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L'improbable voyage à vélo de Besançon au cap Nord en 2022.

(réalisé)
     
À Caroline ma fille et à Gaël mon petits-fils,     
  
De Besançon au cap Nord… Chiche !
 
Partir en solitaire, un défi pour un si long voyage !
« Un voyage de mille lieues commence toujours par un premier pas » Lao-Tseu. 
Il faut donc relever la bravade par un premier coup de pédale. Mes premiers voyages à vélo de cinq-cents kilomètres sur des durées courtes m’ont fait découvrir ce qui m’apportait de l’étonnement et de multiples surprises et surtout ce qui me procurait un véritable sentiment de liberté. Au fur et à mesure j’ai allongé mes distances avec néanmoins un sentiment de frustration, car à mon retour, ce n’était jamais assez…
 
Ce sera mon plus long voyage. Si je cumule tous les kilomètres que j’aurai faits depuis mon premier coup de pédale il y a déjà quelques années, j’aurai bouclé environ vingt-quatre-mille kilomètres soit 60 % du tour de l’Équateur. 
J’ai traversé dix pays de Saint-Nazaire à Constanta en Roumanie, j’ai suivi le Rhin d’Andermatt à Rotterdam, j’ai fait deux fois le tour de Bourgogne dont l’un avec mon petit-fils Gaël. Au cours d'un tour de la France, j’ai rejoint la côte Atlantique par la Camargue, le canal des Deux-Mers puis je suis remontée jusqu’à Saint-Nazaire et j’ai terminé par L’EuroVelo 6 jusqu’à Besançon.
 
Et début avril, en guise de reprise d’entraînement, j’ai aussi fait le tour d’Alsace, petite balade de sept-cents kilomètres… Enfin, pour ne pas perdre les bons réflexes et les muscles, petits moteurs qu’il faut indispensablement garder en forme, j’ai pris l’habitude de me rendre à vélo chez mes amis à Strasbourg, en Suisse… avec Gaël, grand garçon de cinq ans, qui m’accompagne dans sa remorque à vélo à pédales.

Tous ces voyages ont été l’occasion de faire des rencontres magiques, de découvrir des paysages magnifiques, avoir des surprises émouvantes. Quand je pédale, j’éprouve un grand sentiment de liberté. Je deviens philosophe, poète, artiste. Je partage mes réflexions et mes sentiments, mes efforts aussi, avec les cyclotouristes qui m’accompagnent quelquefois sur des dizaines de kilomètres. Certains me disent que croiser une dame de mon âge -j’ai soixante-huit ans- seule, partant si loin, les aide et les motive. Moi aussi je suis très motivée et je continue, le nez au vent et les sourires dans mon baluchon. Quand je rejoins mon point de chute, je retrouve quelques-unes de ces rencontres et je découvre d’autres cyclotouristes avec qui nous échangeons sur nos expériences.

 
Mais le plus amusant et un peu flatteur aussi je l’avoue, c’est de lire dans le regard de certains l’étonnement, l’admiration et le respect. Parfois même, on me perçoit comme une personne perchée à l’âme romantique. Mais tous font preuve d’humanité, ils sont accueillants, aimables, généreux et surtout admiratifs ! 
Certaines amies m’ont attribué le terme de jeunior. D’autres sont subjuguées. Rares sont celles qui me regardent d’un air circonspect voire dubitatif. Ma fille Caroline, qui sait que je n’outrepasserai pas mes capacités physiques, me fait confiance et c’est important. De cette façon, je pars tranquille, l’esprit léger.
Quant à Gaël, mon petit-fils, adepte de cyclotourisme depuis nos échappées complices, il sera penché sur les cartes, à tracer mon parcours et à dessiner des campings et des restaurants ! Mais je sais qu’au fond de lui, il aimerait partir avec moi parce qu’il est sûr que je vais voir le père Noël au cap Nord et pouvoir cueillir les cadeaux poussant sur le sol comme autant de fleurs magiques.
 
