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L'Irlande par Jacqueline ! La verte Érin, pour un tour complet à vélo.

64 jours
5613km
+19281m / -19251m
Par Jacqueline25
mis à jour 18 nov.
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L'Irlande par Jacqueline ! La verte Érin, pour un tour complet à vélo.

Section 11 : du 28 au 31 aout

Mise à jour section : 11 nov.

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Section 11 : du 28 au 31 aout
Jeudi 28 août – 58e jour
78 km /720 m
Riverhollow / New Ross / Rockshire / Waterford / Tramore
 
Il pleut… Le tapis de sol de la tente ultralégère a absorbé l’humidité. C’est loin d’être une bâche de camion ! Il me faudrait une tente quatre saisons ! Après réflexion, je pense qu’une tente doit être aussi performante que possible, notamment dans les pays du nord où il pleut fréquemment. D’ailleurs, elle pourrait peser deux kilogrammes de plus. Surplus que je compense allègrement par mon amaigrissement au cours de mes voyages à vélo ! 
Mon couchage est humide. Mon tapis de sol additionnel dégouline. Lorsque je deviens nomade, mon corps s’habitue à cette vie. Progressivement je ne ressens plus la fatigue, le froid, la faim, l’inconfort. Sauf les mains et les pieds qui résistent mal au froid. Pour les pieds, j’ai trouvé la solution grâce aux fameuses chaussettes imperméables. Elles sont confortables et chaudes. Force est de constater qu’elles sont vraiment moches ! Gris anthracite, elles me paraissent énormes, épaisses ce qui affecte l’ajustement de mes chaussures fermées. Mais peu importe, je ne les porte qu’en cas de pluie avec mes sandales. Très moches aussi ces dernières. Les plus moches qui puissent exister. Mais parfaitement adaptées pour le pédalage. Parfois, lorsqu’il tombe des trombes d’eau pendant des heures et des heures, l’eau s’infiltre entre la semelle et mon pied et les chaussettes ne remplissent plus leur fonction première d’imperméabilité.
Ce sont les aléas du nomadisme, du voyage à vélo. D’ailleurs, il me faut bien des sursauts quotidiens, des rappels pour me préciser que je sors de ma zone de confort. Que je n’ai pas le choix si je veux vivre des moments inédits, extraordinaires et inoubliables. L’aventure s’articule autour de cycles de bonheur, de ravissement, d’extase, mais aussi de solitude, de difficultés et de désarroi. Ces aventures ne sont pas un long fleuve tranquille. Cette forme n’existe pas. Il est impératif d’accepter de perdre ses repères. Il est nécessaire d’apprendre à gérer avec sérénité les ennuis, les embûches. Il est aussi indispensable de s’initier à observer l’entourage. Il importe de ressentir les émotions et de les exprimer.
Et en ce matin, sous ma tente aux toiles distendues d’être trop mouillées, je pense que je fais partie des rares personnes à aimer la pluie. Je préfère la sensation des gouttes qui me mouillent aux rayons du soleil qui me brûlent. J’apprécie les ciels aux couleurs de gris subtils et aux nuages vagabonds.
Toutefois, la réalité me rattrape. Je dois sortir de la tente sous la pluie en évitant qu’elle ne mouille mes rares effets encore secs. La journée n’a pas un début de tout repos non plus, car je dois rejoindre la route par un long chemin caillouteux et abrupt sur plusieurs kilomètres.
Quelques temps après, une fois toutes ces embûches dépassées, j’arrive à New Ross. Charmante petite ville très animée, située sur le fleuve Barrow. Les cafés sont bondés. C’est la première halte de la journée pour bon nombre des habitants avant qu’ils n’aillent faire leurs courses ou avant qu’ils n’ouvrent leurs boutiques.
Les vitrines du centre-ville explosent de couleur, vert, rose, fuchsia, violet… Plus loin, une rue affiche ses façades peintes de couleur vive.
Je suis ébahie et en arrêt devant d’immenses murs à l’art urbain. Une dame s’arrête et m’informe : « En 2020, le Conseil du Comté a obtenu des financements pour un projet de renommée internationale pendant la pandémie de la Covid 19. Enthousiastes, les propriétaires ont accepté que les façades de leurs bâtiments se couvrent de cet art de rue. Cinq fresques sont venues apporter une note positive à la ville de New Ross. » : Le daim de Dan Leo, Le cheval d’Aches, image saisissante en trois dimensions, Isobel de Clare de Case McClaim serre l’église contre son cœur. Nina Valkoff a créé une image fantastique d’une guerrière celte et de son cheval de quinze mètres de haut. Et Holly Pereira s’est inspirée à la fois de la Tapisserie de Ros et montre comment les Normands sont entrés à New Ross par le fleuve.
