Une marche à travers l'Europe
Récit d'une traversée d'Europe à pieds en solitaire et par les montagnes, du détroit de Gibraltar à Istanbul.
voilier
randonnée/trek
/
Quand : 19/02/23
Durée : 500 jours
Durée : 500 jours
Distance globale :
8418km
Dénivelées :
+199488m /
-197103m
Alti min/max : -1m/3013m
Carnet publié par SamuelK
le 08 oct. 2023
modifié le 26 août
modifié le 26 août
Mobilité douce
Réalisé en utilisant transports en commun (train, bus, bateau...)
Précisions :
Pour me rendre au départ : bus de Bordeaux à Tarifa. Pour le retour : en voilier par la méditerranée ?
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Vue d'ensemble
Le topo : Turquie : Istanbul > Ayvalık (mise à jour : 02 mai)
Distance section :
253km
Dénivelées section :
+3363m /
-2821m
Section Alti min/max : 0m/832m
Description :
13/04/2024 > 23/04/2024
222 km ; D+ 3400 m ; D- 3400 m
222 km ; D+ 3400 m ; D- 3400 m
Le compte-rendu : Turquie : Istanbul > Ayvalık (mise à jour : 02 mai)
Après une arrivée et un séjour prolongé à Istanbul, je quitte la magie et la folie de cette ville. Il est grand temps de me replonger dans un quotidien autre, une itinérance suffisamment longue avec un objectif suffisamment lointain. J'ai cherché par tous les moyens de quitter Istanbul en voilier, tout en étant très flexible quant à la direction vers le sud. Quelques fois je n'étais pas loin de trouver une opportunité de conavigation et ça aurait pu fonctionner, mais après deux semaines de recherches et démarches en parallèle de mon temps à Istanbul, je n'ai rien trouvé et ne vais pas rester ici plus longtemps. C'est donc à contrecœur que je traverse la mer de Marmara en ferry, mais sans regret puisque j'estime avoir tout essayé. Pour maintenir la continuité géographique de mon itinéraire dessiné sur la carte, je repars depuis la mosquée Sainte-Sophie vers le port où j'embarque pour Bandırma, à 100 km de l'autre côté de la petite mer de Marmara. J'imaginais au moins passer ce trajer sur le pont du bateau, à regarder Istanbul s'éloigner derrière l'eau qui s'étire. Que nenni, c'est interdit, on m'oblige à rentrer m'asseoir dans les rangées de sièges à l'intérieur. Alors que dehors existent le vent, l'eau, les mouettes, la ville que nous laissons et la côte que nous longeons, il n'y pas d'autre possibilité que de rester assis à l'intérieur, avec une climatisation inutile et trop forte, forcés à avoir deux écrans de télé dans notre champ de vision où que nous soyons. Alors que dehors défile un monde intéressant que j'aimerais simplement observer, j'ai donc le choix entre regarder la télé, regarder mon téléphone, ou fermer les yeux.
C'est donc depuis Bandırma que je reprends l'itinerance pédestre et entame un itinéraire jusqu'à Izmir, 300 km plus loin. De là-bas, je compte à nouveau chercher des opportunités de conavigation à travers la mer Égée. Les premiers jours de marche sont difficiles. Je marche quasi-exclusivement entre les champs de blé et de colza, sur des pistes agricoles, sous 35°C et sans arbre pour me reposer à l'ombre. Je trouve le paysage triste, tout comme les villages qui le parsèment. Je réalise alors que cela fait deux mois que je n'ai pas été dans un endroit beau, où le beau n'est pas à chercher dans la fleur de coquelicot au bord du chemin, mais est omniprésent, m'englobe, accapare les sens et parfois même la pensée. Cela fait deux mois que je suis descendu des montagnes bulgares du grand balkan, et que depuis je marche soit dans ces campagnes plates et répétitives, exclusivement consacrées à l'agriculture avec une biodiversité subsistante réduite au minimum, soit dans des environnements urbains auxquels je suis de plus en plus allergique. Je suis en manque de montagnes, de paysages, des sensations et émotions qui vont avec, ou tout simplement de forêts, de sentiers, de biodiversité à observer. Pour la première fois je crois depuis mon départ il y a 14 mois, ce labeur s'accompagne de doutes et remises en question quant à mes plans. Mon cadre et mon objectif sont à présent moins clairs et plus flexibles. Je suis donc moins porté par une destination lointaine dans l'espace et le temps, qui donne sens à la marche et aux difficultés qui vont avec. Là, je me dis que j'ai déjà suffisamment donné en labeur, et me sens moins porté par mon nouvel objectif de rentrer à pieds et en bateau. À un moment, j'ai une grande envie de me déplacer à velo et une grande frustration qui en découle. Toutefois, j'accepte et prends en compte mon état toujours à cheval entre la suite ou la fin du voyage, et continue de marcher.
