est le bal des camping-cars, de vrais mastodontes partant pour les Lofoten. Je remarque parmi eux un gros camion vert pastel, haut perché sur ses roues, un vieux camion en acier des années cinquante. Il est couvert à l’arrière de drapeaux, d’autocollants. Ce sont des Allemands baba cool au volant, encore plus vieux que leur camion. Je me souviens d’eux. Depuis un certain temps, ils me klaxonnent amicalement en me doublant.
Notre traversée dure quatre heures. C’est parfait ! Rafael et moi pouvons constater que nos camarades sont épuisés, rompus, ils dorment tous les quatre une bonne partie du voyage.
Progressivement les îles s’imposent à nous. Les images sont saisissantes. Un vrai spectacle de montagnes imposantes et les pics happent mes sens. Forme caractéristique d’« Alpes dans la mer ».
À l’arrivée nous rejoignons la cale pour récupérer nos vélos. Mais Ewen et moi ne parvenons pas à sortir de cet imbroglio de camping-cars. Nous sommes coincés entre ces mastodontes et le côté de la cale du ferry. Nous ressentons notre vulnérabilité, rien ne nous protège. Fort heureusement le responsable de la sécurité veille et, inquiet pour nous, vient à notre aide. Je revis avec appréhension ma sortie du ferry à Oslo !
Lorsque nous arrivons au camping de Moskenes, les innombrables camping-cars nous ont devancés. Ils attendent en une longue file indienne devant la réception. Je comprends alors, qu’il sera difficile pour nous de circuler à vélo sur les îles Lofoten…
Le camping, très agréable, surplombant plusieurs fjords, est aménagé en terrasses. Beaucoup de marcheurs sont regroupés ici. Moskenes est la plaque tournante du tourisme norvégien.
À ma grande surprise, je retrouve dans ce camping de nombreux cyclo-voyageurs rencontrés après Trondheim. Marine, Damien et leurs chiens, Marion et Gauthier le sensitif, Stéphane qui ne jure que par son vélo gravel, Paul l’Écossais et son humour plein de finesse… Ils ont pour la plupart parcouru la côte depuis le sud. Il est étonnant que nous ne nous soyons pas rencontrés au sud de la Norvège !
Emiel, Youn, Rafael et Juan Carlos partent en fin de journée à la pêche. Je n’ose m’aventurer dans les rochers avec eux. Ils sont encore de vrais cabris, moi non ! Leur pêche est miraculeuse avec vingt maquereaux pour notre dîner. Généreusement, ils en distribuent aux autres cyclo-voyageurs.
Bodø / Îles Lofoten / Moskenes – 10 km à vélo et 100 km de ferry
Les Lofoten, épicentre de rencontres
Le réveil est difficile et brutal. Nous prenons le ferry en fin de matinée pour les îles Lofoten. Les yeux ne sont pas tout à fait en face des trous, mais on est prêts à l’heure. Le ferry est immense. Il a deux cales pour les véhicules. C’est le bal des camping-cars, de vrais mastodontes partant pour les Lofoten. Je remarque parmi eux un gros camion vert pastel, haut perché sur ses roues, un vieux camion en acier des années cinquante. Il est couvert à l’arrière de drapeaux, d’autocollants. Ce sont des Allemands baba cool au volant, encore plus vieux que leur camion. Je me souviens d’eux. Depuis un certain temps, ils me klaxonnent amicalement en me doublant.
Notre traversée dure quatre heures. C’est parfait ! Rafael et moi pouvons constater que nos camarades sont épuisés, rompus, ils dorment tous les quatre une bonne partie du voyage.
Progressivement les îles s’imposent à nous. Les images sont saisissantes. Un vrai spectacle de montagnes imposantes et les pics happent mes sens. Forme caractéristique d’« Alpes dans la mer ».
À l’arrivée nous rejoignons la cale pour récupérer nos vélos. Mais Ewen et moi ne parvenons pas à sortir de cet imbroglio de camping-cars. Nous sommes coincés entre ces mastodontes et le côté de la cale du ferry. Nous ressentons notre vulnérabilité, rien ne nous protège. Fort heureusement le responsable de la sécurité veille et, inquiet pour nous, vient à notre aide. Je revis avec appréhension ma sortie du ferry à Oslo !
Lorsque nous arrivons au camping de Moskenes, les innombrables camping-cars nous ont devancés. Ils attendent en une longue file indienne devant la réception. Je comprends alors, qu’il sera difficile pour nous de circuler à vélo sur les îles Lofoten…
Le camping, très agréable, surplombant plusieurs fjords, est aménagé en terrasses. Beaucoup de marcheurs sont regroupés ici. Moskenes est la plaque tournante du tourisme norvégien.
À ma grande surprise, je retrouve dans ce camping de nombreux cyclo-voyageurs rencontrés après Trondheim. Marine, Damien et leurs chiens, Marion et Gauthier le sensitif, Stéphane qui ne jure que par son vélo gravel, Paul l’Écossais et son humour plein de finesse… Ils ont pour la plupart parcouru la côte depuis le sud. Il est étonnant que nous ne nous soyons pas rencontrés au sud de la Norvège !
Emiel, Youn, Rafael et Juan Carlos partent en fin de journée à la pêche. Je n’ose m’aventurer dans les rochers avec eux. Ils sont encore de vrais cabris, moi non ! Leur pêche est miraculeuse avec vingt maquereaux pour notre dîner. Généreusement, ils en distribuent aux autres cyclo-voyageurs.
Dimanche 24 juillet – 71e jour
Moskenes – 30 km à pied
Sur le petit toit du monde
Je vais pédaler dans l’archipel des Lofoten et Vesterålen pendant deux semaines.
Je vais traverser de multiples îles aux sonorités particulièrement agréables. Toutes reliées entre elles par des ponts et des tunnels.
C’est un monde à part, incontournable lorsque l’on visite la Norvège.
Je m’octroie une journée pour faire l’ascension du Reinebringen de 1664 marches. Ordinairement, gravir les marches n’est pas mon fort ! Mais il est dit que la vue est absolument splendide depuis ce sommet.
Je pars à pied du camping. Je ressens le besoin de marcher pour mettre en mouvement d’autres muscles, pour activer ma circulation sanguine. Je m’égare. Et me retrouve à six kilomètres de l’endroit escompté ! Je demande mon chemin à des messieurs retraités, attablés devant une supérette Joker. L’un d’eux me propose de m’accompagner en voiture jusqu’au sentier menant aux marches. Je lui énumère tous les pays que j’ai traversés pour arriver jusqu’ici à vélo. Je lui raconte que dans le sud de la Norvège on m’appelait « La Française poussant son vélo dans les montagnes norvégiennes ».
Il me regarde. Je lis la surprise dans son regard. Puis il se manifeste. Il rigole à gorge déployée. C’est une attitude norvégienne que j’ai déjà remarquée lorsque je raconte mes péripéties. Pour me dire au revoir, il lève la main et tape dans la mienne soulevée également, avec ce geste très utilisé par des garçons complices ou lorsqu’ils scellent un lien. Quel sympathique monsieur !
Le soleil m’accompagne aujourd’hui. Ce n’est pas vraiment une randonnée comme on en fait habituellement. Le sentier est construit à flanc de montagne sur un kilomètre et demi, et monte à cinq-cents mètres d’altitude par un escalier. Les marches, en énormes dalles, sont irrégulières, plus ou moins hautes. L’escalier a été construit en 2019 par des Sherpas népalais.
Tous ici veulent y arriver. Certains, beaucoup plus jeunes que moi, sont extrêmement essoufflés. Ils s’arrêtent fréquemment. Je monte lentement, tout en gardant jusqu’au sommet une respiration fluide, silencieuse. Je suis contente, j’ai vraiment acquis de bonnes aptitudes physiques depuis mon départ.
À la fin, il n'y a plus de marches mais un sentier irrégulier sur la ligne de crête, terreux, humide, glissant, bien pentu, avec un précipice de chaque côté. Il se poursuit dans la montagne pour les rares qui n’ont pas froid aux yeux. Je dois faire attention où je mets les pieds, c’est trop dangereux et je mets fin à mon ascension. Être arrivée jusque-là sans souffrir est une victoire pour moi, une de plus.
Le village de Reine, construit sur une péninsule, est à mes pieds, loin en contrebas, situé dans le décor grandiose du Reinefjorden. Le village de pêcheurs est cerné de montagnes aux profils pointus. Le paysage est à couper le souffle.
Je suis enchantée, comblée, chanceuse d’être là. Mon long moment de gloire dans l’escalade a duré presque deux fois le temps escompté mais le site méritait d’être longuement admiré.
