1 invité en ligne

L'improbable voyage à vélo de Besançon au cap Nord en 2022.

(réalisé)
     
À Caroline ma fille et à Gaël mon petits-fils,     
  
De Besançon au cap Nord… Chiche !
 
Partir en solitaire, un défi pour un si long voyage !
« Un voyage de mille lieues commence toujours par un premier pas » Lao-Tseu. 
Il faut donc relever la bravade par un premier coup de pédale. Mes premiers voyages à vélo de cinq-cents kilomètres sur des durées courtes m’ont fait découvrir ce qui m’apportait de l’étonnement et de multiples surprises et surtout ce qui me procurait un véritable sentiment de liberté. Au fur et à mesure j’ai allongé mes distances avec néanmoins un sentiment de frustration, car à mon retour, ce n’était jamais assez…
 
Ce sera mon plus long voyage. Si je cumule tous les kilomètres que j’aurai faits depuis mon premier coup de pédale il y a déjà quelques années, j’aurai bouclé environ vingt-quatre-mille kilomètres soit 60 % du tour de l’Équateur. 
J’ai traversé dix pays de Saint-Nazaire à Constanta en Roumanie, j’ai suivi le Rhin d’Andermatt à Rotterdam, j’ai fait deux fois le tour de Bourgogne dont l’un avec mon petit-fils Gaël. Au cours d'un tour de la France, j’ai rejoint la côte Atlantique par la Camargue, le canal des Deux-Mers puis je suis remontée jusqu’à Saint-Nazaire et j’ai terminé par L’EuroVelo 6 jusqu’à Besançon.
 
Et début avril, en guise de reprise d’entraînement, j’ai aussi fait le tour d’Alsace, petite balade de sept-cents kilomètres… Enfin, pour ne pas perdre les bons réflexes et les muscles, petits moteurs qu’il faut indispensablement garder en forme, j’ai pris l’habitude de me rendre à vélo chez mes amis à Strasbourg, en Suisse… avec Gaël, grand garçon de cinq ans, qui m’accompagne dans sa remorque à vélo à pédales.

Tous ces voyages ont été l’occasion de faire des rencontres magiques, de découvrir des paysages magnifiques, avoir des surprises émouvantes. Quand je pédale, j’éprouve un grand sentiment de liberté. Je deviens philosophe, poète, artiste. Je partage mes réflexions et mes sentiments, mes efforts aussi, avec les cyclotouristes qui m’accompagnent quelquefois sur des dizaines de kilomètres. Certains me disent que croiser une dame de mon âge -j’ai soixante-huit ans- seule, partant si loin, les aide et les motive. Moi aussi je suis très motivée et je continue, le nez au vent et les sourires dans mon baluchon. Quand je rejoins mon point de chute, je retrouve quelques-unes de ces rencontres et je découvre d’autres cyclotouristes avec qui nous échangeons sur nos expériences.

 
Mais le plus amusant et un peu flatteur aussi je l’avoue, c’est de lire dans le regard de certains l’étonnement, l’admiration et le respect. Parfois même, on me perçoit comme une personne perchée à l’âme romantique. Mais tous font preuve d’humanité, ils sont accueillants, aimables, généreux et surtout admiratifs ! 
Certaines amies m’ont attribué le terme de jeunior. D’autres sont subjuguées. Rares sont celles qui me regardent d’un air circonspect voire dubitatif. Ma fille Caroline, qui sait que je n’outrepasserai pas mes capacités physiques, me fait confiance et c’est important. De cette façon, je pars tranquille, l’esprit léger.
Quant à Gaël, mon petit-fils, adepte de cyclotourisme depuis nos échappées complices, il sera penché sur les cartes, à tracer mon parcours et à dessiner des campings et des restaurants ! Mais je sais qu’au fond de lui, il aimerait partir avec moi parce qu’il est sûr que je vais voir le père Noël au cap Nord et pouvoir cueillir les cadeaux poussant sur le sol comme autant de fleurs magiques.
 
Enfin, pour mon retour, fin août 2022, lorsque je prendrai l’avion à Alta, mes sacoches, mon cœur, ma tête, mes jambes aussi, seront pleins de souvenirs de rencontres, de paysages, de saines fatigues qui me rendront heureuse et fière d’avoir fait ce que j’aurai fait en trois mois et demi. 
vélo de randonnée
Quand : 15/05/22
Durée : 94 jours
Distance globale : 5638km
Dénivelées : +26238m / -26332m
Alti min/max : -1m/488m
Carnet publié par Jacqueline25 le 09 mai 2022
modifié le 14 avr.
5462 lecteur(s) -
Vue d'ensemble

Le topo : Section 17. Du 27 juillet au 31 j.. (mise à jour : 14 avr.)