Après ces premiers jours, le rythme de la marche revient. Je trouve à nouveau confortable d'avancer d'une trentaine de kilomètres par jour, d'évoluer à ce rythme avec le temps à ma disposition, sans la sensation désagréable d'être pressé. Le changement de météo et d'environnement contribue également. Après trois jours de soleil accablant sans nuages, trois jours de pluie prennent le relais, puis enfin une météo tempérée avec un ciel nuageux appréciable qui me protège des UV. Un peu de relief et de forêts ont leur place dans le paysage, je vois et entends plusieurs espèces d'oiseaux, contre une seule auparavant, j'assiste réellement au printemps qui se déploie. Il ne s'agit bien sûr pas du même beau que celui d'un environnement montagneux que j'explore et qui me submerge, mais par moment je suis très heureux d'assister à la féerie du printemps. J'écoute avec attention et amusement le chant virtuose du rossignol, qui partout vante son repertoir varié de jour comme de nuit. Selon l'exposition au soleil, je vois tous les stades du développement des feuilles et des fruits du figuier, l'emblème du printemps. Les arbres sortent leurs jeunes pousses aux couleurs claires, les fougères se déplient dans les sous-bois, les insectes butinent les fleurs qui subliment ce paysage déjà coloré, les grenouilles s'en donnent à cœur joie dans leur période de reproduction, et je m'arrête régulièrement regarder, écouter et sentir tous ces spectacles.
Un matin, je marche quelques kilomètres sur une apparente banale piste agricole qui longe un fin court d'eau presque stagnant. Je suis impressionné et émerveillé par la densité de vie qui cohabite dans cette étroite bande d'eau : une grande quantité de plantes aquatiques qui masque presque la surface de l'eau, une multitude d'insectes et notamment de belles libellules colorées, des grenouilles de toutes les tailles et de toutes les couleurs, et plus de tortues que je n'en ai vu jusqu'à présent dans ma vie. Je marche lentement pour observer toute cette richesse juste là, et voir les animaux qui fuient au fond de l'eau en m'entendant approcher. Les grenouilles m'impressionnent autant qu'elles me font rire. Au fil de mon avancée sur le chemin, elles sautent dans l'eau depuis la rive l'une après l'autre, et forment ainsi une vague qui s'achève par une succession de "plouf". Petites et avec leurs cuisses surpuissantes, elles bondissent sans réfléchir, sans savoir les obstacles qu'elles rencontreront en vol ni dans quel sens elles plongeront dans l'eau. Je les trouve courageuses et surtout tellement drôles. À ce moment-là, je suis content de me déplacer à pieds pour pouvoir admirer pleinement tout cela. En parallèle, je me sens paradoxalement privilégié et seul à tant jouir gratuitement et gracieusement de toute cette beauté accessible. Je ne peux m'empêcher de me faire la réflexion que la plupart des stambouliotes, bien que dans un environnement infiniment plus complexe et sophistiqué, n'entendront ou n'écouteront peut-être pas le chant du rossignol pourtant omniprésent ici, ne verront peut-être pas d'autres fleurs que les tulipes des parcs de la ville, ne verront peut-être pas d'autres oiseaux que les pigeons, mouettes et corneilles d'Istanbul, et resteront peut-être dans des endroits où il est impossible de ne pas avoir d'immeuble dans son champ de vision, ni de moteur thermique dans son champ auditif. Je me fais ce genre de réflexions peut-être fausses même lorsque, après avoir contemplé avec joie tout cela, je traverse une petite ville où l'on s'entasse sur du goudron et dans du béton, sans vraiment accorder de place visuel ou sonore au beau.
Petit à petit, ce sont aussi les oliviers qui font leur retour dans le paysage. Cet arbre est et restera pour moi toujours associé au sud de l'Espagne, à ces déserts d'oliviers dans lesquels j'ai marché pendant plusieurs jours et semaines il y an de cela. J'ai depuis un rapport particulier avec cet arbre emblématique. Un an et plusieurs milliers de kilomètres plus tard, me voilà à nouveau à la même saison à marcher dans des vergers d'oliviers. Ici, les parcelles sont en revanche de tailles plus raisonnables, avec souvent des animaux d'élevage sous les arbres, et une production moins intensive et plus diversifiée. Comme en Andalousie, les endroits uniquement dédiés à la culture de l'olivier s'accompagnent aussi souvent de clôtures, barbelés, chiens méchants et systèmes d'alarme et de video-surveillance, la bonne ambiance. À cette période, les oliviers aussi fleurissent.
