La traversée du Massif des Vosges, malgré tout !
Parti pour un trek de 4 mois, abandonné au bout de 16 jours.
Récit d'une aventure qui n'est pas passée du tout comme prévu...
Récit d'une aventure qui n'est pas passée du tout comme prévu...
Quand : 13/06/2024
Durée : 16 jours
Durée : 16 jours
Distance globale :
432km
Dénivelées :
+22478m /
-21133m
Alti min/max : 164m/1391m
Carnet publié par Béryl
le 05 nov.
modifié le 10 nov.
modifié le 10 nov.
Mobilité douce
Réalisé en utilisant transports en commun (train, bus, bateau...)
C'est possible (ou réalisé) en
train
Précisions :
Tous les trajets aller et retour ont été faits en train, à part un taxi dans Paris pour aller de la gare de l'Est à la gare Montparnasse.
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Vue d'ensemble
Le compte-rendu : Jour 17 - Fin de l'aventure (mise à jour : 05 nov.)
Vendredi 14 juin 2024
J'avance péniblement sur l'étroit sentier qui borde le ravin. Mes pas sont lents et lourds, de plus en plus lents, de plus en plus lourds. Le poids de mon sac me scie les épaules. J'avance tout de même, déterminé, je m'obstine à vouloir passer alors que je sais très bien que je n'y arriverai pas. J'ai deux parpaings aux pieds. Ça me gêne et ça me fatigue. Et ce mauvais sentier qui rétrécit de plus en plus. Ça va mal finir, c'est sûr. Inévitablement, je vais tomber. Je regarde mes jambes, difformes, et quand je relève les yeux, c'est trop tard : le sentier s'effondre.
C'est à ce moment-là que je me réveille. Plus ou moins à ce moment-là, en fait, je ne me souviens pas toujours. Cela fait deux, trois fois que je fais ce mauvais rêve, je ne sais plus. La dernière fois, c'était au refuge de Thann. La veille, j'avais longuement discuté avec un interne en médecine qui logeait là. Un gars sympa, curieux de trek longue durée. Je m'étais ouvert à lui de mes problèmes de membres inférieurs qui gonflent immanquablement dès que je marche plusieurs jours.
"C'est pas anodin. Fais-toi suivre sérieusement. Pour un trek aussi long, c'est risqué". Je résume, bien sûr, mais en gros, c'était clairement son discours entrecoupé de termes médicaux peu rassurants. Ça n'avait pas manqué : la nuit même, le rêve revenait plus prégnant avec en apothéose, le sentier qui s'écroule sous mes pas. Au réveil, j'avais tapé en touche. Je n'allais pas me faire pourrir la journée par les sautes d'humeur électrochimiques de mon cerveau !
Je ne crois pas aux rêves prémonitoires - tout est une question de contexte et d'interprétation - mais ce matin, j'ai senti le vertige de la chute et me suis réveillé sur un spasme bridé par mon sac de couchage sarcophage.
Les yeux encore fermés, je laisse s'évaporer les dernières bribes du cauchemar et tente de ralentir les coups de boutoir d'un cœur qui tente de s'évader de sa cage thoracique.
"Bin alors, mon gars, on joue à se faire peur ?", je me souviens vraiment avoir pensé ça ! Le sourire, cela dit, est de courte durée quand tous les sens reprennent leur rôle. C'est l'ouïe qui gâche la fête. Le bruit caractéristique de la pluie sur la tente. Il pleut et pas qu'un peu. Et là, ce n'est pas le corps qui chute, c'est le moral.
J'allume mon téléphone et ouvre l'appli météo : trois jours de pluie minimum, après la confiance est si basse que rien n'est sûr. Pour enfoncer un peu plus le clou, le débit augmente subitement et change le ciel en mer verticale percée de petits trous.
C'est l'effondrement ; il pleut aussi dans la tente et c'est moi la source. J'en ai marre, j'en peux plus. Plus l'envie, plus la force, plus le courage. La décision est vite prise. Il est 6h00, j'envoie un texto à ma femme : "Tu es levée ?" Après son "oui", je l'appelle : "C'est la fin, je rentre. Je te tiens au courant." C'est résumé, mais essentiel. Je ressens un immense soulagement à ce moment-là. Terminé toute cette humidité, je rentre à la maison. C'est la colère, en fait, qui me tient, là. Et la colère, au bout d'un moment, ça retombe.