Distance section : 391km
Dénivelées section : +1706m / -1700m
Section Alti min/max : 0m/294m

Description :

Ørsvåg / Svolvær / Eidet / Fiskebøl / Stokmarknes / Ytre Eidsfjord / Sortland / Meby / Å / Åberget / Stave

Télécharger traces et points de cette section au format GPX , KML
Télécharger traces et points pour l'ensemble du carnet (toutes les sections) GPX , KML

Le compte-rendu : Section 17. Du 27 juillet au 31 j.. (mise à jour : 14 avr.)


Jour 75 - Jeudi 28 juillet 2022
Ørsvåg / Svolvær / Eidet / Fiskebøl / Stokmarknes 
70 km

T’as meilleur temps !


Le soleil resplendira, équivaut-il à ne pas pleuvoir ? 

Ce matin, la pluie mouille toutes mes affaires avant que je ne puisse refermer mes sacoches. Par chance, cela s’arrange, je ne suis pas obligée de revêtir mon habit de pluie. Mais le soleil reste invisible.

J’arrive rapidement à la ville de Svolvær et je m’achète, cette fois-ci, une véritable canne à pêche, ce qui me prend du temps. Je n’ai donc plus à me poser la question de prendre ou non l’express côtier, recommandé par Franck le Canadien, car le bateau est déjà parti. En effet, peu après Svolvær, l’Hurtigruten passe dans un détroit du fjord, juste assez large pour son passage, dont les falaises tombent d’un à pic imposant, et c’était à voir. 


En me promenant sur la place de la petite ville, une jeune femme m’accoste en disant « Rafael ! ». Je comprends qu’elle a rencontré les deux Espagnols. Ils sont passés hier dans la ville. Ils lui ont montré une photo de moi et de mon équipement. 

Isabelle est Suédoise. Pour l’instant, elle vend des pulls norvégiens et tient la toute petite cabane de tickets pour la visite des fjords. Elle a le calme, la douceur et la délicatesse des gens des pays nordiques.
Son projet est de partir à vélo en Sibérie ou en Italie. Elle s’est entraînée pour cela toute une année. Elle inspecte ma bicyclette, prend des photos de ma sacoche transversale et de ses fixations, de mes éclairages. Mon super laser l’intéresse ! Elle vérifie le système d’accrochage de mon support de drapeaux… 
Pour finir je lui achète un pull norvégien pour Gaël que j’enverrai par la Poste. 
Gaël ne recevra jamais ce pull...
 
Il est presque midi lorsque je repars, je ne suis donc pas près d’arriver, car mon étape est longue. Avant deux tunnels j’allume tous mes éclairages. Un couple de Français dans un camping-car stationné sur le parking en profite pour m’offrir un morceau de cake et n’en reviennent pas de mes prouesses de cyclo-voyageuse.

 
Peu après je m’arrête à un belvédère. Le point de vue sur le village en contrebas est splendide. Il s’atteint, non pas par des escaliers de Sherpas mais simplement par quelques rampes d’escaliers en bois, bien intégrées dans le paysage.
S’ensuit une longue conversation avec Jean-Marc, rencontré sur le parking du belvédère. Parti début mai de Haute-Savoie en camping-car, il est passé par la Suède, le cap Nord… Il redescend et pense terminer son voyage en décembre. Pour lui, les paysages du cap Nord sont extraordinaires. C’est un environnement que l’on ne connaît pas a contrario des Lofoten. 
Il me dit que les cyclo-voyageurs du cap Nord le fascinent. Les marcheurs, car il y en a beaucoup ici, lui disent qu’ils alternent la marche, le train, le bateau, le bus.  Alors que nous, nous bravons tous les éléments sans utiliser d’autres moyens de transport que nos vélos. Évidemment il y a quelques exceptions comme la maladie, la fatigue, une blessure, un vélo endommagé, une baisse de moral. On se glorifie de parcourir tous nos kilomètres sur nos bécanes.  On ne triche pas comme disent les cyclos. C’est comme ça ! C’est intégré dans nos mentalités. 
 