Un autre financement a permis de redonner vie aux ruelles de la ville. L’une est couverte de fresques murales d’inspiration normande. Face à l’une des ruelles, je suis accueillie fort sympathiquement par les deux gérantes d’un agréable salon de thé bien décoré de légères guirlandes illuminées, de lustres à pampilles et de multiples objets utilisés à la période de Noël.
Cette pause me permet de recharger téléphone et batterie nomade. Appareils qui ne l’ont pas été depuis plusieurs jours. Un panneau solaire me serait nécessaire.
À la sortie de New Ross, j’emprunte une piste cyclable aussi large qu’une route secondaire. Digues, tunnels, ponts indiquent que c’est une ancienne voie ferrée. Ces infrastructures permettent un dénivelé à peu près constant de trois à quatre pour cent. Le rythme s’installe rapidement. Mon avancée est assez rapide. Sous la pluie, je croise des piétons, des coureurs à pied, des cyclistes. Il est incontestable que la piste cyclable favorise la pratique sportive des habitants du lieu. Bancs et tables sont disséminés un peu partout.
Je supposais que cette remarquable piste me conduirait jusqu’à Waterford, ville située à une trentaine de kilomètres. Mais après huit kilomètres, elle s’arrête ! Les travaux ne sont pas terminés ! Dommage ! Avant de rejoindre une route secondaire, je dois emprunter une nationale très circulante sur plusieurs kilomètres. Parfois, je n’ai pas d’autre choix que de rouler sur les grands axes limités à 100 km/h. Le bruit des véhicules lancés à pleine vitesse est très anxiogène. Depuis quelque temps, je porte des bouchons d’oreille pour atténuer ce vacarme. Grâce à eux et confrontée au danger de la circulation, j’ai remarqué une baisse significative de mon anxiété. Cependant, je perçois suffisamment les bruits et je reste consciente des attitudes des chauffeurs. Je peux évaluer leur vitesse lorsqu’ils arrivent derrière moi et connaître ainsi leur intention. S’arrêter, selon la conduite irlandaise, ou, selon celle des touristes, me doubler coûte que coûte, quitte à me frôler.
Le relief de l'Irlande est caractérisé par des montagnes de basse altitude sur les côtes entourant une plaine centrale. Ce qui veut dire que je suis sans cesse confrontée à de forts dénivelés, puisque j’ai choisi de faire le tour de l’Irlande en suivant essentiellement le littoral. Je passe devant une seule et unique éolienne. Elle s’élève avec élégance et ses trois pales tournent au ralenti en émettant un bruit feutré. 
Après les forts dénivelés du jour, dès mon arrivée à Waterford, je suis récompensée par les façades aux fresques monumentales. La cité expose deux-cent-un chefs-d’œuvre.
Depuis 2015, cette petite ville possède le plus grand festival d’art de rue d’Irlande, le Waterford Walls. Après la crise économique de cette année-là, un petit groupe de bénévoles locaux a relevé le défi de rénover des bâtiments abandonnés grâce à de grandes fresques murales. Depuis, le festival est devenu national et international.
J’ai plusieurs jours de retard ! J’ai manqué les trente-quatre artistes de renommée mondiale programmés pour cette année 2025. Pendant dix jours, comme chaque année, les artistes créent, en direct, des œuvres murales de grande envergure en ville et dans ses environs. Pendant le festival, de nombreuses animations sont proposées : performances de breakdance, conférences, films…
Je traverse la ville. Je vais de surprise en surprise. La cité a été agrémentée, embellie par une explosion de couleur. C’est magnifique !
Au sud de Waterford, je retrouve l’EuroVelo 1 qui arrive de Rosslare Harbour. Je suis ravie de retrouver ce tracé que s’est arrêté au sud de l’Irlande du Nord pour se prolonger en Écosse. Je roule sur le bas-côté de la nationale 675. Cette bande est parfois aussi large que l’une des deux voies de la nationale, mais elle se rétrécit à certains endroits. Je dois me déplacer sur quinze kilomètres dans un brouhaha incommensurable, et je ne me sens pas tout à fait en sécurité. Les bouchons d’oreilles me sont indispensables.
