L'improbable voyage à vélo de Besançon au cap Nord en 2022.
À Caroline ma fille et à Gaël mon petit-fils,
De Besançon au cap Nord… Chiche !
Besançon – le cap Nord…
Partir en solitaire, un défi pour un si long voyage à vélo !
Il faut donc relever la bravade par un premier coup de pédale. Mes premiers voyages de cinq-cents kilomètres, qu’aujourd’hui je considère comme de courtes distances, m’ont fait découvrir ce qui m’apportait de l’étonnement, de multiples surprises et surtout, ce qui me procurait un véritable sentiment de liberté. Au fur et à mesure, j’ai allongé ces dernières années mes périples avec parfois une impression de frustration. À mon retour, ce n’était jamais assez…
Celui-ci sera le plus long, le plus ambitieux que j’aurai entrepris !
Toutes mes pérégrinations à vélo ont été l’occasion de faire des rencontres magiques, de découvrir des paysages magnifiques, de vivre des surprises émouvantes. Quand je pédale, j’éprouve un grand sentiment de liberté. Je deviens philosophe, poète, artiste.
Je partage mes réflexions et mes sentiments, mes efforts aussi, avec les cyclotouristes qui m’accompagnent quelquefois sur des dizaines de kilomètres. Certains me disent que croiser une dame de mon âge, j’ai soixante-huit ans, seule, à vélo, partant si loin, les aide et les motive. Moi aussi je suis très enthousiaste et je continue, le nez au vent et les sourires dans mon baluchon.
Mais le plus amusant et flatteur aussi, je l’avoue, c’est de lire dans le regard de certains l’étonnement, l’admiration et le respect. Parfois même, on me perçoit comme une personne « perchée à l’âme romantique ». Mais tous font preuve d’humanité. Ils sont accueillants, aimables, généreux et surtout émerveillés !
Certaines amies m’ont attribué le terme de « jeunior ». D’autres sont subjuguées. Rares sont celles qui me regardent d’un air circonspect voire dubitatif. Ma fille Caroline, qui sait que je ne suis pas une personne éthérée et que je n’outrepasserai pas mes capacités physiques, me fait confiance et c’est important. De cette façon, je pars tranquille pour ce long voyage, l’esprit léger.
Quant à Gaël, mon petit-fils, adepte de cyclotourisme depuis nos échappées complices, il sera penché sur les cartes, à tracer mon parcours et à dessiner des campings et des restaurants.
Mais je sais qu’au fond de lui, il aimerait partir avec moi pour pouvoir cueillir les cadeaux comme autant de fleurs magiques parce qu’il est sûr que je vais rencontrer le père Noël au cap Nord !
Enfin, pour mon retour, fin août 2022, lorsque je prendrai l’avion à Alta en Norvège, mes sacoches, mon cœur, ma tête, mes jambes aussi, seront sans doute pleins de souvenirs, de rencontres, de paysages, de saines fatigues qui me rendront heureuse et fière d’avoir fait ce que j’aurai fait en trois mois.
Quand : 15/05/2022
Durée : 94 jours
Durée : 94 jours
Distance globale :
5638km
Dénivelées :
+26238m /
-26332m
Alti min/max : -1m/488m
Carnet publié par Jacqueline25
le 09 mai 2022
modifié le 14 avr. 2023
modifié le 14 avr. 2023
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Vue d'ensemble
Le topo : Section 18. Du 1ier août au 7 août.. (mise à jour : 05 janv.)
Distance section :
417km
Description :
Stave / Bleik / Bleik / Andenes / Grillefjord / Skaland / Stønnesbotn / Botnhamn / Hillesøy / Eidkjosen / Tromsø
Bleik - Andenes - ? - Tromso
Bleik - Andenes - ? - Tromso
Le compte-rendu : Section 18. Du 1ier août au 7 août.. (mise à jour : 05 janv.)
Lundi 1 août – 79e jour
Stave / Bleik – 12 km
Un poisson ? Pourquoi faire ?
Après une bonne nuit, je quitte ce charmant endroit. Je parcours seulement douze kilomètres. À l’entrée d’un village, un joli parc attend les enfants en ce début de matinée. Deux dames, bras croisés, discutent sur le bas-côté de la route. Quelques tours de roue plus loin, six retraités boivent un café et mangent les légendaires gaufres en forme de cœur sur la terrasse ensoleillée d’un Joker.
Une atmosphère harmonieuse et très plaisante se dégage de ce village.
Je m’arrête. Je m’installe sur la terrasse. En cas de pluie, une deuxième terrasse, à l’avant, est couverte. Ce Jokerest spécifique, accueillant. Il n’est pas très grand et il a une particularité, puisqu’il faut entrer dans une chambre froide, ou plutôt glacée, pour se servir en produits laitiers, œufs et charcuterie. Pour parachever le tout, la supérette s’ouvre sur une cafétéria, avec gâteaux, vraies glaces, tables… Des thermos sont à la disposition des clients. Et pour la modique somme de trois euros, le café est à discrétion.
Le village est avenant, chaleureux, vivant. Il se nomme Bleik et compte quatre-cent-cinquante habitants.
Les enfants jouent dehors, font du vélo. Ils descendent la rue en pente devant le Joker, et remontent pour recommencer inlassablement.
Je me souviens… C’était dans les années soixante à Damprichard. Oh là là ! Comme c’est loin ! Nous, les enfants du village, descendions la rue très pentue devant l’usine Marguet, en luges de bois, les patins ferraillés. Il fallait s’arrêter à temps, avant d’enfoncer les portes et atterrir dans les magnifiques et immenses cuves en cuivre de la coopérative fromagère. À cette époque-là, en Franche-Comté, il y avait encore des hivers avec de bonnes hauteurs de neige couvrant et cachant les piquets entourant les pâtures. Déneiger devant les maisons demandait une force physique. Les souffleuses à neige n’existaient pas en ce temps-là.
Après deux heures d’observation de la vie captivante qui m’entoure, je quitte la terrasse. Je me promène dans le village et j’admire l’habitat constitué de jolies maisons en bois. Je vagabonde. J’apprécie d’être ici. Depuis le petit port, je vois se dresser les falaises de Bleik, échancrées de calanques et de plages sauvages de sable blanc. Un camping-car s’arrête à ma hauteur alors que je me dirigeais vers un petit chemin gravillonné menant aux plages. La famille est française. Nous avons plaisir à discuter. Ils appellent leurs trois filles installées à l’arrière du véhicule pour qu’elles participent à la discussion. Peut-être souhaitent-ils leur faire prendre conscience qu’une femme, seule et à vélo peut partir loin.
Je lis dans leur regard l’admiration et le respect. Ils me conseillent de poursuivre le chemin. Plus loin l’endroit est idyllique.
En effet, c’est paradisiaque ! Je ne peux pas passer outre. Je décide de m’imprégner du lieu. J’installe ma tente face à un haut îlot. C’est presque le même paysage que j’apercevais depuis la fenêtre de ma maison à Mayotte, donnant sur l’îlot de Sada. Sada, la deuxième ville de l’île, bordée par l’océan Indien. Sada l’antipode de Bleik !
Je décide de me baigner dans une eau à dix degrés et non à vingt-cinq ou trente degrés comme dans l’autre hémisphère. Je ne m’éloigne pas trop du rivage. C’est lorsque je commence à avoir vraiment froid aux bras (étonnant !) que je sors. Un ami m’a dit qu’il ne faut pas se baigner plus de dix minutes dans une eau à dix degrés, cinq minutes dans une eau à cinq degrés. Je ne pense pas avoir atteint dix minutes de baignade.
Voilà, c’est fait ! Je me suis baignée dans la mer de Norvège.
Je téléphone aux garçons. Ils sont à cent-cinquante kilomètres sur une autre île, ils randonnent après avoir vogué en drakkar. Je leur vante l’endroit admirable dans lequel je me trouve. Demain, ils pensent trouver un pêcheur qui pourra les faire traverser en bateau pour me rejoindre, ils éviteraient ainsi une grande boucle et de nombreux kilomètres. À côté de ma tente un système de feu au sol entouré de pierres et un sac de buches attendent le poisson. Sont-ce les gens du village qui alimentent le lieu en bois ? J’imagine les bonnes grillades de poisson !
Pour cela je dois pêcher. Je pars et je trouve un endroit qui me semble adapté, mais je déchante vite. Mon hameçon se coince dans les algues. Ma canne s’arc-boute, mais l’hameçon ne revient pas. Je tire, je secoue… Décidément ! Je cherche mon couteau pour couper le fil, plus de couteau… J’essaie de couper le fil avec mes dents… impossible. J’ai appris que face à une impasse il faut s’arrêter, respirer, réfléchir, prendre son temps. Quelques instants après je mouline et l’hameçon jaillit hors de l’eau. Je me rends compte que ce sport est plus compliqué que le vélo. J’arrête ! Si, en plus, par inadvertance, je pêche un poisson, comment vais-je l’attraper ?
J’ai posé la question à mes amies, aucune d’entre elles ne s’est adonnée à cette activité. Toutes pensent qu’il faut taper le poisson au sol et Emiel me disait qu’il fallait lui donner un coup de couteau au milieu du front. Je n’ai qu’un opinel à bout rond que je ne retrouve plus ! Je pense que je ne suis pas au bout de mes peines et je crains de ne pas pouvoir saisir un poisson. Ma crainte des animaux, va jusqu’à mon aversion à les toucher. Cependant, je vais persévérer. C’est un nouveau défi pour les jours à venir.
Ce soir, j’ai des nouvelles. Jean-Marc a gravi les 1664 marches du Reinebringen et va à une fête Viking ; l’aimable famille m’a envoyé une photo, elle est arrivée au cap Nord (en voiture) sous un magnifique ciel bleu ; Rafael et Juan Carlos avancent rapidement, la roue arrière du vélo de Rafael a été changée à Tromsø. Ils ont été stupéfaits par deux rennes qui se sont mis en travers de leur route ; Stéphane est toujours derrière moi, il n’arrive pas à partir tôt le matin, il ne fait donc que de petites étapes ; les garçons n’ont pas trouvé de bateau pour demain, ils doivent faire cent-cinquante kilomètres pour me rejoindre ; les Frenchies en Norvège (blog commun avec Marine et Damien, Marion et Gauthier, Sarah et Joris, Stéphane, Ando) sont presque tous devant, ils allient, pour certains, randonnée et vélo, ils s’inquiètent parfois et me demandent de leur indiquer si tout va bien, si ma progression est bonne.
