Passer en langue fr
2 members et 19 guests online

La traversée du Massif des Vosges, malgré tout !

16 days
432km
+22478m / -21133m
Par Béryl
mis à jour 05 Dec 2024
1604 lecteurs
Informations générales
Parti pour un trek de 4 mois, abandonné au bout de 16 jours.
Récit d'une aventure qui n'est pas passée du tout comme prévu...
Activité :
tekking/hiking
Statut :
done
Distance :
432km
DATE :
6/13/24
Durée :
16 days
Dénivelées :
+22478m / -21133m
Alti min/max :
164m/1391m
Eco travel
Réalisé en utilisant transports en commun (train, bus, bateau...)
Possible with train
Details : Tous les trajets aller et retour ont été faits en train, à part un taxi dans Paris pour aller de la gare de l'Est à la gare Montparnasse.
Download tracks and waypoints for the whole guidebook GPX , KML

La traversée du Massif des Vosges, malgré tout !

Les étapes :

1
432km
+10710m / -10531m
updated : 06 Nov 2024
Anatomie d'un échec

Sur le papier ça avait l'air séduisant : 3 000km, 138 000m de dénivelé, 14 parcs naturels traversés, 2 chaines de montagnes, 4 mois d'immersion.
L'Hexatrek est le thru-hike qu'il manquait à la France.
Nous sommes fin mars 2023. Je prends mon café du matin, tranquillement, en feuilletant le dernier numéro de Carnets d'Aventures. Je n'irai pas plus loin que la page 7. C'est là, en effet, que je bloque sur les quelques lignes qui décrivent l'aventure de Cécile qui a parcouru l'Hexatrek en 2022.
Je devrais dire l'Aventure, d'ailleurs, avec un grand A, car 2022, c'est la date de naissance de ce trek si particulier. Autant dire que Cécile fait partie des pionniers, des défricheurs.
De suite, je pars à la pêche aux infos sur cette randonnée hors-norme. Le site Hexatrek.com m'apporte l'essentiel, mais ma faim grandit au fur et à mesure que je découvre le parcours. Après moult tergiversations avec ma conscience, je finis même par entrer sur le salon Discord des Hexatrekeurs, faisant taire la petite voix qui hurle à l'hérésie dans ma tête à propos des données personnelles.
Dès lors, ce sera mon quotidien et, je peux bien l'avouer, ça l'est encore au moment où j'écris ces lignes, malgré tout.
Ce n'est pas mon premier trek, aussi je sais que j'aurai besoin de temps pour me préparer correctement. Me préparer et préparer mon entourage aussi. Il va falloir convaincre, rassurer, expliquer encore et encore. Mon discours...
2
11km
+337m / -32m
updated : 06 Nov 2024
Mercredi 29 mai 2024

Les gouttes d'eau glissent en cascade sur la vitre du train, mince plaque de verre qui m'isole encore de la pluie qui tombe avec obstination sur le dernier trajet qui m'amène à Wissembourg.
Il est 16h55 quand je sors de la gare. Le ciel prend une respiration entre deux sanglots. Je me décide à partir en arrière, vers la fameuse boite à lettres, point zéro de l'Hexatrek. Je sais que cela rajoutera quatre kilomètres, mais j'ai prévu une étape courte pour commencer. C'est plus le bitume qui me fait peur. J'ai horreur du bitume, casse-pieds ultime dans tous les sens du terme.
Les derniers camelots d'un marché finissent de remballer. Je m'arrête devant le fourgon d'un vendeur de crêpes après qu'il m'ait lancé : "Vous allez où comme ça avec votre gros sac ?
- Là, je vais juste à la frontière pour voir une boite à lettres.
- Si c'est pour envoyer du courrier, y'en a de plus près !
- Non, je n'ai même pas de courrier à envoyer, c'est juste pour la voir."
Devant son air ahuri, je lui explique quand même le symbole que représente cette petite boite blanche.
"Et vous comptez aller où ? me demande-t-il
- Ce soir, je vise un refuge à quelques kilomètres sur les hauteurs.
- Ce soir, oui, mais après ?
- Hendaye, pour finir.
- Andaille ? C'est où, ça ?
- Au bout des Pyrénées-Atlantiques, au bord de l'océan.
- Hé bé, z'êtes pas arrivé ! Vous voulez pas une crêpe ? Il me reste un peu de pâte et je vais la jeter, ce serait dommage ! Je vous la fais à moit...
3
36km
+1095m / -1275m
updated : 06 Nov 2024
Jeudi 30 mai 2024