Les garçons sont là aussi. La joie se lit sur nos visages, nous sommes sur un petit toit du monde. Je partage ce moment à profiter de cette vue époustouflante avec Youn, Emiel et Juan Carlos. Rafael est parti avec Ewen à la recherche de son drone égaré beaucoup plus haut dans la montagne du Reinebringen. Ils ont continué le long chemin risqué de la crête. Je suis un peu inquiète pour eux. Ils nous retrouveront plusieurs heures après, le drone porté avec triomphe au-dessus d’eux.
Youn me dit qu’ils essayaient de m’apercevoir montant ce long serpent de marches. Sans succès. Ils cherchaient une tache jaune. Exceptionnellement, aujourd’hui, mon pull est fuchsia.
Mais surtout, les trois garçons gardent un esprit pragmatique et n’oublient pas les choses sérieuses… Depuis le sommet, ils essaient de repérer le bar de Reine où nous nous rejoindrons en fin d’après-midi.
La descente est pénible pour moi. Mes genoux ne sont plus très élastiques. Mais qu’est-ce qui m’avait pris à dix-huit ans de faire partie de l’équipe de foot féminine de Damprichard, avec mes cousines Cocotte et Chantal ?
Ma carrière de footballeuse fut brève, stoppée nette au cours de mon deuxième match, par une grave blessure au genou. À l’époque, les moyens dont disposaient les médecins n’étaient pas ceux d’aujourd’hui, les techniques plus grossières, les gestes moins assurés peut-être, et mon genou ne s’est jamais rétabli.
Avec le recul, je pense m’être trompée d’orientation sportive, j’aurais dû commencer une carrière à vélo ! Je les aurais dégommées mes cousines sportives… « Jacqueline La Machine ! » selon l’expression d’Ewen et « Jacqueline la Surpuissante ! » selon celle de Youn, c’est moi !
Enfin, heureusement qu’ils ne m’ont pas vue descendre malaisément les marches des Sherpas…
Je retrouve Lorena au cours de ma laborieuse descente. Lorena est, elle aussi, installée au camping. Elle est allemande, originaire de Mannheim et a vingt-huit ans. Elle est ingénieure en électricité et a pris un long congé de quatre mois. C’est la première fois qu’elle part seule. Elle voyage à pied, en bus, en train, en ferry. Elle est passée par la Suède avant d’arriver en Norvège. Son voyage se terminera en Islande. C’est une jolie jeune femme, très gentille. Sa douceur se reflète dans son sourire et dans ses beaux yeux verts.
Puis, après un long trajet à pied, nous retrouvons les garçons attablés avec Marion et Gauthier au café de Reine. Ces derniers ont fait l’ascension hier, et ils sont très ankylosés par des courbatures douloureuses.
À Reine, je m’achète une jolie canne à pêche rose fluo avec un moulinet d’un violet mordoré. Elle fait de l’effet auprès des garçons. Ils estiment que je me suis acheté un joli jouet.
Rira bien qui rira le dernier !
Moskenes – 30 km à pied
Sur le petit toit du monde
Je vais pédaler dans l’archipel des Lofoten et Vesterålen pendant deux semaines.
Je vais traverser de multiples îles aux sonorités particulièrement agréables. Toutes reliées entre elles par des ponts et des tunnels.
C’est un monde à part, incontournable lorsque l’on visite la Norvège.
Je m’octroie une journée pour faire l’ascension du Reinebringen de 1664 marches. Ordinairement, gravir les marches n’est pas mon fort ! Mais il est dit que la vue est absolument splendide depuis ce sommet.
Je pars à pied du camping. Je ressens le besoin de marcher pour mettre en mouvement d’autres muscles, pour activer ma circulation sanguine. Je m’égare. Et me retrouve à six kilomètres de l’endroit escompté ! Je demande mon chemin à des messieurs retraités, attablés devant une supérette Joker. L’un d’eux me propose de m’accompagner en voiture jusqu’au sentier menant aux marches. Je lui énumère tous les pays que j’ai traversés pour arriver jusqu’ici à vélo. Je lui raconte que dans le sud de la Norvège on m’appelait « La Française poussant son vélo dans les montagnes norvégiennes ».
Il me regarde. Je lis la surprise dans son regard. Puis il se manifeste. Il rigole à gorge déployée. C’est une attitude norvégienne que j’ai déjà remarquée lorsque je raconte mes péripéties. Pour me dire au revoir, il lève la main et tape dans la mienne soulevée également, avec ce geste très utilisé par des garçons complices ou lorsqu’ils scellent un lien. Quel sympathique monsieur !
Le soleil m’accompagne aujourd’hui. Ce n’est pas vraiment une randonnée comme on en fait habituellement. Le sentier est construit à flanc de montagne sur un kilomètre et demi, et monte à cinq-cents mètres d’altitude par un escalier. Les marches, en énormes dalles, sont irrégulières, plus ou moins hautes. L’escalier a été construit en 2019 par des Sherpas népalais.
Tous ici veulent y arriver. Certains, beaucoup plus jeunes que moi, sont extrêmement essoufflés. Ils s’arrêtent fréquemment. Je monte lentement, tout en gardant jusqu’au sommet une respiration fluide, silencieuse. Je suis contente, j’ai vraiment acquis de bonnes aptitudes physiques depuis mon départ.
À la fin, il n'y a plus de marches mais un sentier irrégulier sur la ligne de crête, terreux, humide, glissant, bien pentu, avec un précipice de chaque côté. Il se poursuit dans la montagne pour les rares qui n’ont pas froid aux yeux. Je dois faire attention où je mets les pieds, c’est trop dangereux et je mets fin à mon ascension. Être arrivée jusque-là sans souffrir est une victoire pour moi, une de plus.
Le village de Reine, construit sur une péninsule, est à mes pieds, loin en contrebas, situé dans le décor grandiose du Reinefjorden. Le village de pêcheurs est cerné de montagnes aux profils pointus. Le paysage est à couper le souffle.
Je suis enchantée, comblée, chanceuse d’être là. Mon long moment de gloire dans l’escalade a duré presque deux fois le temps escompté mais le site méritait d’être longuement admiré.
Les garçons sont là aussi. La joie se lit sur nos visages, nous sommes sur un petit toit du monde. Je partage ce moment à profiter de cette vue époustouflante avec Youn, Emiel et Juan Carlos. Rafael est parti avec Ewen à la recherche de son drone égaré beaucoup plus haut dans la montagne du Reinebringen. Ils ont continué le long chemin risqué de la crête. Je suis un peu inquiète pour eux. Ils nous retrouveront plusieurs heures après, le drone porté avec triomphe au-dessus d’eux.
Youn me dit qu’ils essayaient de m’apercevoir montant ce long serpent de marches. Sans succès. Ils cherchaient une tache jaune. Exceptionnellement, aujourd’hui, mon pull est fuchsia.
Mais surtout, les trois garçons gardent un esprit pragmatique et n’oublient pas les choses sérieuses… Depuis le sommet, ils essaient de repérer le bar de Reine où nous nous rejoindrons en fin d’après-midi.
La descente est pénible pour moi. Mes genoux ne sont plus très élastiques. Mais qu’est-ce qui m’avait pris à dix-huit ans de faire partie de l’équipe de foot féminine de Damprichard, avec mes cousines Cocotte et Chantal ?
Ma carrière de footballeuse fut brève, stoppée nette au cours de mon deuxième match, par une grave blessure au genou. À l’époque, les moyens dont disposaient les médecins n’étaient pas ceux d’aujourd’hui, les techniques plus grossières, les gestes moins assurés peut-être, et mon genou ne s’est jamais rétabli.
Avec le recul, je pense m’être trompée d’orientation sportive, j’aurais dû commencer une carrière à vélo ! Je les aurais dégommées mes cousines sportives… « Jacqueline La Machine ! » selon l’expression d’Ewen et « Jacqueline la Surpuissante ! » selon celle de Youn, c’est moi !
Enfin, heureusement qu’ils ne m’ont pas vue descendre malaisément les marches des Sherpas…
Je retrouve Lorena au cours de ma laborieuse descente. Lorena est, elle aussi, installée au camping. Elle est allemande, originaire de Mannheim et a vingt-huit ans. Elle est ingénieure en électricité et a pris un long congé de quatre mois. C’est la première fois qu’elle part seule. Elle voyage à pied, en bus, en train, en ferry. Elle est passée par la Suède avant d’arriver en Norvège. Son voyage se terminera en Islande. C’est une jolie jeune femme, très gentille. Sa douceur se reflète dans son sourire et dans ses beaux yeux verts.
Puis, après un long trajet à pied, nous retrouvons les garçons attablés avec Marion et Gauthier au café de Reine. Ces derniers ont fait l’ascension hier, et ils sont très ankylosés par des courbatures douloureuses.