Ewen, qui avait pris le bus, était prêt à revenir en arrière pour prendre le dangereux tunnel de Leknes lorsque nous lui avons raconté nos frayeurs respectives. Il est remarquable ce garçon, avec ses vieilles sacoches qui prennent l’eau malgré ses housses orange, ses chaussures qui ne sèchent jamais, ses multiples bouquins qu’il prend le temps de lire, son Guide du routard qu’il connaît par cœur. Il m’a donné un livre d’Olivier Norek dont le papier s’est altéré à force d’avoir été mouillé et séché. 

Après presque deux heures d’un très sympathique échange avec Jean-Marc, nous convenons de nous retrouver, à son retour, à la magnifique brasserie du Commerce à Besançon pour partager nos souvenirs de voyage. Je le reverrai en effet. Il viendra à la première présentation de mon voyage quelques mois après mon retour.

Lorsqu’il fut parti, je me dis que j’aurais dû lui demander si je pouvais l’accompagner à la fête Viking à laquelle il se rend demain. Fête organisée sur une île un peu plus au sud. J’imagine qu’on peut entrer un vélo dans un camping-car. Je peux revenir un peu en arrière, car je suis considérablement en avance sur mes prévisions. Lorsque j’ai organisé mon voyage je ne pensais pas que je deviendrais « Jacqueline la Machine ». 


Peu après je m’arrête pour échanger avec une famille valaisanne. Ils sont partis à vélo de Bergen, je n’étais donc pas seule dans le sud ! Après une dizaine de mètres de pédalage, sans avoir eu le temps de m’élancer, un jeune couple arrive face à moi et crie : « C’est Jacqueline ! ». Rebelote je m’arrête. Marion leur a dit la veille qu’ils croiseraient la dame de Besançon, que j’étais facilement repérable. Ils sont originaires de la Côte-d’Or. Ils sont extrêmement agréables. Partis de Tromsø, ils allient le vélo à la randonnée en montagne. Xavier a fabriqué sa sacoche de guidon en bois, légère dit-il, et une sorte de réceptacle triangulaire en bois aussi dans le cadre de son vélo. Il y range sa canne à pêche qu’il a achetée ici et, occasionnellement, des bières. Ils sont vraiment marrants et sympathiques. 

 
Xavier dit que parfois il en marre de faire du vélo sous la pluie. Je lui dis qu’ils sont seulement au début de leur voyage, mais qu’après plusieurs milliers de kilomètres, on n’est pas que perchés sur nos vélos. Au cours du voyage, on devient volubiles, on rit pour un rien, on est toujours en mouvement, un brin agité… Anne-Sophie est déjà un peu comme cela, c’est dans sa nature. Ils ont l’air vraiment heureux, ils font plaisir à voir. Là encore, quel bon moment ! Bref, mais intense, réconfortant et revigorant.
 
Je quitte les Lofoten pour l’archipel des Vesterålen. Un ferry rejoint l’île d’Hadseløya. Puis j’ai vraiment meilleur temps (avoir intérêt), comme on dit en Suisse et Franche-Comté, d’éviter toutes les boucles de la petite route côtière. Ça, bien sûr, si je ne veux pas arriver très tardivement, en tous cas jamais de nuit puisqu’elle n’existe pas. Pas encore devrais-je dire…

 
La plupart des touristes camping-caristes ont disparu comme par enchantement depuis l’île précédente. Les chalets du camping de Stokmarknes sont tous inoccupés. Les clefs sont suspendues sur un tableau à l’entrée du camping. Il suffit de se servir et de s’installer. Personne, il n’y a personne ! Je n’ai pour compagnie que quelques vaches qui se sont égarées dans le camping, et mangent les quelques fleurs des jardinières. 
La gérante passera en soirée.
 
Je suis bien ici. Je ferai une pause demain pour inaugurer ma nouvelle canne à pêche.
La cathédrale de Kabelvag
La cathédrale de Kabelvag
Isabelle et moi.
Isabelle et moi.
Je suis ravie de Madauphine.
Je suis ravie de Madauphine.
Xavier et Anne-Sophie
Xavier et Anne-Sophie
Camping Stokmarknes
Camping Stokmarknes

Jour 76 - Vendredi 29 juillet 2022
Stokmarknes 
50 km

Une pêche infructueuse.