Le flic-floc que j'entends tomber sur le toit, ce matin, est celui des arbres qui s'égouttent. Il ne pleut plus. Je sors discrètement soulager ma vessie puis retourne à l'intérieur chercher discrètement de quoi manger. La table à côté de la cabane accueille mon petit déjeuner et je me repais de barres de céréales au beurre de cacahuète tout en m'emplissant les narines de l'odeur d'humus humide.
Avec les filles, hier soir, nous avons décidé de nous retrouver à la Maison du Randonneur à Obensteinbach. Le premier arrivé va chercher la clé à la mairie et prévient les autres. Je dis "le premier", car il y a de grandes chances que ce soit moi. En effet, quand je pars elles ont encore toutes leurs affaires à ranger et vu l'étendue déployée, je pense être loin quand elles mettront le sac au dos.
4
35km
+1222m / -1243m
updated : 06 Nov 2024
Vendredi 31 mai 2024

Le ciel a pleuré son chagrin une bonne partie de la nuit. Il semble s'être apaisé ce matin quand je mets le nez dehors. Tout est trempe, tout dégouline, mais il ne pleut plus. La tente est rapidement essuyée avec ma microserviette de bain ; la cabane où j'ai prévu de m'arrêter aujourd'hui n'a pas de douche ni de point d'eau à proximité, je ne devrais pas en avoir besoin.
Il n'est pas 7h00 quand je lève le camp. Les deux Allemands ronflent encore sous leur tente. Je lève les yeux : les nuages bas menacent de crever à tout moment. Soupir.
L'ambiance brumeuse de la forêt m'incite à la rêverie ; il ne m'en faut pas plus pour m'évader. Un peu trop, d'ailleurs : deux malandrins plutôt balèzes semblent m'attendre dissimulés dans le brouillard. Je m'arrête, observe. Ils ne bougent pas. Que font ces gens dans les bois de si bon matin, si ce n'est pister le randonneur pour le dépouiller ? J'hésite à sortir du chemin et m'aventurer entre les arbres. Je suis à découvert, ils ne peineront pas à me suivre. Bon, après tout, j'ai mes bâtons et je sais me défendre. J'avance. Je trouve quand même bizarre qu'ils ne bougent pas d'un poil. Et si ?...
5
42km
+894m / -1038m
updated : 06 Nov 2024
Samedi 1er juin 2024

Il est 5h30 quand je sors du lit ce matin. J'avais prévenu Denis que j'étais un lève-tôt, lui qui préfère les grasses mat', et il a dormi avec des bouchons dans les oreilles. Il se lève quand même avec moi.
De suite, je file dans le couloir où, la veille, nous avons étendu toutes nos affaires. Curieusement, un seul radiateur chauffe. Et encore, tiédit, devrais-je dire ! Tout n'est pas sec, loin de là, mais c'est toujours mieux qu'hier.
On temporise pendant le petit-déj. Grand bavard, Denis répond avec plaisir à toutes mes interrogations sur les protocoles de test de Décathlon. N'importe qui peut candidater, mais il y a quand même une sérieuse sélection à l'entrée. Lui est un ancien, rompu à l'exercice et assez reconnu pour avoir la confiance (et les numéros persos) de quelques ingénieurs. Sa parole pèse lourd et il n'hésite pas à tirer à boulets rouges sur les détails qui coincent, exigeant parfois qu'on lui envoie un autre matériel que celui qu'on lui a fourni gracieusement.
Il restera plus discret sur son parcours au PGHM, n'assouvissant ma curiosité que par quelques anecdotes le plus souvent dramatiques.