Enfin, pour mon retour, fin août 2022, lorsque je prendrai l’avion à Alta, mes sacoches, mon cœur, ma tête, mes jambes aussi, seront pleins de souvenirs de rencontres, de paysages, de saines fatigues qui me rendront heureuse et fière d’avoir fait ce que j’aurai fait en trois mois et demi. 
vélo de randonnée
Quand : 15/05/22
Durée : 94 jours
Distance globale : 5638km
Dénivelées : +26238m / -26332m
Alti min/max : -1m/488m
Carnet publié par Jacqueline25 le 09 mai 2022
modifié le 14 avr.
5288 lecteur(s) -
Vue d'ensemble

Le topo : Section 15. Du 16 juillet au 20 .. (mise à jour : 13 avr.)

Distance section : 313km
Dénivelées section : +1553m / -1561m
Section Alti min/max : 0m/342m

Description :

Vennesund / Berg / Brønnøysund / Mossem / Anddalsvågen / Alstahaug / Levang / Nesna / Haugland / Kilbogham – Jektvika – Ågskardet

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Le compte-rendu : Section 15. Du 16 juillet au 20 .. (mise à jour : 13 avr.)


Jour 63 - Samedi 16 juillet 2022
Vennesund / Berg / Brønnøysund 
50 km

Ana et son barda.

Knut et Knut me doublent. Ils sont partis d’Oslo pour Bodø. Leurs vélos sont peu chargés car ils ne transportent pas de matériel de camping. Ils louent systématiquement un chalet. L’un me dit qu’il est étonné que je fasse autant de kilomètres par jour. Me dépassent ensuite dans une côte, Marine et Damien avec les chiens. Il s’avère que Damien est un triathlonien. Tout s’explique ! Marine est aussi une excellente sportive.


A contrario des jours précédents les fermes sont prospères dans cette région. J’arrive à la ville de Brønnøysund. Le Rootsfestivalen a commencé. Pendant quatre jours, on peut découvrir un mélange fantastique de musiciens locaux, de nouveaux talents et d'artistes nationaux et internationaux célèbres. J’entre sur les lieux du festival.  Deux vigiles me suivent d’un regard bienveillant. Je dois ressembler à un ovni avec mon casque, mon vélo, mes habits verts de cycliste et mes drapeaux. Le lieu est décoré de bâches noires : les grillages extérieurs, les scènes des artistes, les bars. 

 
Je poursuis mon chemin sans passer par la caisse. Je la verrai seulement en ressortant. Je me dirige vers un immense chapiteau où des centaines de Norvégiens sont attablés avec un verre devant eux. Je pense que l’alcool est interdit en journée.  Le feu de l’action devrait avoir lieu ce soir ! Je prends le temps d’écouter un groupe de musiciens. J’aime bien ce groupe, j’aurais dû demander son nom. Le chanteur est un véritable éléphant sur la scène, avec une voix extrêmement puissante, à faire frémir. 
 
Une dame accompagnée de ses deux gamines vient discuter avec moi. Elle parle parfaitement le français appris à l’Université. Elle s’intéresse à mon voyage, me demande mon âge. Elle me serre la main en me regardant intensément et me dit à plusieurs reprises « Incroyable ! Incroyable ! ». Elle me conseille un bon restaurant. J’apprécie un délicieux Spritz-Aperol et une excellente soupe de poissons. Il vaut mieux ne pas avoir trop faim et pas trop soif, car une petite soupe, mais délicieuse, vaut deux-cents Nork (vingt euros) et un spritz cent-trente Nork (treize euros).

Je croise ensuite Rupert. Il va prendre un ferry cette nuit à la place de son étape à vélo du lendemain. C’est un gentil garçon, au physique de colosse, avec une pointe de nostalgie dans le regard. Il réalise des courts-métrages sur des sujets variés en fonction de la demande. Il pense arriver vers le dix août au cap Nord. On se frappe dans les mains, on se dit au revoir ! On se regarde intensément, on sait que nos chemins ne se croiseront plus.

 
J’arrive au camping de Brønnøysund. Deux vieilles dames en sont les propriétaires, l’une se prénomme Ana. Alors là ! Ana et son barda !
Ana et son barda ont transformé leur camping en un musée atypique. D’innombrables objets sont exposés dehors, dans de petites dépendances, dans une immense grange-musée. Des sculptures en bois sont éparpillées dans la propriété. Elles évoquent des trolls qui sont représentés par de géants modernes de grande force, l’air un peu naïfs ou malfaisants.
La maison des deux dames est magnifique avec de grandes baies vitrées, des balcons et le camping ouvre sur la forêt et le fjord. Le petit chalet dans lequel je passerai la nuit est très coquet. Il est embelli également par de multiples objets. Dommage ! Je n’ai pas eu le temps de parler avec Ana pour en savoir un peu plus.

