L'Irlande par Jacqueline ! La verte Érin, pour un tour complet à vélo.
64 jours
5613km
+19281m
/ -19251m
L'irlande ! La Verte Érin... aux paysages verdoyants. République d’Irlande, Irlande du Nord, voilà mon projet de cette année 2025 pour un tour complet de trois mille kilomètres auquel il faudra ajouter ma traversée de la France de Roscoff à Besançon : mille-cinq-cents kilomètres.
Partir seule à vélo pour faire le tour de France, rallier Saint-Nazaire à la mer Noire ou encore pédaler de Besançon jusqu’au cap Nord, ce n’est pas simplement admirer des paysages, des villes, des musées et goûter à de nouvelles saveurs. C’est aussi l’occasion de rencontrer d’autres cultures, de plonger dans des traditions inconnues et, peut-être plus que tout, d’apprendre à se connaître soi-même.
Partir seule à vélo pour faire le tour de France, rallier Saint-Nazaire à la mer Noire ou encore pédaler de Besançon jusqu’au cap Nord, ce n’est pas simplement admirer des paysages, des villes, des musées et goûter à de nouvelles saveurs. C’est aussi l’occasion de rencontrer d’autres cultures, de plonger dans des traditions inconnues et, peut-être plus que tout, d’apprendre à se connaître soi-même.
Activité :
vélo de randonnée
Statut :
en cours
Distance :
5613km
DATE :
02/07/2025
Durée :
64 jours
Dénivelées :
+19281m
/ -19251m
Alti min/max :
0m/550m
Mobilité douce
Réalisé en utilisant transports en commun (train, bus, bateau...)
C'est possible (ou réalisé) en
train
ferry
Mise à jour section : 10 oct.
Samedi 23 août - 53e jour
65 km /
Clogherhead, Drogheda, Balbriggan, Rush
À la pointe du jour, le silence est absolu. Je me dois de garder ce calme. Je déplace précautionneusement la tirette de la fermeture à glissière de la tente. Je porte mon regard sur une plage magique, adossée à la dune sur laquelle je me suis installée hier à la nuit tombante.
La mer s’est retirée laissant un immense estran à découvert où apparaissent des baïnes résiduelles et tortueuses, scintillantes malgré le manque de soleil. La plage offre une atmosphère paisible. Au loin, la vue se prolonge sur le promontoire rocheux derrière lequel est situé, dans une baie, le village de pêcheurs de Clogherhead.
Dune, plage, mer, ciel font partie de ce qui pourrait être une véritable œuvre d’art. Sur la dune, je peux m’imaginer, intégrée au tableau réalisé, à côté de la tente, avec différents tons de beige, de gris et de vert.
Pour faire diversion au camaïeu de beige, trois couleurs vives se détachent. L’une vert anis, l’autre jaune fluo et la troisième bleu marine. Ce sont les couleurs des polos de trois hommes qui se déplacent en courant silencieusement sur l’immensité du sable.
Puis je laisse Port Beach, lieu propice à la communion avec la nature. Ma route doit se poursuivre.
Je repasse devant la vieille église. En effet, c’est un bon endroit de repli lorsque je ne trouve pas de camping. La mairie de Clogherhead est installée un peu en dehors du village. Bâtiment de plain-pied, découpé en un triptyque de couleurs différentes, mauve soutenu, jaune canari et bleu roi. Une porte permet d’accéder à chacun des éléments. La coloration des façades, disparue au fur et à mesure de ma progression au nord de l’île, commence à réapparaitre peu à peu.
Je décide de continuer de rouler en bordure de côte. À la fin de mon étape, une dizaine de kilomètres me séparera de Dublin. Je me suis considérablement éloignée de ma trace originale. Je la rejoindrai demain. Je suis inquiète à l’idée d’accéder à vélo à cette capitale, car il m’a été laborieux de trouver un tracé hors des grandes voies routières. Certaines capitales sont aisées à traverser à vélo, mais celle-ci me préoccupe. Je dois raisonner kilomètre après kilomètre et réussir à ne pas m’écarter de mon tracé initial, ce qui est extrêmement complexe sans mon GPS vélo.
Nous sommes samedi. Le trafic est intense sur la route côtière. Parfois, je me mets en sécurité sur le trottoir. Les trottoirs sont caractéristiques en Irlande ; ils relient les maisons isolées aux villes et villages. À d’autres moments, les bas-côtés sont aussi larges qu’une des voies de la route. Et lorsque je roule sur la route, je crains les voitures lancées à 80 km/h ou plus. Les automobilistes irlandais sont prudents, mais les autres venant d’autres pays le sont nettement moins.
J’arrive dans la périphérie de Drogheda. L’atmosphère est paisible, silencieuse. De longs bâtiments, à un seul étage, en briques rouges, longent les rues. Chaque famille possède un jardinet à l’avant de son habitat. Des voitures de petites cylindrées, attendent patiemment à l’avant des constructions.
À un carrefour, deux pubs se font face. L’un présente des encadrements de fenêtres vert bouteille qui viennent rehausser le vert printemps de la façade. Des jardinières de fleurs en grappes sont suspendues entre chaque fenêtre du premier étage. L’autre, aux façades blanches, le concurrence avec brio par sa multitude de jardinières aux fleurs en grappes étagées, abondantes, multicolores qui recouvrent les façades du premier étage au rez-de-chaussée. Les deux constructions viennent éblouir le carrefour et le quartier aux briques rouges.
Le centre-ville me paraît bouillonnant de personnes qui vont en tous sens, de voitures prisonnières des bouchons, de ponts qui enjambent la Boyne. Où que je porte mon regard l’horizon est parsemé de clochers. Par leur traversée de la ville, des tracteurs aux plateformes chargées de bottes de paille contribuent aussi à l’effervescence. Au centre, les façades sont également embellies de jardinières aux fleurs tombant en grappes.
Les villes côtières se succèdent sur mon parcours du jour. La petite ville de Balbriggan expose aussi bien ses façades défraîchies, à la peinture écaillée, que d’autres aux rouges éclatants.
Et j’arrive à Rush. Persiste en moi une petite crainte que l’on me refuse au camping. Les camping-cars sont installés aux premières loges, face à la mer. La vue est exceptionnelle. Les quelques petites tentes ont été reléguées à l’arrière, derrière une palissade. Le camping est vétuste et tout est payant. Douche à deux euros, sèche-cheveux à un euro jusqu’à la simple prise électrique qui coûte un euro pour en temps limité d’une heure. Aucune infrastructure et je dois me rendre au supermarché de la ville pour laver mon linge dans des machines pour lesquelles je paie trois fois le prix, obligée de relire les instructions, peu claires pour moi.
Un autre lieu est plus simple d’utilisation et d’accès, un pub où je ne paie pas trois fois le même produit ! Je m’y rends.
Plus loin, un pâté de maisons est occupé par différents pubs.
À l’intérieur, je m’aperçois que tout est contigu, mais on peut circuler entre les espaces. L’un d’eux est plus spécifiquement réservé à la restauration, le deuxième au bar, quant au troisième, un groupe de musiciens se prépare pour la soirée. Dans ce pub, la clientèle varie au fur et à mesure de la soirée. En fin d’après-midi ce sont des familles avec enfants qui s’installent pour un court moment. En début de soirée, des hommes d’un certain âge viennent prendre un verre, essentiellement de la bière. Le début de la nuit est surtout réservé aux personnes en quête de rencontres.
En ce qui me concerne, je n’entre dans aucune des catégories de ce pub de village.
Dans un premier temps, ma présence est justifiée par le fait de ne pas avoir trouvé de restaurants au village. Dans un deuxième temps, je motive ma présence en écrivant mon carnet de voyage. Dans un troisième temps, il me semble intéressant d’observer une infime organisation sociale au sein de ce pub irlandais. Peut-être aussi, comme pour la plupart des gens présents, rompé-je la solitude de mes journées de cyclo-voyageuse au milieu de ce brouhaha. En règle générale, je m’installe un peu à l’écart et l’on doit me prendre pour une espèce d’ovni, car jamais personne ne vient discuter avec moi.
Au fil des heures, la musique augmente en puissance à tel point qu’il m’est impossible de rester plus longtemps.
D’ailleurs, il est temps de rentrer si je veux pédaler demain dans la périphérie de Dublin. Ce sera kilomètre après kilomètre. J’ai une journée pour réaliser une courte distance dans un dédale incroyable de routes.
65 km /
Clogherhead, Drogheda, Balbriggan, Rush
À la pointe du jour, le silence est absolu. Je me dois de garder ce calme. Je déplace précautionneusement la tirette de la fermeture à glissière de la tente. Je porte mon regard sur une plage magique, adossée à la dune sur laquelle je me suis installée hier à la nuit tombante.
La mer s’est retirée laissant un immense estran à découvert où apparaissent des baïnes résiduelles et tortueuses, scintillantes malgré le manque de soleil. La plage offre une atmosphère paisible. Au loin, la vue se prolonge sur le promontoire rocheux derrière lequel est situé, dans une baie, le village de pêcheurs de Clogherhead.
Dune, plage, mer, ciel font partie de ce qui pourrait être une véritable œuvre d’art. Sur la dune, je peux m’imaginer, intégrée au tableau réalisé, à côté de la tente, avec différents tons de beige, de gris et de vert.
Pour faire diversion au camaïeu de beige, trois couleurs vives se détachent. L’une vert anis, l’autre jaune fluo et la troisième bleu marine. Ce sont les couleurs des polos de trois hommes qui se déplacent en courant silencieusement sur l’immensité du sable.
Puis je laisse Port Beach, lieu propice à la communion avec la nature. Ma route doit se poursuivre.
Je repasse devant la vieille église. En effet, c’est un bon endroit de repli lorsque je ne trouve pas de camping. La mairie de Clogherhead est installée un peu en dehors du village. Bâtiment de plain-pied, découpé en un triptyque de couleurs différentes, mauve soutenu, jaune canari et bleu roi. Une porte permet d’accéder à chacun des éléments. La coloration des façades, disparue au fur et à mesure de ma progression au nord de l’île, commence à réapparaitre peu à peu.
Je décide de continuer de rouler en bordure de côte. À la fin de mon étape, une dizaine de kilomètres me séparera de Dublin. Je me suis considérablement éloignée de ma trace originale. Je la rejoindrai demain. Je suis inquiète à l’idée d’accéder à vélo à cette capitale, car il m’a été laborieux de trouver un tracé hors des grandes voies routières. Certaines capitales sont aisées à traverser à vélo, mais celle-ci me préoccupe. Je dois raisonner kilomètre après kilomètre et réussir à ne pas m’écarter de mon tracé initial, ce qui est extrêmement complexe sans mon GPS vélo.
Nous sommes samedi. Le trafic est intense sur la route côtière. Parfois, je me mets en sécurité sur le trottoir. Les trottoirs sont caractéristiques en Irlande ; ils relient les maisons isolées aux villes et villages. À d’autres moments, les bas-côtés sont aussi larges qu’une des voies de la route. Et lorsque je roule sur la route, je crains les voitures lancées à 80 km/h ou plus. Les automobilistes irlandais sont prudents, mais les autres venant d’autres pays le sont nettement moins.
J’arrive dans la périphérie de Drogheda. L’atmosphère est paisible, silencieuse. De longs bâtiments, à un seul étage, en briques rouges, longent les rues. Chaque famille possède un jardinet à l’avant de son habitat. Des voitures de petites cylindrées, attendent patiemment à l’avant des constructions.