Au saut du lit, je prépare ma canne à pêche. Je m’évertue à faire le nœud pour attacher l’hameçon, puis je replie la canne télescopique. Je n’arrive pas à bloquer le fil dans la minuscule encoche prévue à cet effet. Ma loupe de voyage me fait défaut, je l’ai renvoyée par la Poste avec mes autres affaires. Ce n’est pas une bonne idée d’avoir attaché l’hameçon à l’avance. Après bien des manipulations, le fil s’emmêle et je dois en couper plusieurs mètres. 

 
Me voici donc partie à la recherche d’un endroit propice pour cette pêche, qui je l’espère, sera miraculeuse. Le village de Stokmarknes est très agréable. La rue centrale est bordée de boutiques, d’une boulangerie avec terrasse. Ce n’est pas à rater ! Une esthéticienne propose des massages. Si elle avait eu de la place j’aurais abandonné l’idée de la pêche. 

Je fais de nombreux kilomètres à vélo sur la petite route côtière que j’aurais dû prendre la veille. Pour que ça morde, il faut de la profondeur et ce n’est que depuis les rochers que l’on peut pêcher. Je fais quelques tentatives mais je crains de me tordre la cheville dans les cailloux, de tomber des rochers. Je rebrousse chemin dépitée. Deux dames me rassurent en me disant qu’il est impossible de pêcher depuis la côte. 

 
Le musée Hurtigruten (musée des express côtiers) installé dans un gigantesque bâtiment moderne est fermé à mon retour. 
J’avise un pub, avec des terrasses devant et derrière et offrant une magnifique vue sur un bras de mer.  C’est une maison peinte en rouge, semblant toute petite, coincée entre le musée et un autre bâtiment moderne. C’est un bar de pêcheurs hors du temps, le Rødbrygga. Plusieurs pièces, bar, salons, sont plongées dans l’obscurité malgré les fenêtres et l’éclairage. On peut néanmoins distinguer d’innombrables objets posés sur les tablettes des fenêtres, accrochés au mur ou au plafond, une véritable brocante. Je passe du temps à observer, des retraités jouent aux cartes près de moi. Leur langage semble différent, les tonalités sont particulières, plus rauques dans ce nord de la Norvège.
 
Les murs et le plafond d’un des salons sont totalement recouverts de maillots de foot de l’équipe de Manchester avec le sigle maillot AIG, de banderoles de Southampton, Manchester, Liverpool, Tottenham, et de Solskjær qui est un joueur de foot norvégien des années soixante-dix. Sur l’une de ces banderoles, je peux lire « Aller les Rouges » en français. Je me demande bien qui étaient ces Rouges ! Un grand écran de télévision parachève la décoration. Je me vois bien enfoncée dans l’un des fauteuils bleus à vivre l’euphorie des spectateurs lors d’un match de foot retransmis, et siroter l’une des nombreuses bières du pub…
 
Je n’ai plus de nouvelles des garçons. J’apprendrai plus tard qu’Emiel a un logiciel lui indiquant exactement les endroits depuis lesquels on peut pêcher. Ce n’était donc qu’une illusion d’avoir pensé manger les fruits de ma pêche mais je n’ai que l’embarras du choix à Stokmarknes : Spar, ExtraX, Coop, Joker…, ils sont presque tous là. Je ne vois jamais grand monde dans ces supermarchés. Je comprends que les garçons puissent faire des affaires en récupérant les produits dans les poubelles.

 
Je rejoins mon petit camping très calme dans la forêt. Radia me téléphone, elle est repartie seule d’Oslo pour son voyage de retour. Actuellement elle est en Belgique dans un camping bondé, dans lequel il y aura la fête ce soir. Elle aurait préféré la sérénité et la magie forestière du mien !


Stokmarknes
Stokmarknes
Pub de Stokmarknes.
Pub de Stokmarknes.
Pub de Stokmarknes.
Pub de Stokmarknes.

Jour 77 - Samedi 30 juillet 2022
Stokmarknes / Ytre Eidsfjord / Sortland
65 Km

Je suis l’unique femme de cet âge, seule de surcroît, dans cette aventure du cap Nord à vélo.

À la sortie de Stokmarknes, je franchis un magnifique pont, le Børøybrua, il monte, il redescend, il tourne, long de trois-cent-trente-six mètres, il me conduit sur la petite île de Børøya. Je traverse l’île. Puis c’est l’Hadselbrua, très long pont de mille-onze mètres, qui m’amène sur l’île de Langøya. Un ouvrage d’art est dit non courant dès que sa longueur dépasse cent mètres. Il est dit exceptionnel lorsque celle-ci dépasse cinq-cents mètres. 