Une exception sur mon trajet : un motel où je bois un café ce matin
Une exception sur mon trajet : un motel où je bois un café ce matin
Knut et Knut.
Knut et Knut.
Une ferme
Une ferme
Brønnøysund
Brønnøysund
Camping de Brønnøysund
Camping de Brønnøysund
Le barda d'Ana
Le barda d'Ana
Camping de Brønnøysund
Camping de Brønnøysund
La grange et ses milliers d’objets rangés par thèmes. Camping de Brønnøysund
La grange et ses milliers d’objets rangés par thèmes. Camping de Brønnøysund
Camping de Brønnøysund
Camping de Brønnøysund
Camping de Brønnøysund
Camping de Brønnøysund
Camping de Brønnøysund
Camping de Brønnøysund
Camping de Brønnøysund
Camping de Brønnøysund
Camping de Brønnøysund
Camping de Brønnøysund
J’aime beaucoup cette tasse avec sa petite assiette fixée
J’aime beaucoup cette tasse avec sa petite assiette fixée
Camping de Brønnøysund
Camping de Brønnøysund
Camping de Brønnøysund
Camping de Brønnøysund
Camping de Brønnøysund
Camping de Brønnøysund
Camping de Brønnøysund
Camping de Brønnøysund
Camping de Brønnøysund
Camping de Brønnøysund
Camping de Brønnøysund
Camping de Brønnøysund
Mon chalet chez Ana
Mon chalet chez Ana
La maison des deux dames propriétaires du camping
La maison des deux dames propriétaires du camping
L’intérieur de mon chalet
L’intérieur de mon chalet

Jour 64 - Dimanche 17 juillet 2022
Brønnøysund / Mossem / Anddalsvågen / Alstahaug / Levang  
110 km dont 15 km en ferry

Le Helgelandsbrua, un bel ouvrage d’art.

J’arrive rapidement à un premier ferry. Le deuxième est à quelques kilomètres. Je traverse ainsi quotidiennement un à deux fjords et j’aime bien cette petite diversion. Les annonces se font en Norvégien et en Anglais par le capitaine de bord que l’on ne voit pas. Pour la première fois, à la fin des annonces j’entends « Bon voyage » en Français. Je suis la seule Française, et je suis très repérable grâce à mon drapeau. Cela me fait très plaisir. 


De nombreux touristes se rendent sur les îles, quatorze-mille îles en tout dans les environs. Une colonne de voitures me double avant d’atteindre le ferry. Les automobilistes sont à l’heure. Quant à moi, je ne cherche pas à connaître les horaires, ce serait une contrainte supplémentaire, je ne contrôle pas mon temps. La providence est souvent avec moi, car il est exceptionnel que j’attende. Depuis le ferry, j’aperçois des montagnes dentelées hérissant leurs herses. La colline de Trot est particulière parmi les autres. La roche est rouge donnant l’impression que le soleil darde un puissant rayon sur elle. Mais ce n’est pas le cas, le ciel est totalement fermé. 

 
Sur le ferry je fais la connaissance d’une famille française. Les parents ont pris un congé sabbatique de quelques mois pour voyager à bord de leur van. Ils m’ont repérée descendant à toute vitesse la montagne du fjord pour arriver au ferry. Le petit Simon, quatre ans, assis face à moi, regarde avec envie mon plateau ou repose la célèbre vafler, gaufre norvégienne, garnie d’une tranche de fromage, le brunost, au goût caramélisé. Lorsque je partage mon festin avec lui, je m’en fais un véritable allié, un complice, un camarade. Il me regardera pendant toute la durée de la traversée avec douceur. Tous les ferries, gratuits pour les cyclistes, ont une petite cafétéria, soit en libre-service, ou avec buffet et personnel en fonction du temps de la traversée.