Quant à moi je ne passerai pas devant certains de mes compagnons de route, car j’ai décidé de prendre des vacances à Bleik.
Stave / Bleik – 12 km
Un poisson ? Pourquoi faire ?
Après une bonne nuit, je quitte ce charmant endroit. Je parcours seulement douze kilomètres. À l’entrée d’un village, un joli parc attend les enfants en ce début de matinée. Deux dames, bras croisés, discutent sur le bas-côté de la route. Quelques tours de roue plus loin, six retraités boivent un café et mangent les légendaires gaufres en forme de cœur sur la terrasse ensoleillée d’un Joker.
Une atmosphère harmonieuse et très plaisante se dégage de ce village.
Je m’arrête. Je m’installe sur la terrasse. En cas de pluie, une deuxième terrasse, à l’avant, est couverte. Ce Jokerest spécifique, accueillant. Il n’est pas très grand et il a une particularité, puisqu’il faut entrer dans une chambre froide, ou plutôt glacée, pour se servir en produits laitiers, œufs et charcuterie. Pour parachever le tout, la supérette s’ouvre sur une cafétéria, avec gâteaux, vraies glaces, tables… Des thermos sont à la disposition des clients. Et pour la modique somme de trois euros, le café est à discrétion.
Le village est avenant, chaleureux, vivant. Il se nomme Bleik et compte quatre-cent-cinquante habitants.
Les enfants jouent dehors, font du vélo. Ils descendent la rue en pente devant le Joker, et remontent pour recommencer inlassablement.
Je me souviens… C’était dans les années soixante à Damprichard. Oh là là ! Comme c’est loin ! Nous, les enfants du village, descendions la rue très pentue devant l’usine Marguet, en luges de bois, les patins ferraillés. Il fallait s’arrêter à temps, avant d’enfoncer les portes et atterrir dans les magnifiques et immenses cuves en cuivre de la coopérative fromagère. À cette époque-là, en Franche-Comté, il y avait encore des hivers avec de bonnes hauteurs de neige couvrant et cachant les piquets entourant les pâtures. Déneiger devant les maisons demandait une force physique. Les souffleuses à neige n’existaient pas en ce temps-là.
Après deux heures d’observation de la vie captivante qui m’entoure, je quitte la terrasse. Je me promène dans le village et j’admire l’habitat constitué de jolies maisons en bois. Je vagabonde. J’apprécie d’être ici. Depuis le petit port, je vois se dresser les falaises de Bleik, échancrées de calanques et de plages sauvages de sable blanc. Un camping-car s’arrête à ma hauteur alors que je me dirigeais vers un petit chemin gravillonné menant aux plages. La famille est française. Nous avons plaisir à discuter. Ils appellent leurs trois filles installées à l’arrière du véhicule pour qu’elles participent à la discussion. Peut-être souhaitent-ils leur faire prendre conscience qu’une femme, seule et à vélo peut partir loin.
Je lis dans leur regard l’admiration et le respect. Ils me conseillent de poursuivre le chemin. Plus loin l’endroit est idyllique.
En effet, c’est paradisiaque ! Je ne peux pas passer outre. Je décide de m’imprégner du lieu. J’installe ma tente face à un haut îlot. C’est presque le même paysage que j’apercevais depuis la fenêtre de ma maison à Mayotte, donnant sur l’îlot de Sada. Sada, la deuxième ville de l’île, bordée par l’océan Indien. Sada l’antipode de Bleik !
Je décide de me baigner dans une eau à dix degrés et non à vingt-cinq ou trente degrés comme dans l’autre hémisphère. Je ne m’éloigne pas trop du rivage. C’est lorsque je commence à avoir vraiment froid aux bras (étonnant !) que je sors. Un ami m’a dit qu’il ne faut pas se baigner plus de dix minutes dans une eau à dix degrés, cinq minutes dans une eau à cinq degrés. Je ne pense pas avoir atteint dix minutes de baignade.
Voilà, c’est fait ! Je me suis baignée dans la mer de Norvège.
Je téléphone aux garçons. Ils sont à cent-cinquante kilomètres sur une autre île, ils randonnent après avoir vogué en drakkar. Je leur vante l’endroit admirable dans lequel je me trouve. Demain, ils pensent trouver un pêcheur qui pourra les faire traverser en bateau pour me rejoindre, ils éviteraient ainsi une grande boucle et de nombreux kilomètres. À côté de ma tente un système de feu au sol entouré de pierres et un sac de buches attendent le poisson. Sont-ce les gens du village qui alimentent le lieu en bois ? J’imagine les bonnes grillades de poisson !
Pour cela je dois pêcher. Je pars et je trouve un endroit qui me semble adapté, mais je déchante vite. Mon hameçon se coince dans les algues. Ma canne s’arc-boute, mais l’hameçon ne revient pas. Je tire, je secoue… Décidément ! Je cherche mon couteau pour couper le fil, plus de couteau… J’essaie de couper le fil avec mes dents… impossible. J’ai appris que face à une impasse il faut s’arrêter, respirer, réfléchir, prendre son temps. Quelques instants après je mouline et l’hameçon jaillit hors de l’eau. Je me rends compte que ce sport est plus compliqué que le vélo. J’arrête ! Si, en plus, par inadvertance, je pêche un poisson, comment vais-je l’attraper ?
J’ai posé la question à mes amies, aucune d’entre elles ne s’est adonnée à cette activité. Toutes pensent qu’il faut taper le poisson au sol et Emiel me disait qu’il fallait lui donner un coup de couteau au milieu du front. Je n’ai qu’un opinel à bout rond que je ne retrouve plus ! Je pense que je ne suis pas au bout de mes peines et je crains de ne pas pouvoir saisir un poisson. Ma crainte des animaux, va jusqu’à mon aversion à les toucher. Cependant, je vais persévérer. C’est un nouveau défi pour les jours à venir.
Ce soir, j’ai des nouvelles. Jean-Marc a gravi les 1664 marches du Reinebringen et va à une fête Viking ; l’aimable famille m’a envoyé une photo, elle est arrivée au cap Nord (en voiture) sous un magnifique ciel bleu ; Rafael et Juan Carlos avancent rapidement, la roue arrière du vélo de Rafael a été changée à Tromsø. Ils ont été stupéfaits par deux rennes qui se sont mis en travers de leur route ; Stéphane est toujours derrière moi, il n’arrive pas à partir tôt le matin, il ne fait donc que de petites étapes ; les garçons n’ont pas trouvé de bateau pour demain, ils doivent faire cent-cinquante kilomètres pour me rejoindre ; les Frenchies en Norvège (blog commun avec Marine et Damien, Marion et Gauthier, Sarah et Joris, Stéphane, Ando) sont presque tous devant, ils allient, pour certains, randonnée et vélo, ils s’inquiètent parfois et me demandent de leur indiquer si tout va bien, si ma progression est bonne.
Quant à moi je ne passerai pas devant certains de mes compagnons de route, car j’ai décidé de prendre des vacances à Bleik.
Mardi 2 août – 80e jour
Bleik / Andenes – 12 km
Parlez-vous et buvez un bon café
Ce matin je jurerais bien comme Emiel le fait. Le ciel est délavé de pluie et il inonde tout à nouveau. Mes vacances n’ont duré que peu de temps. Je voulais de nouveau me baigner, retourner au Joker du village, pêcher depuis le port où il n’y a pas d’algue, me promener dans le village, ressentir la vie des gens dynamiques de Bleik, observer les détails des maisons… J’aime les maisons !
Fichu ! C’est fichu ! Il est très fastidieux de tout ranger lorsqu’il tombe des cordes. Qu’est-ce qu’il disait mon père ? que la vie c’était d’apprendre à danser sous la pluie ! C’est facile de dire ça quand on n’a jamais, ni campé ni fait de vélo.
Quand je démonte ma tente, je réussis à mouiller considérablement mes chaussures avec les multiples, les innombrables perles d’eau déposées sur la toile qui dégoulinent à mon insu.
En un tour de main, je suis prête à partir sous la pluie pour Andenes. J’ai oublié que le temps peut changer brusquement, qu’il peut refaire beau dans la journée ou le lendemain et que j’ai le temps. Et puis la pluie à Bleik ou à Andenes n’est-elle pas la même ? Je vis au gré des événements immédiats et mes facultés d’anticipation semblent amoindries.
J’ai vu tardivement hier soir une photo de Sarah et de Joris, postée sur le blog des Frenchies. On y voit l’îlot au second plan. Ils sont ici, un peu plus loin en fonction de l’angle de leur prise de vue. J’avise une tente plantée dans l’herbe accompagnée de deux bicyclettes.
Je marche une cinquantaine de mètres dans l’herbe haute sur un sol gorgé d’eau… mes pauvres chaussures ! Elles absorbent tout ce qui était encore possible. Mais il y a pire ! Joris a laissé les siennes dehors et elles sont en partie remplies d’eau. Ils sont surpris de mon apparition matutinale. Nous sommes contents de nous retrouver, nous n’avions pas eu le temps de vraiment échanger lors de notre précédente rencontre. Ils ont pris un congé sabbatique pour voyager. Lorsque je leur dis que je me suis baignée la veille, je crois lire dans l’expression de Sarah un peu de perplexité. Pour elle, l’eau est vraiment trop froide.
Je les laisse et je roule deux-cents mètres pour atteindre le Joker. Je suis la première cliente de la cafétéria. Je suis déjà trempée, rincée. Les vieux briscards du cyclotourisme portent des sandales-vélos. Je pense que c’est une excellente solution, effectivement les pieds ne sont jamais enfermés dans l’humidité, mais j’ai craint d’avoir froid aux pieds dans le Grand Nord.
Les retraités d’hier arrivent. Ils sont mieux installés à l’intérieur sur les banquettes et les chaises. Hier, certains ont rencontré des difficultés à s’extirper des bancs attachés aux tables en bois. L’un d’eux mange un Miko. En Norvège on mange des glaces à partir de neuf heures du matin. Moi aussi. Leurs prénoms sont écrits sur les tasses. On se croirait à la maternelle. C’est assez hilarant. Je découvre, accroché au mur, un panneau sur lequel devraient être suspendues quarante-neuf tasses prénommées. Quelques-unes sont manquantes. Au fur et à mesure du temps elles disparaissent en même temps que leurs propriétaires âgés.
Une bonne partie des gens du village paraissent à la cafétéria de la supérette. Il règne une ambiance chaleureuse au sein de ce lieu. Un coin avec quelques jeux de construction a été prévu pour les jeunes enfants encore en pyjama. Ainsi, les parents peuvent s’attabler tranquillement devant un café tout en discutant entre eux.