Il n’y a pas de vent. Le soleil resplendit, les fjords sont d’un bleu intense, miroitant au soleil. Depuis que je pédale en Norvège, depuis début juillet, c’est-à-dire depuis un mois, c’est le premier jour qu’il fait réellement beau. Vraiment beau ! 

Les ponts ! J’aime les ponts ! Ils me font penser à Vittorio, mon père qui aurait pu construire les superbes ponts norvégiens. C’était aussi un passionné de vélo. Je pense qu’il connaissait Jostein Wilmann qui a révisé mon vélo peu avant Trondheim. Il connaissait tous les cyclistes des années quatre-vingts. Mais j’ai oublié de lui demander s’il savait faire du vélo… Je crois que non !  

Ma mère, si elle avait vécu une génération après la sienne, aurait été une aventurière. Elle était de tout cœur avec mes extravagances.
 
Je pense souvent à Claude, comme aujourd’hui, en gravissant le pont. La belle, la pétillante, la soyeuse Claude. Sa place est toujours à mes côtés. Elle me manque toujours autant et parfois les larmes me montent aux yeux. Les émotions sont exacerbées, dopée comme je suis. Je pense à Gaël et Caroline. Ils me manquent évidemment mais ils sont en vie, ils vont bien. Lorsque je rentrerai, si je rentre à la date prévue ils seront en vacances au bord de l’Atlantique. Je ne suis donc pas pressée. 
Et voilà ! Mes pensées me transportent et me permettent d’atteindre le haut des ponts sans difficulté.

Je suis ravie de ce voyage. Je pense que j’ai une chance inouïe d’avoir encore le physique, de découvrir le monde, d’être capable de voyager seule, de n’avoir peur de rien, hormis les tunnels norvégiens, de faire tant de belles rencontres exceptionnelles avec les « fadas » du cap Nord et avec les habitants des différents pays traversés.

 
Voyager et encore plus que tout à vélo, m’oblige à prendre le temps d’observer les détails, de sentir l’existence locale. Tout prend du temps pour être apprécié, pour ouvrir son esprit, son cœur à quelque chose qui n’a pas fait partie de ma vie jusque-là. Quand je voyage, je sors de ma zone de confort, je me laisse surprendre, je partage, j’apprends, je remarque des différences et j’améliore ma propre bulle avec la somme de tout ce que je vis.

Ils sont bien là les Norvégiens ! Je le constate aujourd’hui ! Ils ne sont plus claquemurés, calfeutrés dans leurs maisons par le froid et la pluie de ces dernières semaines. On doit leur faire pitié, à vélo pour gagner le cap Nord ! Ils sont sur leur balcon, torse nu ou en maillot de bain, ils me font signe, me font le fameux geste avec le pouce. Décidément ! Comme me disait Gauthier, « Tu es une star ! ». Je vois très peu d’enfants. Il y a peu de trafic sur cette petite route côtière. 

Aujourd’hui, je distingue les passagers des véhicules, ils me font signe ce que je ne percevais pas les jours précédents car l’habitacle était trop sombre sous le ciel gris.

Ce samedi, j’ai mon petit espace de gloire dans l’Est Républicain, journal local de Franche-Comté.  L’article relate mon voyage au cap Nord, et le passage du cercle polaire arctique. Lorsque José, le journaliste, m’avait reçue avant mon départ, dans son magnifique manoir du dix-neuvième siècle, il m’avait dit que j’avais plutôt l’air d’une bibliothécaire ou d’une galeriste, mais pas d’une cycliste ! Mais au bout de tant de kilomètres à vélo, il faut que je sois sportive, même si je n’en ai pas le profil.


Je suis l’unique femme de cet âge, seule de surcroît, dans cette aventure du cap Nord à vélo. Les jeunes cyclos rencontrés n’ont de cesse de parler de moi. Marine a fait une vidéo de moi pour inciter sa grand-mère surnommée « Mamy-Longo » à faire du cyclotourisme.  Les parents de mes jeunes coéquipiers se font du souci, quant à moi, c’est ma fille qui s’inquiète. 

Je suis proche de mon but et tout va bien !