J’aperçois un remarquable pont à haubans, le Helgelandsbrua formant une longue et gracieuse courbe en son début et se posant délicatement sur l’autre versant du fjord. Vais-je arriver à grimper ? Il mesure cent-trente-huit mètres de haut et a une longueur de mille-soixante-cinq mètres. Il est élégant, il mérite qu’on le regarde attentivement. La vue depuis le pont porte loin dans le fjord, mais mes coups d’œil sont rapides car je dois pédaler le plus vite possible, tout en gardant une trajectoire parfaite et éviter de cogner le trottoir au risque de chuter. Je suis ravie car je n’ai pas de difficulté pour cette escalade !


J’ai fait quelques progrès ces derniers jours, j’ai renvoyé récemment quatre kilogrammes de bagages par la poste. Il ne me reste que le strict nécessaire. Plus de première carte de Norvège déjà terminée, plus de deuxième bouteille de gaz, plus de veste polaire, plus de livres, je n’ai d’ailleurs pas le temps de lire, plus d’assiette, ni de petit saladier, plus de verre, je mangerai et boirai dans mon bol, plus de robe en coton achetée à Oslo, plus le petit boléro qui allait avec ma robe à paillettes. Mais en consolation, j’ai gardé précieusement dans ma sacoche, la robe à paillettes. Faut ce qu’il faut ! 

Mon vélo est plus facile à pousser dans les côtes. Je peux même grimper en danseuse. Je progresse mieux dans les montées. Je le contrôle mieux dans les descentes, et je fais même quelques petites pointes de vitesse à 65 km/h en ligne droite lorsque l’asphalte de la route est parfait.

Stéphane m’appelle ! Je suis presque arrivée à la fin de mon étape. Il a loué une cabine pour deux nuits qu’il peut partager. Demain il pleuvra toute la journée. Je dois faire encore quarante-cinq kilomètres si je veux le rejoindre et c’est le début de l’après-midi. Et hop ! Je fonce, je redouble de vigueur, je visite deux églises, le cimetière où 80 % des patronymes se terminent en EN. Il n’y a pas grand-chose d’autres à visiter dans cette campagne.

 
Il pleut par alternance, ce qui me permet de sécher. Mais c’est toujours comme cela, il pleut systématiquement entre dix-sept et vingt heures. J’ai des chaussures Scarpa en Gore Tex. Macach, que dalle. Le Gore Tex n’est pas imperméable ! J’ai jeté mes sur-chaussures en lambeaux au profit d’autres achetées à Brønnøysund. Comme je parcours les montagnes norvégiennes à pied, en poussant mon vélo, les sur-chaussures se gorgent d’eau et mes chaussures l’absorbent. Bref ! Je n’ai pas de solutions pour remédier à cela. Cela n’a pas d’importance, il faut faire avec ce que l’on a et sauvegarder tout son espace mental pour apprécier ce merveilleux voyage

 
J’arrive encore bien tardivement, à vingt heures, au camping de Levang. Et bien trempée évidemment. 
Je resterai ici demain puisque j’ai fait cent-dix kilomètres aujourd’hui. Presque deux étapes. C’est toujours un peu un souci d’arriver en fin de journée avec les chaussures trempées. Quand le chauffage n’est pas au rendez-vous on repart, le lendemain avec les pieds mouillés. Ce qu’on appelle dans les campings les cabines, sont en réalité de petits chalets, de jolies cabanes, des hytters. Et elles ont toutes le chauffage !
 
Stéphane parle de moi aux gens qu’il rencontre, de la dame de soixante-huit ans qui va aussi au cap Nord. Celle qui arrive toujours après les autres. Dans la salle de séjour du camping, Stéphane me présente Gauthier et Marion. Ils sont partis de Lyon. Ils sont très agréables et Gauthier a une particularité, c’est un sensitif, il doit toucher. Il touche nos vêtements, il compare les textures… Il se retient pour ne rien toucher dans les musées, nous dit-il. 