Depuis Istanbul, j'ai retroqué mon statut de touriste lambda pour celui d'OVNI. Depuis 14 mois que je marche, j'alterne successivement l'un et l'autre selon si je suis dans un lieu touristique ou non, en ville ou en campagne/montagne, sans presque aucun intermédiaire. Comme depuis mon entrée en Turquie, la plupart du temps lorsque je traverse les villages, je suis d'abord un dangereux migrant, puis une curiosité, puis une attraction. Parfois la première étape n'a pas lieu, parfois aussi on en reste à celle-ci. L'association du nationalisme et de l'hospitalité turc forme vraiment un étonnant mais possible mélange. Attention aux généralités toutefois. Malgré des situations certes répétitives, je rencontre une diversité de personnes, de comportements et d'interactions. Je romps avec l'anonymat et l'indifférence de la ville, et m'arrête rencontrer et discuter avec les hommes dans les cafés. On m'offre toujours le thé, souvent à manger, et parfois l'hospitalité. Quelque fois mais rarement, j'ai aussi l'occasion de rencontrer les femmes. Je suis toujours heureux lorsque ma marche suscite un intérêt et des émotions. Au cours de cette section, je dors deux nuits dans des petits lieux de prière à l'entrée des villages, avec l'accord des habitants. J'y retrouve l'intimité et le plaisir des nuits en cabane en montagne.
J'ai décidé d'écourter cette seconde section de marche en Turquie en me rendant finalement à Ayvalık, sur la mer Égée. De là, je chercherai de nouveau des opportunités de conavigation vers la Grèce. Comme presque toutes les côtes méditerranéennes, il s'agit d'un lieu dédié au tourisme balnéaire, à destination des turcs aisés et des étrangers européens. Les prix sont multipliés par deux ou trois. En approchant, un peu comme sur la côte adriaque en Croatie, je traverse des quartiers résidentiels touristiques qui vivent deux mois dans l'année, uniformes et construits à la va-vite. Beaucoup d'autres sont en construction, et entre ces îlots d'appartements et de villas, toujours le même envers du décors : des décharges à ciel ouvert d'électroménager et de matériaux de construction. Les interactions humaines deviennent aussi plus froides et purement commerciales. En amont de mon arrivée sur la côte égéenne et une fois sur place, je recherche par tous les moyens des équipages qui iraient vers les îles Cyclades, la Crète ou la Grèce, mais en vain. Comme à Istanbul, on essaye de se débarrasser de moi le plus vite possible au port de plaisance, et on me refuse même que je laisse une annonce à la capitainerie. Je ne vais pas m'éterniser ici, quelques jours a déjà des conséquences négatives sur mon humeur, et je ne suis pas optimiste pour arriver à repartir d'ici en voilier. Faute de m'adapter aux opportunités de navigation, je décide donc moi-même de la suite de mon itinéraire. Je vais reprendre le ferry pour traverser la mer Égée jusqu'à Thessalonique en Grèce. De là-bas, j'ai dessiné une itinéraire pour traverser la Grèce d'est en ouest par différents massifs montagneux. Environ 600 km et 25 000 m de D+, de quoi m'occuper le mois de mai et retrouver un rythme de marche itinérante et un environnement montagneux. Ensuite, j'espère vraiment parvenir à parcourir la méditerranée en voilier, en une ou plusieurs étapes. D'ici là, j'ai le temps de rechercher des équipages sur internet. Ainsi, après deux mois en Turquie, je m'apprête pour la dixième fois à franchir une frontière, quitter un pays auquel je me suis habitué et où j'ai mes repères, pour entrer dans un nouvel inconnu à découvrir, auquel m'intéresser et où poursuivre mon aventure.