À un carrefour, deux pubs se font face. L’un présente des encadrements de fenêtres vert bouteille qui viennent rehausser le vert printemps de la façade. Des jardinières de fleurs en grappes sont suspendues entre chaque fenêtre du premier étage. L’autre, aux façades blanches, le concurrence avec brio par sa multitude de jardinières aux fleurs en grappes étagées, abondantes, multicolores qui recouvrent les façades du premier étage au rez-de-chaussée. Les deux constructions viennent éblouir le carrefour et le quartier aux briques rouges.
Le centre-ville me paraît bouillonnant de personnes qui vont en tous sens, de voitures prisonnières des bouchons, de ponts qui enjambent la Boyne. Où que je porte mon regard l’horizon est parsemé de clochers. Par leur traversée de la ville, des tracteurs aux plateformes chargées de bottes de paille contribuent aussi à l’effervescence. Au centre, les façades sont également embellies de jardinières aux fleurs tombant en grappes.
Les villes côtières se succèdent sur mon parcours du jour. La petite ville de Balbriggan expose aussi bien ses façades défraîchies, à la peinture écaillée, que d’autres aux rouges éclatants.
Et j’arrive à Rush. Persiste en moi une petite crainte que l’on me refuse au camping. Les camping-cars sont installés aux premières loges, face à la mer. La vue est exceptionnelle. Les quelques petites tentes ont été reléguées à l’arrière, derrière une palissade. Le camping est vétuste et tout est payant. Douche à deux euros, sèche-cheveux à un euro jusqu’à la simple prise électrique qui coûte un euro pour en temps limité d’une heure. Aucune infrastructure et je dois me rendre au supermarché de la ville pour laver mon linge dans des machines pour lesquelles je paie trois fois le prix, obligée de relire les instructions, peu claires pour moi.
Un autre lieu est plus simple d’utilisation et d’accès, un pub où je ne paie pas trois fois le même produit ! Je m’y rends.
Plus loin, un pâté de maisons est occupé par différents pubs.
À l’intérieur, je m’aperçois que tout est contigu, mais on peut circuler entre les espaces. L’un d’eux est plus spécifiquement réservé à la restauration, le deuxième au bar, quant au troisième, un groupe de musiciens se prépare pour la soirée. Dans ce pub, la clientèle varie au fur et à mesure de la soirée. En fin d’après-midi ce sont des familles avec enfants qui s’installent pour un court moment. En début de soirée, des hommes d’un certain âge viennent prendre un verre, essentiellement de la bière. Le début de la nuit est surtout réservé aux personnes en quête de rencontres.
En ce qui me concerne, je n’entre dans aucune des catégories de ce pub de village.
Dans un premier temps, ma présence est justifiée par le fait de ne pas avoir trouvé de restaurants au village. Dans un deuxième temps, je motive ma présence en écrivant mon carnet de voyage. Dans un troisième temps, il me semble intéressant d’observer une infime organisation sociale au sein de ce pub irlandais. Peut-être aussi, comme pour la plupart des gens présents, rompé-je la solitude de mes journées de cyclo-voyageuse au milieu de ce brouhaha. En règle générale, je m’installe un peu à l’écart et l’on doit me prendre pour une espèce d’ovni, car jamais personne ne vient discuter avec moi.
Au fil des heures, la musique augmente en puissance à tel point qu’il m’est impossible de rester plus longtemps.
D’ailleurs, il est temps de rentrer si je veux pédaler demain dans la périphérie de Dublin. Ce sera kilomètre après kilomètre. J’ai une journée pour réaliser une courte distance dans un dédale incroyable de routes.
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Dimanche 24 août - 54e jour
60 km /
Rush, Lusk, Ashbourne, Lucan, Clondalkin
À Rush, au niveau de la rue principale, celle qui partage le village en deux et mène au port, une agréable terrasse attire les habitants. L’enseigne Noisette Artisan Bakeri indique clairement la fonction de la boutique. En ce début de matinée de dimanche, hommes et femmes de tous âges, seuls, en famille avec ou sans enfants dégustent café, thé et viennoiseries.
Il est possible d’observer le boulanger, tout de blanc vêtu, œuvrant derrière une baie vitrée. Derrière le comptoir, deux jeunes filles tiennent boutique. Elles ont trouvé une activité qui leur va à merveille. Elles sont alertes, souriantes et vivantes. Elles sont aux anges lorsque je leur demande si je peux les photographier et sortent ensuite sur la terrasse pour admirer ma bicyclette en attente de l’étape qui me conduira à Dublin. Elles tournent autour, s’extasient, me félicitent de visiter leur pays avec un moyen de transport fort insolite à leurs yeux.
Je suis admirative, moi aussi, devant la vitrine à quatre étagères présentant de multiples viennoiserie, appétissantes, démesurées, décorées et, pour certaines, enrichies de crème, sucre glace et fruits. Cette vitrine est une véritable œuvre d’art et par association d’idées, les œuvres du peintre maniériste Arcimboldo me reviennent en mémoire.
L’heure tourne rapidement ! Il est presque neuf heures alors que je suis debout depuis six heures. Je dois me mettre en route. Le ciel s’est découvert au petit matin. La pluie de la nuit m’a obligée à replier ma tente trempée. Elle sèchera sans doute aujourd’hui car mon arrivée ne sera pas tardive au seul camping situé dans le Grand Dublin.
Je me suis considérablement éloignée de ma trace originale. Celle-ci était prévue au nord-ouest de la capitale, alors que je suis totalement à l’est et proche de l’aéroport.
Je n’utilise pas Google Maps, application trop aléatoire pour certains déplacements complexes à vélo. Celui-là en est un !
La ville est située à peu près au milieu de la côte est de l’Irlande, le long d'une baie, à l'embouchure de la Liffey et au centre de la région du Grand Dublin. Le centre-ville se situe à environ quatre kilomètres de la côte. Au sud de la ville s'étendent les montagnes de Wicklow que je traverserai d’ici quelques jours.
Dublin est le centre du réseau routier irlandais. L'autoroute M50, une sorte de périphérique encerclant Dublin du nord au sud en passant par l'ouest, relie tous les axes nationaux partant de la capitale, dont cinq autoroutes. Tout un réseau autoroutier qui rayonne en étoile depuis la rocade qui entoure Dublin, et rejoint les grandes villes de l’île.
Aujourd’hui, je dois enjamber quatre de ces autoroutes. J’espère ne pas m’approcher trop près des échangeurs. C’est pour cela que je dois suivre à la lettre le tracé que j’ai réalisé avant de partir. Il ne m‘en reste que la trace Garmin sur mon téléphone. Mais c’est possible, je me suis habituée à jongler entre une carte papier, une carte sur mon téléphone qui me situe géographiquement et cette trace réalisée avec Osmand. Il est certainement possible de convertir cette dernière donnée en GPS avec traqueur. Mais je n’en connais pas la manipulation.
Pour rejoindre ma trace Osmand, à une vingtaine de kilomètres, je me dirige à la perpendiculaire de Rush. Les avions me survolent à basse altitude. Ils se préparent à atterrir ou ont décollé depuis peu. Je roule pendant trois heures dans un maillage très serré de routes secondaires, sur lesquelles il est difficile de s’orienter. Je passe au-dessus de deux des quatre autoroutes et je rejoins enfin mon tracé qui m’indique avec précision mon parcours.
Je rallie sans difficulté le Grand Dublin où tout se passe bien ! Je marche sur les trottoirs lorsque la circulation est trop dense.
De ville en ville je m’approche de la rocade. Les grands axes routiers sont longés par des pistes piétonnes et cyclables. Hormis le bruit de la circulation, c’est absolument parfait. Parfois, je dois traverser ces routes au niveau des échangeurs, des ronds-points ou en pleine ligne droite et des feux pour piétons et cyclistes sont prévus pour arrêter voitures, camions et bus sur ce genre de routes.
Durant toute ma vie de cyclo-voyageuse, c’est la première fois que j’observe de telles infrastructures. Lorsque le danger est porté à un haut degré, l’Irlande sait placer des protections pour les piétons et les cyclistes. Incroyable ! Jamais je n’aurais pu imaginer qu’en tant que simple cycliste je pourrais stopper la circulation sur des voies rapides en périphérie d’une capitale !
C’est donc avec grande sérénité que j’approche du camping qui est en pleine campagne dans le parc de Corkagh, au milieu de l’imbroglio du réseau routier. Le parc magnifique est traversé par la rivière Camac. Il comprend de nombreux étangs de pêche et une aire de jeux en bordure d’un bois et d’un ruisseau. Je longe un terrain dans une clairière où se déroule une partie de hurling qui se joue avec une crosse pour taper dans une balle. Jeu typiquement irlandais mais qui certainement ne s’associe pas à la cyclo-voyageuse égarée dans l’immense parc et qui longe la limite du terrain.
Je parviens tout de même au camping à l’accueil très sympathique.
Le réceptionniste m’informe que je peux rejoindre le centre de Dublin en une heure grâce au bus qui s’arrête à proximité. Ce sera mon projet de demain.
60 km /
Rush, Lusk, Ashbourne, Lucan, Clondalkin
À Rush, au niveau de la rue principale, celle qui partage le village en deux et mène au port, une agréable terrasse attire les habitants. L’enseigne Noisette Artisan Bakeri indique clairement la fonction de la boutique. En ce début de matinée de dimanche, hommes et femmes de tous âges, seuls, en famille avec ou sans enfants dégustent café, thé et viennoiseries.
Il est possible d’observer le boulanger, tout de blanc vêtu, œuvrant derrière une baie vitrée. Derrière le comptoir, deux jeunes filles tiennent boutique. Elles ont trouvé une activité qui leur va à merveille. Elles sont alertes, souriantes et vivantes. Elles sont aux anges lorsque je leur demande si je peux les photographier et sortent ensuite sur la terrasse pour admirer ma bicyclette en attente de l’étape qui me conduira à Dublin. Elles tournent autour, s’extasient, me félicitent de visiter leur pays avec un moyen de transport fort insolite à leurs yeux.
Je suis admirative, moi aussi, devant la vitrine à quatre étagères présentant de multiples viennoiserie, appétissantes, démesurées, décorées et, pour certaines, enrichies de crème, sucre glace et fruits. Cette vitrine est une véritable œuvre d’art et par association d’idées, les œuvres du peintre maniériste Arcimboldo me reviennent en mémoire.
L’heure tourne rapidement ! Il est presque neuf heures alors que je suis debout depuis six heures. Je dois me mettre en route. Le ciel s’est découvert au petit matin. La pluie de la nuit m’a obligée à replier ma tente trempée. Elle sèchera sans doute aujourd’hui car mon arrivée ne sera pas tardive au seul camping situé dans le Grand Dublin.
Je me suis considérablement éloignée de ma trace originale. Celle-ci était prévue au nord-ouest de la capitale, alors que je suis totalement à l’est et proche de l’aéroport.
Je n’utilise pas Google Maps, application trop aléatoire pour certains déplacements complexes à vélo. Celui-là en est un !
La ville est située à peu près au milieu de la côte est de l’Irlande, le long d'une baie, à l'embouchure de la Liffey et au centre de la région du Grand Dublin. Le centre-ville se situe à environ quatre kilomètres de la côte. Au sud de la ville s'étendent les montagnes de Wicklow que je traverserai d’ici quelques jours.