J’arrive à Tramore, cité balnéaire sur la mer Celtique avec cinq kilomètres de plage au sable doré. Le camping est situé à quelques kilomètres de la ville. Régulièrement, une petite crainte me traverse. Celle de ne pas être acceptée, car depuis peu, en France et ailleurs, les campings sont devenus des villages vacances, plus rentables. Et l’on n’y accepte plus les tentes. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Les propriétaires sont extrêmement gentils. Ils vont jusqu’à m’offrir les jetons pour la machine à laver et le sèche-linge. Électroménagers bienvenus, car mes effets n’ont pas été lavés depuis bien longtemps et, pour certains, ont gardé l’humidité des derniers jours.
Soleil et vent triomphent au bout d’un certain temps de l’humidité de la tente et des tapis de sol.
Il me reste trois ou quatre étapes avant d’arriver à Cork où je prendrai le ferry pour mon retour. Deux par semaine font la traversée. Je vais tenter d’avancer la date.
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Section 11 : du 28 au 31 aout
Vendredi 29 août – 59e jour
55 km / 500 m
Tramore / Bunmahon / Stradbally / Ballyvoile / Ballinroad
 
J’approche du terme de mon voyage. J’ai presque terminé un tour complet d’Irlande ! L’île est bordée par l'océan Atlantique sur sa côte ouest, le Canal du Nord qui la sépare de l'Écosse au nord, la mer d'Irlande à l'est et la mer Celtique au sud.
Hier, j’ai rejoint la mer Celtique à l’est de Cork. Aujourd’hui, je roule sur la Copper Coast d’Irlande, la Côte de Cuivre. Ce nom lui a été donné au 19e siècle par l’exploitation minière qui y était pratiquée.
La nature sauvage règne en maître ici. Je pédale sur des kilomètres sous l’œil bienveillant des paysages majestueux. Ils offrent une succession de falaises, de criques, de plages et de pitons rochers. Moins fréquentée que d’autres sites célèbres, la Copper Coast m’offre une agréable tranquillité sur la R675.
Les reliefs sont variables, mais exigeants. À toute vitesse, j’accède aux baies sur l’un des versants. Je remonte sur l’autre excessivement lentement, et bien souvent en poussant mon vélo.
Aussi loin que porte mon regard, je profite de vues spectaculaires. Les falaises plongent dans la mer et révèlent des millions d’années d’évolution géologique. Les grottes que je discerne ont été creusées par une mer impitoyable. D’imposants éperons rocheux émergent avec arrogance. Quelle splendeur de la nature !
Une crique m’arrête. Je suis en possession d’une petite caméra acquise juste avant mon départ. Je ne l’ai utilisée qu’en de rares occasions. Assise à une table un peu en hauteur de la mer venant s’échouer au fond de la baie, sur une plage de galets, je fais quelques vidéos. J’aperçois Annestown, village côtier, qui ne compte qu’une trentaine de cottages et maisons construits en haut d’une colline escarpée. J’y parviendrai certainement avec difficulté ! Une dame s’installe à côté de moi et me prévient : « Peut-être ne le savez-vous pas mais une tempête a été annoncée pour demain avec d’importantes pluies et un fort vent. » En effet je ne suis pas informée. Je la remercie pour sa prévenance.
En principe, je devrais atteindre Cork dimanche, dans deux jours. Deux ferries par semaine traversent la mer jusqu’à Roscoff. J’ai déjà déplacé mon retour en le reculant de presque trois semaines. En effet, j’ai modifié mon parcours et les difficultés du relief ne m’ont pas permis de respecter mes prévisions. Dans la mesure où je suis totalement libre, sans contrainte, mes projections quant à la durée de mon voyage n’ont pour objectif que de dépeindre grossièrement un tracé et une durée. Mais cette fois-ci, j’aimerais avancer de quelques jours mon retour. Toutefois, si une tempête me confine durant une ou deux journées, je ne peux procéder au changement que lorsque je serai arrivée à Cork.
Je ne circule pas seulement au sein d’un site naturel. Au loin, sur un point culminant des falaises, se détache, sous un ciel menaçant, un édifice délabré.