C'est donc depuis Bandırma que je reprends l'itinerance pédestre et entame un itinéraire jusqu'à Izmir, 300 km plus loin. De là-bas, je compte à nouveau chercher des opportunités de conavigation à travers la mer Égée. Les premiers jours de marche sont difficiles. Je marche quasi-exclusivement entre les champs de blé et de colza, sur des pistes agricoles, sous 35°C et sans arbre pour me reposer à l'ombre. Je trouve le paysage triste, tout comme les villages qui le parsèment. Je réalise alors que cela fait deux mois que je n'ai pas été dans un endroit beau, où le beau n'est pas à chercher dans la fleur de coquelicot au bord du chemin, mais est omniprésent, m'englobe, accapare les sens et parfois même la pensée. Cela fait deux mois que je suis descendu des montagnes bulgares du grand balkan, et que depuis je marche soit dans ces campagnes plates et répétitives, exclusivement consacrées à l'agriculture avec une biodiversité subsistante réduite au minimum, soit dans des environnements urbains auxquels je suis de plus en plus allergique. Je suis en manque de montagnes, de paysages, des sensations et émotions qui vont avec, ou tout simplement de forêts, de sentiers, de biodiversité à observer. Pour la première fois je crois depuis mon départ il y a 14 mois, ce labeur s'accompagne de doutes et remises en question quant à mes plans. Mon cadre et mon objectif sont à présent moins clairs et plus flexibles. Je suis donc moins porté par une destination lointaine dans l'espace et le temps, qui donne sens à la marche et aux difficultés qui vont avec. Là, je me dis que j'ai déjà suffisamment donné en labeur, et me sens moins porté par mon nouvel objectif de rentrer à pieds et en bateau. À un moment, j'ai une grande envie de me déplacer à velo et une grande frustration qui en découle. Toutefois, j'accepte et prends en compte mon état toujours à cheval entre la suite ou la fin du voyage, et continue de marcher.
Après ces premiers jours, le rythme de la marche revient. Je trouve à nouveau confortable d'avancer d'une trentaine de kilomètres par jour, d'évoluer à ce rythme avec le temps à ma disposition, sans la sensation désagréable d'être pressé. Le changement de météo et d'environnement contribue également. Après trois jours de soleil accablant sans nuages, trois jours de pluie prennent le relais, puis enfin une météo tempérée avec un ciel nuageux appréciable qui me protège des UV. Un peu de relief et de forêts ont leur place dans le paysage, je vois et entends plusieurs espèces d'oiseaux, contre une seule auparavant, j'assiste réellement au printemps qui se déploie. Il ne s'agit bien sûr pas du même beau que celui d'un environnement montagneux que j'explore et qui me submerge, mais par moment je suis très heureux d'assister à la féerie du printemps. J'écoute avec attention et amusement le chant virtuose du rossignol, qui partout vante son repertoir varié de jour comme de nuit. Selon l'exposition au soleil, je vois tous les stades du développement des feuilles et des fruits du figuier, l'emblème du printemps. Les arbres sortent leurs jeunes pousses aux couleurs claires, les fougères se déplient dans les sous-bois, les insectes butinent les fleurs qui subliment ce paysage déjà coloré, les grenouilles s'en donnent à cœur joie dans leur période de reproduction, et je m'arrête régulièrement regarder, écouter et sentir tous ces spectacles.
Un matin, je marche quelques kilomètres sur une apparente banale piste agricole qui longe un fin court d'eau presque stagnant. Je suis impressionné et émerveillé par la densité de vie qui cohabite dans cette étroite bande d'eau : une grande quantité de plantes aquatiques qui masque presque la surface de l'eau, une multitude d'insectes et notamment de belles libellules colorées, des grenouilles de toutes les tailles et de toutes les couleurs, et plus de tortues que je n'en ai vu jusqu'à présent dans ma vie. Je marche lentement pour observer toute cette richesse juste là, et voir les animaux qui fuient au fond de l'eau en m'entendant approcher. Les grenouilles m'impressionnent autant qu'elles me font rire. Au fil de mon avancée sur le chemin, elles sautent dans l'eau depuis la rive l'une après l'autre, et forment ainsi une vague qui s'achève par une succession de "plouf". Petites et avec leurs cuisses surpuissantes, elles bondissent sans réfléchir, sans savoir les obstacles qu'elles rencontreront en vol ni dans quel sens elles plongeront dans l'eau. Je les trouve courageuses et surtout tellement drôles. À ce moment-là, je suis content de me déplacer à pieds pour pouvoir admirer pleinement tout cela. En parallèle, je me sens paradoxalement privilégié et seul à tant jouir gratuitement et gracieusement de toute cette beauté accessible. Je ne peux m'empêcher de me faire la réflexion que la plupart des stambouliotes, bien que dans un environnement infiniment plus complexe et sophistiqué, n'entendront ou n'écouteront peut-être pas le chant du rossignol pourtant omniprésent ici, ne verront peut-être pas d'autres fleurs que les tulipes des parcs de la ville, ne verront peut-être pas d'autres oiseaux que les pigeons, mouettes et corneilles d'Istanbul, et resteront peut-être dans des endroits où il est impossible de ne pas avoir d'immeuble dans son champ de vision, ni de moteur thermique dans son champ auditif. Je me fais ce genre de réflexions peut-être fausses même lorsque, après avoir contemplé avec joie tout cela, je traverse une petite ville où l'on s'entasse sur du goudron et dans du béton, sans vraiment accorder de place visuel ou sonore au beau.