À Reine, je m’achète une jolie canne à pêche rose fluo avec un moulinet d’un violet mordoré. Elle fait de l’effet auprès des garçons. Ils estiment que je me suis acheté un joli jouet.
Rira bien qui rira le dernier !
Lundi 25 juillet – 72e jour
Moskenes / Leknes / Valberg – 78 km
Du calme à la tempête
Il est cinq heures et je suis déjà debout, Juan Carlos aussi. Le jour permanent semble avoir détraqué nos horloges biologiques.
Le ciel est bleu, clair et lumineux. Avec une absence totale de couches nuageuses.
Il est six heures trente. Je pars. Le camping est encore endormi. Je ne suis pas fatiguée. Je ne sais pas où se loge ma fatigue. J’espère que jamais, elle ne se réveillera.
Aïe ! Aïe ! Aïe ! Ouille ! Ouille ! Ouille ! Je suis percluse de courbatures au niveau des cuisses à la suite de ma randonnée d’hier. Marine et Damien, la grande sportive et le marathonien sont redescendus du Reinebringen en courant avec leurs chiens. Ils n’ont peur de rien… mais ils marchaient très péniblement hier !
Tout est calme, paisible sur l’île de Moskenesøya. Je contourne la presqu’île de Reine par de petits îlots reliés par des ponts. C’est étourdissant, tant c’est beau.
Les silhouettes ciselées des falaises des fjords me dominent. Je traverse de petits ports, les maisons sont en bois comme partout ailleurs depuis Bergen. Le long de la mer, les jolies cabanes en bois des pêcheurs, les rorbuer, forment des touches de couleur alignées.
Au printemps, le cabillaud, ce poisson renommé, sèche sur de nombreuses claies en bois, décapité, vidé et ouvert en deux. Ce poisson prendra le nom de morue une fois séché et sera exporté en grande partie vers le Portugal. En cette fin juillet, d’innombrables grappes de têtes suspendues aux claies, continuent leur déshydratation. L’odeur persiste. J’aime bien cette odeur. C’est étonnant ! La plupart des odeurs me dérange. Quant aux têtes elles seront exportées vers l’Afrique et utilisées dans la préparation de soupes.
J’achète quelques sachets de morue séchée réputée pour sa source de protéines et de phosphore. Ces filets accompagneront l’apéritif de ce soir. Je dois en principe retrouver les garçons.
Mais le ciel se charge de nuages, la pluie fait son retour. Le temps change sans crier gare. À mon grand dam, l’île se réveille. Les énormes camping-cars s’approprient les routes. Ils roulent à toute vitesse. Ils sont fous ! Ils transforment la petite route en autoroute. Ils sont Finlandais, Suédois, Allemands. Ils n’ont pas appris le code de la route norvégien.
On les ralentit. Ils aimeraient que les cyclo-voyageurs n’existent pas. Ils sont dangereux, irrespectueux. Ils s’approchent trop près de moi, me frôlent, m’arrosent de gerbes d’eau sur leur passage. Je les maudis en les arrosant de mots cinglants. Ils ne m’entendent pas. Ils sont rapidement au loin. Ils ont oublié qu’ils sont sur une île. Ils ne savent pas que les paysages sont splendides même sous la pluie.
Tout à coup, un doux klaxon me renvoie à une réalité plus paisible. Une voiture reste sereinement à ma hauteur. C’est la famille avec les trois enfants dont j’ai fait connaissance au camping de Moskenes. Toutes les mains s’agitent hors de l’habitacle de la voiture en de chaleureux coucous. Les enfants exultent, je suis un meilleur divertissement pour eux que le paysage. Cette famille est vraiment un rayon de soleil au cours de ma matinée pluvieuse. Quel bonheur dans ce stress de la route !
La maman me dira ce soir qu’ils me cherchaient, et lorsque les enfants m’ont vue sur la route, au loin, ils se sont agités et me montraient du doigt. Ils étaient extrêmement contents, joyeux. Et moi donc…
Un grand merci à eux, ils ont égayé mon parcours.
Mais, oh ! Misère de misère ! voilà encore un tunnel de plusieurs kilomètres à la sortie de l’île de Flakstadøya. Son entrée est sombre. Sa construction doit dater. Je ne lui fais pas confiance. Je reviens en arrière pour voir si je peux le contourner, mais c’est impossible. Il n’est pas interdit aux cyclistes. Un panneau demande aux véhicules de faire attention à nous.
J’entre, je n’ai pas le choix.
Je suis rapidement entraînée dans ce trou noir. Son éclairage n’est pas suffisant. Il n’y a pas de trottoir à ma droite. Mais j’en perçois un à ma gauche, de l’autre côté de la chaussée. Il serait mon salut, effectivement je pourrais rouler plus tranquillement dessus, mais je n’arrive pas à m’arrêter pour pouvoir le rejoindre. En effet, mes freins à mâchoires hydrauliques ne répondent pas correctement. La chaussée, très pentue, est mouillée et elle est fortement glissante ; sans doute par l’huile déposée par les véhicules qui circulent en grand nombre en cette saison sur les îles Lofoten.
Je vais de plus en plus vite. Grâce à une descente vertigineuse, je comprends que ce tunnel passe sous la mer. Je réalise aussi que tant que je n’aurai pas atteint le plancher sous-marin, je serai en danger.
C’est l’enfer ! J’ai peur… plus que cela, je suis effrayée, terrifiée.
Les mastodontes continuent leur course folle dans ce tunnel, qui en plus est en courbe. Je vais beaucoup trop vite moi aussi.
Je suis couchée sur mon vélo, accrochée fermement à mon guidon, hurlant de terreur chaque fois qu’un véhicule me double en me déséquilibrant. Je pense que je ne reverrai plus jamais ma famille. Je m’en veux de mon inconscience ; me mettre en danger pour accomplir simplement un voyage à vélo.
J’ai l’impression qu’un trente-six tonnes fait ronfler son moteur derrière moi. Le bruit est étourdissant. Épouvantable ! Je me rends compte au bout d’un moment, au plus fort du bruit, qu’il n’y a de véhicules ni devant, ni derrière moi. Juan Carlos me dira ce soir que c’étaient les extracteurs d’air qui faisaient ce bruit assourdissant. Il a pensé lui aussi qu’il allait mourir au fond de ce tunnel. Son vélo, beaucoup plus léger que le mien, zigzaguait encore plus dangereusement chaque fois qu’un véhicule le doublait. En effet, nous sommes happés par le souffle pour ensuite être rejetés sur le bas-côté, de surcroît très étroit dans ce tunnel.
Je dois attendre, après ce qui me semble être une éternité, d’être au fond de la mer, lorsque la descente s’estompe progressivement, pour redevenir maîtresse de ma bicyclette. Je réussis à freiner, à m’arrêter. Je veux me mettre hors de portée de la circulation. Je m’empresse alors de traverser la chaussée tout en faisant attention aux nombreux véhicules. Enfin, j’atteins le trottoir salvateur et j’y hisse mon vélo. Je dois déployer beaucoup de force pour soulever ses cinquante kilos puis le déposer sur ce haut trottoir.
J’ai les pieds au sol. Je prends le temps. Je m’arc-boute sur mon vélo. Je ferme les yeux. Ma respiration reprend petit à petit un rythme normal. Ma fréquence cardiaque aussi. J’en appelle au silence. Je fais fi du bruit des voitures, des camping-cars, des extracteurs d’air. Toutes les manifestations de ma peur se dissipent progressivement. Je suis prête à affronter, à pied, plusieurs kilomètres en montée pour ressortir de là.
C’est bon ! Je peux repartir. Je me sens enfin en sécurité malgré l’obscurité du lieu et le fait que je doive marcher sur le trottoir, à contresens, poussant mon vélo dans ce long tunnel très circulant.
Bien après, lorsque je vois au loin le halo lumineux de la sortie, je sais que je ne vais pas tarder à sourdre de ce bagne.
Tout à coup, j’entends quelqu’un m’appeler. Quelle surprise et quel bonheur de distinguer dans la pénombre, derrière moi, Marion et Gauthier ! Ils savaient depuis un bon moment que j’étais moi aussi dans ce tunnel, puisqu’ils voyaient luire, loin devant eux, mon drapeau jaune. Ils ont pris le trottoir depuis le début, on leur avait donné l’information.
Peu après, dès leur sortie de ce tunnel, Youn m’appelle pour me dire de ne surtout pas le prendre. Mais c’est trop tard. C’est fait ! Avec Emiel et Juan Carlos, ils se sont eux aussi, sentis en profonde insécurité, étouffant leur peur en mobilisant toute leur énergie pour en sortir le plus vite possible.