Quand le jour se lève enfin, je jette un coup d'œil par la fenêtre : c'est gris et brumeux. La météo annonce à nouveau une journée humide. Parfois, j'aimerais bien qu'elle se trompe.
6
28km
+1017m / -758m
updated : 06 Nov 2024
Dimanche 2 juin 2024

Quand j'ouvre les yeux, vers 6h30, j'ai l'impression d'avoir dormi trois jours. Je suis tombé comme une masse hier soir et c'est le noir total jusqu'à maintenant. 6h30, c'est l'heure à laquelle je décolle, le plus souvent. Là, je sais que la journée s'annonce pluvieuse, aussi je temporise. Je profite du luxe de ma chambre d'hôtel. Je n'ai pas pris l'option petit déjeuner et j'ai bien fait : sur la table, un plateau est rempli de sachets thé, de chocolat en poudre et de petites capsules de lait. Avec mes barres de céréales et mon beurre de cacahuète, je me fais un p'tit-déj plus que correct. Une bouilloire électrique m'évite même de sortir mon réchaud.
Tout est sec : mes vêtements du jour, mes rechanges, mon sac, mes chaussures, mes manchons de compression. J'ai testé les trois premiers jours de marche sans ces manchons. Les deux premiers se sont bien passés, mais très vite, l'impression de lourdeur dans les jambes est revenue. J'ai un problème de circulation des pieds aux genoux. Varices et compagnie. J'ai donc l'habitude de marcher avec des manchons de compression qui atténuent fortement ce désagrément. Le premier jour, je les ai simplement oubliés et m'en suis aperçu que le soir. Devant l'absence de symptômes, j'ai voulu tenter de continuer ainsi. Grosse erreur, vite réparée au départ hier matin.

Quand je sors de l'hôtel, le ciel est menaçant, mais il ne pleut pas. Je fais quelques pas dans la rue et m'arrête net ; une pensée me rapp...
7
27km
+1282m / -958m
updated : 03 Nov 2024
Lundi 3 juin 2024

Une étape courte qui me paraitra bien longue.
Nous prenons le départ tous les trois, mais très vite, Denis me dit vouloir prendre son rythme de croisière. Les jours douloureux de rodage sont derrière lui à présent et il va pouvoir se lâcher un peu plus. Cependant, les adieux ne sont pas pour de suite.
Thierry aussi marche vite, mais il s'arrête souvent. Je le laisse partir devant, lui aussi, en sachant qu'il y a de fortes chances que je le double dans la journée.
Pour ma part, je m'inquiète. Sixième jour de marche et je souffre toujours. C'est pas normal. Je ne devrais plus sentir mon sac à dos et mes pieds ne devraient se plaindre qu'après une grosse étape ou trop de bitume. Là, j'ai l'impression de faire une grosse étape entièrement sur le bitume tous les jours.
Mon corps peine et cela commence à peser sur mon moral déjà pas bien haut. Pour les pieds, je soupçonne fortement les semelles orthopédiques. Les chaussures, elles, sont neuves, mais ont pas mal de bornes dans les semelles, déjà. Pour le reste, le sac à dos est toujours le même, dont le poids ne varie guère d'un trek à l'autre. L'âge peut-être. Cinquante-quatre balais, c'est pas vieux, non ?
Si ?...

Perdu dans mes pensées, je ne remarque que tardivement un gros semi-remorque chargé de billes de bois qui avance vers moi sur le chemin. En pleine forêt ! Surpris, je me cale contre le talus et laisse passer cette incongruité de quarante tonnes.
8
26km
+759m / -846m
updated : 07 Nov 2024
Mardi 4 juin 2024

On croit bien faire, parfois. Et puis on se trompe.
Les cabanes sont généralement accueillantes et pour la plupart évitent l'installation d'un bivouac complet. Je sais aussi, pour y avoir dormi à maintes reprises, qu'il est courant qu'elles abritent une faune endémique qui peut ruiner une nuit.
Je n'avais pas encore expérimenté les cabanes ouvertes. Sans porte, quoi. Je sais à présent que si elles n'hébergent pas ladite faune H24, elles sont open-bar dès que la nuit tombe. Et pas qu'un peu.
La nuit quasi blanche que je viens de passer a dû voir entrer dans celle-ci toutes les bestioles du coin. À l'exception du sanglier, peut-être. Et encore, même pas sûr vu le bordel de camping de Côte d'Azur ! Je crois que j'ai tout eu : des multiples petites galopades, puis des plus grosses, des frottements contre la moustiquaire, des couinements, des jappements, des hurlements, des barrissements ou que sais-je encore ? Non, je ne dormais pas ! Évidemment, dès que j'allumais la frontale, tout disparaissait ! J'ai cru devenir dingue. La Caméra Cachée n'aurait pas fait mieux.
Bref, quand j'émerge au petit matin, la tête dans le... les nuages, c'est pas la grande forme.
9
33km
+801m / -1268m
updated : 07 Nov 2024
Mercredi 5 juin 2024