Sur un grand tableau noir est écrit à la craie blanche et d’une belle écriture manuscrite, le message suivant : « Désolé ! Nous n'avons pas de Wi-Fi. Parlez-vous et buvez un bon café ». J’aime cette phrase !
Sur un panneau dans le village, j’ai pu lire : « Bienvenue à Bleik. Ne tuez que le temps. Ne prenez que des photos. Ne retirez que les déchets. Ne laissez que des empreintes ».
Je peux dire que les habitants de Bleik sont fantastiques, étonnants, surprenants, plein d’humour… Je peux repartir maintenant, j’ai pris mon temps, je me suis baignée, j’ai vu de bonnes personnes, j’ai respecté les directives et j’ai bu du bon café.
En sortant de la supérette, je croise un Italien, il est barbu comme presque tous les cyclo-voyageurs. Il est parti de Milan jusqu’au cap Nord et il continue sa route jusqu’à Saint-Jacques-de-Compostelle.
J’ai prévenu les garçons que j’allais à Andenes, à quelques kilomètres. Le petit port est situé tout au bout de l’île d’Andøya, dernier village de l’archipel des Vesterålen, connu pour ses safaris-baleines.
Dès mon arrivée à Andenes, je loue un chalet au fond du jardin de particuliers. Cinq personnes peuvent l’occuper pour la somme de cinq-cents couronnes (cinquante euros).
Les garçons arrivent demain. Ils m’ont demandé d’aller me renseigner au sujet des safaris-baleines. Des réductions sont accordées aux étudiants et aux seniors. On aura tous droit à la réduction. Je dois donner nos noms, mais je n’ai plus en tête le patronyme des garçons. Il est plus simple de dire qu’ils sont mes petits-fils, et la jeune fille à l’accueil ne me demande que leur prénom et leur âge. Je dis vingt, vingt-et-un et vingt-deux ans. Heureusement qu’ils n’étaient pas là. Ils ont trop de barbe pour avoir cet âge-là. En réalité, ils ont vingt-cinq, vingt-cinq et vingt-huit ans. Mais on ne met pas en doute la parole d’une grand-mère qui est partie à vélo de Besançon et qui va bientôt arriver au cap Nord, mais ça elle ne le sait pas !
Ce n’est pas tout pour la journée. Dans une pizzeria je croise trois jeunes français, Jérémy, Bastien et Thibault qui m’accueillent en me demandant « Vous êtes Jacqueline ? » Là encore c’est Gauthier qui a parlé de moi. Jérémy habite à Morteau où l’on fabrique La Mortuacienne, à soixante kilomètres de Besançon. Ils ne font que du camping sauvage. Pour éviter d’avoir les chaussures mouillées, Jérémy pédale en tongs. Oui ! en tongs et ils pédalent cent-cinquante kilomètre par jour. Ils reviennent du cap Nord et vont au cap Tigani en Grèce. Ils ont arrêté leur travail pour faire ce voyage. Je leur donne l’information au sujet de la nourriture gratuite prise dans les conteneurs des supermarchés.
Mercredi nous partirons faire le safari et je vais reprendre la route jeudi. Tout va bien !
Mes chaussures et mes vêtements sèchent dans le petit chalet confortable au fond du jardin.
Et le ciel est redevenu bleu.
Bleik / Andenes – 12 km
Parlez-vous et buvez un bon café
Ce matin je jurerais bien comme Emiel le fait. Le ciel est délavé de pluie et il inonde tout à nouveau. Mes vacances n’ont duré que peu de temps. Je voulais de nouveau me baigner, retourner au Joker du village, pêcher depuis le port où il n’y a pas d’algue, me promener dans le village, ressentir la vie des gens dynamiques de Bleik, observer les détails des maisons… J’aime les maisons !
Fichu ! C’est fichu ! Il est très fastidieux de tout ranger lorsqu’il tombe des cordes. Qu’est-ce qu’il disait mon père ? que la vie c’était d’apprendre à danser sous la pluie ! C’est facile de dire ça quand on n’a jamais, ni campé ni fait de vélo.
Quand je démonte ma tente, je réussis à mouiller considérablement mes chaussures avec les multiples, les innombrables perles d’eau déposées sur la toile qui dégoulinent à mon insu.
En un tour de main, je suis prête à partir sous la pluie pour Andenes. J’ai oublié que le temps peut changer brusquement, qu’il peut refaire beau dans la journée ou le lendemain et que j’ai le temps. Et puis la pluie à Bleik ou à Andenes n’est-elle pas la même ? Je vis au gré des événements immédiats et mes facultés d’anticipation semblent amoindries.
J’ai vu tardivement hier soir une photo de Sarah et de Joris, postée sur le blog des Frenchies. On y voit l’îlot au second plan. Ils sont ici, un peu plus loin en fonction de l’angle de leur prise de vue. J’avise une tente plantée dans l’herbe accompagnée de deux bicyclettes.
Je marche une cinquantaine de mètres dans l’herbe haute sur un sol gorgé d’eau… mes pauvres chaussures ! Elles absorbent tout ce qui était encore possible. Mais il y a pire ! Joris a laissé les siennes dehors et elles sont en partie remplies d’eau. Ils sont surpris de mon apparition matutinale. Nous sommes contents de nous retrouver, nous n’avions pas eu le temps de vraiment échanger lors de notre précédente rencontre. Ils ont pris un congé sabbatique pour voyager. Lorsque je leur dis que je me suis baignée la veille, je crois lire dans l’expression de Sarah un peu de perplexité. Pour elle, l’eau est vraiment trop froide.
Je les laisse et je roule deux-cents mètres pour atteindre le Joker. Je suis la première cliente de la cafétéria. Je suis déjà trempée, rincée. Les vieux briscards du cyclotourisme portent des sandales-vélos. Je pense que c’est une excellente solution, effectivement les pieds ne sont jamais enfermés dans l’humidité, mais j’ai craint d’avoir froid aux pieds dans le Grand Nord.
Les retraités d’hier arrivent. Ils sont mieux installés à l’intérieur sur les banquettes et les chaises. Hier, certains ont rencontré des difficultés à s’extirper des bancs attachés aux tables en bois. L’un d’eux mange un Miko. En Norvège on mange des glaces à partir de neuf heures du matin. Moi aussi. Leurs prénoms sont écrits sur les tasses. On se croirait à la maternelle. C’est assez hilarant. Je découvre, accroché au mur, un panneau sur lequel devraient être suspendues quarante-neuf tasses prénommées. Quelques-unes sont manquantes. Au fur et à mesure du temps elles disparaissent en même temps que leurs propriétaires âgés.
Une bonne partie des gens du village paraissent à la cafétéria de la supérette. Il règne une ambiance chaleureuse au sein de ce lieu. Un coin avec quelques jeux de construction a été prévu pour les jeunes enfants encore en pyjama. Ainsi, les parents peuvent s’attabler tranquillement devant un café tout en discutant entre eux.
Sur un grand tableau noir est écrit à la craie blanche et d’une belle écriture manuscrite, le message suivant : « Désolé ! Nous n'avons pas de Wi-Fi. Parlez-vous et buvez un bon café ». J’aime cette phrase !
Sur un panneau dans le village, j’ai pu lire : « Bienvenue à Bleik. Ne tuez que le temps. Ne prenez que des photos. Ne retirez que les déchets. Ne laissez que des empreintes ».
Je peux dire que les habitants de Bleik sont fantastiques, étonnants, surprenants, plein d’humour… Je peux repartir maintenant, j’ai pris mon temps, je me suis baignée, j’ai vu de bonnes personnes, j’ai respecté les directives et j’ai bu du bon café.
En sortant de la supérette, je croise un Italien, il est barbu comme presque tous les cyclo-voyageurs. Il est parti de Milan jusqu’au cap Nord et il continue sa route jusqu’à Saint-Jacques-de-Compostelle.
J’ai prévenu les garçons que j’allais à Andenes, à quelques kilomètres. Le petit port est situé tout au bout de l’île d’Andøya, dernier village de l’archipel des Vesterålen, connu pour ses safaris-baleines.
Dès mon arrivée à Andenes, je loue un chalet au fond du jardin de particuliers. Cinq personnes peuvent l’occuper pour la somme de cinq-cents couronnes (cinquante euros).
Les garçons arrivent demain. Ils m’ont demandé d’aller me renseigner au sujet des safaris-baleines. Des réductions sont accordées aux étudiants et aux seniors. On aura tous droit à la réduction. Je dois donner nos noms, mais je n’ai plus en tête le patronyme des garçons. Il est plus simple de dire qu’ils sont mes petits-fils, et la jeune fille à l’accueil ne me demande que leur prénom et leur âge. Je dis vingt, vingt-et-un et vingt-deux ans. Heureusement qu’ils n’étaient pas là. Ils ont trop de barbe pour avoir cet âge-là. En réalité, ils ont vingt-cinq, vingt-cinq et vingt-huit ans. Mais on ne met pas en doute la parole d’une grand-mère qui est partie à vélo de Besançon et qui va bientôt arriver au cap Nord, mais ça elle ne le sait pas !
Ce n’est pas tout pour la journée. Dans une pizzeria je croise trois jeunes français, Jérémy, Bastien et Thibault qui m’accueillent en me demandant « Vous êtes Jacqueline ? » Là encore c’est Gauthier qui a parlé de moi. Jérémy habite à Morteau où l’on fabrique La Mortuacienne, à soixante kilomètres de Besançon. Ils ne font que du camping sauvage. Pour éviter d’avoir les chaussures mouillées, Jérémy pédale en tongs. Oui ! en tongs et ils pédalent cent-cinquante kilomètre par jour. Ils reviennent du cap Nord et vont au cap Tigani en Grèce. Ils ont arrêté leur travail pour faire ce voyage. Je leur donne l’information au sujet de la nourriture gratuite prise dans les conteneurs des supermarchés.
Mercredi nous partirons faire le safari et je vais reprendre la route jeudi. Tout va bien !
Mes chaussures et mes vêtements sèchent dans le petit chalet confortable au fond du jardin.
Et le ciel est redevenu bleu.
Mercredi 3 août – 81e jour
Andenes – 28 km
Nyksund, village fantôme
Le phare d’Andenes est une grande tour de quarante mètres, cylindrique, effilée, en fonte et entièrement rouge. Ce matin, le gardien du phare me talonne durant l’ascension des cent-quarante-six marches. Au sommet, la vue à trois-cent-soixante degrés est époustouflante, donnant sur Andenes et ses maisons en bois coloré et sur l’horizon de l’océan Atlantique nord qui paraît se perdre à l’infini.