Depuis le début de ma progression en Irlande, je suis intriguée, plutôt émue parfois jusqu’aux larmes, par les nombreux vestiges. Comme me le disait Lucie l’Irlandaise : « La maison de la maison de la maison de… » car l’on construit de meilleures maisons de génération en génération sans jamais détruire les précédentes. Quelquefois ce sont des maisons abandonnées pour partir au loin, dans d’autres pays.
Je ne saurais dire pourquoi cela me bouleverse autant. Quelles émotions cela vient-il toucher profondément en moi ?
Les ruines en question, sont les vestiges conservés d’un complexe minier. Je m’approche pour comprendre de quoi il s’agit. Il est question du complexe minier de Tankardstown, interaction entre les peuples et le paysage qui comprend, sur deux étages, une salle des machines de pompage indépendante en ruine. Le toit en pente a disparu. Dans l’arc en plein cintre s’inscrit la porte du rez-de-chaussée. Plus loin, dans l’enceinte des constructions, une cheminée tronquée, indépendante, en parfait état, se dresse fièrement sur un plan circulaire. Plusieurs autres bâtiments, dont il ne reste que quelques murs participent à garder le souvenir de la mine. Le tout forme un paysage pittoresque sur la Copper Coast Drive.
L’ancienne mine de Tankardstown employa jusqu’à mille-deux-cents personnes et fut exploitée entre 1850 et 1880. Au moins trente-six minéraux différents ont été recensés dans les mines de la Côte du Cuivre. Nombre d’entre eux se trouvent en ce lieu.
Je découvre que la route panoramique de la Copper Coast s'étend sur cent-soixante-six kilomètres de pure magie côtière.
Le Géoparc mondial UNESCO de la Côte de Cuivre est un musée géologique en plein air, dont le patrimoine reflète la diversité des environnements dans lesquels la région a évolué au cours des 460 derniers millions d'années.
Ce géosite associe l’humain à la géologie grâce aux interactions de l’un avec l’autre. 
Après cette émouvante visite, ma route se poursuit sous un ciel menaçant, qui s’en tient à l’intimidation. Néanmoins, j’aperçois dans le ciel quelques masses grises agglutinées déversant à certains endroits toute sa noirceur sur la terre. Par chance j’y échappe !
Toutes les vaches d’un troupeau, au milieu d’une prairie sont, elles aussi, agglomérées et celles qui le peuvent regardent dans ma direction.
Au village de Stradbarry, ce n’est pas la pluie diluvienne qui arrêtera l’homme peignant sa maison de peinture blanche dans un vif va et vient de son rouleau. Il porte une casquette. De cette façon, il est protégé du ruissellement que la pluie aurait pu occasionner sur son visage. Cet homme est trempé jusqu’aux os. Mais il a terminé la réfection de sa maison sans, a priori, d’altération de la peinture.
Peu après, ma route coupe la Waterford Greenway, la plus longue piste cyclable d’Irlande, une voie verte de quarante-six kilomètres, dont l’idée est née lors de la démolition de la ligne ferroviaire. Elle est identique à celles rencontrées précédemment dans d’autres régions irlandaises. Large, bien asphaltée, agrémentée de bancs et tables, cette voie est munie de doubles barrières rouges, suffisamment espacées pour permettre aux cyclistes de louvoyer entre ses deux parties, prévues pour empêcher toute intrusion des véhicules motorisés.
Je la quitte pour un camping situé à deux pas de Clonea Beach qui offre une belle plage en arc de cercle au sable doré et surplombée par une falaise. La première partie du camping est couverte de mobil-homes occupés par des campeurs permanents. La seconde partie, où je m’installe, est une immense pelouse aux emplacements démesurés. Ma petite tente semble perdue, d’autant plus que je suis la seule campeuse.
Eabha, l’accueillante réceptionniste, me conseille le restaurant en bordure de plage.
Hélas, le restaurant est fermé. La petite épicerie attenante tente de vendre ses derniers produits essentiellement sucrés. Faute de mieux, j’achète biscuits, pain de mie et fromage. 
Au cours de mon dîner grandement glucidique, au calme dans l’immense camping déserté des touristes, je songe à la mise en garde concernant la tempête annoncée pour demain.

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Section 11 : du 28 au 31 aout
Samedi 30 août – 60e jour
98 km / 617 m
Ballinroad / Dungarvan / Youghal / Carrigtohill
 
Ce matin au camping, un monsieur m’informe que la tempête est annoncée plus à l’est, du côté de Waterford. Cela devrait aller pour moi ! Je décide de partir.