Quant à Ewen et Rafael, au départ de Moskenes, ils ont cassé leurs vélos, jante pour l’un et rayons pour l’autre. Ils ont pris le bus jusqu’à Leknes pour trouver un vélociste. Ils ont donc échappé à ça !
Ce tunnel s’appelle le Nappstraumtunnelen.
Je ne l’oublierai jamais !
En fin d’après-midi, nous nous retrouvons au camping de Valberg sur l’île de Vestvågøya, où nous attendent deux chalets. La famille au doux klaxon est là aussi, leur tente familiale est plantée face à nos chalets.
L’activité pêche nous remet de nos émotions de la journée. Pour ma première expérience de pêcheuse et après deux lancers, je casse en deux ma jolie canne à pêche rose fluo. Ma carrière est courte, décidément ! La pêche a été infructueuse pour chacun.
Mais Ewen et Rafael nous préparent de succulentes crêpes salées et sucrées pour terminer cette journée.
Je n’exécute aucune tâche en leur compagnie. Je ne lève pas le petit doigt.
À partir de maintenant, je suis leur Reine mère.
Moskenes / Leknes / Valberg – 78 km
Du calme à la tempête
Il est cinq heures et je suis déjà debout, Juan Carlos aussi. Le jour permanent semble avoir détraqué nos horloges biologiques.
Le ciel est bleu, clair et lumineux. Avec une absence totale de couches nuageuses.
Il est six heures trente. Je pars. Le camping est encore endormi. Je ne suis pas fatiguée. Je ne sais pas où se loge ma fatigue. J’espère que jamais, elle ne se réveillera.
Aïe ! Aïe ! Aïe ! Ouille ! Ouille ! Ouille ! Je suis percluse de courbatures au niveau des cuisses à la suite de ma randonnée d’hier. Marine et Damien, la grande sportive et le marathonien sont redescendus du Reinebringen en courant avec leurs chiens. Ils n’ont peur de rien… mais ils marchaient très péniblement hier !
Tout est calme, paisible sur l’île de Moskenesøya. Je contourne la presqu’île de Reine par de petits îlots reliés par des ponts. C’est étourdissant, tant c’est beau.
Les silhouettes ciselées des falaises des fjords me dominent. Je traverse de petits ports, les maisons sont en bois comme partout ailleurs depuis Bergen. Le long de la mer, les jolies cabanes en bois des pêcheurs, les rorbuer, forment des touches de couleur alignées.
Au printemps, le cabillaud, ce poisson renommé, sèche sur de nombreuses claies en bois, décapité, vidé et ouvert en deux. Ce poisson prendra le nom de morue une fois séché et sera exporté en grande partie vers le Portugal. En cette fin juillet, d’innombrables grappes de têtes suspendues aux claies, continuent leur déshydratation. L’odeur persiste. J’aime bien cette odeur. C’est étonnant ! La plupart des odeurs me dérange. Quant aux têtes elles seront exportées vers l’Afrique et utilisées dans la préparation de soupes.
J’achète quelques sachets de morue séchée réputée pour sa source de protéines et de phosphore. Ces filets accompagneront l’apéritif de ce soir. Je dois en principe retrouver les garçons.
Mais le ciel se charge de nuages, la pluie fait son retour. Le temps change sans crier gare. À mon grand dam, l’île se réveille. Les énormes camping-cars s’approprient les routes. Ils roulent à toute vitesse. Ils sont fous ! Ils transforment la petite route en autoroute. Ils sont Finlandais, Suédois, Allemands. Ils n’ont pas appris le code de la route norvégien.
On les ralentit. Ils aimeraient que les cyclo-voyageurs n’existent pas. Ils sont dangereux, irrespectueux. Ils s’approchent trop près de moi, me frôlent, m’arrosent de gerbes d’eau sur leur passage. Je les maudis en les arrosant de mots cinglants. Ils ne m’entendent pas. Ils sont rapidement au loin. Ils ont oublié qu’ils sont sur une île. Ils ne savent pas que les paysages sont splendides même sous la pluie.
Tout à coup, un doux klaxon me renvoie à une réalité plus paisible. Une voiture reste sereinement à ma hauteur. C’est la famille avec les trois enfants dont j’ai fait connaissance au camping de Moskenes. Toutes les mains s’agitent hors de l’habitacle de la voiture en de chaleureux coucous. Les enfants exultent, je suis un meilleur divertissement pour eux que le paysage. Cette famille est vraiment un rayon de soleil au cours de ma matinée pluvieuse. Quel bonheur dans ce stress de la route !
La maman me dira ce soir qu’ils me cherchaient, et lorsque les enfants m’ont vue sur la route, au loin, ils se sont agités et me montraient du doigt. Ils étaient extrêmement contents, joyeux. Et moi donc…
Un grand merci à eux, ils ont égayé mon parcours.
Mais, oh ! Misère de misère ! voilà encore un tunnel de plusieurs kilomètres à la sortie de l’île de Flakstadøya. Son entrée est sombre. Sa construction doit dater. Je ne lui fais pas confiance. Je reviens en arrière pour voir si je peux le contourner, mais c’est impossible. Il n’est pas interdit aux cyclistes. Un panneau demande aux véhicules de faire attention à nous.
J’entre, je n’ai pas le choix.
Je suis rapidement entraînée dans ce trou noir. Son éclairage n’est pas suffisant. Il n’y a pas de trottoir à ma droite. Mais j’en perçois un à ma gauche, de l’autre côté de la chaussée. Il serait mon salut, effectivement je pourrais rouler plus tranquillement dessus, mais je n’arrive pas à m’arrêter pour pouvoir le rejoindre. En effet, mes freins à mâchoires hydrauliques ne répondent pas correctement. La chaussée, très pentue, est mouillée et elle est fortement glissante ; sans doute par l’huile déposée par les véhicules qui circulent en grand nombre en cette saison sur les îles Lofoten.
Je vais de plus en plus vite. Grâce à une descente vertigineuse, je comprends que ce tunnel passe sous la mer. Je réalise aussi que tant que je n’aurai pas atteint le plancher sous-marin, je serai en danger.
C’est l’enfer ! J’ai peur… plus que cela, je suis effrayée, terrifiée.
Les mastodontes continuent leur course folle dans ce tunnel, qui en plus est en courbe. Je vais beaucoup trop vite moi aussi.
Je suis couchée sur mon vélo, accrochée fermement à mon guidon, hurlant de terreur chaque fois qu’un véhicule me double en me déséquilibrant. Je pense que je ne reverrai plus jamais ma famille. Je m’en veux de mon inconscience ; me mettre en danger pour accomplir simplement un voyage à vélo.
J’ai l’impression qu’un trente-six tonnes fait ronfler son moteur derrière moi. Le bruit est étourdissant. Épouvantable ! Je me rends compte au bout d’un moment, au plus fort du bruit, qu’il n’y a de véhicules ni devant, ni derrière moi. Juan Carlos me dira ce soir que c’étaient les extracteurs d’air qui faisaient ce bruit assourdissant. Il a pensé lui aussi qu’il allait mourir au fond de ce tunnel. Son vélo, beaucoup plus léger que le mien, zigzaguait encore plus dangereusement chaque fois qu’un véhicule le doublait. En effet, nous sommes happés par le souffle pour ensuite être rejetés sur le bas-côté, de surcroît très étroit dans ce tunnel.
Je dois attendre, après ce qui me semble être une éternité, d’être au fond de la mer, lorsque la descente s’estompe progressivement, pour redevenir maîtresse de ma bicyclette. Je réussis à freiner, à m’arrêter. Je veux me mettre hors de portée de la circulation. Je m’empresse alors de traverser la chaussée tout en faisant attention aux nombreux véhicules. Enfin, j’atteins le trottoir salvateur et j’y hisse mon vélo. Je dois déployer beaucoup de force pour soulever ses cinquante kilos puis le déposer sur ce haut trottoir.
J’ai les pieds au sol. Je prends le temps. Je m’arc-boute sur mon vélo. Je ferme les yeux. Ma respiration reprend petit à petit un rythme normal. Ma fréquence cardiaque aussi. J’en appelle au silence. Je fais fi du bruit des voitures, des camping-cars, des extracteurs d’air. Toutes les manifestations de ma peur se dissipent progressivement. Je suis prête à affronter, à pied, plusieurs kilomètres en montée pour ressortir de là.
C’est bon ! Je peux repartir. Je me sens enfin en sécurité malgré l’obscurité du lieu et le fait que je doive marcher sur le trottoir, à contresens, poussant mon vélo dans ce long tunnel très circulant.
Bien après, lorsque je vois au loin le halo lumineux de la sortie, je sais que je ne vais pas tarder à sourdre de ce bagne.