Mais ce n’est pas la vue qu’il veut me montrer, mais la plaque du fabricant français du mécanisme rotatif.
Puis il me dit qu’une Française, ici, n’est pas un fait coutumier.
Enfin, il me fait remarquer que j’ai une semaine d’avance. En effet, m’explique-t-il, le phare reste éteint en raison du soleil de minuit.
Les garçons arrivent en milieu d’après-midi. En fin de journée, il est temps pour moi de reprendre une leçon de pêche, au bout de la longue digue du port d’Andenes. Pendant que mes compagnons pêchent tranquillement, le nœud de mon hameçon se détache et le crochet disparaît au fond de la mer. Je casse ensuite le fil en lançant vigoureusement ma canne… Voilà, plus d’hameçon. C’est désespérant !
Youn vient à mon aide, et c’est à ce moment-là que nous entendons Emiel : il crie, il jure… Une toute petite martre file, encombrée d’un de ses poissons plus gros qu’elle. Ne doutant de rien, elle revient après avoir mis en sécurité son butin dans les rochers. Elle ne sait pas à qui elle a à faire. Non mais !
Pour terminer, les garçons pêchent trois maquereaux et moi … rien de rien !
Puis ce sont les midges qui nous attaquent pendant notre apéritif sur la terrasse de notre chalet. Nous nous transformons en vrais apiculteurs coiffés de nos chapeaux moustiquaires. Quelle allure ! C’est efficace, mais boire et manger avec n’est pas très pratique.
Hier, les garçons ont atteint le village fantôme de Nyksund par des pistes de terre et des digues. Ils ont découvert cet ancien port de pêche abandonné au début des années soixante-dix.
Ils me racontent cette histoire.
À cette époque, le gouvernement a décidé de déplacer les habitants. En échange d’une prime, il leur était interdit de revenir à Nyksund pendant trente ans. Et la municipalité décide d’éteindre ses lumières. C’est ainsi que l’une des principales communautés de pêcheurs de Norvège a fait ses valises et a déménagé non loin, à Myre, port moderne et animé.
La tempête de 1975, qui ravagea le hangar à poisson, découragea les derniers réfractaires. Seul le forgeron y demeura… jusqu’à sa mort. On peut imaginer son isolement. On peut aussi gamberger sur l’amertume des déplacés.
Abandonné aux vents et aux tempêtes, Nyksund doit sa renaissance à un jeune Allemand qui y débarqua par hasard dans les années deux-mille. Il initia de nombreux chantiers de restauration soutenus par l’Union européenne qui a largement contribué à redonner vie au lieu.
Le village était dans les années soixante, le deuxième endroit du nord de la Norvège à disposer d’un éclairage public électrique. Mais c’était alors.
Les nouveaux habitants d’aujourd’hui aiment être dans le noir absolu, et ont délibérément choisi de ne pas rallumer cet éclairage public. Il fait donc nuit noire au hameau pendant la longue période hivernale. La seule atmosphère lumineuse est créée par les lampes suspendues, véritables luminions scintillants, toujours allumées à chaque fenêtre. Les conditions sont parfaites pour voir les aurores boréales.
Le village fantôme ne l’est plus tout à fait maintenant avec ses vingt habitants.
J’aime l’histoire de Nyksund ! Je regrette de ne pas avoir fait un détour jusque là-bas et de n’avoir pu me plonger dans le mystère de ce tout petit village.
Andenes – 28 km
Nyksund, village fantôme
Le phare d’Andenes est une grande tour de quarante mètres, cylindrique, effilée, en fonte et entièrement rouge. Ce matin, le gardien du phare me talonne durant l’ascension des cent-quarante-six marches. Au sommet, la vue à trois-cent-soixante degrés est époustouflante, donnant sur Andenes et ses maisons en bois coloré et sur l’horizon de l’océan Atlantique nord qui paraît se perdre à l’infini.
Mais ce n’est pas la vue qu’il veut me montrer, mais la plaque du fabricant français du mécanisme rotatif.
Puis il me dit qu’une Française, ici, n’est pas un fait coutumier.
Enfin, il me fait remarquer que j’ai une semaine d’avance. En effet, m’explique-t-il, le phare reste éteint en raison du soleil de minuit.
Les garçons arrivent en milieu d’après-midi. En fin de journée, il est temps pour moi de reprendre une leçon de pêche, au bout de la longue digue du port d’Andenes. Pendant que mes compagnons pêchent tranquillement, le nœud de mon hameçon se détache et le crochet disparaît au fond de la mer. Je casse ensuite le fil en lançant vigoureusement ma canne… Voilà, plus d’hameçon. C’est désespérant !
Youn vient à mon aide, et c’est à ce moment-là que nous entendons Emiel : il crie, il jure… Une toute petite martre file, encombrée d’un de ses poissons plus gros qu’elle. Ne doutant de rien, elle revient après avoir mis en sécurité son butin dans les rochers. Elle ne sait pas à qui elle a à faire. Non mais !
Pour terminer, les garçons pêchent trois maquereaux et moi … rien de rien !
Puis ce sont les midges qui nous attaquent pendant notre apéritif sur la terrasse de notre chalet. Nous nous transformons en vrais apiculteurs coiffés de nos chapeaux moustiquaires. Quelle allure ! C’est efficace, mais boire et manger avec n’est pas très pratique.
Hier, les garçons ont atteint le village fantôme de Nyksund par des pistes de terre et des digues. Ils ont découvert cet ancien port de pêche abandonné au début des années soixante-dix.
Ils me racontent cette histoire.
À cette époque, le gouvernement a décidé de déplacer les habitants. En échange d’une prime, il leur était interdit de revenir à Nyksund pendant trente ans. Et la municipalité décide d’éteindre ses lumières. C’est ainsi que l’une des principales communautés de pêcheurs de Norvège a fait ses valises et a déménagé non loin, à Myre, port moderne et animé.
La tempête de 1975, qui ravagea le hangar à poisson, découragea les derniers réfractaires. Seul le forgeron y demeura… jusqu’à sa mort. On peut imaginer son isolement. On peut aussi gamberger sur l’amertume des déplacés.
Abandonné aux vents et aux tempêtes, Nyksund doit sa renaissance à un jeune Allemand qui y débarqua par hasard dans les années deux-mille. Il initia de nombreux chantiers de restauration soutenus par l’Union européenne qui a largement contribué à redonner vie au lieu.
Le village était dans les années soixante, le deuxième endroit du nord de la Norvège à disposer d’un éclairage public électrique. Mais c’était alors.
Les nouveaux habitants d’aujourd’hui aiment être dans le noir absolu, et ont délibérément choisi de ne pas rallumer cet éclairage public. Il fait donc nuit noire au hameau pendant la longue période hivernale. La seule atmosphère lumineuse est créée par les lampes suspendues, véritables luminions scintillants, toujours allumées à chaque fenêtre. Les conditions sont parfaites pour voir les aurores boréales.
Le village fantôme ne l’est plus tout à fait maintenant avec ses vingt habitants.
J’aime l’histoire de Nyksund ! Je regrette de ne pas avoir fait un détour jusque là-bas et de n’avoir pu me plonger dans le mystère de ce tout petit village.
Jeudi 4 août – 82e jour
Andenes – 10 km et beaucoup en bateau
Il ne put s’empêcher de poser la question
Le centre d’observation des baleines recèle de surprises, il y a même un squelette de cachalot, long de plus de dix mètres. Lors de la captivante conférence sur les baleines, Youn ne put s’empêcher de poser la question qui lui tenait à cœur depuis la veille. Il obtient la réponse de la conférencière. Entre deux mètres cinquante et trois mètres, et pour les autres attributs, c’est de cinquante à cent kilogrammes. Ça lui vaut quelques regards en coin, quelques sourires et gloussements des autres touristes.
On embarque pour plusieurs heures avec la quasi-certitude d’apercevoir des baleines. Elles se nourrissent en effet dans les eaux extrêmement riches, à environ une heure du port d’Andenes. Nous sommes bien frigorifiés à la proue de ce bateau, à scruter le lointain. Une baleine éloignée, daigne enfin se montrer. Mais pas pour moi ! C’est une bousculade qui retient mon attention. Bien sûr, les garçons ricanent, me montrent du doigt, étant donné que je ne l’ai pas vue.
Tout n’est pas perdu ! Peu après, nous repérons une autre baleine. Il est dit que c’est toujours l’animal qui détermine la distance à laquelle il est possible de l’observer. Afin de ne pas perturber la vie de ces animaux, le capitaine du bateau, spécialiste des cétacés, fait une approche responsable et respectueuse, c’est-à-dire que nous restons bien éloignés.
Heureusement, ce mammifère cétacé est de très grande taille et lorsque la baleine remonte, reste à la surface de l’eau, nous apercevons l’air de ses poumons qu’elle rejette en nuage parfois jusqu’à trois mètres au-dessus d’elle. Quel magnifique spectacle ! Puis elle reprend quelques inspirations avant de replonger.
Et arrivent notre chœur d’exclamations ! Ohhhh ! Dans un magnifique saut, elle nous présente sa nageoire caudale, bien verticale. Celle-ci peut avoir une envergure de cinq mètres. Puis elle disparaît peu à peu au cours de son plongeon. Nous sommes enchantés par ce divertissement hors du commun.
À notre retour et selon leur habitude, les garçons se rendent à l’arrière de la supérette située à proximité de notre chalet. Le gérant leur explique qu’une employée s’est trompée lorsqu’elle a apposé la date de péremption et qu’ils peuvent prendre sans crainte, dans le conteneur, un nombre incalculable de paquets de jambon salé reçus dans la journée. Retirés du conteneur ils rapportent aussi un gâteau d’anniversaire, des légumes, des fruits et deux boîtes de Toffifee. Ce sont des noisettes croquantes dans de délicieuses coques de caramel avec de la crème de noisette et une pincée de chocolat noir. Un délice !
Pour fêter cette opulence de nourriture gratuite, Youn sort son accordéon diatonique et nous offre un petit récital sur la terrasse. Il se montre plein de retenue en murmurant qu’il est encore novice dans la pratique de cet instrument. Nous sommes à la fois enchantés de l’écouter et subjugués par le fait qu’il transporte cet instrument depuis la Bretagne. Son poids est de presque quatre kilos, alors que l’on sait qu’un cyclo-voyageur allège au maximum son vélo.