J’ai une longue étape d’une centaine de kilomètres. En effet, je prévois de revenir en arrière sur une quinzaine de kilomètres. Hier, Eabha m’a demandé si j’étais passée dans le Ballyvoyle Tunnel, ancien tunnel ferroviaire sur la Waterford Greenway. Celui que l’on nomme le tunnel effrayant long de quatre-cents mètres. La peur sera de courte durée !
Le tunnel fut nommé ainsi car, depuis quelques années, il constitue la toile de fond pour l’exposition thématique effrayante d’Halloween organisée par la ville de Waterford. Cet événement est devenu une tradition.
Eabha raconte : « C’est une habitude de me rendre dans le tunnel la nuit d’Halloween et je suis époustouflée par les images et les sons de Samhain. Elle m’explique : « La Samhain représente une nuit très étrange dans l’histoire celte, celle du 31 octobre au 1er novembre qui annonce l’hiver en Irlande. Pendant cette nuit sombre, on raconte que les frontières entre le monde des vivants et celui des morts étaient ouvertes à titre exceptionnel et les deux mondes pouvaient alors cohabiter le temps de quelques heures. »
J’arrive après une heure de pédalage. Non loin du tunnel, je circule dans un couloir aux hauts murs végétalisés qui se referment parfois pour former un somptueux plafond de verdure. Une nature sauvage. Comme c’est beau !
Puis me voici à l’entrée du fameux tunnel. Des tiges de roncier tombent du haut de son ouverture à une hauteur raisonnable pour ne pas me griffer le visage. Quelques informations glanées précédemment me renseignent sur ses caractéristiques : ouvertures à tête elliptiques, clé de voûte en pierre de taille, arc en berceau… L’un de mes objectifs est d’identifier les particularités de sa conception. Enfin, simplement mettre une image sur les trois termes architecturaux et relever aussi ce qui saute aux yeux.
J’entre ! Son entrée me semble très obscure. Je discerne au loin un minuscule point lumineux. Le tunnel est absolument rectiligne puisque je vois sa sortie.
Qu’il est beau ! Très bien conservé ! Bordé de briques. Magnifique voie cyclable et piétonne encadrée de deux liserés gravillonnés. De chaque côté, à espaces réguliers, de grandes ouvertures en arc donnent beaucoup de mystère au lieu. Ce sont des sas peu profonds, empierrés, rocheux, mystérieux. La nature a su en envahir certains, ce qui leur confère un charme supplémentaire, mais aussi occasionne quelques craintes par l’aspect vivant des végétaux.
Il n’est pas nécessaire que j’attende la fête d’Halloween. Ses recoins faiblement éclairés et son plafond voûté renforcent une atmosphère fantastique. Tout bien réfléchi, je n’aimerais pas traverser le tunnel la nuit. Je ne suis pas peureuse. Toutefois, lorsque l’on engage trop son imaginaire, des craintes infondées peuvent émerger.
Arrivée à l’extrémité, je rebrousse chemin. En effet, depuis le départ de ce matin, j’ai tourné le dos à l’ouest. Je parcours de nouveau le tunnel. Dans un sens ou dans l’autre, tout semble identique.
Personne ! Il n’y a personne ! Serait-ce à cause de l’annonce de la tempête ?
Je peux reprendre ma route. J’ai visité à deux reprises « Le Tunnel Effrayant ». À la sortie, le ciel est gris noir, gris anthracite, verdâtre. Il pleut ! Mais le vent est discret ! Encore à l’abri du tunnel, j’enfile ma tenue imperméable.
J’ai peu d’efforts à fournir sur cette ancienne voie ferrée.
Mes pensées vagabondent. Ah oui ! Les tunnels. C’était en 2019. J’ai traversé les dix-neuf tunnels des Portes de Fer en Serbie. Anciennes constructions, obscures, étroites. Tunnels fréquentés notamment par des camions. J’ai appris la nécessité d’être très visible grâce à un gilet jaune aux bandes réfléchissantes, un excellent éclairage qui illumine chaussée et paroi et une attitude sereine en tentant de me détacher de mes peurs. Il faut aussi connaître la longueur des tunnels. Cela permet d’escompter le temps à passer sous terre.
Malgré tout, le bruit a été extrêmement perturbant, source d’une grande anxiété. Un véritable enfer en fait, si je me souviens bien. D’ailleurs, je ne savais jamais si le bruit arrivait devant ou derrière moi, car les sons s’entrechoquaient, rebondissaient contre les parois avant de me parvenir.