Je m’arrête à Sortland. Sur la place centrale se dresse une statue en bronze de Kjetil Paulsen. Pendant trente ans il fut le balayeur de la ville. Il a pris sa retraite en 2006. Les habitants l’adoraient et ils lui ont rendu hommage par cette sculpture. Il faut être Norvégiens pour un tel geste. Franchement ! Bravo à eux !


Lorsque j’arrive au camping qui ne m’inspirait guère, j’ai une belle surprise. Pour trois fois rien, le patron m’installe dans un chalet dans lequel il ne manque rien. Tout est neuf. Une télévision a trouvé son emplacement dans un coin du salon. Thé et café sont même à ma disposition. Pour la première fois, les fenêtres sont munies de beaux rideaux damassés ne laissant pas la clarté nocturne pénétrer. 

 
Une insomnie est la bienvenue. Il faut bien un bénéfice secondaire ! La beauté est éclatante en ce milieu de nuit. Un artiste a dû se mettre à l’œuvre et peindre le ciel et le fjord en jaune, orange. Les montagnes au loin ainsi que le feuillage de l’arbre à proximité de moi sont dignes d’estampes japonaises. Voilà comment on peut accueillir avec béatitude une insomnie ! 







À la sortie de Stokmarknes.
À la sortie de Stokmarknes.
Musée Hutigruten
Musée Hutigruten
Camping de Sortland
Camping de Sortland
Camping de Sortland
Camping de Sortland
C’était parfait.
C’était parfait.
À trois heures du matin.
À trois heures du matin.
Camping de Sortland.
Camping de Sortland.

Jour 78 - Dimanche 31 juillet 2022
Sortland / Meby / Å / Åberget / Stave  
95 km

Elle gisait au bas de la digue.

Je quitte le confort du charmant chalet. C’est toujours avec plaisir et allégresse que j’emprunte les ponts. À mon grand ravissement, plusieurs m’attendent à la sortie de Sortland, pour atteindre l’île d’Andøya. Puis dans la matinée, je le vois au loin. Il est magnifique, sa courbe ascendante et descendante est extravagante. Je replonge dans mes pensées et j’en sors brusquement. Mais qu’est-ce qui s’est érigé face à moi ? Un mur ? Une piste de saut à ski ? Non c’est lui, c’est le pont que je voyais au loin, une voiture se découpe dans le ciel à son sommet… Mama Mia ! il faut que j’y arrive… L’obstacle semble insurmontable. Je ne dois plus penser au pont. Je dois me concentrer sur autre chose. Je dois faire fi de mes difficultés tellement dérisoires en comparaison des chantiers des Sherpas. 

 
Je pense à eux. Geirr Vetti, soixante ans, un ancien fermier, pour lequel travailla Nima Nuru en 2001, voulait daller l’un d’eux, près de sa ferme à Skjolden, au fond du Sognefjord. Il avait pensé, il y a maintenant deux décennies, à faire venir un Sherpa dont il avait repéré le nom dans un compte rendu d’expédition sur l’Everest. 
J’ai traversé le Sognefjord au nord de Bergen, c’était encore lorsque je doutais d’arriver au cap Nord. Si j’avais su, je serais allée voir le premier escalier de Nima. Pour Geir, les escaliers représentent un idéal de liberté, une façon de rappeler que la Norvège est, avant tout, un pays obsédé par la nature. 
Quelle chance pour moi, j’ai gravi l’un d’eux à Moskenes !
 
J’ai un bon moment pour dérouler cette histoire et c’est une belle victoire, car sans penser à la difficulté de cette redoutable escalade à vélo, je suis arrivée au sommet… du pont ! Sans poser le pied par terre.


Tout est calme dans cette campagne. C’est dimanche et les Norvégiens sont toujours sur leur balcon, se faisant bronzer. Je photographie des paysages mais il manque des personnages. Mes photos n’ont plus d’âmes. Les pitreries, la bonne humeur, la joie de vivre des garçons me manquent. Deux sont devant moi et les trois plus jeunes derrière. 


Je fais un selfie… ce n’est pas une grande réussite. J’entends un bruit feutré derrière moi, je me retourne. Mon vélo qui était à quelques dizaines de mètres de moi a disparu ! Je l’avais posé sur sa béquille en vérifiant, comme d’habitude, sa stabilité au bord de la route. Je m’approche de son emplacement et je vois ma chère bicyclette, ma compagne de voyage qui n’a jamais faibli durant ces milliers de kilomètres, gisant la tête la première en bas du talus de la digue.