Demain, je quitterai l’archipel. Faire du vélo dans les paysages des îles Lofoten et Vesterålen m’a charmée, m’a permis d’exhaler des souvenirs enfouis et de faire corps avec la magnificence des nombreux et différents panoramas. Un petit confetti sur terre que j’ai eu la bonne étoile de rencontrer.
Andenes – 10 km et beaucoup en bateau
Il ne put s’empêcher de poser la question
Le centre d’observation des baleines recèle de surprises, il y a même un squelette de cachalot, long de plus de dix mètres. Lors de la captivante conférence sur les baleines, Youn ne put s’empêcher de poser la question qui lui tenait à cœur depuis la veille. Il obtient la réponse de la conférencière. Entre deux mètres cinquante et trois mètres, et pour les autres attributs, c’est de cinquante à cent kilogrammes. Ça lui vaut quelques regards en coin, quelques sourires et gloussements des autres touristes.
On embarque pour plusieurs heures avec la quasi-certitude d’apercevoir des baleines. Elles se nourrissent en effet dans les eaux extrêmement riches, à environ une heure du port d’Andenes. Nous sommes bien frigorifiés à la proue de ce bateau, à scruter le lointain. Une baleine éloignée, daigne enfin se montrer. Mais pas pour moi ! C’est une bousculade qui retient mon attention. Bien sûr, les garçons ricanent, me montrent du doigt, étant donné que je ne l’ai pas vue.
Tout n’est pas perdu ! Peu après, nous repérons une autre baleine. Il est dit que c’est toujours l’animal qui détermine la distance à laquelle il est possible de l’observer. Afin de ne pas perturber la vie de ces animaux, le capitaine du bateau, spécialiste des cétacés, fait une approche responsable et respectueuse, c’est-à-dire que nous restons bien éloignés.
Heureusement, ce mammifère cétacé est de très grande taille et lorsque la baleine remonte, reste à la surface de l’eau, nous apercevons l’air de ses poumons qu’elle rejette en nuage parfois jusqu’à trois mètres au-dessus d’elle. Quel magnifique spectacle ! Puis elle reprend quelques inspirations avant de replonger.
Et arrivent notre chœur d’exclamations ! Ohhhh ! Dans un magnifique saut, elle nous présente sa nageoire caudale, bien verticale. Celle-ci peut avoir une envergure de cinq mètres. Puis elle disparaît peu à peu au cours de son plongeon. Nous sommes enchantés par ce divertissement hors du commun.
À notre retour et selon leur habitude, les garçons se rendent à l’arrière de la supérette située à proximité de notre chalet. Le gérant leur explique qu’une employée s’est trompée lorsqu’elle a apposé la date de péremption et qu’ils peuvent prendre sans crainte, dans le conteneur, un nombre incalculable de paquets de jambon salé reçus dans la journée. Retirés du conteneur ils rapportent aussi un gâteau d’anniversaire, des légumes, des fruits et deux boîtes de Toffifee. Ce sont des noisettes croquantes dans de délicieuses coques de caramel avec de la crème de noisette et une pincée de chocolat noir. Un délice !
Pour fêter cette opulence de nourriture gratuite, Youn sort son accordéon diatonique et nous offre un petit récital sur la terrasse. Il se montre plein de retenue en murmurant qu’il est encore novice dans la pratique de cet instrument. Nous sommes à la fois enchantés de l’écouter et subjugués par le fait qu’il transporte cet instrument depuis la Bretagne. Son poids est de presque quatre kilos, alors que l’on sait qu’un cyclo-voyageur allège au maximum son vélo.
Demain, je quitterai l’archipel. Faire du vélo dans les paysages des îles Lofoten et Vesterålen m’a charmée, m’a permis d’exhaler des souvenirs enfouis et de faire corps avec la magnificence des nombreux et différents panoramas. Un petit confetti sur terre que j’ai eu la bonne étoile de rencontrer.
Vendredi 5 août – 83e jour
Andenes / Grillefjord / Skaland / Stønnesbotn – 96 km
Mais non ! Je ne m’avouerai pas vaincue !
Accompagnée de mes trois compagnons, je me rends au ferry pour l’île de Senja. En quelques minutes nous y arrivons poussés par un vent violent, ce qui évite à la pluie de nous cingler le visage. Nous sommes totalement trempés et nous avons froid durant la traversée en bateau. Nous nous séparons dès la sortie du ferry.
Mon étape d’aujourd’hui est longue et difficile, parce que le dénivelé est important. Des travaux allongent encore mon étape. J’obtiens une petite victoire, car je ne pose pas le pied au sol. Je pédale jusqu’au sommet de chaque pente, pour ensuite mériter la descente qui arrive inéluctablement à ma grande joie, pour me griser par une petite pointe de vitesse.
L’île de Senja offre des paysages variés, on l’appelle « Une Norvège en miniature ». On peut y voir des montagnes spectaculaires qui plongent dans la mer, des forêts de bouleaux, une ceinture d’îles et de belles plages de sable blanc issu de coquillages, corail et autres cailloux concassés, broyés par la mer.
Je croise Sarah et Joris. Ils sont allés jusqu’à Tromsø et reviennent sur leurs pas pour prendre un avion à Bodø pour rentrer chez eux. Ils mettent à profit leur année sabbatique, ils partiront au Pérou en septembre. Sarah avoue qu’elle en a marre… je pense en effet qu’il est plus judicieux d’avancer et de ne pas revenir sur ses pas au cours de ce genre de voyage à vélo. S’éloigner de son point de départ, rencontrer d’autres surprises, continuer à activer son engouement, pour une même distance parcourue dans le pays, est une façon de prolonger le voyage. Sans revenir sur leurs pas, ils auraient pu atteindre le cap Nord. Paul l’Écossais me révélera plus tard, qu’il n’avait pas fait attention qu’il était possible de trouver un aéroport au-delà de Tromsø. Il s’est donc privé du cap Nord. Mais les objectifs de chacun peuvent être divers.
Au vu des difficultés que j’ai rencontrées dans les tunnels, j’avais décidé d’utiliser le bus pour traverser le déroutant tunnel sous-marin, reliant le continent à l’île du cap Nord.
Mais non ! Je ne m’avouerai pas vaincue !
J’ai eu le temps de déjouer mes craintes liées aux tunnels immergés. C’est décidé… je prendrai à vélo le tunnel impressionnant. Certes, ce sera difficile. Il est long, sept ou huit kilomètres. Il descend profondément au fond de la mer. Ensuite, pour sortir de là, il faut évidemment remonter. Les avis de ceux qui reviennent du cap Nord divergent. Personne ne sait réellement s’il est bien éclairé, si un trottoir longe la chaussée…
Je le traverserai de nuit. J’éviterai ainsi la circulation et la pollution due aux gaz d’échappement. Vraisemblablement je resterai longtemps dans ce tunnel. Si le dénivelé descendant sera vite franchi, l’ascendant me pose des soucis. Tous les deux sont à neuf pour cent. Si toutefois je dois pousser mon vélo, il est indispensable que je sois hors de portée des voitures, sur un trottoir. Mais cela fait-il une grande différence de pédaler dans une côte à 6 km/h ou de pousser mon vélo à 4 km/h ? Si ce n’est que, marchant à côté de mon vélo j’occupe plus d’espace sur la route. Dans l’esprit d’un cycliste sa présence est légitime sur une route, mais pas lorsqu’il redevient un piéton. Je ne changerai pas d’avis, c’est décidé…
J’arrive bien tardivement au camping de Stønnesbotn où je retrouve les garçons. Je fais la connaissance d’Andréas, trentenaire, Allemand. Les garçons l’ont rencontré à Nyksund et l’ont retrouvé aujourd’hui sur la route.
Au cours du cyclotourisme sur longue distance, c’est parfois la première expérience pour ces jeunes gens. L’aventure s’organise, ils trouvent des coéquipiers, ils roulent au même rythme, ils se motivent, ils s’entraident. Ils sont mus par un lien tribal. Ils forment au fur et à mesure de leur voyage des groupes qui peuvent se défaire au gré du périple. Quant à moi, j’éprouve beaucoup de plaisir au cours de nos rencontres de fin de journée, mais je n’ai pas le désir de partager mes journées de cycliste. Il est primordial pour moi de ne pas augmenter mes contraintes, de rester libre.
Mais au-delà des nouvelles rencontres et parce que je réussis progressivement le défi que je me suis imposée, je me sens fière. C’est un succès ! J’ai fait plusieurs milliers de kilomètres ! Et plus modestement je n’ai pas posé le pied par terre aujourd’hui.
Andenes / Grillefjord / Skaland / Stønnesbotn – 96 km
Mais non ! Je ne m’avouerai pas vaincue !
Accompagnée de mes trois compagnons, je me rends au ferry pour l’île de Senja. En quelques minutes nous y arrivons poussés par un vent violent, ce qui évite à la pluie de nous cingler le visage. Nous sommes totalement trempés et nous avons froid durant la traversée en bateau. Nous nous séparons dès la sortie du ferry.
Mon étape d’aujourd’hui est longue et difficile, parce que le dénivelé est important. Des travaux allongent encore mon étape. J’obtiens une petite victoire, car je ne pose pas le pied au sol. Je pédale jusqu’au sommet de chaque pente, pour ensuite mériter la descente qui arrive inéluctablement à ma grande joie, pour me griser par une petite pointe de vitesse.
L’île de Senja offre des paysages variés, on l’appelle « Une Norvège en miniature ». On peut y voir des montagnes spectaculaires qui plongent dans la mer, des forêts de bouleaux, une ceinture d’îles et de belles plages de sable blanc issu de coquillages, corail et autres cailloux concassés, broyés par la mer.
Je croise Sarah et Joris. Ils sont allés jusqu’à Tromsø et reviennent sur leurs pas pour prendre un avion à Bodø pour rentrer chez eux. Ils mettent à profit leur année sabbatique, ils partiront au Pérou en septembre. Sarah avoue qu’elle en a marre… je pense en effet qu’il est plus judicieux d’avancer et de ne pas revenir sur ses pas au cours de ce genre de voyage à vélo. S’éloigner de son point de départ, rencontrer d’autres surprises, continuer à activer son engouement, pour une même distance parcourue dans le pays, est une façon de prolonger le voyage. Sans revenir sur leurs pas, ils auraient pu atteindre le cap Nord. Paul l’Écossais me révélera plus tard, qu’il n’avait pas fait attention qu’il était possible de trouver un aéroport au-delà de Tromsø. Il s’est donc privé du cap Nord. Mais les objectifs de chacun peuvent être divers.