Puis en 2022, ce furent les tunnels en Norvège. On m’avait prévenue de leur dangerosité. Forte de la traversée des tunnels de Serbie, je n’avais prêté qu’une faible attention à ces mises en garde. Le pire, a été la traversée des tunnels sous-marins, abruptes dans la descente, difficiles dans la remontée, trop circulants, à la chaussée glissante, aux véhicules lancés à très grande vitesse qui me frôlaient en m’aspirant puis en me rejetant sur le bas-côté. Peu à peu, j’ai dompté mes peurs pour franchir celui qui relie le continent norvégien à l’île de Magerøy, l’île du cap Nord, le long tunnel sous-marin de presque sept kilomètres. Quelle belle victoire !
 
Aujourd’hui, ce tunnel de rien du tout, juste un beau petit tunnel réservé aux déplacements doux, me permet de revivre mes aventures passées. Et m’occasionne aussi, sous un ciel de plus en plus menaçant, une augmentation de vingt kilomètres à mon étape du jour !
La Waterford Greenway s’achève à Dungarvan à la forteresse du 12e siècle. La ville m’accueille sous une pluie diluvienne. J’entre dans l’enceinte simplement pour regarder le donjon polygonal, forme rare en Irlande.  Un rapide coup d’œil et je repars.
Le temps passe à toute vitesse. Il pleut abondamment. Il vente fortement. Une journée au cours de laquelle l’on ne devrait pas poser un pied dehors.
Après avoir pédalé péniblement et longuement face au vent et sous la pluie, j’arrive en fin d’après-midi en vue de Youghal. Je surplombe la ville située de l’autre côté de l’estuaire de la Blackwater. Malgré quelques kilomètres à circuler sur le large trottoir en bordure de la N25, je suis surprise par la beauté de la ville, charmante, très animée grâce à son port, ses commerces, ses restaurants et ses pubs.
Je ne sais pourquoi, malgré l’intérêt de la ville, je décide de poursuivre ma route en prenant le bus sur une trentaine de kilomètres pour me rapprocher le plus possible de chez Jasmine Villa Caravan. Je repère la gare routière. Le bus arrive peu après et je peux charger vélo et sacoches dans la soute. Me voici partie pour Midleton. Trente kilomètres à toute vitesse. Ces quarante-cinq minutes de bus viennent remplacer au moins trois heures de pédalage en pleine tempête. J’ai le temps d’observer que la pluie et le vent se sont déchaînés entraînant du brouillard dans leur sillage. Je me sens bien, à l’abri du bus où je ne fournis aucun effort pour avancer.
Par chance, les caprices du temps ne sont pas éternels. Lorsque le bus me dépose, il ne pleut plus et le vent s’est apaisé. Je parcours la dizaine de kilomètres avant de rejoindre le camping. C’est étrange, ma carte m’indique que je dois longer la N25, véritable autoroute à deux fois deux voies. Après vérification, plusieurs maisons ne sont accessibles que par cette nationale, dont la villa de Jasmine. Heureusement je n’ai que cent mètres à parcourir à pied sur le bas-côté herbeux, suffisamment éloigné de la nationale pour me sentir à peu près en sécurité.
Jasmine, la propriétaire des lieux est une vieille dame, acariâtre, revêche et je ne sais pourquoi j’ai la nette sensation que je l’agace. Malgré tout, je suis autorisée à m’installer sur son camping, un petit champ rectangulaire où sont installés deux mobil-homes, à l’arrière de sa maison. Le camping est désert. Je paie fort cher, pour un bout de terrain sur lequel planter ma tente, et s’ajoute à cela un jeton de trois euros pour une simple douche. La douche la plus chère d’Irlande !
Je navigue un bon moment entre l’emplacement choisi et d’autres endroits ensoleillés qui me permettent d’étendre mes affaires trempées. Lorsque tout est en ordre, je m’apprête à apprécier une bonne douche chaude. Mais patatras ! Impossible de mettre la main sur mon jeton. Depuis le conteneur-réception, je sonne pour prévenir cette dame maussade de la perte de mon jeton. Elle sort de son jardin, furibonde. Je l’informe de la perte du jeton. Avec un regard colérique, elle me crie : « Hors de question que je vous donne un deuxième jeton, c’est certainement pour prendre deux douches ! »
Et elle tourne les talons me laissant stupéfaite. Quelle mégère ! Quelle vilaine et détestable personne !