Dublin est le centre du réseau routier irlandais. L'autoroute M50, une sorte de périphérique encerclant Dublin du nord au sud en passant par l'ouest, relie tous les axes nationaux partant de la capitale, dont cinq autoroutes. Tout un réseau autoroutier qui rayonne en étoile depuis la rocade qui entoure Dublin, et rejoint les grandes villes de l’île.
Aujourd’hui, je dois enjamber quatre de ces autoroutes. J’espère ne pas m’approcher trop près des échangeurs. C’est pour cela que je dois suivre à la lettre le tracé que j’ai réalisé avant de partir. Il ne m‘en reste que la trace Garmin sur mon téléphone. Mais c’est possible, je me suis habituée à jongler entre une carte papier, une carte sur mon téléphone qui me situe géographiquement et cette trace réalisée avec Osmand. Il est certainement possible de convertir cette dernière donnée en GPS avec traqueur. Mais je n’en connais pas la manipulation.
Pour rejoindre ma trace Osmand, à une vingtaine de kilomètres, je me dirige à la perpendiculaire de Rush. Les avions me survolent à basse altitude. Ils se préparent à atterrir ou ont décollé depuis peu. Je roule pendant trois heures dans un maillage très serré de routes secondaires, sur lesquelles il est difficile de s’orienter. Je passe au-dessus de deux des quatre autoroutes et je rejoins enfin mon tracé qui m’indique avec précision mon parcours.
Je rallie sans difficulté le Grand Dublin où tout se passe bien ! Je marche sur les trottoirs lorsque la circulation est trop dense.
De ville en ville je m’approche de la rocade. Les grands axes routiers sont longés par des pistes piétonnes et cyclables. Hormis le bruit de la circulation, c’est absolument parfait. Parfois, je dois traverser ces routes au niveau des échangeurs, des ronds-points ou en pleine ligne droite et des feux pour piétons et cyclistes sont prévus pour arrêter voitures, camions et bus sur ce genre de routes.
Durant toute ma vie de cyclo-voyageuse, c’est la première fois que j’observe de telles infrastructures. Lorsque le danger est porté à un haut degré, l’Irlande sait placer des protections pour les piétons et les cyclistes. Incroyable ! Jamais je n’aurais pu imaginer qu’en tant que simple cycliste je pourrais stopper la circulation sur des voies rapides en périphérie d’une capitale !
C’est donc avec grande sérénité que j’approche du camping qui est en pleine campagne dans le parc de Corkagh, au milieu de l’imbroglio du réseau routier. Le parc magnifique est traversé par la rivière Camac. Il comprend de nombreux étangs de pêche et une aire de jeux en bordure d’un bois et d’un ruisseau. Je longe un terrain dans une clairière où se déroule une partie de hurling qui se joue avec une crosse pour taper dans une balle. Jeu typiquement irlandais mais qui certainement ne s’associe pas à la cyclo-voyageuse égarée dans l’immense parc et qui longe la limite du terrain.
Je parviens tout de même au camping à l’accueil très sympathique.
Le réceptionniste m’informe que je peux rejoindre le centre de Dublin en une heure grâce au bus qui s’arrête à proximité. Ce sera mon projet de demain.
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Lundi 25 août – 55e jour
32 km en bus et 13 km à pied
Dublin
Au point du jour, je suis déjà installée au premier étage du bus 69 en direction du centre de Dublin. Les bus publics à impériale sont à livrée extérieure verte et jaune vif et ce ne sont pas les bus qui manquent, j’en vois partout sur le trajet.
Le réceptionniste du camping m’avait informée : « Vous devez avoir le compte exact en monnaie qui sera à glisser dans une boîte automatique auprès du conducteur. Sinon, ce dernier ne vous rendra pas la monnaie, mais un reçu de remboursement à échanger au siège central. Pour un voyage d’une heure depuis la périphérie, le montant est de deux euros soixante. »
Je repère le centre-ville sur mon traqueur téléphonique. Cela me permet de descendre du bus au quartier Temple Bar. Quel nom étonnant ! Je déambule dans une multitude de rues piétonnes étroites et pavées où foisonnent de charmantes petites boutiques indépendantes, d’intéressantes galeries, de pubs à chaque coin de rue et de restaurants au menu appétissant. Des artistes remplissent déjà l’espace urbain de leur musique. Des groupes de touristes suivent consciencieusement leur guide.
Stéphane, le guide politique de Belfast, m’avait renseignée sur la possibilité d’une visite sur les généralités de l’Irlande. La guide n’étant pas disponible, j’ai opté pour une journée à me balader à pied, au fils des rues.
Mes pas me conduisent devant Temple Bar Gallery. L’exposition Faigh Amach, qui veut dire « Découvrir », présente trois artistes. Par chance, je suis la seule visiteuse. La galeriste, fort sympathique, me fait asseoir dans un confortable fauteuil. Elle m’explique, dans un français parfait, l’objectif de l’exposition : « Au printemps prochain, l’une des trois artistes sera sélectionnée pour présenter sa première exposition à la Southwark Park Galleries de Londres. Cette organisation artistique commande à des artistes en phase critique leurs œuvres les plus ambitieuses pour les exposer. » Quelle chance pour l’une d’elles !
La galeriste me propose de lui laisser mon adresse électronique pour m’informer du nom de l’heureuse élue. Tout est toujours simple en Irlande.
La galeriste me brosse les grandes lignes de chacune des artistes qui ont des modes d’expressions très spécifiques. Elsa Bertilsson utilise des images et des matériaux liés à la culture pop pour refléter l’impact de l’anxiété et de la précarité au quotidien. Les peintures de Kathy Tynan représentent des paysages urbains familiers et des scènes domestiques en mettant en lumière des moments d’affection, d’intimité et de curiosité. Les œuvres textiles et d’assemblage d’Emily Waszak, s’inspirent des rituels de son héritage culturel japonais, de son vécu du deuil et du paysage de sa maison du Donegal.
Avec si peu de recul, je suis dans l’incapacité de donner une préférence. Pour moi, les œuvres sont toutes plus intéressantes les unes que les autres.
La majorité des Irlandais que j’ai rencontrés, ont évoqué la Grande Famine et l’exode consécutif à ce drame. Mes pas me conduisent tout naturellement au grand musée Irish Émigration, installé dans les vastes sous-sols d’anciens entrepôts au bord de la Liffey. Je descends dans les voûtes en pierre où l’on me remet un petit livret vert, appelé passeport qui sera tamponné dans chaque salle, c’est le un plan des lieux.
Le sous-sol est extrêmement coloré. Les piliers des voûtes sont couverts d’un entrelacement de fils pétillants de couleur. Cette pétillance est-elle là comme pour apaiser les drames qui se sont joués au cours des siècles au sein de la population irlandaise ?
Le cyclo-voyage en solo ouvre sur les réminiscences de mon passé. Les souvenirs affleurent mon esprit au cours des longues journées de pédalage, bien souvent au milieu de nulle part. L’histoire de l’Irlande montre de nombreuses similitudes avec le passé de ma famille. Avant de débuter la visite, je cherche un endroit calme pour m’asseoir et repenser à ma famille qui a connu l’exode.
À la fin des années 1950, ma mère, Rolande, et nous, les quatre enfants, nous nous réunissions autour de Vittorio, mari et père. Au départ, il était réticent à nous raconter son histoire familiale. Il nous répondait : « C’est un récit très triste ! D’ailleurs, ma propre vie a été également dramatique ! » Nous insistions… Nous voulions savoir !
Et peu à peu, il dépeignait son passé avec son accent qui n’avait rien de commun avec le nôtre. Grâce à ses enfants très curieux, il est fort probable que notre mère apprit une partie des événements vécus par la famille de son mari. Il est regrettable que nous ayons omis de demander à notre mère de nous relater ses mémoires. Dommage aussi que notre sœur Claude nous ait quittés trop prématurément. Elle était la mémoire vive de la famille. Elle aurait pu, de sa plume alerte, combler mes lacunes.
Après avoir posé au centre de la grande table de la salle à manger une carte du monde qui, à nos yeux d’enfants, était immense et une affichette en noir et blanc très défraîchie, jaunie, effrangée, Vittorio débutait toujours de la même façon.
« C’étaient l’histoire des Bollini. La famille de ma mère Marietta, votre grand-mère. Ses grands-parents et leurs deux premiers enfants, accompagnés par deux frères de son grand-père partirent pour le Brésil il y a presque cent ans, un siècle en arrière, vers les années 1880. Des affiches de propagande vantaient qu’une une vie meilleure les attendait au Brésil. »
Il nous lisait l’affiche en italien et ensuite la traduisait. « Un pays d’opportunités. Climat tropical. Vivre en abondance. Ressources minières. Au Brésil, vous pourrez posséder votre château. Des terres et des outils pour tous. »
Pour mieux regarder carte et affiche posées sur la table, mes deux jeunes sœurs se plaçaient debout sur leur chaise, mon frère et moi nous nous mettions debout. Nous étions fascinés par le bateau. Un vrai bateau de pirates ! Nous demandions à notre père pourquoi le château n’avait pas été dessiné sur l’affiche. Mon père adaptait son langage à notre compréhension. Toutefois il ne trouvait pas de synonymes pour certains mots : « Ils partirent par le chemin de fer pour rejoindre Trieste où ils embarquèrent dans un bateau à vapeur. Le voyage fut très difficile. Ils étaient pauvres et voyageaient dans l’entrepont et l’un des deux enfants mourut au cours de la traversée de l’Atlantique. Après deux semaines de voyage, ils débarquèrent au Brésil. Le prix des billets avait été avancé par les Fazendeiros qui étaient les propriétaires terriens de la plantation de café où ils allaient travailler. Les Bollini devaient rembourser les frais de leur traversée. Toutes les espérances d’un futur meilleur furent anéanties par leurs conditions de vie et de travail qui n’étaient guère meilleures que celles des esclaves qu’ils remplacèrent, par les difficultés d’une intégration complexe dans un monde inconnu, par une nouvelle langue à apprendre, par la rupture avec leur propre culture et par l’isolement. Les membres de la famille de votre grand-mère étaient des gens de la terre. Ils étaient d’orientation socialiste et anarchiste. Ces conditions de travail révoltèrent certains des immigrés. Ils s’affrontèrent avec les fermiers dans des rebellions et révoltes. Les Bollini revinrent rapidement en Italie… Sauf les deux frères qui évoluèrent en brigands, en hors la loi. »
Certains mots nous fascinaient. Bateau à vapeur, esclave, brigand, hors la loi. Nous, les enfants, voulions en savoir un peu plus sur les deux brigands. Hélas, mon père s’arrêtait. Il ne pouvait envisager que nous soyons les dépositaires d’une histoire familiale qui s’était construite en dehors des normes sociales.
Malgré l’interdit, notre grand-père Anselmo, mari de Marietta nous renseigna. Les deux frères Bollini attaquaient des banques à main armée. Dans notre imaginaire d’enfants, nous nous les représentions à cheval et nous étions ravis d’avoir des brigands comme ascendants. Lors des absences de notre père, mon frère et moi nous nous transformions en frères Bollini. Nous avions pour cibles deux banquières qui n’étaient ni plus ni moins que nos deux petites sœurs, bien souvent en pleurs, car jamais nous n’acceptions d’échanger les rôles.