Tout à coup, j’entends quelqu’un m’appeler. Quelle surprise et quel bonheur de distinguer dans la pénombre, derrière moi, Marion et Gauthier ! Ils savaient depuis un bon moment que j’étais moi aussi dans ce tunnel, puisqu’ils voyaient luire, loin devant eux, mon drapeau jaune. Ils ont pris le trottoir depuis le début, on leur avait donné l’information.
Peu après, dès leur sortie de ce tunnel, Youn m’appelle pour me dire de ne surtout pas le prendre. Mais c’est trop tard. C’est fait ! Avec Emiel et Juan Carlos, ils se sont eux aussi, sentis en profonde insécurité, étouffant leur peur en mobilisant toute leur énergie pour en sortir le plus vite possible.
Quant à Ewen et Rafael, au départ de Moskenes, ils ont cassé leurs vélos, jante pour l’un et rayons pour l’autre. Ils ont pris le bus jusqu’à Leknes pour trouver un vélociste. Ils ont donc échappé à ça !
Ce tunnel s’appelle le Nappstraumtunnelen.
Je ne l’oublierai jamais !
En fin d’après-midi, nous nous retrouvons au camping de Valberg sur l’île de Vestvågøya, où nous attendent deux chalets. La famille au doux klaxon est là aussi, leur tente familiale est plantée face à nos chalets.
L’activité pêche nous remet de nos émotions de la journée. Pour ma première expérience de pêcheuse et après deux lancers, je casse en deux ma jolie canne à pêche rose fluo. Ma carrière est courte, décidément ! La pêche a été infructueuse pour chacun.
Mais Ewen et Rafael nous préparent de succulentes crêpes salées et sucrées pour terminer cette journée.
Je n’exécute aucune tâche en leur compagnie. Je ne lève pas le petit doigt.
À partir de maintenant, je suis leur Reine mère.
Mardi 26 juillet – 73e jour
Valberg – 3 km
Un goût de réconfort
Je fais un peu plus ample connaissance avec la famille au doux klaxon ; Bhavesh et Dovile, les parents ; Adela, Aurius et Aureja, les enfants. Ils habitent aux Pays-Bas depuis trois ans. Ils vivaient en Californie auparavant. Le papa est ingénieur et effectue des missions aux quatre coins du monde.
Adèla, une des gamines, demande à Emiel si je suis sa grand-mère ! La vérité sort de la bouche des enfants ! Je sais que dorénavant je ne peux plus faire illusion… Ils m’enverront par la suite, un gentil courriel. M’écrivant qu’ils avaient été ravis de me rencontrer au cours de mon expédition qu’ils jugent quelque peu unique et que les enfants parlent souvent de la dame à vélo. Merci à eux !
Je décide de rester aujourd’hui à Valberg. Youn, Ewen et Emiel pensent qu’ils ont, eux aussi, besoin d’un peu de repos et de calme dans notre petit chalet confortable.
Nous assistons avec nostalgie au départ de Rafael et de Juan Carlos. Ils doivent continuer sans trop flemmarder jusqu’au cap Nord. En effet, Rafael a un impératif en août : le travail ! Tous les deux sont professeurs.
Les trois garçons ont prévu une randonnée dans la montagne aujourd’hui. Moi, je dois écrire et mettre à jour mon blog. Je prendrai aussi un moment pour pêcher avec la canne que m’a prêtée Youn.
Tout d’un coup, dans l’après-midi, Sofia et Franck, les Canadiens rencontrés au Danemark, arrivent. Quelle belle surprise ! Quel bel hasard que nos routes se croisent ! Nous sommes ravis de nous revoir. Nous sommes émus. Nous étions en contact ces dernières semaines et un bon lien s’est tissé entre nous. À Trondheim ils ont pris le bus jusqu’à Tromsø et ils repartent vers le sud. Ils passeront ensuite par les îles Féroé pour terminer en Islande leur long voyage débuté au Portugal.
Six mois plus tard, au début de l’année 2023, ils partiront pour un long voyage visiter les pays du sud de l’Afrique. Pas à vélo cette fois-ci… mais en Tuk Tuk ! commandé en Asie et livré directement à Johannesburg. De loin, j’aurai l’immense privilège de suivre leur aventure tout à fait exceptionnelle.
Je reste presque toute la journée dans la cafétéria sans réussir à mettre à jour mon blog. Je ne suis pas très productive. Je ne pars pas pêcher non plus, car le vent s’est levé et a enfermé la région dans les nuages. Les montagnes font obstacle aux nuages de l’Atlantique Nord provoquant d’inévitables précipitations.
En fin d’après-midi, les garçons rentrent de leur randonnée, ils ont ramassé des bolets en prévision du repas de ce soir. Ils s’installent vers moi à la cafétéria autour d’un jeu fabriqué par Ewen. Le plateau de jeu en carton est en piteux état. Délavé. À peine lisible. Les bords effrangés, usés par l’humidité et les frottements durant ce voyage.
Ils veulent que je joue avec eux. Je décline leur invitation. Ils ne comprennent pas que je n’aie aucun plaisir aux jeux de cartes ou aux jeux de dés. Je décide de continuer à écrire. Cela agace Youn qui se comporte comme un parent réprimandant son enfant passant trop de temps sur son téléphone.
Je dois être perturbée par ce moment de flottement dû à ma position ferme face à Youn et je réussis à effacer une bonne partie de ma production par une malheureuse action… Je la réécris en pensant que cette deuxième mouture manque de vivacité. Désormais, quand on se retrouve, je leur lis mes aventures et je vois la satisfaction dans leurs yeux lorsqu’ils comprennent qu’ils font partie de cette histoire.
Un message émouvant des parents d’Emiel m’apprendra, plus tard, qu’ils consultent eux aussi mon blog. Ils me disent avoir été autorisés à faire partie de mon voyage et à connaître de nombreux moments que les garçons et moi passons ensemble. Pour eux, c’est un très bel ajout aux histoires qu’ils reçoivent d’Emiel.
Écrire chaque jour après une longue journée de pédalage, revivre ma journée dans ses moindres détails, prendre ce temps parfois au détriment de mon sommeil, est une grande contrainte. Mais je m’y oblige. Ainsi je n’oublie rien de ce que je fais, de ce que je traverse, de mes émotions, de mes craintes. Il faut que je me rappelle ! Et puis cela me permet de rester en lien avec ma famille, mes amis. Parfois mes écrits minimisent mes mésaventures. Je ne peux porter l’inquiétude d’autrui. Je ne veux pas que mes proches se fassent du souci. Leurs messages doivent restés sereins, dynamiques pour me donner de l’énergie, de la pétulance et de l’allant.
Ici à Valberg, la vie est douce ! Nous prenons du bon temps ! Nous sommes réunis dans ce joli lieu, bien décoré, bien chauffé. Ils jouent, j’écris. Nous buvons des boissons chaudes. Nous dégustons de délicieux Mikos à bâtonnets. Chacun d’entre nous a sa préférence. Nous apprécions les irrésistibles vafler, cette spécialité de gaufre à la cardamome en forme de cœur, fines et très moelleuses, que l’on trouve du nord au sud de la Norvège, dans les cafés, dans les restaurants, sur les ferries. Nous les garnissons sans parcimonie d’une appétissante garniture de confiture et de crème aigre.
Les garçons accaparent ma carte IGN sur laquelle j’ai tracé mon parcours. J’en ai trois pour la Norvège. Ces jeunes gens ne se référent qu’à leur téléphone. Ils semblent découvrir l’attrait que procure une carte et la vue d’ensemble qu’elle impose. Dorénavant je pense qu’ils commanderont leur matériel chez Cartovelo spécialisé dans la vente de cartes et guides de randonnée cyclable et pédestre.
Puis vient le temps du repas. Ils préparent une omelette aux bolets. Mais sont-ce vraiment des bolets ? Ewen et Emiel seront malades durant la nuit. Youn et moi dormiront du sommeil du juste.
Valberg – 3 km
Un goût de réconfort
Je fais un peu plus ample connaissance avec la famille au doux klaxon ; Bhavesh et Dovile, les parents ; Adela, Aurius et Aureja, les enfants. Ils habitent aux Pays-Bas depuis trois ans. Ils vivaient en Californie auparavant. Le papa est ingénieur et effectue des missions aux quatre coins du monde.
Adèla, une des gamines, demande à Emiel si je suis sa grand-mère ! La vérité sort de la bouche des enfants ! Je sais que dorénavant je ne peux plus faire illusion… Ils m’enverront par la suite, un gentil courriel. M’écrivant qu’ils avaient été ravis de me rencontrer au cours de mon expédition qu’ils jugent quelque peu unique et que les enfants parlent souvent de la dame à vélo. Merci à eux !