Au vu des difficultés que j’ai rencontrées dans les tunnels, j’avais décidé d’utiliser le bus pour traverser le déroutant tunnel sous-marin, reliant le continent à l’île du cap Nord.
Mais non ! Je ne m’avouerai pas vaincue !
J’ai eu le temps de déjouer mes craintes liées aux tunnels immergés. C’est décidé… je prendrai à vélo le tunnel impressionnant. Certes, ce sera difficile. Il est long, sept ou huit kilomètres. Il descend profondément au fond de la mer. Ensuite, pour sortir de là, il faut évidemment remonter. Les avis de ceux qui reviennent du cap Nord divergent. Personne ne sait réellement s’il est bien éclairé, si un trottoir longe la chaussée…
Je le traverserai de nuit. J’éviterai ainsi la circulation et la pollution due aux gaz d’échappement. Vraisemblablement je resterai longtemps dans ce tunnel. Si le dénivelé descendant sera vite franchi, l’ascendant me pose des soucis. Tous les deux sont à neuf pour cent. Si toutefois je dois pousser mon vélo, il est indispensable que je sois hors de portée des voitures, sur un trottoir. Mais cela fait-il une grande différence de pédaler dans une côte à 6 km/h ou de pousser mon vélo à 4 km/h ? Si ce n’est que, marchant à côté de mon vélo j’occupe plus d’espace sur la route. Dans l’esprit d’un cycliste sa présence est légitime sur une route, mais pas lorsqu’il redevient un piéton. Je ne changerai pas d’avis, c’est décidé…
J’arrive bien tardivement au camping de Stønnesbotn où je retrouve les garçons. Je fais la connaissance d’Andréas, trentenaire, Allemand. Les garçons l’ont rencontré à Nyksund et l’ont retrouvé aujourd’hui sur la route.
Au cours du cyclotourisme sur longue distance, c’est parfois la première expérience pour ces jeunes gens. L’aventure s’organise, ils trouvent des coéquipiers, ils roulent au même rythme, ils se motivent, ils s’entraident. Ils sont mus par un lien tribal. Ils forment au fur et à mesure de leur voyage des groupes qui peuvent se défaire au gré du périple. Quant à moi, j’éprouve beaucoup de plaisir au cours de nos rencontres de fin de journée, mais je n’ai pas le désir de partager mes journées de cycliste. Il est primordial pour moi de ne pas augmenter mes contraintes, de rester libre.
Mais au-delà des nouvelles rencontres et parce que je réussis progressivement le défi que je me suis imposée, je me sens fière. C’est un succès ! J’ai fait plusieurs milliers de kilomètres ! Et plus modestement je n’ai pas posé le pied par terre aujourd’hui.
Ils se sont arrêtés boire un café au village de … à la sortie du ferry. Ils ont rencontre Andi, Allemand, à Nyksund, il fait route avec eux maintenant. Quant à moi je pars avant eux, je m’arrête rarement, j’arrive bien après eux. À chacun son rythme !
Samedi 6 août – 84e jour
Stønnesbotn / Botnhamn / Hillesøy / Eidkjosen / Tromsø – 86 km
C’étaient deux étoiles !
Je pars bien avant les quatre garçons. Onze kilomètres me séparent du ferry. J’ai une heure trente devant moi. Je dois être prévoyante en raison d’éventuelles côtes. Bonne surprise, c’est plat, enfin presque. Je roule donc à vive allure en suivant la courbe du fjord. J’arrive bien en avance ce qui ne sera pas le cas pour mes quatre coéquipiers. Ils entreront après les voitures, juste à temps.
En attendant le départ à l’embarcadère, un jeune vacancier néerlandais vient discuter avec moi et m’offre un café. Il circule avec sa voiture et fait du camping sauvage. Il lui suffit d’ouvrir son coffre pour organiser son mini-bar. Lorsqu’il apprend que j’ai parcouru six-mille kilomètres à vélo au cours des dernières semaines, il rit, il s’exclame, il lève les bras au ciel comme la plupart des gens depuis quelque temps. Pour moi aussi, ça semble incroyable ! J’ai l’impression que la traversée des autres pays – France, Belgique, Pays-Bas, Allemagne, Danemark – faisait partie d’un autre voyage. Nous passons un agréable moment pendant la traversée, tous les six attablés à partager nos expériences et à déguster des vafler.
Après le ferry, les ponts et les routes me sont réservés. Très rarement, je dois me déplacer sur le bord de la route. Quand cela se produit, c’est sans stress. Les conducteurs norvégiens montrent, comme toujours, un grand respect pour les cyclistes. Les camping-cars ont disparu. Les motards pour le cap Nord sont eux aussi extrêmement sympathiques. Ils ont toujours à mon égard un geste ou un mot gentil.
La nature, cadeau inspirant la déférence, améliore mon bien-être. Mon amie Nadine associerait cet état à la sylvothérapie. Au cours de ma vie, je n’ai jamais eu autant de temps pour penser. Être au milieu de nulle part et surtout seule depuis plusieurs semaines permet l’évocation de mes souvenirs. Ils affleurent régulièrement à ma conscience.
Je me remémore. Je me souviens d’eux...
C’était dans les années soixante. Ils avaient onze ans. Ils étaient inséparables. C’était une gamine et un gamin, incroyablement vivants. Claude, était un vrai garçon manqué, malicieuse, espiègle, que nos parents ne parvenaient pas à dompter ! Ils ne l’ont donc pas bridée par une éducation trop stricte.
Ils n’avaient qu’une hâte, celle de se retrouver après l’école, du fait qu’à cette époque-là, les écoles n’étaient pas mixtes à Damprichard dans le Haut-Doubs. La famille de Dédé habitait au début de la rue du stade. Nous, un peu plus loin. Ils pouvaient s’apercevoir en se penchant à la fenêtre de la cuisine des maisons respectives.
Les deux enfants étaient intrépides, audacieux. Ils grimpaient aux arbres. Ils se baignaient dans les mares, tout en ne sachant pas nager. Sur la même luge, ils descendaient la côte de chez Marguet. Dédé avait un vélo, ce qui était exceptionnel dans le village. Cheveux au vent, Dédé pédalait et Claude se tenait à califourchon sur le porte-bagages. Ils sillonnaient les rues du village. La joie se lisait sur leur visage.
Ils s’étaient fait le serment qu’ils ne se sépareraient jamais. Leur grand bonheur prit fin, trop rapidement, beaucoup trop tôt dans leur jeune vie. Dédé à vélo, fut fauché par une des rares voitures traversant le village. Il disparut laissant Claude, pendant longtemps, dans un chagrin incommensurable. Ils avaient onze ans, ils avaient connu un rare bonheur.
C’était deux étoiles ! La première s’est éteinte en 1967.
Claude avait gardé cette étincelle, elle était devenue une femme rayonnante, pétillante, remarquable. Elle aussi, s’est éteinte ensuite en 2019, nous laissant inconsolables.
Claude était ma sœur.
Quelle chance pour nous qu’elle ait partagé nos vies !
Je suis ramenée à la réalité. Les garçons sont là, en haut d’une côte. Ils repartent de leur arrêt pique-nique. Ils me voient avant que je ne les voie. Ils m’appellent. Ils m’attendent. Ils prennent soin de moi. Ils veulent que je déjeune, mais je n’ai pas faim, j’ai un peu mangé en pédalant au péril de ma sécurité. Et manger en pédalant, c’est franchement téméraire !
Nous reformons une colonne, tous devant et moi derrière, vite distancée, ne cherchant pas à rester dans le peloton. Nous décidons de nous retrouver à Tromsø.
Sur mon chemin, quelle n’est pas ma surprise de découvrir deux rennes se promenant au bord de la route. Ils s’arrêtent fréquemment pour déguster les meilleures plantes, les champignons peut-être. C’est la première fois de ma vie que je suis en présence de ces animaux.
Je peux les observer à ma guise, les approcher, les photographier.
Les rennes du père Noël !
Je fais une vidéo en direct avec Caroline et Gaël. Mon voyage prend un véritable tournant pour lui. Je suis dans le royaume du père Noël… Il ne manque que la neige. On ne peut pas tout avoir ! Gaël ne veut pas encore se défaire de la légende selon laquelle, le traîneau du père Noël est tiré par neuf rennes.
Ils ont fière allure avec leurs bois majestueux qui se dressent à la verticale. C’est le seul animal dont les deux sexes portent des bois, un peu plus courts chez la femelle. Les bois sont caducs et tombent chaque année en automne pour ensuite repousser au printemps, atteindre un mètre trente de hauteur et déployer parfois plus de dix ramifications. Je prends congé lorsque l’un deux commence à soutenir mon regard et à émettre un puissant son rauque. Je me réfugie derrière ma bicyclette. Je prends mon courage à deux mains pour les dépasser tranquillement, mine de rien.
Je m’apercevrai plus tard que les rennes sont des animaux sauvages, qui ne se laissent pas approcher. Ces deux-là étaient sans doute des animaux domestiqués. Fort probablement ceux vus par Juan Carlos et Rafael.
Tromsø occupe une petite île longue, coincée entre la côte et l’imposante île de Kvaløya qui la protège. C’est une ville très animée à une telle latitude. En arrivant par une belle descente à quinze pour cent, quelqu’un m’appelle, « Eh Jacqueline ! Tu ne t’arrêtes plus ! » C’est Stéphane. Quelle coïncidence ! Quel plaisir ! Il a loué une chambre sur une des collines de la ville. Il est bloqué quelques jours ici, étant donné qu’il a cassé la jante arrière de son vélo et le matériel n’est pas en stock chez le vélociste.
Je regarde avec attendrissement ma bicyclette. Je l’ai bien choisie ! Elle est solide comme un roc !
Nous nous rendons au centre-ville prendre un verre sur une terrasse. Puis je rejoins le camping situé après l’immense pont en dos d’âne.
Stønnesbotn / Botnhamn / Hillesøy / Eidkjosen / Tromsø – 86 km
C’étaient deux étoiles !
Je pars bien avant les quatre garçons. Onze kilomètres me séparent du ferry. J’ai une heure trente devant moi. Je dois être prévoyante en raison d’éventuelles côtes. Bonne surprise, c’est plat, enfin presque. Je roule donc à vive allure en suivant la courbe du fjord. J’arrive bien en avance ce qui ne sera pas le cas pour mes quatre coéquipiers. Ils entreront après les voitures, juste à temps.