Mon père, Vittorio, quitta également l’Italie pour la France en 1949. Il ne s’agissait pas de traverser un océan, mais simplement de sillonner son pays de part en part et de franchir les Alpes. À cette époque, du jour au lendemain, le travailleur immigré obtenait son titre de séjour pour asseoir son avenir. Mais il n’est jamais commode de s’adapter lorsque ce sont des conditions économiques qui vous propulsent ailleurs, et non votre propre choix de vie. Vittorio a toujours gardé au fond de lui, la nostalgie de son pays.
Ces pensées revécues avec nostalgie, je me replonge dans la visite du musée dans lequel je me trouve.
Le musée est composé de vingt galeries. Je passe de tunnel en tunnel. Des expositions, des stations interactives, des présentations, des enregistrements audio. C’est impressionnant de couleurs. Le musée détaille la fantastique et dramatique histoire du peuple irlandais obligé d’émigrer au cours des siècles, victime du colonialisme anglais et de ses discriminations, de la misère, de la Grande Famine.
Cette Grande Famine qui éclata au milieu du 19e siècle demeure un grand accélérateur de l’exode irlandais. Elle est due à la maladie de la pomme de terre, denrée principale, parasitée par le mildiou. Un million de personnes sont mortes des suites de la famine et un nombre similaire ont émigré pour commencer une nouvelle vie ailleurs, notamment dans des pays anglophones – États-Unis, Canada, Australie, Royaume-Uni…
Avec la Grande Famine, la population migrante devient plus féminine, plus familiale, moins qualifiée. Les plus démunis n’émigrent pas, faute de moyens. Le million de morts en moins de dix ans incitera certains historiens à accuser de « génocide involontaire » les Britanniques indifférents ou implacables. Les migrants les plus pauvres se contentent de passer en Grande-Bretagne pour regrouper leur misère autour de Londres, Manchester ou Glasgow dans des bidonvilles appelés aussi « Petites Irlandes ». Certains migrants sont financés par leurs propriétaires terriens irlandais : ces derniers vont profiter de ces départs en masse pour moderniser et rationaliser leurs exploitations. Mais les partants, dans leur majorité, gagnent l’Amérique par leurs propres moyens ou grâce à l’aide matérielle de parents ou d’amis déjà émigrés.
Je lis de vraies lettres qui suscitent beaucoup d’émotions en moi. C’est la même histoire que celle des Bollini avec le processus décourageant de commencer une nouvelle vie. Aux États-Unis, les Irlandais vivent dans des conditions que des Américains eux-mêmes n'auraient jamais tolérées. Ils sont contraints à accepter les postes les plus pénibles physiquement et les plus dangereux.
Je quitte le musée. Il me faudrait deux jours pour le visiter… D’autant plus que la visite se complète par celle de la réplique du Jeanie Johnston, le bateau qui fit seize voyages de transport d’émigrants vers le Nouveau Monde de 1848 à 1853 dans d’atroces conditions de transport. En principe, je ne reviens jamais sur mes pas, mais il est fort probable que je visiterai longuement Belfast et Dublin dans les années à venir.
Après toutes ces émotions, je vais justifier l’adage des Dublinois : « Tu liras et tu boiras. » Je me dirige donc vers The Temple Bar dans le quartier du même nom. Il est décrit comme l’un des meilleurs pubs pour écouter de la musique traditionnelle irlandaise. Ce pub date de 1840. La façade du rez-de-chaussée, en bois, est d’un rouge vif. Les étages supérieurs, en briques rougeâtres, sont couverts de fleurs en grappes, de drapeaux rouges à l’enseigne The Temple Bar et de guirlandes tombant à la verticale depuis le toit. Le pub propose trois-cents whiskys différents !
Lorsque j’arrive en fin d’après-midi, un monde fou est présent dans des coins et recoins. Ces derniers sont tous occupés par un bar. Dans l’un des coins, un groupe de musiciens est entouré de nombreux spectateurs qui applaudissent à tout va à la fin de chaque morceau de musique. C’est beaucoup trop bruyant pour moi ! Ailleurs, une table se libère juste au moment de mon arrivée. Un grand écran, présent dans chacune des pièces, retransmet le concert.
Évidemment, je commande une Guinness, cette bière noire coiffée d’une mousse blanche et titrant à 4,2 %. Elle représente la première boisson alcoolisée vendue dans le pays. Je me suis habituée à cette boisson à l’acidité légère et aux arômes de malt et de caramel. Je commande des huîtres car j’apprécie ce fruit de mer. Le serveur commente : « En Irlande, manger des huitres tout en buvant de la Guinness est l’accord parfait. Dans les années 1800, les Irlandais de classe pauvre et moyenne avaient pour habitude de les consommer au pub avec une pinte de Guinness à la main. Le plat est devenu une véritable spécialité. » Et il ajoute quelques mots que je ne comprends pas.
Il me sert quelque temps plus tard un grand plat creux en inox qui contient, à ma grande consternation… deux huîtres ! Elles sont posées sur un lit de glaçons sur lesquels sont déposés un peu de persil, une coupelle de vinaigre à l’échalotte coupée finement et un quartier de citron piqué d’un drapeau avec la mention The Temple Bar. Voilà ce qu’il avait tenté de me dire : « Vous n’avez commandé que deux huîtres ! » Quant à moi, le prix exorbitant ne m’avait pas fait imaginer que l’on ne me servirait que deux huitres. Qu’importe, je peux dire que Guinness et huîtres se marient à merveille !
Avant de reprendre le bus qui doit me reconduire au camping à seize kilomètres, je fais un détour par Liffey street. Au bout de la rue, face au pont Ha’penny, la sculpture en bronze de Jackie McKenna, Meeting Place, réalisée en 1988, a été conçue pour refléter la vie quotidienne citadine. Deux femmes sont assises pour discuter, leurs sacs à leurs pieds. Il y a quelques années, l’un des sacs a été volé malgré son poids important. Aujourd’hui les deux sacs sont solidement fixés au sol.
La sculpture reflète parfaitement l’ambiance et l’atmosphère de la ville. Je m’assieds à côté d’elles et pense à ma journée. J’ai vu si peu de Dublin, si peu de Belfast. Mais j’ai voyagé dans mes souvenirs.
Ces deux villes méritent une attention particulière et m’ont donné l’envie, le désir d’y revenir.
32 km en bus et 13 km à pied
Dublin
Au point du jour, je suis déjà installée au premier étage du bus 69 en direction du centre de Dublin. Les bus publics à impériale sont à livrée extérieure verte et jaune vif et ce ne sont pas les bus qui manquent, j’en vois partout sur le trajet.
Le réceptionniste du camping m’avait informée : « Vous devez avoir le compte exact en monnaie qui sera à glisser dans une boîte automatique auprès du conducteur. Sinon, ce dernier ne vous rendra pas la monnaie, mais un reçu de remboursement à échanger au siège central. Pour un voyage d’une heure depuis la périphérie, le montant est de deux euros soixante. »
Je repère le centre-ville sur mon traqueur téléphonique. Cela me permet de descendre du bus au quartier Temple Bar. Quel nom étonnant ! Je déambule dans une multitude de rues piétonnes étroites et pavées où foisonnent de charmantes petites boutiques indépendantes, d’intéressantes galeries, de pubs à chaque coin de rue et de restaurants au menu appétissant. Des artistes remplissent déjà l’espace urbain de leur musique. Des groupes de touristes suivent consciencieusement leur guide.
Stéphane, le guide politique de Belfast, m’avait renseignée sur la possibilité d’une visite sur les généralités de l’Irlande. La guide n’étant pas disponible, j’ai opté pour une journée à me balader à pied, au fils des rues.
Mes pas me conduisent devant Temple Bar Gallery. L’exposition Faigh Amach, qui veut dire « Découvrir », présente trois artistes. Par chance, je suis la seule visiteuse. La galeriste, fort sympathique, me fait asseoir dans un confortable fauteuil. Elle m’explique, dans un français parfait, l’objectif de l’exposition : « Au printemps prochain, l’une des trois artistes sera sélectionnée pour présenter sa première exposition à la Southwark Park Galleries de Londres. Cette organisation artistique commande à des artistes en phase critique leurs œuvres les plus ambitieuses pour les exposer. » Quelle chance pour l’une d’elles !
La galeriste me propose de lui laisser mon adresse électronique pour m’informer du nom de l’heureuse élue. Tout est toujours simple en Irlande.
La galeriste me brosse les grandes lignes de chacune des artistes qui ont des modes d’expressions très spécifiques. Elsa Bertilsson utilise des images et des matériaux liés à la culture pop pour refléter l’impact de l’anxiété et de la précarité au quotidien. Les peintures de Kathy Tynan représentent des paysages urbains familiers et des scènes domestiques en mettant en lumière des moments d’affection, d’intimité et de curiosité. Les œuvres textiles et d’assemblage d’Emily Waszak, s’inspirent des rituels de son héritage culturel japonais, de son vécu du deuil et du paysage de sa maison du Donegal.
Avec si peu de recul, je suis dans l’incapacité de donner une préférence. Pour moi, les œuvres sont toutes plus intéressantes les unes que les autres.
La majorité des Irlandais que j’ai rencontrés, ont évoqué la Grande Famine et l’exode consécutif à ce drame. Mes pas me conduisent tout naturellement au grand musée Irish Émigration, installé dans les vastes sous-sols d’anciens entrepôts au bord de la Liffey. Je descends dans les voûtes en pierre où l’on me remet un petit livret vert, appelé passeport qui sera tamponné dans chaque salle, c’est le un plan des lieux.
Le sous-sol est extrêmement coloré. Les piliers des voûtes sont couverts d’un entrelacement de fils pétillants de couleur. Cette pétillance est-elle là comme pour apaiser les drames qui se sont joués au cours des siècles au sein de la population irlandaise ?
Le cyclo-voyage en solo ouvre sur les réminiscences de mon passé. Les souvenirs affleurent mon esprit au cours des longues journées de pédalage, bien souvent au milieu de nulle part. L’histoire de l’Irlande montre de nombreuses similitudes avec le passé de ma famille. Avant de débuter la visite, je cherche un endroit calme pour m’asseoir et repenser à ma famille qui a connu l’exode.
À la fin des années 1950, ma mère, Rolande, et nous, les quatre enfants, nous nous réunissions autour de Vittorio, mari et père. Au départ, il était réticent à nous raconter son histoire familiale. Il nous répondait : « C’est un récit très triste ! D’ailleurs, ma propre vie a été également dramatique ! » Nous insistions… Nous voulions savoir !
Et peu à peu, il dépeignait son passé avec son accent qui n’avait rien de commun avec le nôtre. Grâce à ses enfants très curieux, il est fort probable que notre mère apprit une partie des événements vécus par la famille de son mari. Il est regrettable que nous ayons omis de demander à notre mère de nous relater ses mémoires. Dommage aussi que notre sœur Claude nous ait quittés trop prématurément. Elle était la mémoire vive de la famille. Elle aurait pu, de sa plume alerte, combler mes lacunes.
Après avoir posé au centre de la grande table de la salle à manger une carte du monde qui, à nos yeux d’enfants, était immense et une affichette en noir et blanc très défraîchie, jaunie, effrangée, Vittorio débutait toujours de la même façon.