 
Emiel est là aussi, il est Hollandais et il semble aussi doux que sa voix. Il m’a doublée la veille en restant à ma hauteur pendant quelques kilomètres. Ces trois garçons sont ingénieurs, l’un en électricité et les deux autres en construction bois. Ils ont abandonné tous les trois leur travail. Ils me donnent l’impression d’être à un tournant de leur vie et ce voyage y participe. Nous passons une excellente soirée très conviviale ensemble. Tout le monde décide de s’offrir une journée de repos le lendemain bien à l’abri dans ce chaleureux camping.
 
Cela fait soixante-cinq jours que je suis partie de Besançon. Je suis enchantée.



Jour 65 - Lundi 18 juillet 2022
Levang

Les zinzins du cap Nord 
 
Quelle belle journée en perspective… Je regarde tomber la pluie bien à l’abri et au chaud dans la pièce commune. Mes camarades de route sont très agréables. Chacun raconte un peu de sa vie et des anecdotes de son voyage. 
 
Emiel nous montre une photo des montagnes enneigées qu’il a traversé à l’intérieur de la Norvège. Je reste stupéfaite par les murs de neige parfaitement à l’aplomb bordant la route, d’une hauteur d’environ six mètres. Je regrette de ne pas lui avoir demandé comment il s’était sorti de cet enfermement.
 
L’arrivée d’un tracteur nous occupe un bon moment. C’est le tracteur de Hans qui est parti de sa ferme en Allemagne, pour une longue boucle passant par le cap Nord. En tracteur, oui ! Je fais le tour du tracteur et à ma grande surprise, je vois sur son flanc, accroché au-dessus de ma tête, un Solex. Un vrai bon vieux Solex des années soixante-dix, en état de fonctionnement. Je commence à penser que Hans est un vrai zinzin du cap Nord. Un grand coffre est accroché à l’arrière. Il s’avère qu’il renferme une minuscule cabine couchette en hauteur et un fatras d’affaires en dessous. C’est lui le plus fêlé d’entre nous. Avec simplement nos vélos de voyageurs, nous restons bien sobres, modérés et discrets. Hans récolte des fonds pour une cause humanitaire, il donne du sens à son voyage. Mais nous, cyclos, rien de rien, notre voyage est juste pour le fun. Quel bon moment drolatique ensemble, nous les cyclo-voyageurs et lui, le tracto-voyageur toujours en train de rire !
 
Le clou de la journée sera l’arrivée de Youn et Ewen, les deux Bretons rencontrés presque deux mois auparavant, au sud des Pays-Bas. Les deux, qui d’un regard, m’avaient clouée au pilori en me faisant comprendre qu’ils ne miseraient rien sur moi, persuadés que je n’atteindrais jamais le cap Nord. Parce que pour eux, seuls de fringants jeunes hommes pouvaient réussir ce genre d’aventure, alors une grand-mère à son guidon, c’était hors de leur entendement.
 
Nous nous reconnaissons immédiatement. Nos bras nous en tombent ! Jamais, au grand jamais nous n’avions imaginé nous retrouver des milliers de kilomètres plus loin. Ils me racontent… Sans beaucoup d’argent, ils dormaient à la belle étoile avant de rencontrer les deux espagnols avec qui ils font équipe actuellement. Dans le sud de la Norvège, Ils ont joué de l’accordéon lors d’une fête Viking et ils ont été embauchés dans la ferme de l’organisateur pendant deux jours. Ils relatent de nombreuses autres péripéties.  
 
Aussitôt un lien profond nous unit. La cerise sur le gâteau est que je connais un de leur ami, Jean-Christophe d’Arzano, qui a rallié le Japon à vélo. Je l’avais rencontré en 2019 en Serbie, puis je l’ai suivi sur son blog pendant son interminable voyage à vélo. Youn et Ewen revisitent leur a priori ! Aujourd’hui les deux garçons ne me portent plus du tout le même regard. Leur humilité, leur intérêt eu égard à ma personne, me font leur pardonner l’arrogance qui m’avait irritée lors de notre première rencontre.
Je partagerai avec eux, au cours des semaines à venir, des moments inoubliables.
Ewen, Emiel, Stéphane, Marion, Gauthier.
Ewen, Emiel, Stéphane, Marion, Gauthier.

Jour 66 - Mardi 19 juillet 2022
Levang / Nesna / Haugland
84 Km
 
Il est vingt-deux heures et le ciel est encore bleu, foncé, mais toujours éclairé. La nuit ne semble pas vouloir tomber.  
 