En attendant le départ à l’embarcadère, un jeune vacancier néerlandais vient discuter avec moi et m’offre un café. Il circule avec sa voiture et fait du camping sauvage. Il lui suffit d’ouvrir son coffre pour organiser son mini-bar. Lorsqu’il apprend que j’ai parcouru six-mille kilomètres à vélo au cours des dernières semaines, il rit, il s’exclame, il lève les bras au ciel comme la plupart des gens depuis quelque temps. Pour moi aussi, ça semble incroyable ! J’ai l’impression que la traversée des autres pays – France, Belgique, Pays-Bas, Allemagne, Danemark – faisait partie d’un autre voyage. Nous passons un agréable moment pendant la traversée, tous les six attablés à partager nos expériences et à déguster des vafler.
Après le ferry, les ponts et les routes me sont réservés. Très rarement, je dois me déplacer sur le bord de la route. Quand cela se produit, c’est sans stress. Les conducteurs norvégiens montrent, comme toujours, un grand respect pour les cyclistes. Les camping-cars ont disparu. Les motards pour le cap Nord sont eux aussi extrêmement sympathiques. Ils ont toujours à mon égard un geste ou un mot gentil.
La nature, cadeau inspirant la déférence, améliore mon bien-être. Mon amie Nadine associerait cet état à la sylvothérapie. Au cours de ma vie, je n’ai jamais eu autant de temps pour penser. Être au milieu de nulle part et surtout seule depuis plusieurs semaines permet l’évocation de mes souvenirs. Ils affleurent régulièrement à ma conscience.
Je me remémore. Je me souviens d’eux...
C’était dans les années soixante. Ils avaient onze ans. Ils étaient inséparables. C’était une gamine et un gamin, incroyablement vivants. Claude, était un vrai garçon manqué, malicieuse, espiègle, que nos parents ne parvenaient pas à dompter ! Ils ne l’ont donc pas bridée par une éducation trop stricte.
Ils n’avaient qu’une hâte, celle de se retrouver après l’école, du fait qu’à cette époque-là, les écoles n’étaient pas mixtes à Damprichard dans le Haut-Doubs. La famille de Dédé habitait au début de la rue du stade. Nous, un peu plus loin. Ils pouvaient s’apercevoir en se penchant à la fenêtre de la cuisine des maisons respectives.
Les deux enfants étaient intrépides, audacieux. Ils grimpaient aux arbres. Ils se baignaient dans les mares, tout en ne sachant pas nager. Sur la même luge, ils descendaient la côte de chez Marguet. Dédé avait un vélo, ce qui était exceptionnel dans le village. Cheveux au vent, Dédé pédalait et Claude se tenait à califourchon sur le porte-bagages. Ils sillonnaient les rues du village. La joie se lisait sur leur visage.
Ils s’étaient fait le serment qu’ils ne se sépareraient jamais. Leur grand bonheur prit fin, trop rapidement, beaucoup trop tôt dans leur jeune vie. Dédé à vélo, fut fauché par une des rares voitures traversant le village. Il disparut laissant Claude, pendant longtemps, dans un chagrin incommensurable. Ils avaient onze ans, ils avaient connu un rare bonheur.
C’était deux étoiles ! La première s’est éteinte en 1967.
Claude avait gardé cette étincelle, elle était devenue une femme rayonnante, pétillante, remarquable. Elle aussi, s’est éteinte ensuite en 2019, nous laissant inconsolables.
Claude était ma sœur.
Quelle chance pour nous qu’elle ait partagé nos vies !
Je suis ramenée à la réalité. Les garçons sont là, en haut d’une côte. Ils repartent de leur arrêt pique-nique. Ils me voient avant que je ne les voie. Ils m’appellent. Ils m’attendent. Ils prennent soin de moi. Ils veulent que je déjeune, mais je n’ai pas faim, j’ai un peu mangé en pédalant au péril de ma sécurité. Et manger en pédalant, c’est franchement téméraire !
Nous reformons une colonne, tous devant et moi derrière, vite distancée, ne cherchant pas à rester dans le peloton. Nous décidons de nous retrouver à Tromsø.
Sur mon chemin, quelle n’est pas ma surprise de découvrir deux rennes se promenant au bord de la route. Ils s’arrêtent fréquemment pour déguster les meilleures plantes, les champignons peut-être. C’est la première fois de ma vie que je suis en présence de ces animaux.
Je peux les observer à ma guise, les approcher, les photographier.
Les rennes du père Noël !
Je fais une vidéo en direct avec Caroline et Gaël. Mon voyage prend un véritable tournant pour lui. Je suis dans le royaume du père Noël… Il ne manque que la neige. On ne peut pas tout avoir ! Gaël ne veut pas encore se défaire de la légende selon laquelle, le traîneau du père Noël est tiré par neuf rennes.
Ils ont fière allure avec leurs bois majestueux qui se dressent à la verticale. C’est le seul animal dont les deux sexes portent des bois, un peu plus courts chez la femelle. Les bois sont caducs et tombent chaque année en automne pour ensuite repousser au printemps, atteindre un mètre trente de hauteur et déployer parfois plus de dix ramifications. Je prends congé lorsque l’un deux commence à soutenir mon regard et à émettre un puissant son rauque. Je me réfugie derrière ma bicyclette. Je prends mon courage à deux mains pour les dépasser tranquillement, mine de rien.
Je m’apercevrai plus tard que les rennes sont des animaux sauvages, qui ne se laissent pas approcher. Ces deux-là étaient sans doute des animaux domestiqués. Fort probablement ceux vus par Juan Carlos et Rafael.
Tromsø occupe une petite île longue, coincée entre la côte et l’imposante île de Kvaløya qui la protège. C’est une ville très animée à une telle latitude. En arrivant par une belle descente à quinze pour cent, quelqu’un m’appelle, « Eh Jacqueline ! Tu ne t’arrêtes plus ! » C’est Stéphane. Quelle coïncidence ! Quel plaisir ! Il a loué une chambre sur une des collines de la ville. Il est bloqué quelques jours ici, étant donné qu’il a cassé la jante arrière de son vélo et le matériel n’est pas en stock chez le vélociste.
Je regarde avec attendrissement ma bicyclette. Je l’ai bien choisie ! Elle est solide comme un roc !
Nous nous rendons au centre-ville prendre un verre sur une terrasse. Puis je rejoins le camping situé après l’immense pont en dos d’âne.
Ewen qui voulait apprendre à jouer de l’accordéon. Il le transporte juste pour le plaisir. Ces multiples livres sont presque tous lus.
Soirée du samedi 6 août
Tromsø – 10 km
Les recalés des bars de Tromsø
Je retrouve les garçons. Nous installons nos tentes dans la forêt attenante au camping. En début de soirée, nous repartons pour la ville à vélo, en empruntant le magnifique pont en dos d’âne. Décidément, je me laisse très facilement entraîner par ce groupe de garçons !
Pour notre première rencontre avec les habitants de Tromsø, nous nous installons dans un café situé dans un ancien cinéma, le Kinematograf. La date de 1915 orne fièrement la façade jaune. Elle est magnifique, restée dans son esprit historiquement authentique du début du vingtième siècle.
Le café est agréable avec de nombreuses affiches de cinéma et des dizaines de vinyles sur des étagères. Je pousse une porte et je jette un coup d’œil à la petite salle de cinéma. À l’intérieur de belles peintures restaurées de contes de fées embarquent le visiteur.
Ensuite c’est un pub qui nous accueille pour un shot à la menthe. Les garçons ont envie de danser, les voici donc à la recherche du lieu approprié. Ils le dénichent. Toutefois les choses se compliquent. Les vigiles estiment qu’ils sont trop alcoolisés. Pourtant ils sont calmes, tranquilles, je ne sais sur quels critères les vigiles jugent ça. Je ne suis certainement pas impartiale !
Les cafés sont presque déserts, mais il y a du monde en ville. Un monde considérable dans les rues ! Les gens sont éméchés. Il est dit qu’en Norvège, les fins de semaine sont bien arrosées. Les taxis sont là ! Ils attendent ! La police stationne aussi ! Une ambulance patiente également. Nous, les cyclistes de différentes nationalités, partis pour le cap Nord, et venant de si loin, nous sommes les recalés des bars et des boîtes de nuit de Tromsø. Ce n’est pas de veine !
Il est deux heures du matin. Comme d’habitude, il fait jour. Ewen et moi décidons de rentrer. Nous repartons à vélo, pas besoin de taxi pour nous.
Puis c’est le bouquet final ! Nous décidons, en passant devant un Café-Bar-Music situé sur le port, de nous y arrêter. Là encore nous nous faisons refuser, puisque nous n’avons pas de tampon sur la main. Il semble qu’il est trop tard pour de nouveaux clients. Ewen plaide notre cause, mais il n’y a rien à faire ! Les vigiles sont inflexibles, même assez désagréables. Ils n’ont pas le calme et la gentillesse habituels des Norvégiens. Dépités, nous repartons sur nos vélos et je vois Ewen lever un bras et un doigt, dans un geste grossier.
Je me souviens d’une histoire… C’était il y a longtemps à l’école Champrond, jolie petite école du centre-ville de Besançon, au bord du Doubs. Lorsque je me retournai, je vis Jules avec ce doigt levé en ma direction, me disant : « Maîtresse ! Je me suis trompé de doigt ! »
Il avait six ans et c’était un enfant bien élevé.
Donc, avec son bras levé, dans ce geste vulgaire, indélicat, Ewen et moi nous nous retournons de concert. Les vigiles nous regardent. S’ils ne savaient pas qui nous étions, ils le découvrent à ce moment-là. Seuls des Français peuvent avoir cette attitude me semble-t-il.
Ewen le garçon de vingt-cinq ans et moi la dame respectable de Besançon de soixante-huit ans, ancienne directrice d’école de l’Éducation nationale française, nous partons, pédalant et heureux, virevoltant sur nos bécanes trop légères, soulagées du poids considérable que nous leur faisons porter habituellement.
Au bas du magnifique pont en dos d’âne, devant la Cathédrale arctique, nous découvrons le point d’orgue de notre soirée : un ciel rouge, somptueux et sublime.
Les trois autres garçons ne verront pas ce ciel, ils continueront la fête, acceptés ailleurs.
Tromsø – 10 km
Les recalés des bars de Tromsø
Je retrouve les garçons. Nous installons nos tentes dans la forêt attenante au camping. En début de soirée, nous repartons pour la ville à vélo, en empruntant le magnifique pont en dos d’âne. Décidément, je me laisse très facilement entraîner par ce groupe de garçons !