Peu après, arrive un magnifique van couleur fuchsia dont les propriétaires sont Nord-Irlandais. Lorsqu’ils voient mes vêtements de pluie trempés et accrochés dans le couloir des sanitaires, ils s’empressent d’aller chercher un petit chauffage pour sécher tout cela. Puis ils m’invitent à prendre avec eux un thé accompagné de multiples gâteaux.
Ils sont retraités et sont partis depuis deux mois. Ils ont visité le Pays de Galles, l’Angleterre et sillonné la République d’Irlande. Ils sont sur le retour. C’est à la nuit noire que je rejoins ma tente après la soirée avec Aislinn et Faolan. Deux personnes d’une gentillesse extrême. Un immense fossé existe entre eux et cette femme qui habite de l’autre côté du jardin.
Demain, je vais arriver à Cork. Ce sera la dernière véritable étape avant mon retour. Étape d’une trentaine de kilomètres qui me laissera le temps d’envisager que je suis presque à la fin de mon voyage.

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Section 11 : du 28 au 31 aout
Dimanche 31 août – 61e jour
25 km – 110 m
Carrigtwolhill / Monkstown / Glenbrook / Cork
 
Je quitte sans regret ce camping, propriété de la femme à la lueur méchante dans le regard.
J’ai une petite étape de vingt-cinq kilomètres avant mon arrivée à Cork. La ville est, par son nombre d’habitants, la deuxième ville de République d’Irlande.
Dernière étape ! C’est étrange de penser que je vais bientôt arrêter ma vie de nomade. Il me faudra un moment pour me réadapter à une vie sédentaire, à une vie citadine, à une vie organisée et rythmée. Je me dois de repenser aux émotions ressenties au cours de ces deux derniers mois. Pourquoi l’Irlande m’a-t-elle autant émue ?
Pour cette dernière journée, le temps, particulièrement couvert, est clément. Pas de pluie, pas de vent, pas de dénivelé conséquent.
Au-dessus du canal de Belvelly, je traverse un magnifique pont routier à dos d'âne. Construit en 1803, il est fait de trois arcs en plein cintre et d'une série d'arcs aveugles et décroissants. Un peu plus loin, je me retourne et prends le temps de repérer certaines de ses caractéristiques. Voussoirs de clés de voûte, voussoirs de contre-clés, piles du pont.
Puis je n’ai qu’à lever les yeux sur la tour du Castle de Barra qui surplombe le pont, et admirer l’arbre dépouillé, frêle, doré, implanté en son sommet. La tour semble avoir été rénovée. Serait-ce le bouquet final organisé par le maître d'ouvrage pour remercier les ouvriers du chantier et rendre hommage à leur travail ? Cet arbre paraît incongru planté au plus haut de la tour. Il n’en reste pas moins magique par sa présence. Il se détache dans le ciel et brille de mille feux sous le soleil. Il retient toute mon attention.
Et puis je me trompe de route et arrive à Cobh. J’allonge sensiblement mon étape. C’est la dernière. Je prends le temps.
Le centre-ville est très animé. Aujourd’hui, le club triathlon de Cobh organise son événement essentiel de l’année : l’Évasion Triathlon. Une voiture de police descend à une allure folle la route de la colline, toute sirène hurlante, pour prévenir de l’arrivée des premiers cyclistes. Je ne vois pas véritablement l’intérêt, sinon de créer un tapage effrayant. Cette voiture lancée à toute vitesse et qui termine sa course au milieu d’un grand nombre de spectateurs est dangereuse. J’assiste donc à l’arrivée des premiers. Supers sportifs ! Roulant encore à pleine vitesse, ils commencent leur préparation de la course à pied en retirant leurs chaussures… Il n’y a pas une minute à perdre !
L’ordre est toujours le même lors des épreuves d’un triathlon : natation, cyclisme, course à pied.
Je gravis la côte par laquelle sont descendus les premiers acharnés. Je pousse mon vélo sur le trottoir séparé de la route par des barrières de sécurité. Progressivement, les triathlètes tranquilles arrivent. Certains semblent à bout de souffle. D’autres sont là pour passer un bon moment. Ils discutent. Ils s’entraident. Ils me lancent un mot gentil au passage. Ils me font signe de la main.