Je décide de rester aujourd’hui à Valberg. Youn, Ewen et Emiel pensent qu’ils ont, eux aussi, besoin d’un peu de repos et de calme dans notre petit chalet confortable.
Nous assistons avec nostalgie au départ de Rafael et de Juan Carlos. Ils doivent continuer sans trop flemmarder jusqu’au cap Nord. En effet, Rafael a un impératif en août : le travail ! Tous les deux sont professeurs.
Les trois garçons ont prévu une randonnée dans la montagne aujourd’hui. Moi, je dois écrire et mettre à jour mon blog. Je prendrai aussi un moment pour pêcher avec la canne que m’a prêtée Youn.
Tout d’un coup, dans l’après-midi, Sofia et Franck, les Canadiens rencontrés au Danemark, arrivent. Quelle belle surprise ! Quel bel hasard que nos routes se croisent ! Nous sommes ravis de nous revoir. Nous sommes émus. Nous étions en contact ces dernières semaines et un bon lien s’est tissé entre nous. À Trondheim ils ont pris le bus jusqu’à Tromsø et ils repartent vers le sud. Ils passeront ensuite par les îles Féroé pour terminer en Islande leur long voyage débuté au Portugal.
Six mois plus tard, au début de l’année 2023, ils partiront pour un long voyage visiter les pays du sud de l’Afrique. Pas à vélo cette fois-ci… mais en Tuk Tuk ! commandé en Asie et livré directement à Johannesburg. De loin, j’aurai l’immense privilège de suivre leur aventure tout à fait exceptionnelle.
Je reste presque toute la journée dans la cafétéria sans réussir à mettre à jour mon blog. Je ne suis pas très productive. Je ne pars pas pêcher non plus, car le vent s’est levé et a enfermé la région dans les nuages. Les montagnes font obstacle aux nuages de l’Atlantique Nord provoquant d’inévitables précipitations.
En fin d’après-midi, les garçons rentrent de leur randonnée, ils ont ramassé des bolets en prévision du repas de ce soir. Ils s’installent vers moi à la cafétéria autour d’un jeu fabriqué par Ewen. Le plateau de jeu en carton est en piteux état. Délavé. À peine lisible. Les bords effrangés, usés par l’humidité et les frottements durant ce voyage.
Ils veulent que je joue avec eux. Je décline leur invitation. Ils ne comprennent pas que je n’aie aucun plaisir aux jeux de cartes ou aux jeux de dés. Je décide de continuer à écrire. Cela agace Youn qui se comporte comme un parent réprimandant son enfant passant trop de temps sur son téléphone.
Je dois être perturbée par ce moment de flottement dû à ma position ferme face à Youn et je réussis à effacer une bonne partie de ma production par une malheureuse action… Je la réécris en pensant que cette deuxième mouture manque de vivacité. Désormais, quand on se retrouve, je leur lis mes aventures et je vois la satisfaction dans leurs yeux lorsqu’ils comprennent qu’ils font partie de cette histoire.
Un message émouvant des parents d’Emiel m’apprendra, plus tard, qu’ils consultent eux aussi mon blog. Ils me disent avoir été autorisés à faire partie de mon voyage et à connaître de nombreux moments que les garçons et moi passons ensemble. Pour eux, c’est un très bel ajout aux histoires qu’ils reçoivent d’Emiel.
Écrire chaque jour après une longue journée de pédalage, revivre ma journée dans ses moindres détails, prendre ce temps parfois au détriment de mon sommeil, est une grande contrainte. Mais je m’y oblige. Ainsi je n’oublie rien de ce que je fais, de ce que je traverse, de mes émotions, de mes craintes. Il faut que je me rappelle ! Et puis cela me permet de rester en lien avec ma famille, mes amis. Parfois mes écrits minimisent mes mésaventures. Je ne peux porter l’inquiétude d’autrui. Je ne veux pas que mes proches se fassent du souci. Leurs messages doivent restés sereins, dynamiques pour me donner de l’énergie, de la pétulance et de l’allant.
Ici à Valberg, la vie est douce ! Nous prenons du bon temps ! Nous sommes réunis dans ce joli lieu, bien décoré, bien chauffé. Ils jouent, j’écris. Nous buvons des boissons chaudes. Nous dégustons de délicieux Mikos à bâtonnets. Chacun d’entre nous a sa préférence. Nous apprécions les irrésistibles vafler, cette spécialité de gaufre à la cardamome en forme de cœur, fines et très moelleuses, que l’on trouve du nord au sud de la Norvège, dans les cafés, dans les restaurants, sur les ferries. Nous les garnissons sans parcimonie d’une appétissante garniture de confiture et de crème aigre.
Les garçons accaparent ma carte IGN sur laquelle j’ai tracé mon parcours. J’en ai trois pour la Norvège. Ces jeunes gens ne se référent qu’à leur téléphone. Ils semblent découvrir l’attrait que procure une carte et la vue d’ensemble qu’elle impose. Dorénavant je pense qu’ils commanderont leur matériel chez Cartovelo spécialisé dans la vente de cartes et guides de randonnée cyclable et pédestre.
Puis vient le temps du repas. Ils préparent une omelette aux bolets. Mais sont-ce vraiment des bolets ? Ewen et Emiel seront malades durant la nuit. Youn et moi dormiront du sommeil du juste.
Mercredi 27 juillet – 74e jour
Valberg / Rørvika / Henningsvær / Ørsvåg – 72 km
« Vive la France ! »
Je pars encore très tôt ce matin. Les garçons dorment encore, ils ont prévu d’aller à Eggum, à l’ouest de l’île. Je vais redevenir solitaire et il fait un temps de chien. Vraiment pire que d’habitude. Le vent est là. Puissant. Violent. Me repoussant en arrière. Pour la première fois, je n’ai pas envie de repartir.
J’ai l’habitude de voir les nuages descendre ou passer entre deux montagnes. Aujourd’hui comme bien souvent, j’entre dans ces nuages. Ils m’enferment dans leur brouillard intense. Le crachin me mouille considérablement. Ses fines gouttelettes, poussées par le vent, viennent cingler mon visage avec violence, me donnant l’impression que de petites aiguilles s’enfoncent inexorablement dans ma peau. J’ai envie d’opérer un demi-tour et de rentrer au chaud dans le chalet. Je me suis habituée aux garçons. Ils vont me manquer. Ils sont drôles. Ils sont marrants. Ils sont espiègles.
Emiel s’est mis au français au contact des deux autres. Il a essentiellement appris les grossièretés de notre langue. C’est très hilarant de l’entendre. Le doux, gentil et poli Emiel a été bien dévergondé. Au contact de Youn et Ewen, personne n’y échappe, même pas moi.
Mais, au fur et à mesure de nos retrouvailles, je transformerai ses mots vulgaires en un florilège de mots désuets mais tellement plus poétiques !
Je pense que nous sommes des forçats du cap Nord. Par tous les temps, il faut pédaler, se confronter aux éléments. Ce matin, j’ai l’impression que nous, cyclo-voyageurs, gagnons rudement notre ressenti émouvant, notre liberté, notre bonheur, notre fascination face aux panoramas.
Mais ma nostalgie matinale est éphémère. Je ne suis pas seule sur la route. Il a repéré mon drapeau français et vient dans ma direction. C’est Jean, parti du cap Nord pour rejoindre Aix-en-Provence. Il a un problème avec l’axe de sa roue arrière. Il veut rejoindre Bodø aujourd’hui et faire réparer sa bicyclette. Il est triathlonien, comme Damien. Il peut donc faire plus de cent kilomètres face au vent, arriver tôt dans l’après-midi et prendre le ferry. Mais ce grand sportif va se priver de la magie du sud des îles Lofoten. Son objectif est d’arriver au-delà.
Je remarque ses vêtements de la marque Gore, propres et en parfait état. Ils se gâtent lorsque l’on ne fait, comme lui, que du camping sauvage. Il me dit être protégé parfaitement de la pluie. Il a de la chance ! Il a présenté son projet à la maison Gore qui l’a équipé de la tête aux pieds. J’ai avec moi deux blousons de vélo de cette marque, je sais que c’est un excellent matériel, mais je n’ai pas pensé à me faire sponsoriser !
Je le préviens de la dangerosité du tunnel après Leknes. À son tour il m’avise que le vent est de 23 m/s sur le grand pont à proximité, cela correspond à 82,8 km/h. Mince alors ! Saperlipopette ! Je risque bientôt de m’envoler !
Peu après, un cycliste, grand, costaud et barbu roule quelques kilomètres à ma hauteur. Il habite à Bodø. Il fait simplement la traversée des îles Lofoten. Il me dit qu’il m’a vue en boîte de nuit dans sa ville. Il ne commente pas mais son regard rieur en dit long… Je souris avec lui en pensant : Franchement ! À mon âge !