Pour notre première rencontre avec les habitants de Tromsø, nous nous installons dans un café situé dans un ancien cinéma, le Kinematograf. La date de 1915 orne fièrement la façade jaune. Elle est magnifique, restée dans son esprit historiquement authentique du début du vingtième siècle.
Le café est agréable avec de nombreuses affiches de cinéma et des dizaines de vinyles sur des étagères. Je pousse une porte et je jette un coup d’œil à la petite salle de cinéma. À l’intérieur de belles peintures restaurées de contes de fées embarquent le visiteur.
Ensuite c’est un pub qui nous accueille pour un shot à la menthe. Les garçons ont envie de danser, les voici donc à la recherche du lieu approprié. Ils le dénichent. Toutefois les choses se compliquent. Les vigiles estiment qu’ils sont trop alcoolisés. Pourtant ils sont calmes, tranquilles, je ne sais sur quels critères les vigiles jugent ça. Je ne suis certainement pas impartiale !
Les cafés sont presque déserts, mais il y a du monde en ville. Un monde considérable dans les rues ! Les gens sont éméchés. Il est dit qu’en Norvège, les fins de semaine sont bien arrosées. Les taxis sont là ! Ils attendent ! La police stationne aussi ! Une ambulance patiente également. Nous, les cyclistes de différentes nationalités, partis pour le cap Nord, et venant de si loin, nous sommes les recalés des bars et des boîtes de nuit de Tromsø. Ce n’est pas de veine !
Il est deux heures du matin. Comme d’habitude, il fait jour. Ewen et moi décidons de rentrer. Nous repartons à vélo, pas besoin de taxi pour nous.
Puis c’est le bouquet final ! Nous décidons, en passant devant un Café-Bar-Music situé sur le port, de nous y arrêter. Là encore nous nous faisons refuser, puisque nous n’avons pas de tampon sur la main. Il semble qu’il est trop tard pour de nouveaux clients. Ewen plaide notre cause, mais il n’y a rien à faire ! Les vigiles sont inflexibles, même assez désagréables. Ils n’ont pas le calme et la gentillesse habituels des Norvégiens. Dépités, nous repartons sur nos vélos et je vois Ewen lever un bras et un doigt, dans un geste grossier.
Je me souviens d’une histoire… C’était il y a longtemps à l’école Champrond, jolie petite école du centre-ville de Besançon, au bord du Doubs. Lorsque je me retournai, je vis Jules avec ce doigt levé en ma direction, me disant : « Maîtresse ! Je me suis trompé de doigt ! »
Il avait six ans et c’était un enfant bien élevé.
Donc, avec son bras levé, dans ce geste vulgaire, indélicat, Ewen et moi nous nous retournons de concert. Les vigiles nous regardent. S’ils ne savaient pas qui nous étions, ils le découvrent à ce moment-là. Seuls des Français peuvent avoir cette attitude me semble-t-il.
Ewen le garçon de vingt-cinq ans et moi la dame respectable de Besançon de soixante-huit ans, ancienne directrice d’école de l’Éducation nationale française, nous partons, pédalant et heureux, virevoltant sur nos bécanes trop légères, soulagées du poids considérable que nous leur faisons porter habituellement.
Au bas du magnifique pont en dos d’âne, devant la Cathédrale arctique, nous découvrons le point d’orgue de notre soirée : un ciel rouge, somptueux et sublime.
Les trois autres garçons ne verront pas ce ciel, ils continueront la fête, acceptés ailleurs.
Dimanche 7 août – 85e jour
Tromsø – 12 km
Il pleut des hallebardes !
Après la soirée et la nuit animée et agitée, je m’extirpe de ma tente. C’est le milieu de l’après-midi. Il tombe des cordes !
Le sensible et intellectuel Ewen est à l’abri dans sa tente. Toute la journée, il restera silencieusement plongé dans sa lecture. Les trois autres garçons sont déjà partis en ville depuis longtemps, pour visiter le Polarmuseet (musée polaire).
Je rejoins la ville à vélo. La Storgata, rue principale et commerçante, est en partie piétonne. Elle est bordée d’anciennes maisons en bois coloré. Je ne me lasse pas du charme des maisons norvégiennes.
Installée sur la terrasse de l’excellente bakeri (boulangerie) de Tromsø, je hèle Paul l’Écossais pédalant dans la rue. Il termine son étape avec difficulté. Il a dû rouler avec une pédale cassée les vingt derniers kilomètres. Son voyage se termine ici. Dans quelques jours il prendra l’avion pour rentrer chez lui. Nos rencontres sont toujours un grand plaisir. Nous sommes sur les mêmes courants de pensées ce qui rend nos discussions très agréables. Lorsque je lui raconte nos mésaventures de la nuit, il rit en me disant, « Donc, cette ville est incontestablement une ville de fête. Je suppose que vous devriez aller dans un endroit plus calme où les enfants peuvent jouer sur des balançoires ! » Il fait référence, avec beaucoup d’humour à mon âge et à celui des garçons qui pourraient être mes petits-fils !
Il me dit aussi qu’il aimerait connaître le français pour pouvoir, vraiment et mieux, échanger avec moi.
Et c’est au tour de Stéphane de passer devant nous. Il a loué un sac à dos, et s’est transformé en randonneur en attendant la réparation de la jante de son vélo. Il me propose de l’accompagner pour sa randonnée de plusieurs jours. Je décline son invitation, car je ne fais pas de randonnée. Les sentiers me paraissent trop glissants dans la montagne norvégienne. Je préfère me rendre tranquillement au cap Nord à vélo. Lorsque je verrai plus tard ses photos, je me rendrai compte que j’ai raté un aspect intéressant de la Norvège ; certains panoramas que l’on ne peut apercevoir qu’en marchant. Il va ensuite opérer un demi-tour depuis Tromsø. Il repartira à vélo en direction du sud pour visiter certains fjords. Le cap Nord indiffère Stéphane. Il préfère explorer certaines sphères de sa pensée.
Puis les garçons déambulent devant nous. Décidément ! Cette bakeri est située à un carrefour stratégique. Ils sont enchantés de leur visite au musée polaire qui retrace l’histoire des expéditions de trappeurs et d’explorateurs dans les régions arctiques. Maintenant, ils cherchent le bowling pour terminer leur fin d’après-midi. Ils sont toujours actifs ! Ils aspirent la vie comme s’ils devaient prolonger leur évolution.
Quant à moi, beaucoup plus sage, je pars m’installer dans un pub pour écrire mon récit de voyage. Plusieurs femmes et hommes regardent un match de foot à la télévision. Ils sortent de leur réserve naturelle, ils s’exclament, ils gesticulent en s’écriant joyeusement lorsque le but est marqué. Y’a de l’ambiance ! Je me sens un peu une intruse, pourtant je suis acceptée, je ne sens aucune curiosité à mon égard, je suis intégrée au décor. Je suis la seule étrangère, installée dans un endroit sombre du pub, pianotant sur son téléphone pendant qu’il pleut des hallebardes !
Tromsø – 12 km
Il pleut des hallebardes !
Après la soirée et la nuit animée et agitée, je m’extirpe de ma tente. C’est le milieu de l’après-midi. Il tombe des cordes !
Le sensible et intellectuel Ewen est à l’abri dans sa tente. Toute la journée, il restera silencieusement plongé dans sa lecture. Les trois autres garçons sont déjà partis en ville depuis longtemps, pour visiter le Polarmuseet (musée polaire).
Je rejoins la ville à vélo. La Storgata, rue principale et commerçante, est en partie piétonne. Elle est bordée d’anciennes maisons en bois coloré. Je ne me lasse pas du charme des maisons norvégiennes.
Installée sur la terrasse de l’excellente bakeri (boulangerie) de Tromsø, je hèle Paul l’Écossais pédalant dans la rue. Il termine son étape avec difficulté. Il a dû rouler avec une pédale cassée les vingt derniers kilomètres. Son voyage se termine ici. Dans quelques jours il prendra l’avion pour rentrer chez lui. Nos rencontres sont toujours un grand plaisir. Nous sommes sur les mêmes courants de pensées ce qui rend nos discussions très agréables. Lorsque je lui raconte nos mésaventures de la nuit, il rit en me disant, « Donc, cette ville est incontestablement une ville de fête. Je suppose que vous devriez aller dans un endroit plus calme où les enfants peuvent jouer sur des balançoires ! » Il fait référence, avec beaucoup d’humour à mon âge et à celui des garçons qui pourraient être mes petits-fils !
Il me dit aussi qu’il aimerait connaître le français pour pouvoir, vraiment et mieux, échanger avec moi.
Et c’est au tour de Stéphane de passer devant nous. Il a loué un sac à dos, et s’est transformé en randonneur en attendant la réparation de la jante de son vélo. Il me propose de l’accompagner pour sa randonnée de plusieurs jours. Je décline son invitation, car je ne fais pas de randonnée. Les sentiers me paraissent trop glissants dans la montagne norvégienne. Je préfère me rendre tranquillement au cap Nord à vélo. Lorsque je verrai plus tard ses photos, je me rendrai compte que j’ai raté un aspect intéressant de la Norvège ; certains panoramas que l’on ne peut apercevoir qu’en marchant. Il va ensuite opérer un demi-tour depuis Tromsø. Il repartira à vélo en direction du sud pour visiter certains fjords. Le cap Nord indiffère Stéphane. Il préfère explorer certaines sphères de sa pensée.
Puis les garçons déambulent devant nous. Décidément ! Cette bakeri est située à un carrefour stratégique. Ils sont enchantés de leur visite au musée polaire qui retrace l’histoire des expéditions de trappeurs et d’explorateurs dans les régions arctiques. Maintenant, ils cherchent le bowling pour terminer leur fin d’après-midi. Ils sont toujours actifs ! Ils aspirent la vie comme s’ils devaient prolonger leur évolution.
Quant à moi, beaucoup plus sage, je pars m’installer dans un pub pour écrire mon récit de voyage. Plusieurs femmes et hommes regardent un match de foot à la télévision. Ils sortent de leur réserve naturelle, ils s’exclament, ils gesticulent en s’écriant joyeusement lorsque le but est marqué. Y’a de l’ambiance ! Je me sens un peu une intruse, pourtant je suis acceptée, je ne sens aucune curiosité à mon égard, je suis intégrée au décor. Je suis la seule étrangère, installée dans un endroit sombre du pub, pianotant sur son téléphone pendant qu’il pleut des hallebardes !