Journée grise et paumatoire.
Il a plu cette nuit. Petit-déjeuner frugal sous un ciel sans étoiles. Pépé vient juste de partir. Je plie à nouveau la tente mouillée ; pas grave, je sais que je vais la remonter ce soir. Je vise le camping de Barr où je pourrai prendre une douche et me ravitailler.
Il est 6h45 quand je lève le camp. J'aime partir tôt, faire mes premiers pas en même temps que le soleil se lève, voir les derniers animaux nocturnes rentrer chez eux, surprendre un renard ou un blaireau. La petite hulotte posée sur un piquet de clôture ne semble pas effrayée de me voir passer si près. Je m'arrête et la regarde d'un air étonné. Elle ne bouge pas. Ce moment suspendu a quelque chose de magique, d'inexplicable. L'animal sauvage ne craint pas son pire ennemi. Les yeux dans les yeux, elle semble me dire : "Je sais qui tu es. J'ai confiance."
La scène ne dure que quelques secondes et je reprends ma route. Quand je me retourne, elle a disparu, envolée sans le moindre bruit. J'ai savouré l'instant sans même penser à l'immortaliser ; plus jeune que moi, cette petite chouette attendait peut-être qu'on fasse un selfie !
L'ambiance délicieusement rêveuse change brutalement quand j'arrive en vue de l'ancien camp de concentration de Natzwiller-Struthof. Je prends quelques photos, mal à l'aise. Accessible au public, le site n'est pas encore ouvert à cette heure. Seuls les employés s'affairent. Je profite de la présence de l'un d'eux nettoyant l...
10
26km
+737m / -756m
updated : 08 Nov 2024
Jeudi 6 juin 2024

Quand je mets le nez dehors ce matin, il fait beau. IL FAIT BEAU ! Alléluia ! Je vais enfin pouvoir faire sécher mes affaires, marcher d'un pas serein, profiter de la beauté de la nature sous le soleil, des gens souriants peut-être, même.
Un petit coup d'œil sur la météo : pluie attendue ce soir.
Bonne introduction pour cette journée qui s'annonce belle, mais que certains vont s'évertuer à ternir.
Heureusement, quand je rentrerai mon nez dedans, ce soir, je garderai le souvenir d'une belle journée malgré tout.
11
23km
+804m / -699m
updated : 08 Nov 2024
Vendredi 7 juin 2024

Le temps s'est franchement couvert, hier soir, et il a fini par pleuvoir dans la nuit. Je m'en fous, j'étais au chaud et au sec et surtout, surtout, mes affaires sont enfin sèches !
Quand je me lève, ce matin, le ciel est bien dégagé, ce qui annonce une belle journée, et je ne connais qu'un moyen de commencer une belle journée : un petit déjeuner bien consistant ! Je serais bien allé le prendre sur la terrasse, mais tout est encore mouillé. Je reste dans ma chambre et je temporise. Je profite du confort.
Mais très vite, les guiboles me démangent, alors je plie mon barda, mets ma maison sur le dos et prends la tangente.
Pour me mettre en jambe : une petite grimpette au milieu des vignes ! Pas violent comme dénivelé, mais constant et ce, quasiment sur toute l'étape.
Un panneau m'indique une nouvelle déviation. Celle-ci a l'air plus sérieuse avec de grosses croix rouges sur la trace officielle. Mmmh, j'hésite et regarde la carte sur mon GPS. Il semble que je ne vais pas trop m'éloigner du tracé, je tente, donc.
Un peu plus loin, je rencontre un local qui, devant mon étonnement à propos de tous ces contournements, m'explique que c'est pour éviter les chantiers de coupes dans les bois, chantiers qui sont interdits au public, comme j'ai pu m'en apercevoir parfois trop tard. Comme je lui dis aller vers le château du Haut-Kœnigsbourg, il me rassure en me disant être sur le meilleur chemin, beaucoup plus beau que l'autre. Il a l'habitude de fair...
12
34km
+1473m / -843m
updated : 09 Nov 2024
Samedi 8 juin 2024


Premier réflexe de la journée, j'arrose le sol déjà gorgé d'eau. Le nez en l'air, j'observe la lente avancée des cirrus, ces nuages d'altitude qui annoncent soit le début de la pluie, soit la fin. Il n'a pas plu hier. Petit coup d'œil à la météo. Soupir. Cela ne s'arrêtera donc jamais ?