Bon ! comment vais-je faire pour la sortir de ce mauvais pas, elle est si lourde. Au secours les garçons ! Aidez-moi ! Où êtes-vous ?

Les quelques voitures et camping-cars passant sur la route, ne s’arrêtent pas, m’ignorant impitoyablement, insensiblement. Je me sens un peu ridicule. Je retire toutes les sacoches et c’est avec toutes les peines du monde que j’extirpe, de ce fossé bien pentu au sol meuble, ma bicyclette et tout son barda. Pas de casse ! Ouf !


Rafael et Juan Carlos comptent environ deux étapes d’avance sur moi. Les trois garçons, Emiel, Youn et Ewen sont ensemble et derrière moi. Stéphane aussi est derrière. Marion, Gauthier, Marine et Damien sont devant, ils ont quelques étapes d’avance. Je ne sais pas où sont Joris et Sarah. Rupert et Paul sont bien devant, très certainement.

 
Je suis redevenue une sorte de louve solitaire. Mes vêtements se sont ternis au soleil et à la pluie, et quelques taches de cambouis sont tenaces. Mon casque a perdu son éclat. Mes sacoches neuves au départ, ont bien vécu durant ce long voyage, elles ont perdu leur propreté. Mes cheveux ne sont plus domptables, lorsque j’enlève mon casque ils se dressent sur ma tête. Quelle allure ! J’ai aussi deux sillons au niveau du cuir chevelu où repose mon casque. 

Les garçons ont la jeunesse pour eux, Youn avec ses cheveux frisés semble toujours à peu près bien coiffé. Emiel et ses beaux cheveux blonds, mi-longs, semble sortir de chez le coiffeur quotidiennement. Quant à Ewen, il est un peu comme moi, mais en pire, avec des cheveux trop longs dressés sur la tête ! 
 
En fin de journée, je dévie de ma route et je pars à l’est de l’île pour rejoindre un camping indiqué sur ma carte. Mais il est fermé. Je dois donc traverser l’île d’est en ouest pour un autre camping à vingt-cinq kilomètres de distance. Il est tard ! C’est trop loin ! De chaque côté de la petite route s’étendent des champs couverts de saladelle. C’est un tapis dense, fait de petits bouquets serrés et piquants. J’abandonne l’idée du camping sauvage. Après une dizaine de kilomètres, je quitte cette lande austère pour rejoindre la route côtière.
 
Je redouble de vigueur pour arriver enfin à un camping. À gauche de la route quelques camping-cars sont alignés face à la mer bordée d’une magnifique plage de sable blanc, et de l’autre côté, un immense champ vallonné est occupé par de petits chalets. Je décide d’y planter ma tente. Quelques mini volcans les uns à côté des autres m’intriguent. Après une bonne observation je m’aperçois que le dessus forme un cratère occupé par un grand bac circulaire. Ce sont des spas de plein air, avec vue sur la mer. L’ensemble, champ, chalets, tentes, spas et un magnifique coucher de soleil pour couronner le tout, offre un cadre tout à fait séduisant. C’est le camping de Stave.



Commentaires
Mouette77703 - 29 juil. 2022
Trop chouette ! Que de rencontres dis donc tu ne vas pas avancer à force ‘ plus ça va plus on est nombreux à parler de Jacqueline en plus 😂😂 Marine et Damien

Ouders Emiel - 30 juil. 2022
Beste Jacqueline,
Met veel plezier en bewondering lezen wij jouw reisverhalen. Wat een prachtige tocht en veel respect om zo'n avontuur aan te gaan.
Wij vinden het ook erg leuk dat je onze zoon Emiel hebt ontmoet en zijn geroerd door jouw lieve woorden.
Met jouw reisverslag zien we ook nog eens heel veel meer foto's van onze zoon en zijn fietsvrienden.

Wij wensen jou nog een heel goede reis toe naar de Noordkaap.
Met vriendelijke groeten,
De ouders van Emiel. (Nederland).

Jacqueline25 - 31 juil. 2022
Beste ouders van Emiel,
Bedankt voor je bericht dat me diep heeft geraakt.
Ik hervatte mijn solo-reis een paar dagen geleden. De drie jongens vormen een uitstekend trio. Ze tonen levendigheid, ze zijn vol leven en gelukkig. Ze hebben mijn dagen met hen enorm opgefleurd.
Met alle respect,
Jacqueline