Stéphane, Gauthier et Marion se lèvent aux aurores pour prendre un ferry. Ils veulent faire un saut de plusieurs étapes. Il n’en est pas question pour moi ! J’ai encore en travers de la gorge mon déplacement en bus qui, à mon insu, m’a fait éviter la ville d’Alesund totalement reconstruite en 1904 après avoir été détruite par le feu, et renommée depuis pour son architecture de style art nouveau. J’ai donc raté ça ! 
 
Il est huit heures. Il est temps de prendre le ferry pour passer de l’autre côté du fjord. L’équipe des cinq champions me double vers midi. Cela occasionne un instant de diversion. Youn, Ewen, Rafael, Juan Carlos avec qui ils font équipe depuis dix jours, ont intégré Emiel dans leur équipe. Je préfère pédaler seule à mon propre rythme en qualité de tortue verte préférée. Je suis à l’arrêt en haut d’une montée, j’ai donc le temps de les voir s’approcher et de les photographier. J’immortalise un gros camion frôlant Juan Carlos. Il me dira l’avoir senti beaucoup trop proche de lui.
 
Les cyclo-voyageurs roulent en principe sur la route côtière qui longe l’Atlantique, du sud au nord de la Norvège. La route se glisse entre chaque interstice de la côte découpée au laser. Elle n’en est que plus sinueuse et surtout les paysages sont splendides. En Norvège on s’habitue à voir la montagne et la mer réunies dans un écrin de verdure. Aujourd’hui les glaciers se montrent entre les herses des montagnes enneigées des fjords plongeant dans la mer. Je circule au niveau du cercle polaire et la route ondule pour suivre totalement le relief. J’ai acquis de meilleures compétences dans les montées. Il fait froid, mais je supporte bien. Je me suis entraînée cet hiver le long du Doubs, sous la pluie et la neige, avec une température avoisinant les zéros degrés.
 
Sans nouvelle des cinq garçons, je m’arrête dans un camping qui est dorénavant réservé aux travailleurs. Il est désert et le propriétaire accepte de me louer un chalet. Une nuit d’insomnie est la bienvenue, car elle me permet d’apprécier le jour permanent. Je m’intègre au paysage. Et quel paysage ! Il est vingt-deux heures et le ciel est encore bleu, foncé, mais toujours éclairé. La nuit ne semble pas vouloir tomber.  Il est minuit, puis deux heures du matin. Éclairé par un soleil couchant, toutes les couleurs rougeoient. Le moindre arbre, la moindre maison s’imprègne d’un rayonnement particulier. Puis vient le matin, le gris, le bleu reviennent petit à petit. La lumière a tout inondé d’une clarté spécifique. Est-ce l’effet d’être au niveau du cercle polaire arctique ?


Camping Leaving
Camping Leaving
Guillaume
Guillaume
Ewen, Emiel, Youn
Ewen, Emiel, Youn
Rafaell
Rafaell
Juan Carlos
Juan Carlos
Juan Carlos
Juan Carlos

Jour 67 - Mercredi 20 juillet 2022
Haugland / Kilbogham / Jektvika / Ågskardet 
67 Km

Le cercle polaire arctique
 
Vite ! Vite ! Vite ! Je dois arriver au ferry à temps car aujourd’hui je vais au-delà du cercle polaire arctique. Les garçons arrivent peu après moi à l’embarcadère. La veille ils m’attendaient avec un poisson long de cinquante centimètres, pêché par Emiel. Cependant, aucune contrainte n’est liée à nos retrouvailles. Cela me convient bien, les rencontres restent fortuites.
 
La traversée en ferry est assez longue. Nous sommes confortablement installés dans l’immense salon pour un excellent petit-déjeuner. Nous observons au loin le globe matérialisant le passage du cercle polaire arctique. C’est encore une nouvelle étape, le Grand Nord prend toute sa signification. Je me fais photographier, mes selfies ne sont pas une grande réussite. 
 