Ces interactions me font du bien. Ne pas circuler incognito me permet de sortir de l’ombre de la voyageuse solitaire. Ça correspond aussi à un petit entracte laissant des traces. Ces marques s’additionnent et constituent une somme de bien-être qui se logent en moi. C’est donc capital ! Parfois certains épisodes de la vie d’une cyclotouriste ne sont ni glorieux ni épiques. En effet, l’habillement du cycliste ne me sied nullement ; mes cheveux ont pris la couleur et la texture de la paille ; mon bronzage forme des plaques sur ma peau, il est accentué sur le nez, sur le menton et au bout de mes doigts, il fait suite à des coups de soleil, des brûlures qui m’ont rendue cramoisie durant de longues journées ; mes chutes… parfois accompagnées du rire des autres me rendent honteuse, ça leur permet de résoudre, dans leur cerveau, l’incongruité entre ce qui est prévisible et la perte de contrôle ; mon élocution dans les langues étrangères qui ressemble plus à un charabia qu’à un langage construit et compréhensible ; il y a aussi cette odeur nauséabonde échappée de mes vêtements et de mes chaussures malgré mes lessives quotidiennes le plus souvent à la main, due à mes affaires ne séchant pas correctement.
La citation de Bernard Hinault « Le cyclisme est une leçon d’humilité » prend toute sa signification pour moi.
Le vélo à haute dose m’entraînant au loin, modifie ma réflexion. La pensée en arborescence semble disparaître au profit de la pensée linéaire. Je semble traiter les informations les unes après les autres. Alors que j’ai besoin d’une vision en grand angle me permettant l’intuition et l’improvisation.
Mes émotions sont parfois dominantes et me donnent une énergie temporaire. Mes sentiments teintent de façon plus durable mes pensées. Il m’est donc primordial de rester en lien avec mes sentiments de joie, de bonheur, d’envie, de liberté, de surprise.
Puis je suis seule de nouveau et je distingue le pont au loin. Sa silhouette est voilée par les nuages. Néanmoins il se détache suffisamment pour me montrer sa courbe imposante. Il s’élève dans les airs. Un panneau numérique m’indique 24,8 m/s (89,28 km/h). La force du vent est supérieure à celle annoncée par Jean. Le pont passe d’une île à l’autre en enjambant deux bras de mer. Sa longueur est impressionnante. Je sais que je vais passer un mauvais quart d’heure.
Je m’arme de courage. Je marche sur le trottoir. Je me méfie de ce vent furieux, hurlant. Sa vitesse est maximale lorsque j’arrive en haut du pont. Je mobilise toute ma force pour ne pas être plaquée contre la balustrade. Mes drapeaux suspendus à l’arrière de mon vélo et ma carte accrochée à ma sacoche de guidon, sont violemment secoués en tous sens. J’espère que rien ne va s’envoler. Mes vêtements se gonflent, emplis d’air froid. Je ressemble à une montgolfière. Ma prise au vent est maximale.
Je passe à côté d’un travailleur du chantier installé au sommet du pont, il me regarde, il lève son pouce, le geste que l’on fait si souvent à mon passage. Ça me paraît très dangereux de travailler dans de telles conditions : vent, pluie… il ne manque que la neige ! Je révise mon jugement. Si je dois parler de forçats, alors ce sont ces hommes, les travailleurs, qui au péril de leur vie, protègent la nôtre en construisant, réparant, maintenant en état, ici en l’occurrence un ouvrage d’art exposé aux intempéries du Grand Nord.
Dès ces bras de mer franchis, le vent s’apaise en grande partie. Ensuite j’effleure l’île de Gimsøya pour rejoindre celle d’Austvågøya. J’aime la sonorité chantante de ces mots. Je reconnais la petite plage de sable blanc de Rørvika dont Rafael a posté une photo hier sur notre blog commun : « Banana NorthCape ».
Le temps ne s’y prête vraiment pas du tout, mais j’aimerais me baigner dans cette eau où le vert se décline de multiples nuances allant des verts francs, aux verts émeraude, en passant par les verts azur et les verts turquoise. Mon maillot de bain n’est plus au fond de ma sacoche, je ne l’ai même plus, je l’ai renvoyé par la Poste. Ici, pas question de renouveler mes péripéties danoises. La plage est visible de la route, quelques personnes se promènent à proximité et il fait froid. Tant pis ! Ce sera peut-être pour une autre fois…
Je choisis de faire un détour pour me rendre dans un endroit étonnant, le village d’Henningsvær, petit port de cinq-cents âmes, très touristique, souvent renommé « la petite Venise du Nord ». Je passe au pied d’une falaise surplombant la mer pour arriver sur une presqu’île de plusieurs îlots reliés par des ponts.
Je me souviens… Il y a fort longtemps, j’ai vu un documentaire sur les stades les plus dingues au monde. Dans une favela ; au milieu des gratte-ciel ; sur le sommet d’une montagne ; flottant dans la baie de Phang Nga et, pas si loin de Besançon, dans les Alpes suisses le terrain culmine à deux-mille mètres d’altitude… Je n’ai pas imaginé à l’époque qu’un jour je verrais l’un d’eux. Quelle bonne fortune j’ai !
Le stade est au bout du village, au centre d’un petit îlot, entouré par un paysage de mer et de fjords. Il est recouvert d’une pelouse artificielle et entouré par un petit chemin asphalté. Je peux imaginer les importants travaux pour mettre à niveau le lit de roche. Il est bordé de rochers sur lesquels reposent des séchoirs à morue.
Une recherche sur mon téléphone lui rend toute sa magie. En effet, vu du ciel, il semble surnager. Il est d’une magnifique couleur émeraude et dispose d'illuminations artificielles pour les jeux lors de la nuit polaire.
Seul le club amateur du village l’utilise. En ce moment, trois enfants jouent au foot et lorsqu’ils voient mon drapeau, l’un d’eux me crie « Bonjour ! » en français.
Pour bien m’imprégner de l’atmosphère du lieu, je décide de faire le tour en pédalant sur la pelouse artificielle du stade. Quelle belle expérience ! Je n’échangerais pas ma place pour tout l’or du monde ! même si parfois je dois donner l’impression d’être une femme farfelue pendant mes voyages.
Le petit port compte des cafés, des restaurants, des hôtels et un musée d’art moderne. Il y a du monde au village, mais presque personne ne semble connaître le stade qui a pourtant été répertorié comme l’un des plus surprenants au monde, voire le plus insolite et exceptionnel. Nous sommes seulement deux visiteurs. L’autre est un immense colosse, motard, danois. Je lui demande de me photographier. Plus tard dans la journée, lorsqu’il me doublera sur un pont il me criera « Vive la France ! »
En fin de journée, je suis obligée de planter ma tente sur le sol gorgé d’eau du camping d’Ørsvåg qui ne possède pas de chalets. La gérante m’annonce que demain, le soleil resplendira.
Valberg / Rørvika / Henningsvær / Ørsvåg – 72 km
« Vive la France ! »
Je pars encore très tôt ce matin. Les garçons dorment encore, ils ont prévu d’aller à Eggum, à l’ouest de l’île. Je vais redevenir solitaire et il fait un temps de chien. Vraiment pire que d’habitude. Le vent est là. Puissant. Violent. Me repoussant en arrière. Pour la première fois, je n’ai pas envie de repartir.
J’ai l’habitude de voir les nuages descendre ou passer entre deux montagnes. Aujourd’hui comme bien souvent, j’entre dans ces nuages. Ils m’enferment dans leur brouillard intense. Le crachin me mouille considérablement. Ses fines gouttelettes, poussées par le vent, viennent cingler mon visage avec violence, me donnant l’impression que de petites aiguilles s’enfoncent inexorablement dans ma peau. J’ai envie d’opérer un demi-tour et de rentrer au chaud dans le chalet. Je me suis habituée aux garçons. Ils vont me manquer. Ils sont drôles. Ils sont marrants. Ils sont espiègles.
Emiel s’est mis au français au contact des deux autres. Il a essentiellement appris les grossièretés de notre langue. C’est très hilarant de l’entendre. Le doux, gentil et poli Emiel a été bien dévergondé. Au contact de Youn et Ewen, personne n’y échappe, même pas moi.
Mais, au fur et à mesure de nos retrouvailles, je transformerai ses mots vulgaires en un florilège de mots désuets mais tellement plus poétiques !
Je pense que nous sommes des forçats du cap Nord. Par tous les temps, il faut pédaler, se confronter aux éléments. Ce matin, j’ai l’impression que nous, cyclo-voyageurs, gagnons rudement notre ressenti émouvant, notre liberté, notre bonheur, notre fascination face aux panoramas.