« C’étaient l’histoire des Bollini. La famille de ma mère Marietta, votre grand-mère. Ses grands-parents et leurs deux premiers enfants, accompagnés par deux frères de son grand-père partirent pour le Brésil il y a presque cent ans, un siècle en arrière, vers les années 1880. Des affiches de propagande vantaient qu’une une vie meilleure les attendait au Brésil. »
Il nous lisait l’affiche en italien et ensuite la traduisait. « Un pays d’opportunités. Climat tropical. Vivre en abondance. Ressources minières. Au Brésil, vous pourrez posséder votre château. Des terres et des outils pour tous. »
Pour mieux regarder carte et affiche posées sur la table, mes deux jeunes sœurs se plaçaient debout sur leur chaise, mon frère et moi nous nous mettions debout. Nous étions fascinés par le bateau. Un vrai bateau de pirates ! Nous demandions à notre père pourquoi le château n’avait pas été dessiné sur l’affiche. Mon père adaptait son langage à notre compréhension. Toutefois il ne trouvait pas de synonymes pour certains mots : « Ils partirent par le chemin de fer pour rejoindre Trieste où ils embarquèrent dans un bateau à vapeur. Le voyage fut très difficile. Ils étaient pauvres et voyageaient dans l’entrepont et l’un des deux enfants mourut au cours de la traversée de l’Atlantique. Après deux semaines de voyage, ils débarquèrent au Brésil. Le prix des billets avait été avancé par les Fazendeiros qui étaient les propriétaires terriens de la plantation de café où ils allaient travailler. Les Bollini devaient rembourser les frais de leur traversée. Toutes les espérances d’un futur meilleur furent anéanties par leurs conditions de vie et de travail qui n’étaient guère meilleures que celles des esclaves qu’ils remplacèrent, par les difficultés d’une intégration complexe dans un monde inconnu, par une nouvelle langue à apprendre, par la rupture avec leur propre culture et par l’isolement. Les membres de la famille de votre grand-mère étaient des gens de la terre. Ils étaient d’orientation socialiste et anarchiste. Ces conditions de travail révoltèrent certains des immigrés. Ils s’affrontèrent avec les fermiers dans des rebellions et révoltes. Les Bollini revinrent rapidement en Italie… Sauf les deux frères qui évoluèrent en brigands, en hors la loi. »
Certains mots nous fascinaient. Bateau à vapeur, esclave, brigand, hors la loi. Nous, les enfants, voulions en savoir un peu plus sur les deux brigands. Hélas, mon père s’arrêtait. Il ne pouvait envisager que nous soyons les dépositaires d’une histoire familiale qui s’était construite en dehors des normes sociales.
Malgré l’interdit, notre grand-père Anselmo, mari de Marietta nous renseigna. Les deux frères Bollini attaquaient des banques à main armée. Dans notre imaginaire d’enfants, nous nous les représentions à cheval et nous étions ravis d’avoir des brigands comme ascendants. Lors des absences de notre père, mon frère et moi nous nous transformions en frères Bollini. Nous avions pour cibles deux banquières qui n’étaient ni plus ni moins que nos deux petites sœurs, bien souvent en pleurs, car jamais nous n’acceptions d’échanger les rôles.
Mon père, Vittorio, quitta également l’Italie pour la France en 1949. Il ne s’agissait pas de traverser un océan, mais simplement de sillonner son pays de part en part et de franchir les Alpes. À cette époque, du jour au lendemain, le travailleur immigré obtenait son titre de séjour pour asseoir son avenir. Mais il n’est jamais commode de s’adapter lorsque ce sont des conditions économiques qui vous propulsent ailleurs, et non votre propre choix de vie. Vittorio a toujours gardé au fond de lui, la nostalgie de son pays.
Ces pensées revécues avec nostalgie, je me replonge dans la visite du musée dans lequel je me trouve.
Le musée est composé de vingt galeries. Je passe de tunnel en tunnel. Des expositions, des stations interactives, des présentations, des enregistrements audio. C’est impressionnant de couleurs. Le musée détaille la fantastique et dramatique histoire du peuple irlandais obligé d’émigrer au cours des siècles, victime du colonialisme anglais et de ses discriminations, de la misère, de la Grande Famine.
Cette Grande Famine qui éclata au milieu du 19e siècle demeure un grand accélérateur de l’exode irlandais. Elle est due à la maladie de la pomme de terre, denrée principale, parasitée par le mildiou. Un million de personnes sont mortes des suites de la famine et un nombre similaire ont émigré pour commencer une nouvelle vie ailleurs, notamment dans des pays anglophones – États-Unis, Canada, Australie, Royaume-Uni…
Avec la Grande Famine, la population migrante devient plus féminine, plus familiale, moins qualifiée. Les plus démunis n’émigrent pas, faute de moyens. Le million de morts en moins de dix ans incitera certains historiens à accuser de « génocide involontaire » les Britanniques indifférents ou implacables. Les migrants les plus pauvres se contentent de passer en Grande-Bretagne pour regrouper leur misère autour de Londres, Manchester ou Glasgow dans des bidonvilles appelés aussi « Petites Irlandes ». Certains migrants sont financés par leurs propriétaires terriens irlandais : ces derniers vont profiter de ces départs en masse pour moderniser et rationaliser leurs exploitations. Mais les partants, dans leur majorité, gagnent l’Amérique par leurs propres moyens ou grâce à l’aide matérielle de parents ou d’amis déjà émigrés.
Je lis de vraies lettres qui suscitent beaucoup d’émotions en moi. C’est la même histoire que celle des Bollini avec le processus décourageant de commencer une nouvelle vie. Aux États-Unis, les Irlandais vivent dans des conditions que des Américains eux-mêmes n'auraient jamais tolérées. Ils sont contraints à accepter les postes les plus pénibles physiquement et les plus dangereux.
Je quitte le musée. Il me faudrait deux jours pour le visiter… D’autant plus que la visite se complète par celle de la réplique du Jeanie Johnston, le bateau qui fit seize voyages de transport d’émigrants vers le Nouveau Monde de 1848 à 1853 dans d’atroces conditions de transport. En principe, je ne reviens jamais sur mes pas, mais il est fort probable que je visiterai longuement Belfast et Dublin dans les années à venir.
Après toutes ces émotions, je vais justifier l’adage des Dublinois : « Tu liras et tu boiras. » Je me dirige donc vers The Temple Bar dans le quartier du même nom. Il est décrit comme l’un des meilleurs pubs pour écouter de la musique traditionnelle irlandaise. Ce pub date de 1840. La façade du rez-de-chaussée, en bois, est d’un rouge vif. Les étages supérieurs, en briques rougeâtres, sont couverts de fleurs en grappes, de drapeaux rouges à l’enseigne The Temple Bar et de guirlandes tombant à la verticale depuis le toit. Le pub propose trois-cents whiskys différents !
Lorsque j’arrive en fin d’après-midi, un monde fou est présent dans des coins et recoins. Ces derniers sont tous occupés par un bar. Dans l’un des coins, un groupe de musiciens est entouré de nombreux spectateurs qui applaudissent à tout va à la fin de chaque morceau de musique. C’est beaucoup trop bruyant pour moi ! Ailleurs, une table se libère juste au moment de mon arrivée. Un grand écran, présent dans chacune des pièces, retransmet le concert.
Évidemment, je commande une Guinness, cette bière noire coiffée d’une mousse blanche et titrant à 4,2 %. Elle représente la première boisson alcoolisée vendue dans le pays. Je me suis habituée à cette boisson à l’acidité légère et aux arômes de malt et de caramel. Je commande des huîtres car j’apprécie ce fruit de mer. Le serveur commente : « En Irlande, manger des huitres tout en buvant de la Guinness est l’accord parfait. Dans les années 1800, les Irlandais de classe pauvre et moyenne avaient pour habitude de les consommer au pub avec une pinte de Guinness à la main. Le plat est devenu une véritable spécialité. » Et il ajoute quelques mots que je ne comprends pas.
Il me sert quelque temps plus tard un grand plat creux en inox qui contient, à ma grande consternation… deux huîtres ! Elles sont posées sur un lit de glaçons sur lesquels sont déposés un peu de persil, une coupelle de vinaigre à l’échalotte coupée finement et un quartier de citron piqué d’un drapeau avec la mention The Temple Bar. Voilà ce qu’il avait tenté de me dire : « Vous n’avez commandé que deux huîtres ! » Quant à moi, le prix exorbitant ne m’avait pas fait imaginer que l’on ne me servirait que deux huitres. Qu’importe, je peux dire que Guinness et huîtres se marient à merveille !
Avant de reprendre le bus qui doit me reconduire au camping à seize kilomètres, je fais un détour par Liffey street. Au bout de la rue, face au pont Ha’penny, la sculpture en bronze de Jackie McKenna, Meeting Place, réalisée en 1988, a été conçue pour refléter la vie quotidienne citadine. Deux femmes sont assises pour discuter, leurs sacs à leurs pieds. Il y a quelques années, l’un des sacs a été volé malgré son poids important. Aujourd’hui les deux sacs sont solidement fixés au sol.
La sculpture reflète parfaitement l’ambiance et l’atmosphère de la ville. Je m’assieds à côté d’elles et pense à ma journée. J’ai vu si peu de Dublin, si peu de Belfast. Mais j’ai voyagé dans mes souvenirs.
Ces deux villes méritent une attention particulière et m’ont donné l’envie, le désir d’y revenir.
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Mardi 26 août – 56e jour
80 km / 707 m
Dublin, Saggart, Glenaraneen, Kilbride, Hollywood, Donard, Hacketstown
Dublin, capitale de la République d’Irlande, compte 1 270 603 habitants avec la population de l’aire urbaine. La ville est située le long d’une baie au milieu de la côte est de l’Irlande. Un grand nombre de routes convergent en direction de la capitale, notamment les nationales et les autoroutes. À vélo, c’est un grand défi !
De bon matin je quitte le camping situé à la périphérie de Dublin. La piste cyclable le long de la rocade est large. Elle la longe soit sur un trottoir, soit un garde-fou. Une haie me protège des véhicules. Toujours aussi facilement, je contourne de nombreux ronds-points grâce aux feux rouges que j’actionne. Des travaux m’obligent à traverser cette voie express de contournement. Là encore des feux ont été installés provisoirement. Je les déclenche et, comme par magie, sans coup de frein intempestif, les véhicules s’arrêtent tranquillement, patiemment, sereinement.
Je dois franchir deux autoroutes. L'une se situe à l'ouest de la ville et l’autre au sud. Je repère aisément les deux ponts qui les enjambent. Et j’atteins l’espace urbain sud peu peuplé, organisé en une succession de villages paisibles.
Chaque matin, je romps avec l’étape du jour précédent par une pause dans un lieu si possible agréable. Au village de Saggart, un café bibliothèque a été aménagé avec soin. Un bar occupe la première partie de l’endroit. En prolongement, une bibliothèque, pourvue de nombreux livres et de quelques jeux d’enfants, occupe tout un côté de la pièce. Autour des tables, des fauteuils scandinaves permettent un bon confort. De modernes fauteuils de salon, entourent des tables basses et assurent un moment de repos. Les teintes de l’immobilier ainsi que du sol sont grises. Un gris souris conduisant au gris anthracite. Seuls le rouge coquelicot de deux poufs et les couleurs variées des tranches des différents livres viennent rehausser cette douce harmonie.