Je réponds aux questions des garçons sur la signification de cette ligne imaginaire représentant le cercle polaire arctique : au-delà du cercle arctique, le soleil reste au-dessus de l’horizon pendant au moins vingt-quatre heures consécutives au moins une fois dans l’année (soleil de minuit). Réciproquement, le Soleil reste en dessous de l’horizon pendant au moins vingt-quatre heures consécutives une autre fois dans l’année.
 
Régulièrement quand la route ne trouve plus de place à l’extérieur, elle s’enfonce dans la terre pour un ou plusieurs kilomètres. 
Et je n’aime pas les tunnels ! J’ai horreur des tunnels ! Ma première expérience dans le tunnel de Førde au sud de la Norvège fut épouvantable. La deuxième dans un autre genre fut pitoyable car mon éclairage n’a pas réussi à percer la pénombre. La chaussée étant fortement endommagée, un trou m’a fait perdre le contrôle de ma bicyclette m’envoyant brusquement sur la voie de gauche. Fort heureusement je ne suis pas tombée et aucune voiture ne circulait à ce moment-là. C’est ainsi que j’ai construit mon aversion profonde des tunnels norvégiens. 
 
À Trondheim j’ai acheté un puissant phare en supplément de mon éclairage. Il occasionnera quelques ricanements de la part de mes camarades de voyage. Paul l’écossais et Rupert se sont moqués de moi, il disait : « Jacqueline a acheté un super laser pour son vélo ! ». Au moins je sauve les meubles par un bon éclairage. Je suis persuadée que jusqu’à la fin de mon voyage je serai pétrifiée à l’entrée de chacun de ces fichus tunnels. Je ne savais pas encore que, de pétrifiée, je passerais à terrifiée.
 
Sur la route, Paul, l’écossais, m’a vue de loin. Il s’est dit : « Voilà Jacqueline ! La boule jaune ! » Ça lui fait plaisir de me retrouver. Il a redoublé d’intensité pour me rattraper, ce qui n’est pas très difficile. Paul a cinquante-deux ans, il est saisonnier ; cela lui permet de voyager une grande partie de l’année. Il a déjà arpenté une grande partie du monde. Il possède le flegme anglais, il en détient aussi la grande courtoisie. 
 
Et patatras ! J’arrive dix minutes en retard, le dernier ferry de la journée est déjà parti. Les garçons sont dépités de me savoir bloquée de l’autre côté du fjord. Puis tout s’illumine car Paul arrive. Il s’est arrêté faire quelques courses et cela lui a été fatal. Nous décidons de passer la nuit dans une cabine qui n’en est pas une, c’est simplement la petite salle d’attente du ferry. C’est parfait pour nous. Un cyclo-voyageur doit s’adapter, il doit trouver des solutions à toutes situations. 
 
Le propriétaire d’un petit bateau nous ouvre un autre bâtiment réservé aux sanitaires. Peu après il revient avec plusieurs bouteilles d’eau et une grande barquette de fraises. Il m’a doublé en voiture dans la journée, et il me félicite car je suis très visible sur la route. Je me souviens de l’expression rieuse de Stéphane, « Jacqueline c’est un vrai sapin de Noël illuminé ». J’ai un bon éclairage, des vêtements jaune fluo, des sacoches vertes.En revanche, le monsieur sympathique sermonne Paul d’être tout de noir vêtu et invisible sur la route. C’est à moi cette fois-ci d’être un peu facétieuse avec Paul ! Je peux prendre une petite revanche.


Cercle polaire arctique
Cercle polaire arctique
Juan Carlos - Ewen - Rafael - Youn - Emiel
Juan Carlos - Ewen - Rafael - Youn - Emiel
Sous mon bras, le signe marquant le cercle polaire sur l'îlot de Vikingen.
Sous mon bras, le signe marquant le cercle polaire sur l'îlot de Vikingen.
Ginguette tenue par des enfants où l'on déguste des vaflers
Ginguette tenue par des enfants où l'on déguste des vaflers
Paul dans notre cabine improvisée
Paul dans notre cabine improvisée
Mon barda
Mon barda
Commentaires
Voisine12 - 08 juil. 2022
Courage Jacqueline !!!
Bises

domii70 - 20 juil. 2022
Waouh , un véritable musée !!!!!! Ana et son barda. Tous les jours c'est une nouvelle découverte. Plein de bisous pour continuer ta route.