Arrivé hier en fin d'après-midi, Thierry s'est installé en face de moi. Il s'éveille juste quand je suis sur le départ. Quelques mots échangés et me voilà parti. Il est 6h15, il fait beau, mais je sais que cela ne va pas durer.

On va prendre un peu d'altitude aujourd'hui et monter au col du Petit Brézouard à 1200 mètres. J'ai dans l'idée de m'arrêter au refuge éponyme un peu après, si je ne perds pas de temps, cela devrait coller avec l'arrivée de la pluie. En fait de col, je ferai le Petit, mais aussi le Grand, après le refuge et j'irai bien plus loin, car tout ne se déroulera pas comme prévu, bien entendu.

Le col de Seelaker (676m) et le Kœnigssthul (938m) sont rapidement passés. Enfin rapidement... quelques moments de recueillement quand même, devant les plaques détaillant la tragédie des combats de la Première Guerre mondiale qui ont été particulièrement sanglants dans le coin. Sur ce point, le pire est à venir.
J'arrive en milieu de matinée au petit village d'Aubure où je me pose chez Marinette, l'épicerie-bistro bien connue (elle est passée deux fois à la télé, quand même !). Tous les randonneurs le savent : à Aubure, on s'arrête chez Marinette !...
13
29km
+1116m / -1140m
updated : 09 Nov 2024
Dimanche 9 juin 2024

Quand je me lève, un peu avant le soleil, il ne pleut plus. Par contre, tout est trempe. Je renfile une fois de plus mes vêtements humides ; mauvais moment à passer. Je mange un morceau, replié sous ma tente, passe un coup de serviette sur la toile en l'essorant plusieurs fois, plie le tout et me voilà parti.
La pluie est de nouveau annoncée pour aujourd'hui et peut-être pour demain. Ce soir, j'ai prévu de dormir en refuge en espérant pouvoir tout faire sécher. L'espoir : il me tient encore, malgré les nombreuses questions qui se bousculent dans ma tête et une petite ritournelle qui se met en place insidieusement avec le mot "trop" qui revient souvent. Je fais taire, je n'écoute pas ; du négatif qui tire vers le bas. Je fuis mentalement.
Le passage par la nécropole de Duschesne rajoute un peu de morosité à mon état. Toutes ces croix alignées portent juste un nom, un prénom et une date de mort. La première que je lis est un choc : la date de mon anniversaire. Je refuse d'y voir un quelconque signe et reprends mon chemin sans m'attarder.
14
31km
+1188m / -947m
updated : 09 Nov 2024
Lundi 10 juin 2024

Les doigts engourdis sortent de leur cocon duveteux et attrapent mon téléphone. Un appui bref sur la touche power et l'écran s'allume : 4h47. Je le repose aussitôt et ramène ma main dans le sac de couchage. L'air est froid et saturé d'humidité. J'ai envie de rallonger ma nuit peu réparatrice. J'en suis le premier surpris ; d'habitude, dès le réveil, je saute dans mes fringues, déjeune, me toilette de chat et reprends la route au plus vite. Pas ce matin. Je n'ai plus envie, autant ne pas me mentir. Cette pensée m'effraie : "À peine deux semaines de marche et tu n'as déjà plus envie ? Ce n'est pas possible ! Juste un coup de mou, il faut te reprendre, mon gars !"
Je me fous mentalement un coup de pied au cul magistral et parviens à m'habiller. J'ai dormi avec mes vêtements dans le sac pour les garder au chaud. Ils sont tièdes et toujours un peu humides, limite poisseux, et ils puent. Tout pue. Une odeur tenace de fraîchin à des centaines de kilomètres de la mer. Je souris en enfilant mon caleçon et mon tee-shirt en laine mérinos achetés justement pour limiter les odeurs.
Mes chaussures aux pieds, je tire sur la longue fermeture éclair de la tente. Je sais au poids du tissu qu'il est complètement trempé. Je m'extirpe lourdement de mon palace de toile et ausculte le ciel : la boule à facettes brille de mille feux et ça me rassure un peu. Pourvu que ça dure.
Petit-déj rapide, je retourne à la source faire le plein. L'eau filtrée devrait tout d...
15
updated : 09 Nov 2024
Mardi 11 juin 2024