Tous les cafés, salons de thé, épiceries, minimarchés proposent des scones. Ce sont de petits pains dans lesquels est inclus du sucre. Petit gâteau délicat et nourrissant, emblématique d’Écosse, les scones sont particulièrement populaires en Irlande. Pris avec du thé ou du café, ils sont servis avec de la confiture, une crème épaisse et du beurre. C’est un délicieux plus à mes petits déjeuners parfois frugaux.
La pause, qui bien souvent se déroule peu après mon départ du matin, doit être d’une courte durée. Mes étapes sont parfois longues. Aujourd’hui je dois parcourir environ quatre-vingts kilomètres. J’emprunte des voies secondaires limitées à 60 km/h, sans marquage au sol, à peine la place de se croiser. Les automobilistes sont extrêmement prudents sur ce genre de routes.
Cette région est à une cinquantaine de kilomètres de la côte. Un coup d’œil sur la carte et je repère une voie verte qui sillonne le littoral. Mais un autre à ma gauche m'indique que j’en suis séparée par les montagnes de Wicklow. Elles constituent la plus vaste région continue de plateaux d’Irlande et culminent à neuf-cent-vingt-cinq mètres. Ah ! Que je suis bien à pédaler sur ma petite route campagnarde sans réellement de dénivelés. Des moutons paissent dans leur champ et sont totalement indifférents à mon passage. Des chevaux, couverts de drôles de manteaux turquoise, me suivent en caracolant derrière leur barrière.
Au début de mon voyage, au fur et à mesure de mon avancée du sud au nord de l’Irlande sur la côte ouest, les maisons perdaient leurs couleurs radieuses. Ici, plus je me dirige vers le sud, plus les villages s’égaient de couleurs se succédant dans l’ordre de l’arc-en-ciel. Tout cela vaut bien la zone littorale cachée derrière les montagnes de Wicklow. Certes mes compétences dans les montées se sont améliorées, mais pas suffisamment pour franchir, sans pousser mon vélo, cette chaîne de montagnes aux trente-neuf sommets dépassant six-cents mètres. Seuls trois cols permettent de les franchir au-dessous de cette altitude, ce qui fait de Sally Gap (498 m) et de Wicklow Gap (478 m) les plus hauts cols routiers du pays. De ceux-là, j'aurais pu en venir à bout ! Mais je choisis la facilité en marchant à côté de mon vélo et je continue mon étape programmée de quatre-vingts kilomètres aux sept-cents mètres de dénivelé cumulé.
Les discrètes maisons des agriculteurs sont simplement agrémentées de porches. Ils semblent n’avoir pour utilité que d’augmenter d’un ou deux mètres carrés la surface de la maisonnette. Le portail du mur d’enceinte de la propriété est fort dépouillé. Parfois, il s’agit d’une barrière de fermeture des champs.
À plusieurs reprises, les arbres forment un passage naturel sur la route. Leurs branches se rejoignent au sommet pour créer une voûte. C’est toujours un bonheur pour moi de franchir ces corridors naturels.
Un panneau au bord de la route présente la photo d’une Montbéliarde. Sans hésiter, je bifurque à droite en direction de la ferme. Évidemment, je suis immédiatement identifiée en tant que française par Alan, d’une soixantaine d’années, qui est agriculteur avec sa fille Linda et son fils Gordon. Alan a l’habitude de faire visiter sa ferme. Tout naturellement, il me conduit dans un espace confortable et bien aménagé de l’étable pour un thé accompagné de scones.
Lorsque je précise que je suis Franc-Comtoise, la région de la Montbéliarde, Alan devient hilare et volubile et relate : « Notre famille est exploitante agricole ici depuis 1850 et je suis la cinquième génération. En 1993, nous avons acheté les trois premières Montbéliardes, puis cinq autres en 1994. Après avoir observé leurs performances pendant cinq ans, nous avons décidé d'acheter des embryons en France en 1998. Toutes nos vaches sont aujourd'hui rousses et blanches. Les Montbéliardes se sont révélées très faciles à gérer. Elles restent en bonne santé et sans problème. En 2012, nous avons exporté neuf génisses fraîchement vêlées vers l’Angleterre. Le marché anglais est constamment en demande pour les génisses de race Montbéliarde. Les fromages que vous trouvez en Irlande sont classés en deux familles : ceux issus de l’industrie laitière, tel que le cheddar industriel et ceux issus des fermes, peu connus, avec une distribution locale, tels que le Casher Blue, le Durrus. »
La vache emblématique de ma région est issue du métissage de races autochtones franc-comtoises et de races venues de Suisse. C'est une grande vache, robuste, rustique et élégante. Ce sont des vaches tout-terrain qui s'exportent en Mongolie et même à Mayotte, où j’ai eu l’honneur de les découvrir dans un enclos durant mon long séjour professionnel. Elle est reconnaissable par ses taches de couleur rousse dessinées sur sa robe blanche.
En qualité de Franc-Comtoise, Alan m'offre un cadeau inestimable : un morceau conséquent de Durrus.
En fin de journée, je rejoins le camping de Ravens Rest qui indique sur son site : « Camping familial, entièrement naturel. Nous privilégions les familles et vous encourageons à profiter de notre cadre naturel et paisible et à vous détendre pendant votre séjour. Les installations sont modernes pour des espaces cuisine, toilettes, douches et sanitaires. De nombreuses activités sont également prévues pour les enfants de tous âges. Tout le nécessaire pour les familles : balançoires, toboggans, forts, bac à sable, terrain de volley-ball, poteaux de football et bien plus encore ! »
Mais quelle déconvenue à mon arrivée ! Et je tempère rapidement ma satisfaction initiale. Sur le versant d’une colline, le site s’étend sur plusieurs hectares. De spacieux champs sont ceints de hautes haies vives. Un seul habitat, caravane ou camping-car, sali par les intempéries, occupe chacun des espaces de chaque côté du chemin caillouteux que j’emprunte. Dans un autre champ, plusieurs voitures démontées avoisinent une grande tente en piteux état. Le long chemin pierreux accède à une immense étendue herbeuse. Ici, plusieurs mobil-homes en bon état sont installés en haut du champ. Des voitures stationnent à leur côté. En prolongement, se trouvent les installations dépeintes comme modernes. La cuisine n’est qu’un évier branlant adossé à la cabane de réception dans laquelle un grand désordre règne. Les sanitaires sont vétustes. Le sol des douches est un caillebotis dont le bois se désagrège. S’ajoute à tout cela une coupure d’électricité occasionnant un arrêt de l’eau courante. La nomade que je suis se contente de peu ! Il me faut simplement un coin pour planter ma tente et de l’eau. Et mes gourdes sont vides !
Je repère deux jeunes femmes tournicotant autour d’une voiture. Ce sont deux allemandes qui sont aussi surprises que moi par l’état du camping. Nous trouvons que ce camping est bizarre ! Elles ont essayé, sans succès, de téléphoner au propriétaire du lieu pour signaler la coupure d’électricité. Elles dorment dans leur voiture et ont prévu de visiter l’Irlande durant trois semaines. Je m’installe à proximité d’elles. Puis le camping s’enfonce dans une nuit noire. Brusquement, les mobile homes s’éclairent et laissent percevoir leurs hôtes. À proximité, quelques tentes spacieuses s’illuminent grâce à des guirlandes. De la musique irlandaise parvient jusqu’à moi.
Je n’ai pas de jeton pour actionner l’eau chaude de la douche. Je prends donc une douche à l’eau glacée. Mon corps s’est habitué à vivre continuellement dehors, également au froid, à la pluie, au vent et aux douches à l’eau excessivement froide.
Pourtant, malgré ma surprise et les désagréments, ce camping me satisfait !
80 km / 707 m
Dublin, Saggart, Glenaraneen, Kilbride, Hollywood, Donard, Hacketstown
Dublin, capitale de la République d’Irlande, compte 1 270 603 habitants avec la population de l’aire urbaine. La ville est située le long d’une baie au milieu de la côte est de l’Irlande. Un grand nombre de routes convergent en direction de la capitale, notamment les nationales et les autoroutes. À vélo, c’est un grand défi !
De bon matin je quitte le camping situé à la périphérie de Dublin. La piste cyclable le long de la rocade est large. Elle la longe soit sur un trottoir, soit un garde-fou. Une haie me protège des véhicules. Toujours aussi facilement, je contourne de nombreux ronds-points grâce aux feux rouges que j’actionne. Des travaux m’obligent à traverser cette voie express de contournement. Là encore des feux ont été installés provisoirement. Je les déclenche et, comme par magie, sans coup de frein intempestif, les véhicules s’arrêtent tranquillement, patiemment, sereinement.
Je dois franchir deux autoroutes. L'une se situe à l'ouest de la ville et l’autre au sud. Je repère aisément les deux ponts qui les enjambent. Et j’atteins l’espace urbain sud peu peuplé, organisé en une succession de villages paisibles.
Chaque matin, je romps avec l’étape du jour précédent par une pause dans un lieu si possible agréable. Au village de Saggart, un café bibliothèque a été aménagé avec soin. Un bar occupe la première partie de l’endroit. En prolongement, une bibliothèque, pourvue de nombreux livres et de quelques jeux d’enfants, occupe tout un côté de la pièce. Autour des tables, des fauteuils scandinaves permettent un bon confort. De modernes fauteuils de salon, entourent des tables basses et assurent un moment de repos. Les teintes de l’immobilier ainsi que du sol sont grises. Un gris souris conduisant au gris anthracite. Seuls le rouge coquelicot de deux poufs et les couleurs variées des tranches des différents livres viennent rehausser cette douce harmonie.
Tous les cafés, salons de thé, épiceries, minimarchés proposent des scones. Ce sont de petits pains dans lesquels est inclus du sucre. Petit gâteau délicat et nourrissant, emblématique d’Écosse, les scones sont particulièrement populaires en Irlande. Pris avec du thé ou du café, ils sont servis avec de la confiture, une crème épaisse et du beurre. C’est un délicieux plus à mes petits déjeuners parfois frugaux.
La pause, qui bien souvent se déroule peu après mon départ du matin, doit être d’une courte durée. Mes étapes sont parfois longues. Aujourd’hui je dois parcourir environ quatre-vingts kilomètres. J’emprunte des voies secondaires limitées à 60 km/h, sans marquage au sol, à peine la place de se croiser. Les automobilistes sont extrêmement prudents sur ce genre de routes.
Cette région est à une cinquantaine de kilomètres de la côte. Un coup d’œil sur la carte et je repère une voie verte qui sillonne le littoral. Mais un autre à ma gauche m'indique que j’en suis séparée par les montagnes de Wicklow. Elles constituent la plus vaste région continue de plateaux d’Irlande et culminent à neuf-cent-vingt-cinq mètres. Ah ! Que je suis bien à pédaler sur ma petite route campagnarde sans réellement de dénivelés. Des moutons paissent dans leur champ et sont totalement indifférents à mon passage. Des chevaux, couverts de drôles de manteaux turquoise, me suivent en caracolant derrière leur barrière.