Petit à petit, ce sont aussi les oliviers qui font leur retour dans le paysage. Cet arbre est et restera pour moi toujours associé au sud de l'Espagne, à ces déserts d'oliviers dans lesquels j'ai marché pendant plusieurs jours et semaines il y an de cela. J'ai depuis un rapport particulier avec cet arbre emblématique. Un an et plusieurs milliers de kilomètres plus tard, me voilà à nouveau à la même saison à marcher dans des vergers d'oliviers. Ici, les parcelles sont en revanche de tailles plus raisonnables, avec souvent des animaux d'élevage sous les arbres, et une production moins intensive et plus diversifiée. Comme en Andalousie, les endroits uniquement dédiés à la culture de l'olivier s'accompagnent aussi souvent de clôtures, barbelés, chiens méchants et systèmes d'alarme et de video-surveillance, la bonne ambiance. À cette période, les oliviers aussi fleurissent.
Depuis Istanbul, j'ai retroqué mon statut de touriste lambda pour celui d'OVNI. Depuis 14 mois que je marche, j'alterne successivement l'un et l'autre selon si je suis dans un lieu touristique ou non, en ville ou en campagne/montagne, sans presque aucun intermédiaire. Comme depuis mon entrée en Turquie, la plupart du temps lorsque je traverse les villages, je suis d'abord un dangereux migrant, puis une curiosité, puis une attraction. Parfois la première étape n'a pas lieu, parfois aussi on en reste à celle-ci. L'association du nationalisme et de l'hospitalité turc forme vraiment un étonnant mais possible mélange. Attention aux généralités toutefois. Malgré des situations certes répétitives, je rencontre une diversité de personnes, de comportements et d'interactions. Je romps avec l'anonymat et l'indifférence de la ville, et m'arrête rencontrer et discuter avec les hommes dans les cafés. On m'offre toujours le thé, souvent à manger, et parfois l'hospitalité. Quelque fois mais rarement, j'ai aussi l'occasion de rencontrer les femmes. Je suis toujours heureux lorsque ma marche suscite un intérêt et des émotions. Au cours de cette section, je dors deux nuits dans des petits lieux de prière à l'entrée des villages, avec l'accord des habitants. J'y retrouve l'intimité et le plaisir des nuits en cabane en montagne.
J'ai décidé d'écourter cette seconde section de marche en Turquie en me rendant finalement à Ayvalık, sur la mer Égée. De là, je chercherai de nouveau des opportunités de conavigation vers la Grèce. Comme presque toutes les côtes méditerranéennes, il s'agit d'un lieu dédié au tourisme balnéaire, à destination des turcs aisés et des étrangers européens. Les prix sont multipliés par deux ou trois. En approchant, un peu comme sur la côte adriaque en Croatie, je traverse des quartiers résidentiels touristiques qui vivent deux mois dans l'année, uniformes et construits à la va-vite. Beaucoup d'autres sont en construction, et entre ces îlots d'appartements et de villas, toujours le même envers du décors : des décharges à ciel ouvert d'électroménager et de matériaux de construction. Les interactions humaines deviennent aussi plus froides et purement commerciales. En amont de mon arrivée sur la côte égéenne et une fois sur place, je recherche par tous les moyens des équipages qui iraient vers les îles Cyclades, la Crète ou la Grèce, mais en vain. Comme à Istanbul, on essaye de se débarrasser de moi le plus vite possible au port de plaisance, et on me refuse même que je laisse une annonce à la capitainerie. Je ne vais pas m'éterniser ici, quelques jours a déjà des conséquences négatives sur mon humeur, et je ne suis pas optimiste pour arriver à repartir d'ici en voilier. Faute de m'adapter aux opportunités de navigation, je décide donc moi-même de la suite de mon itinéraire. Je vais reprendre le ferry pour traverser la mer Égée jusqu'à Thessalonique en Grèce. De là-bas, j'ai dessiné une itinéraire pour traverser la Grèce d'est en ouest par différents massifs montagneux. Environ 600 km et 25 000 m de D+, de quoi m'occuper le mois de mai et retrouver un rythme de marche itinérante et un environnement montagneux. Ensuite, j'espère vraiment parvenir à parcourir la méditerranée en voilier, en une ou plusieurs étapes. D'ici là, j'ai le temps de rechercher des équipages sur internet. Ainsi, après deux mois en Turquie, je m'apprête pour la dixième fois à franchir une frontière, quitter un pays auquel je me suis habitué et où j'ai mes repères, pour entrer dans un nouvel inconnu à découvrir, auquel m'intéresser et où poursuivre mon aventure.