Mais ma nostalgie matinale est éphémère. Je ne suis pas seule sur la route. Il a repéré mon drapeau français et vient dans ma direction. C’est Jean, parti du cap Nord pour rejoindre Aix-en-Provence. Il a un problème avec l’axe de sa roue arrière. Il veut rejoindre Bodø aujourd’hui et faire réparer sa bicyclette. Il est triathlonien, comme Damien. Il peut donc faire plus de cent kilomètres face au vent, arriver tôt dans l’après-midi et prendre le ferry. Mais ce grand sportif va se priver de la magie du sud des îles Lofoten. Son objectif est d’arriver au-delà.
Je remarque ses vêtements de la marque Gore, propres et en parfait état. Ils se gâtent lorsque l’on ne fait, comme lui, que du camping sauvage. Il me dit être protégé parfaitement de la pluie. Il a de la chance ! Il a présenté son projet à la maison Gore qui l’a équipé de la tête aux pieds. J’ai avec moi deux blousons de vélo de cette marque, je sais que c’est un excellent matériel, mais je n’ai pas pensé à me faire sponsoriser !
Je le préviens de la dangerosité du tunnel après Leknes. À son tour il m’avise que le vent est de 23 m/s sur le grand pont à proximité, cela correspond à 82,8 km/h. Mince alors ! Saperlipopette ! Je risque bientôt de m’envoler !
Peu après, un cycliste, grand, costaud et barbu roule quelques kilomètres à ma hauteur. Il habite à Bodø. Il fait simplement la traversée des îles Lofoten. Il me dit qu’il m’a vue en boîte de nuit dans sa ville. Il ne commente pas mais son regard rieur en dit long… Je souris avec lui en pensant : Franchement ! À mon âge !
Ces interactions me font du bien. Ne pas circuler incognito me permet de sortir de l’ombre de la voyageuse solitaire. Ça correspond aussi à un petit entracte laissant des traces. Ces marques s’additionnent et constituent une somme de bien-être qui se logent en moi. C’est donc capital ! Parfois certains épisodes de la vie d’une cyclotouriste ne sont ni glorieux ni épiques. En effet, l’habillement du cycliste ne me sied nullement ; mes cheveux ont pris la couleur et la texture de la paille ; mon bronzage forme des plaques sur ma peau, il est accentué sur le nez, sur le menton et au bout de mes doigts, il fait suite à des coups de soleil, des brûlures qui m’ont rendue cramoisie durant de longues journées ; mes chutes… parfois accompagnées du rire des autres me rendent honteuse, ça leur permet de résoudre, dans leur cerveau, l’incongruité entre ce qui est prévisible et la perte de contrôle ; mon élocution dans les langues étrangères qui ressemble plus à un charabia qu’à un langage construit et compréhensible ; il y a aussi cette odeur nauséabonde échappée de mes vêtements et de mes chaussures malgré mes lessives quotidiennes le plus souvent à la main, due à mes affaires ne séchant pas correctement.
La citation de Bernard Hinault « Le cyclisme est une leçon d’humilité » prend toute sa signification pour moi.
Le vélo à haute dose m’entraînant au loin, modifie ma réflexion. La pensée en arborescence semble disparaître au profit de la pensée linéaire. Je semble traiter les informations les unes après les autres. Alors que j’ai besoin d’une vision en grand angle me permettant l’intuition et l’improvisation.
Mes émotions sont parfois dominantes et me donnent une énergie temporaire. Mes sentiments teintent de façon plus durable mes pensées. Il m’est donc primordial de rester en lien avec mes sentiments de joie, de bonheur, d’envie, de liberté, de surprise.
Puis je suis seule de nouveau et je distingue le pont au loin. Sa silhouette est voilée par les nuages. Néanmoins il se détache suffisamment pour me montrer sa courbe imposante. Il s’élève dans les airs. Un panneau numérique m’indique 24,8 m/s (89,28 km/h). La force du vent est supérieure à celle annoncée par Jean. Le pont passe d’une île à l’autre en enjambant deux bras de mer. Sa longueur est impressionnante. Je sais que je vais passer un mauvais quart d’heure.
Je m’arme de courage. Je marche sur le trottoir. Je me méfie de ce vent furieux, hurlant. Sa vitesse est maximale lorsque j’arrive en haut du pont. Je mobilise toute ma force pour ne pas être plaquée contre la balustrade. Mes drapeaux suspendus à l’arrière de mon vélo et ma carte accrochée à ma sacoche de guidon, sont violemment secoués en tous sens. J’espère que rien ne va s’envoler. Mes vêtements se gonflent, emplis d’air froid. Je ressemble à une montgolfière. Ma prise au vent est maximale.
Je passe à côté d’un travailleur du chantier installé au sommet du pont, il me regarde, il lève son pouce, le geste que l’on fait si souvent à mon passage. Ça me paraît très dangereux de travailler dans de telles conditions : vent, pluie… il ne manque que la neige ! Je révise mon jugement. Si je dois parler de forçats, alors ce sont ces hommes, les travailleurs, qui au péril de leur vie, protègent la nôtre en construisant, réparant, maintenant en état, ici en l’occurrence un ouvrage d’art exposé aux intempéries du Grand Nord.
Dès ces bras de mer franchis, le vent s’apaise en grande partie. Ensuite j’effleure l’île de Gimsøya pour rejoindre celle d’Austvågøya. J’aime la sonorité chantante de ces mots. Je reconnais la petite plage de sable blanc de Rørvika dont Rafael a posté une photo hier sur notre blog commun : « Banana NorthCape ».
Le temps ne s’y prête vraiment pas du tout, mais j’aimerais me baigner dans cette eau où le vert se décline de multiples nuances allant des verts francs, aux verts émeraude, en passant par les verts azur et les verts turquoise. Mon maillot de bain n’est plus au fond de ma sacoche, je ne l’ai même plus, je l’ai renvoyé par la Poste. Ici, pas question de renouveler mes péripéties danoises. La plage est visible de la route, quelques personnes se promènent à proximité et il fait froid. Tant pis ! Ce sera peut-être pour une autre fois…
Je choisis de faire un détour pour me rendre dans un endroit étonnant, le village d’Henningsvær, petit port de cinq-cents âmes, très touristique, souvent renommé « la petite Venise du Nord ». Je passe au pied d’une falaise surplombant la mer pour arriver sur une presqu’île de plusieurs îlots reliés par des ponts.
Je me souviens… Il y a fort longtemps, j’ai vu un documentaire sur les stades les plus dingues au monde. Dans une favela ; au milieu des gratte-ciel ; sur le sommet d’une montagne ; flottant dans la baie de Phang Nga et, pas si loin de Besançon, dans les Alpes suisses le terrain culmine à deux-mille mètres d’altitude… Je n’ai pas imaginé à l’époque qu’un jour je verrais l’un d’eux. Quelle bonne fortune j’ai !
Le stade est au bout du village, au centre d’un petit îlot, entouré par un paysage de mer et de fjords. Il est recouvert d’une pelouse artificielle et entouré par un petit chemin asphalté. Je peux imaginer les importants travaux pour mettre à niveau le lit de roche. Il est bordé de rochers sur lesquels reposent des séchoirs à morue.
Une recherche sur mon téléphone lui rend toute sa magie. En effet, vu du ciel, il semble surnager. Il est d’une magnifique couleur émeraude et dispose d'illuminations artificielles pour les jeux lors de la nuit polaire.
Seul le club amateur du village l’utilise. En ce moment, trois enfants jouent au foot et lorsqu’ils voient mon drapeau, l’un d’eux me crie « Bonjour ! » en français.
Pour bien m’imprégner de l’atmosphère du lieu, je décide de faire le tour en pédalant sur la pelouse artificielle du stade. Quelle belle expérience ! Je n’échangerais pas ma place pour tout l’or du monde ! même si parfois je dois donner l’impression d’être une femme farfelue pendant mes voyages.
Le petit port compte des cafés, des restaurants, des hôtels et un musée d’art moderne. Il y a du monde au village, mais presque personne ne semble connaître le stade qui a pourtant été répertorié comme l’un des plus surprenants au monde, voire le plus insolite et exceptionnel. Nous sommes seulement deux visiteurs. L’autre est un immense colosse, motard, danois. Je lui demande de me photographier. Plus tard dans la journée, lorsqu’il me doublera sur un pont il me criera « Vive la France ! »
En fin de journée, je suis obligée de planter ma tente sur le sol gorgé d’eau du camping d’Ørsvåg qui ne possède pas de chalets. La gérante m’annonce que demain, le soleil resplendira.