Quelques kilomètres plus loin, je prends le ferry pour traverser le fleuve Lee. Un jeune garçon me demande de me faufiler avec mon vélo dans un étroit passage à l’arrière du ferry. À l’arrivée, la seule possibilité de sortie est de traverser une étroite salle avec des bancs de chaque côté. Je ne peux y arriver, sauf à retirer mes sacoches et à porter mon vélo pour traverser une chicane de bancs. Je maudis ce jeune garçon !
Enfin sortie de là, le visage rougi par tant d’efforts, et après avoir raccroché les sacoches, je m’aperçois que tous les véhicules ont eu le temps de prendre place pour faire le chemin inverse au mien. Le garçon me regarde d’un air ahuri, sans doute surpris du temps qu’il m’a fallu pour parcourir ce passage d’une dizaine de mètres.
Sur d’agréables pistes, je longe le fleuve et les rives sud du lac Mahon au nord-est de Cork. Grâce à un pont, je survole la N25, qui pour moi, ressemble davantage à une autoroute. Je passe à côté de la vaste rade abritée. La ville est le deuxième plus grand port naturel du monde après celui de Sydney. Je me sens minuscule, inexistante, dérisoire à côté d’un gigantesque paquebot de croisière.
En continuité des voies vertes, j’arrive en toute tranquillité au centre de Cork, grâce à la Marina Promenade attrayante et agréable, et aux larges trottoirs de cette partie de la ville.
Je descends à Sheila’s Hostel. Descendre n’est pas le mot qui convient le mieux. En effet, le bâtiment est situé à quelques pas du centre, mais sur une hauteur de la ville où la cinquantaine de mètres pour l’atteindre me mettent en difficulté. Après d’intenses efforts, je parviens à l’auberge de jeunesse installée dans une ancienne école et insérée dans un bel alignement de maisons anciennes et colorées.
Je suis reçue par Lucas, jeune français, habitant en Irlande depuis de nombreuses années, ravi de ranimer son français. De multiples dortoirs sont à disposition. Les plus petits ont six lits superposés par deux et sont munis de rideaux pour une meilleure intimité. Si toutefois on peut parler d’intimité dans un dortoir. Cette auberge tourne à plein rendement. De nombreux jeunes hommes sont présents et prêts à faire la fête. Lucas me propose un choix divers de dortoirs, dont certains mixtes. Évidemment, je décline cette dernière proposition avec empressement.
Une agréable terrasse sur le toit va héberger mon vélo. Elle s’atteint par la rue adjacente, là encore, une côte raide, vertigineuse. Lucas m’attend à la porte de la terrasse du toit donnant sur la rue, et vient à ma rescousse. Il remarque en riant : « Vous circulez avec un véritable poids lourd ! Je ne ferais jamais ce que vous faites. »
Sauna, laverie, cuisine équipée, salle vidéo, piano viennent améliorer le confort du Sheila’s Hostel. Je vais rester ici jusqu’à mon départ prévu dans une semaine. Je n’ai pas encore pu avoir de réponses satisfaisantes sur le déplacement du billet de retour.
Une fois installée et après avoir réussi par un tour de force à ranger ma multitude de sacoches dans un coffre à glisser sous le lit, je me rends en ville. Je me suis vêtue de ma seule tenue en dehors de mes trois cuissards de vélo : un legging et une robe noire en lycra, infroissable, à petits disques de paillettes renvoyant la lumière. Je me rends dans un pub-restaurant conseillé par Lucas. 
Mon alimentation de ces deux derniers mois, essentiellement constituée de salades composées, d’œufs, de fromage m’a occasionné des envies démesurées d’entrecôtes de bœuf, de côtes d’agneau, de pizzas… C’est ainsi que je commande une pièce de bœuf, ravie de pouvoir enfin assouvir ce désir.
Je regarde avec stupéfaction le plat que l’on me sert. Quelques feuilles de mâche recouvrent une infime portion de viande hachée grossièrement. Ma belle envie s’étiole avec désespoir et je regarde presque avec appétence les énormes hamburgers dégoulinants de sauce que le serveur apporte à mes voisins de table. Mais je n’aime pas ce genre de plat.
Surprise ! Étonnement ! Saisissement ! Mon mets est absolument délicieux. Un véritable régal que je m’efforce de déguster lentement pour prolonger le plaisir. Je ne sais pourquoi je n’en ai pas commandé un deuxième !

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