Au début de mon voyage, au fur et à mesure de mon avancée du sud au nord de l’Irlande sur la côte ouest, les maisons perdaient leurs couleurs radieuses. Ici, plus je me dirige vers le sud, plus les villages s’égaient de couleurs se succédant dans l’ordre de l’arc-en-ciel. Tout cela vaut bien la zone littorale cachée derrière les montagnes de Wicklow. Certes mes compétences dans les montées se sont améliorées, mais pas suffisamment pour franchir, sans pousser mon vélo, cette chaîne de montagnes aux trente-neuf sommets dépassant six-cents mètres. Seuls trois cols permettent de les franchir au-dessous de cette altitude, ce qui fait de Sally Gap (498 m) et de Wicklow Gap (478 m) les plus hauts cols routiers du pays. De ceux-là, j'aurais pu en venir à bout ! Mais je choisis la facilité en marchant à côté de mon vélo et je continue mon étape programmée de quatre-vingts kilomètres aux sept-cents mètres de dénivelé cumulé.
Les discrètes maisons des agriculteurs sont simplement agrémentées de porches. Ils semblent n’avoir pour utilité que d’augmenter d’un ou deux mètres carrés la surface de la maisonnette. Le portail du mur d’enceinte de la propriété est fort dépouillé. Parfois, il s’agit d’une barrière de fermeture des champs.
À plusieurs reprises, les arbres forment un passage naturel sur la route. Leurs branches se rejoignent au sommet pour créer une voûte. C’est toujours un bonheur pour moi de franchir ces corridors naturels.
Un panneau au bord de la route présente la photo d’une Montbéliarde. Sans hésiter, je bifurque à droite en direction de la ferme. Évidemment, je suis immédiatement identifiée en tant que française par Alan, d’une soixantaine d’années, qui est agriculteur avec sa fille Linda et son fils Gordon. Alan a l’habitude de faire visiter sa ferme. Tout naturellement, il me conduit dans un espace confortable et bien aménagé de l’étable pour un thé accompagné de scones.
Lorsque je précise que je suis Franc-Comtoise, la région de la Montbéliarde, Alan devient hilare et volubile et relate : « Notre famille est exploitante agricole ici depuis 1850 et je suis la cinquième génération. En 1993, nous avons acheté les trois premières Montbéliardes, puis cinq autres en 1994. Après avoir observé leurs performances pendant cinq ans, nous avons décidé d'acheter des embryons en France en 1998. Toutes nos vaches sont aujourd'hui rousses et blanches. Les Montbéliardes se sont révélées très faciles à gérer. Elles restent en bonne santé et sans problème. En 2012, nous avons exporté neuf génisses fraîchement vêlées vers l’Angleterre. Le marché anglais est constamment en demande pour les génisses de race Montbéliarde. Les fromages que vous trouvez en Irlande sont classés en deux familles : ceux issus de l’industrie laitière, tel que le cheddar industriel et ceux issus des fermes, peu connus, avec une distribution locale, tels que le Casher Blue, le Durrus. »
La vache emblématique de ma région est issue du métissage de races autochtones franc-comtoises et de races venues de Suisse. C'est une grande vache, robuste, rustique et élégante. Ce sont des vaches tout-terrain qui s'exportent en Mongolie et même à Mayotte, où j’ai eu l’honneur de les découvrir dans un enclos durant mon long séjour professionnel. Elle est reconnaissable par ses taches de couleur rousse dessinées sur sa robe blanche.
En qualité de Franc-Comtoise, Alan m'offre un cadeau inestimable : un morceau conséquent de Durrus.
En fin de journée, je rejoins le camping de Ravens Rest qui indique sur son site : « Camping familial, entièrement naturel. Nous privilégions les familles et vous encourageons à profiter de notre cadre naturel et paisible et à vous détendre pendant votre séjour. Les installations sont modernes pour des espaces cuisine, toilettes, douches et sanitaires. De nombreuses activités sont également prévues pour les enfants de tous âges. Tout le nécessaire pour les familles : balançoires, toboggans, forts, bac à sable, terrain de volley-ball, poteaux de football et bien plus encore ! »
Mais quelle déconvenue à mon arrivée ! Et je tempère rapidement ma satisfaction initiale. Sur le versant d’une colline, le site s’étend sur plusieurs hectares. De spacieux champs sont ceints de hautes haies vives. Un seul habitat, caravane ou camping-car, sali par les intempéries, occupe chacun des espaces de chaque côté du chemin caillouteux que j’emprunte. Dans un autre champ, plusieurs voitures démontées avoisinent une grande tente en piteux état. Le long chemin pierreux accède à une immense étendue herbeuse. Ici, plusieurs mobil-homes en bon état sont installés en haut du champ. Des voitures stationnent à leur côté. En prolongement, se trouvent les installations dépeintes comme modernes. La cuisine n’est qu’un évier branlant adossé à la cabane de réception dans laquelle un grand désordre règne. Les sanitaires sont vétustes. Le sol des douches est un caillebotis dont le bois se désagrège. S’ajoute à tout cela une coupure d’électricité occasionnant un arrêt de l’eau courante. La nomade que je suis se contente de peu ! Il me faut simplement un coin pour planter ma tente et de l’eau. Et mes gourdes sont vides !
Je repère deux jeunes femmes tournicotant autour d’une voiture. Ce sont deux allemandes qui sont aussi surprises que moi par l’état du camping. Nous trouvons que ce camping est bizarre ! Elles ont essayé, sans succès, de téléphoner au propriétaire du lieu pour signaler la coupure d’électricité. Elles dorment dans leur voiture et ont prévu de visiter l’Irlande durant trois semaines. Je m’installe à proximité d’elles. Puis le camping s’enfonce dans une nuit noire. Brusquement, les mobile homes s’éclairent et laissent percevoir leurs hôtes. À proximité, quelques tentes spacieuses s’illuminent grâce à des guirlandes. De la musique irlandaise parvient jusqu’à moi.
Je n’ai pas de jeton pour actionner l’eau chaude de la douche. Je prends donc une douche à l’eau glacée. Mon corps s’est habitué à vivre continuellement dehors, également au froid, à la pluie, au vent et aux douches à l’eau excessivement froide.
Pourtant, malgré ma surprise et les désagréments, ce camping me satisfait !
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Mercredi 27 août – 57e jour
85 km / 736 m
Hacketstown / Tullow / Newtownbarry / Ballywilliam / Riverhollow
Je suis réveillée par un tambourinage sur la toile de ma tente. Ce qui devrait être une sensation de bien-être procurée par le son de la pluie, se transforme en agacement. En effet, je dois ranger tous mes effets à l’intérieur de ma petite tente, vêtir mes vêtements étanches et imaginer replier la tente trempée.
Je sors de mon abri et je m’évertue à l’essuyer. C’est peine perdue, puisque lorsque j’ai terminé tout est à recommencer. Heureusement la tente se démonte rapidement. Je l’entortille grossièrement. Je la fourre pêle-mêle dans un sac en plastique. J’espère ne pas arriver trop tard ce soir. J’aime à croire qu’un rayon de soleil la sèchera. Je ne désire pas dormir dans l’humidité.
Puis sans hésiter, je chausse les sandales et j’enfile les chaussettes étanches. Ces dernières me protègent du froid.
À trois kilomètres, au village d’Hacketstown, je m’arrête au café-salon de thé pour ma petite douceur matinale, un scone.
Je suis absolument trempée. Au moment de quitter les lieux, je m’aperçois que ma veste, suspendue au fauteuil, a dégouliné sur le sol en une ample flaque d’eau.
Quelques kilomètres de pédalage après cette halte, le soleil pointe à travers un ciel aux nuances de gris, noir et verdâtre. Tout en pédalant, je laisse ma veste voltiger au vent. C’est une excellente façon de la faire sécher.
Aujourd’hui, mon étape est de quatre-vingts kilomètres au dénivelé identique à celui d’hier. Je roule à nouveau sur une petite route de campagne limitée à 60 km/h. Inutile de tenter de rejoindre la côte puisque les montagnes m’en séparent et s’élèvent devant, derrière, à droite et à gauche. Je suis bel et bien à l’intérieur de la chaîne des montagnes de Wicklin !
La route serpente à la base des monts et épousent un fort relief. Régulièrement, je suis contrainte à pousser mon vélo. Les montées raides se présentent longues et difficiles. Les descentes abruptes se montrent courtes et dangereuses. La route en mauvais état m’oblige à une attention soutenue. Malgré cela, je ne peux éviter certains nids de poule. Ce sont des obstacles qu’il faut apprendre à anticiper afin de pouvoir modifier sa trajectoire. Un petit trou sera souvent sans conséquence, mais s’il est plus gros, il peut me déséquilibrer et m’entraîner dans une chute. Parfois, conjointement au choc qui se répercute dans ma colonne vertébrale, j’entends les plaintes de ma pauvre bicyclette lorsque la jante, sans plus être protégée par le pneu, vient heurter le rebord du nid de poule. Pauvres de nous ! Chaque fois j’ai envie de crier.
Une maison abandonnée attire mon regard. Je franchis avec difficulté les ronciers pour m’en approcher. Elle est en ruine, mais ce qui retient mon attention c’est sa conception. Elle a la même configuration que la maison de Janice et Rob. Elle présente deux corps de plain-pied, tout en longueur, dont l’un est agrémenté d’un porche.
Plus loin, une bergère, arrêtée au bord de la route, me demande gentiment de patienter. J’en comprends rapidement la raison. Peu après, un immense troupeau de moutons se presse sur la route en bêlant. Ils se mettent à courir et c’est à toute vitesse qu’ils bifurquent à gauche dans un chemin. Le fils de la bergère ferme la marche. Il fait en sorte qu’aucun mouton ne s’égare sur la route. Sa mère me remercie chaleureusement d’avoir patienté. Quant à moi, j’ai été ravie d’observer les moutons manifestant leur joie de rentrer à la bergerie située au bout du chemin qu’ils ont pris avec pertes et fracas.
Serait-ce le vent de face qui me rend la tâche encore plus difficile ? À dix-sept heures, il me reste encore trente kilomètres, c’est-à-dire trois heures, dans le meilleur des cas, pour atteindre une réserve dans laquelle il est possible de camper.
Alors que je pousse bien péniblement ma bicyclette, une voiture me dépasse à toute allure et s’arrête à une centaine de mètres. Un monsieur en descend et se précipite à ma rencontre. Il s’empare de mon vélo et, à pied, gravit la montée avec une facilité déconcertante. Je n’arrive pas à rester à sa hauteur. Revenu à sa voiture bien avant que je n’y arrive, il a le temps de m’observer. Ses questions s’enchaînent : « Qui êtes-vous ? » « D’où venez-vous ? » « Toute seule ? » Et il rit tant et plus en lançant : « Crazy Crazy ! You are crazy ! » "Folle Folle ! Vous êtes folle !'
Il précise : « À droite, la route monte à n’en plus finir. Tout droit, c’est une succession de vallons. Cela monte et descend pendant vingt kilomètres. Je vous propose de vous avancer jusqu’à Ballywilliam, à vingt kilomètres d’ici. »
Quelle chance ! Cette proposition ne peut pas mieux tomber !
Marc habite à quelques kilomètres. Il rentre du travail. C’est une personne débordante d’énergie. Il s’empare de ma bicyclette sans me laisser le temps de retirer toutes les sacoches, et la dépose dans son coffre. La roue arrière en dépasse. Tambour battant, il démarre et s’élance à toute allure sur la route étroite. Le coffre est resté grand ouvert. J’entends ma bicyclette sursauter à chaque chaos de la chaussée. Je me persuade que nous allons la perdre. Marc aussi, car il s’arrête pour bloquer le coffre et le vélo, avec un tendeur.