C'est rouge, c'est gonflé, ça craint.
Dès le réveil, j'ai vérifié. Planté devant le miroir de la salle de bain, le verdict est implacable : je dois me faire soigner.
Hier soir, le repas terminé, je suis remonté dans ma chambre. Coup de fil à ma femme pour lui dire que tout va bien finalement après la galère de fin de journée. Debout en caleçon, j'arpente la chambre en tout sens comme en manque de marche, déjà. Une main tient le téléphone et l'autre s'acharne sur un bouton qui me gratte sur le côté droit au-dessus de la fesse. Je sais que j'ai un grain de beauté à cet endroit, aussi je vérifie que je ne suis pas en train de m'acharner dessus. Non, ce n'est pas un grain de beauté. C'est noir, c'est en relief et... "Merde, j'ai chopé une tique à l'aine !
- Tu as de quoi l'enlever proprement ? me demande Christine, ma femme.
- Oui, j'ai un tire-tique et tout le nécessaire dont tu as bourré ma pharmacie !
- Oui bin tu vois, ça peut toujours servir !
Je ne lui rappelle pas que les "ça peut servir" alourdissent considérablement le poids du sac à dos.
- Je te laisse, il me faut les deux mains libres.
- Fais attention et désinfecte bien. Si demain c'est rouge et gonflé, tu vois un médecin.
- Sérieux ? Comment veux-tu que j'aie un rendez-vous si vite ?
- Tu te débrouilles, mais tu ne laisses pas trainer ! Au pire, tu vas aux urgences."
Ma femme est infirmière ; son anxiété est proportionnelle à tout ce que j'ai enlevé de ma pharmacie qu'elle avait ...
16
22km
+1267m / -501m
updated : 09 Nov 2024
Mercredi 12 juin 2024

4h30. Je me lève sans bruit. Mes affaires sont déjà hors de la chambre, dans le sas qui donne sur le couloir. La lumière automatique envahit l'espace quelques secondes dès que j'ouvre la porte. Mon regard se pose sur Thierry qui dort encore. Le dernier, je ne le reverrai plus.
Dans la cuisine, je me chauffe les mains contre une tasse de café brûlant, les yeux dans le vague, perdu dans les brumes d'un mauvais rêve qui me travaille encore. Un coup d'œil sur l'appli météo ; je referme illico. Désespérant.
Dehors, la boule disco du firmament éclabousse la nuit comme un doigt bien tendu devant les prédictions artificiellement intelligentes de Météo-France. Je sors de la ville endormie et attaque la longue montée à travers les bois qui m'amène au Vogelstein (1181m) accompagné d'un vent froid qui me gifle avec insistance.

J'ai la forme ce matin ! Le moral a repris des couleurs même s'il reste quelques taches de gris tenaces. Une journée de repos toutes les deux semaines me semble raisonnable pour ce genre de périple. Il faudra que je m'y tienne.
Je m'arrête un instant dans une trouée de la forêt pour admirer le lever du soleil dans un ciel tout bleu ; mon moment préféré dans la journée après avoir observé les noctambules à poil ou à plume rentrer se coucher et ceux, plus discrets, que la lumière du jour tire de chez eux. Une de ces rares scènes où je peux voir un blaireau et un chevreuil en même temps.
La montée dans les bois se fait en douc...
17
23.5km
+477m / -1083m
updated : 10 Nov 2024
Jeudi 13 juin 2024