Il roule à tombeau ouvert. Un coup d’œil à son compteur de vitesse me renseigne. Il avance à 90 km/h, alors que celle-ci est limitée à 80 km/h. Il frôle le bas-côté de la chaussée. Je ferme les yeux lorsque nous croisons des voitures. Et pire que tout, j’ai oublié d’attacher ma ceinture de sécurité. Figée par la peur, je ne lâche pas la poignée fixée au-dessus de la portière et je n’accroche pas la ceinture. Il prend les virages très serrés. Malheur au cycliste qui pourrait être caché dans la courbe ! Lorsqu’il me parle, il quitte la route du regard. J’ai l’impression que ma dernière heure est arrivée… Rapide règle de trois. Je n’ai plus que quinze minutes maximums à vivre !
Après ce qui me semble une éternité, nous arrivons sans dommage sur la place de Ballywilliam. En un tour de main, Marc décharge vélo et sacoches avant que je ne réagisse. Puis il me photographie à côté de ma bicyclette. Il rit ! Il s’exclame ! Je suppose que la « crazy » va occuper un moment de discussion en famille. Il m’embrasse pour me saluer et me regarde en hochant la tête. Quel bon moment passé en compagnie de Marc le phénomène !
Il me reste dix kilomètres à parcourir pour arriver au Riverhollow Wild Camping. Après l’avoir cherchée, j’atteins laréserve naturelle. Je m’installe sur le camp principal. L'endroit est très paisible, avec des sentiers qui sillonnent agréablement les bois et conduisent jusqu’à la rivière Barrow. Hélas, je découvrirai après mon installation, de nombreux emplacements plus intimes, avec brasero, en bordure de rivière. Des toilettes sèches, sont isolées dans la forêt et non loin du camp principal.
Un point d’eau a été prévu. Il s’agit d’un simple robinet accroché à un piquet en bordure d’un chemin. Je prends ainsi une douche à l’eau glacée pensant que je suis vraiment esseulée dans cette forêt. Je verrai un peu plus tard que ce n’était pas le cas !
Alors que je suis assise sur une souche en train de dîner, je ne l’entends pas arriver et je sursaute lorsque je m’aperçois de sa présence à mes côtés. C’est un géant au chapeau de cowboy, accompagné d’un imposant chien noir. Il s’agit du propriétaire de la réserve. Ses yeux sont froids et perçants. Je ne comprends pas ce qui motive son attitude de désapprobation. Lorsque je lui montre ma tente et ma bicyclette dans un recoin du camp, il semble s’amadouer après avoir empoché la somme de quinze euros que je lui remets. Pourtant, les avis sur le site de la réserve décrivaient John comme un gentleman dévoué, charismatique. Ce n’est pas mon avis ! Je n’ai pas aimé cette lueur de méchanceté dans son regard.
De surcroît, ma tente ne sèchera pas et se départira de son humidité en faveur de mon couchage.
85 km / 736 m
Hacketstown / Tullow / Newtownbarry / Ballywilliam / Riverhollow
Je suis réveillée par un tambourinage sur la toile de ma tente. Ce qui devrait être une sensation de bien-être procurée par le son de la pluie, se transforme en agacement. En effet, je dois ranger tous mes effets à l’intérieur de ma petite tente, vêtir mes vêtements étanches et imaginer replier la tente trempée.
Je sors de mon abri et je m’évertue à l’essuyer. C’est peine perdue, puisque lorsque j’ai terminé tout est à recommencer. Heureusement la tente se démonte rapidement. Je l’entortille grossièrement. Je la fourre pêle-mêle dans un sac en plastique. J’espère ne pas arriver trop tard ce soir. J’aime à croire qu’un rayon de soleil la sèchera. Je ne désire pas dormir dans l’humidité.
Puis sans hésiter, je chausse les sandales et j’enfile les chaussettes étanches. Ces dernières me protègent du froid.
À trois kilomètres, au village d’Hacketstown, je m’arrête au café-salon de thé pour ma petite douceur matinale, un scone.
Je suis absolument trempée. Au moment de quitter les lieux, je m’aperçois que ma veste, suspendue au fauteuil, a dégouliné sur le sol en une ample flaque d’eau.
Quelques kilomètres de pédalage après cette halte, le soleil pointe à travers un ciel aux nuances de gris, noir et verdâtre. Tout en pédalant, je laisse ma veste voltiger au vent. C’est une excellente façon de la faire sécher.
Aujourd’hui, mon étape est de quatre-vingts kilomètres au dénivelé identique à celui d’hier. Je roule à nouveau sur une petite route de campagne limitée à 60 km/h. Inutile de tenter de rejoindre la côte puisque les montagnes m’en séparent et s’élèvent devant, derrière, à droite et à gauche. Je suis bel et bien à l’intérieur de la chaîne des montagnes de Wicklin !
La route serpente à la base des monts et épousent un fort relief. Régulièrement, je suis contrainte à pousser mon vélo. Les montées raides se présentent longues et difficiles. Les descentes abruptes se montrent courtes et dangereuses. La route en mauvais état m’oblige à une attention soutenue. Malgré cela, je ne peux éviter certains nids de poule. Ce sont des obstacles qu’il faut apprendre à anticiper afin de pouvoir modifier sa trajectoire. Un petit trou sera souvent sans conséquence, mais s’il est plus gros, il peut me déséquilibrer et m’entraîner dans une chute. Parfois, conjointement au choc qui se répercute dans ma colonne vertébrale, j’entends les plaintes de ma pauvre bicyclette lorsque la jante, sans plus être protégée par le pneu, vient heurter le rebord du nid de poule. Pauvres de nous ! Chaque fois j’ai envie de crier.
Une maison abandonnée attire mon regard. Je franchis avec difficulté les ronciers pour m’en approcher. Elle est en ruine, mais ce qui retient mon attention c’est sa conception. Elle a la même configuration que la maison de Janice et Rob. Elle présente deux corps de plain-pied, tout en longueur, dont l’un est agrémenté d’un porche.
Plus loin, une bergère, arrêtée au bord de la route, me demande gentiment de patienter. J’en comprends rapidement la raison. Peu après, un immense troupeau de moutons se presse sur la route en bêlant. Ils se mettent à courir et c’est à toute vitesse qu’ils bifurquent à gauche dans un chemin. Le fils de la bergère ferme la marche. Il fait en sorte qu’aucun mouton ne s’égare sur la route. Sa mère me remercie chaleureusement d’avoir patienté. Quant à moi, j’ai été ravie d’observer les moutons manifestant leur joie de rentrer à la bergerie située au bout du chemin qu’ils ont pris avec pertes et fracas.
Serait-ce le vent de face qui me rend la tâche encore plus difficile ? À dix-sept heures, il me reste encore trente kilomètres, c’est-à-dire trois heures, dans le meilleur des cas, pour atteindre une réserve dans laquelle il est possible de camper.
Alors que je pousse bien péniblement ma bicyclette, une voiture me dépasse à toute allure et s’arrête à une centaine de mètres. Un monsieur en descend et se précipite à ma rencontre. Il s’empare de mon vélo et, à pied, gravit la montée avec une facilité déconcertante. Je n’arrive pas à rester à sa hauteur. Revenu à sa voiture bien avant que je n’y arrive, il a le temps de m’observer. Ses questions s’enchaînent : « Qui êtes-vous ? » « D’où venez-vous ? » « Toute seule ? » Et il rit tant et plus en lançant : « Crazy Crazy ! You are crazy ! » "Folle Folle ! Vous êtes folle !'
Il précise : « À droite, la route monte à n’en plus finir. Tout droit, c’est une succession de vallons. Cela monte et descend pendant vingt kilomètres. Je vous propose de vous avancer jusqu’à Ballywilliam, à vingt kilomètres d’ici. »
Quelle chance ! Cette proposition ne peut pas mieux tomber !
Marc habite à quelques kilomètres. Il rentre du travail. C’est une personne débordante d’énergie. Il s’empare de ma bicyclette sans me laisser le temps de retirer toutes les sacoches, et la dépose dans son coffre. La roue arrière en dépasse. Tambour battant, il démarre et s’élance à toute allure sur la route étroite. Le coffre est resté grand ouvert. J’entends ma bicyclette sursauter à chaque chaos de la chaussée. Je me persuade que nous allons la perdre. Marc aussi, car il s’arrête pour bloquer le coffre et le vélo, avec un tendeur.
Il roule à tombeau ouvert. Un coup d’œil à son compteur de vitesse me renseigne. Il avance à 90 km/h, alors que celle-ci est limitée à 80 km/h. Il frôle le bas-côté de la chaussée. Je ferme les yeux lorsque nous croisons des voitures. Et pire que tout, j’ai oublié d’attacher ma ceinture de sécurité. Figée par la peur, je ne lâche pas la poignée fixée au-dessus de la portière et je n’accroche pas la ceinture. Il prend les virages très serrés. Malheur au cycliste qui pourrait être caché dans la courbe ! Lorsqu’il me parle, il quitte la route du regard. J’ai l’impression que ma dernière heure est arrivée… Rapide règle de trois. Je n’ai plus que quinze minutes maximums à vivre !
Après ce qui me semble une éternité, nous arrivons sans dommage sur la place de Ballywilliam. En un tour de main, Marc décharge vélo et sacoches avant que je ne réagisse. Puis il me photographie à côté de ma bicyclette. Il rit ! Il s’exclame ! Je suppose que la « crazy » va occuper un moment de discussion en famille. Il m’embrasse pour me saluer et me regarde en hochant la tête. Quel bon moment passé en compagnie de Marc le phénomène !
Il me reste dix kilomètres à parcourir pour arriver au Riverhollow Wild Camping. Après l’avoir cherchée, j’atteins laréserve naturelle. Je m’installe sur le camp principal. L'endroit est très paisible, avec des sentiers qui sillonnent agréablement les bois et conduisent jusqu’à la rivière Barrow. Hélas, je découvrirai après mon installation, de nombreux emplacements plus intimes, avec brasero, en bordure de rivière. Des toilettes sèches, sont isolées dans la forêt et non loin du camp principal.
Un point d’eau a été prévu. Il s’agit d’un simple robinet accroché à un piquet en bordure d’un chemin. Je prends ainsi une douche à l’eau glacée pensant que je suis vraiment esseulée dans cette forêt. Je verrai un peu plus tard que ce n’était pas le cas !
Alors que je suis assise sur une souche en train de dîner, je ne l’entends pas arriver et je sursaute lorsque je m’aperçois de sa présence à mes côtés. C’est un géant au chapeau de cowboy, accompagné d’un imposant chien noir. Il s’agit du propriétaire de la réserve. Ses yeux sont froids et perçants. Je ne comprends pas ce qui motive son attitude de désapprobation. Lorsque je lui montre ma tente et ma bicyclette dans un recoin du camp, il semble s’amadouer après avoir empoché la somme de quinze euros que je lui remets. Pourtant, les avis sur le site de la réserve décrivaient John comme un gentleman dévoué, charismatique. Ce n’est pas mon avis ! Je n’ai pas aimé cette lueur de méchanceté dans son regard.
De surcroît, ma tente ne sèchera pas et se départira de son humidité en faveur de mon couchage.

Section 10 : du 23 au 27 aout