Il faut que je me fasse violence pour sortir du duvet, ce matin ; à 1121m d'altitude, à 5h00, ça caille !
Comme d'habitude dans ce cas-là, j'ai dormi avec une partie de mes vêtements à mes côtés dans le sac. L'habillage est rapide et je me retrouve dehors, à la lumière rouge de ma frontale. Je sais que les autres dorment à la belle étoile, pas question de les réveiller en allumant un phare dans la nuit.
Je ne vois que le couchage de l'astronome : un énorme sac très épais semble-t-il, entouré d'une espèce de grosse couverture de survie. Le tout doit peser au moins aussi lourd que ma tente !
Je me dirige discrètement vers la source où je peux vider ma vessie à l'écart et faire une toilette de chat. Vivifiante, la toilette ! Les gourdes remplies, je reviens en tapinois à la table où je m'attelle à préparer mon petit déjeuner.
Quand le soleil pointe le bout de son nez, je termine d'essuyer ma tente avec ma serviette et commence à la démonter. Je m'arrête un instant devant ce spectacle dont je ne me lasserai jamais. Le bivouac a ses contraintes, mais il a aussi ses récompenses qui vont bien au-delà.
Tente pliée, c'est l'heure du café ! C'est alors que les autres émergent. Les bonjours sont timides, chacun perdu dans ses lambeaux de rêves ou en contemplation d'une étoile montante.
"Vous avez entendu, cette nuit ? lance le pyromane.
- Oui, c'était bizarre comme bruit ! répond l'astronome.
- Un bruit de quoi ? s'étonne le sportif.
- On aurait dit...
18
updated : 05 Nov 2024
Vendredi 14 juin 2024

J'avance péniblement sur l'étroit sentier qui borde le ravin. Mes pas sont lents et lourds, de plus en plus lents, de plus en plus lourds. Le poids de mon sac me scie les épaules. J'avance tout de même, déterminé, je m'obstine à vouloir passer alors que je sais très bien que je n'y arriverai pas. J'ai deux parpaings aux pieds. Ça me gêne et ça me fatigue. Et ce mauvais sentier qui rétrécit de plus en plus. Ça va mal finir, c'est sûr. Inévitablement, je vais tomber. Je regarde mes jambes, difformes, et quand je relève les yeux, c'est trop tard : le sentier s'effondre.
C'est à ce moment-là que je me réveille. Plus ou moins à ce moment-là, en fait, je ne me souviens pas toujours. Cela fait deux, trois fois que je fais ce mauvais rêve, je ne sais plus. La dernière fois, c'était au refuge de Thann. La veille, j'avais longuement discuté avec un interne en médecine qui logeait là. Un gars sympa, curieux de trek longue durée. Je m'étais ouvert à lui de mes problèmes de membres inférieurs qui gonflent immanquablement dès que je marche plusieurs jours.
"C'est pas anodin. Fais-toi suivre sérieusement. Pour un trek aussi long, c'est risqué". Je résume, bien sûr, mais en gros, c'était clairement son discours entrecoupé de termes médicaux peu rassurants. Ça n'avait pas manqué : la nuit même, le rêve revenait plus prégnant avec en apothéose, le sentier qui s'écroule sous mes pas. Au réveil, j'avais tapé en touche. Je n'allais pas me faire pourrir la ...
19
updated : 05 Dec 2024
Quelques semaines après.

J'ai rangé mes affaires, soigné mes blessures, j'ai même réparé mon sac à dos. Un immense merci à Deuter France qui m'a envoyé les armatures gratuitement alors que mon sac a bientôt dix ans.
Il se passe un long moment pour qu'enfin je me lance dans l'écriture de ce carnet de voyage que je mettrai plus de temps à accoucher que d'autres pour des treks plus longs. Syndrome du couteau dans la plaie.
Entre-temps, j'accompagne mon fils qui se lance dans la randonnée longue. Le tour des Monts d'Aubrac était dans mon viseur depuis longtemps. L'occasion est trop belle. Je me replonge avec délectation dans ces moments fébriles que sont les préparatifs d'un trek. Calibré pour une petite semaine, certes, mais c'est magnifique et en famille !
Effectivement, c'est magnifique, mais une vive douleur au genou l'empêche bientôt de poser le pied par terre sans lui tirer un rictus de douleur. Pas le choix, nous devons rentrer à la maison. Trois jours. Quand ça veut pas...

Au moment où j'écris ces lignes, je ne parviens pas à tirer un bilan clair de cette aventure. C'est difficile à avouer, mais je sais qu'au fond de moi, tout au fond, je n'y croyais pas, tout simplement. Pas suffisamment en tout cas pour avoir la volonté, la niaque de contrer tout ce qui s'est mis en travers de ma route. Des treks, j'en ai fait d'autres avec des galères parfois pires que sur celui-ci, mais j'ai toujours eu l'énergie de les combattre pour continuer à avancer. Là, non, ...