Pour l'instant, je commence à ranger mes affaires. J'ai faim, mais pas question de manger recroquevillé sous la tente. Je sais qu'il y a une boulangerie avec un coin café pas loin du camping ; il me faut du chaud, du doux, du sucré. Quand il ne reste plus que mon matelas à dégonfler, la pluie s'arrête enfin. Chaussures aux pieds, j'émerge de ma coquille de toile. Tout est gris, terne et dégoulinant.
Les maigres informations que j'ai pu glaner sur la boulangerie hier soir pendant le repas ne me permettent pas de la localiser avec précision. Je vois bien vers où aller, mais pas comment. Je me renseigne auprès d'un gars qui relève des bennes à ordures enterrées avec son gros camion-grue. Non seulement il sait où se trouve la boulangerie, mais il propose en plus de m'y déposer, passant devant. Allez hop, dans le camion poubelle, comme tout rêve de gosse !
Adorable, le bonhomme propose même de me ramener au camping si je le souhaite d'ici une grosse demi-heure quand sa tournée le fera repasser devant la porte du commerce. Il suffit que je l'attende sur le trottoir et que je lève le bras, comme pour le bus ! Merci mille fois, mais s'il ne pleut pas trop, je préfère marcher, maintenant que je me suis repéré. Il n'empêche, cette chaleur humaine me fait un bien fou et pour un peu, je le prendrais dans mes bras.
Assis à ma table, avec un chocolat chaud et un croissant, je cale mon retour. Rapidement, je réserve les billets de train. De Belfort, j'arrive à Paris gare de l'Est. La correspondance pour Bordeaux est gare Montparnasse. Je n'ai qu'une trentaine de minutes pour faire ce trajet. Trop risqué en métro, je tenterai le taxi. Enfin, un dernier train pour rallier ma gare locale et si tout va bien, ce soir je suis à la maison.
Ce soir je suis à la maison...
Je réalise. Ma colère retombe d'un coup ainsi que le léger stress de l'organisation si rapide de mon retour. L'évidence me frappe alors de plein fouet : j'ai échoué. Un an et demi de préparation, des gens derrière moi pour me soutenir, quatre mois prévus pour une aventure hors norme et j'arrête au bout de quinze jours. Je me sens nul, je me sens faible et la honte me submerge assez pour que je chiale comme un veau sur mon chocolat qui refroidit. Tout ça pour ça.
Je me lève, sors de la boulangerie et regagne le camping au pas de course. Je plie ma tente détrempée en bourrant mon sac estropié et prends le chemin que m'indique mon GPS pour rallier la gare. Je n'ai pas trop réfléchi et arrive à 10h00 alors que mon train est à 13h30. Revenant dans le centre-ville, je repère un troquet dans lequel je me pose pour mon petit noir du matin ; celui-là, j'y tiens toujours !
J'y passerai un bon moment, au chaud et au sec, alors que la pluie s'est remise à tomber. Je vérifie à nouveau mon plan de rapatriement ; le point noir sera la liaison entre les deux gares à Paris, mais je ne sais pas encore que le sort me sera favorable, ce coup-ci.
Après un kébab rapidement avalé, me voici à nouveau dans la gare où je n'ai plus qu'à me laisser porter. Je suis passé de l'état de randonneur dans la marge à celui de touriste dans la masse.
Gare de l'Est. Je descends comme un V2 du train et file vers la sortie. Là, je m'approche de la file de taxis et frappe à la vitre passager de l'un d'eux : "Bonjour, trente minutes pour la gare Montparnasse, vous pensez que c'est jouable ?
- Attendez d'abord que je m'avance à la prise passager !"
Je ne suis pas du tout habitué au principe du taxi dans les gares ou aéroports. Apparemment, on ne peut pas monter n'importe où ! Je suis le chauffeur qui remonte de place en place et s'immobilise en descendant de la voiture. Le coffre s'ouvre déjà tout seul et j'enfourne mon sac à dos en vérifiant tout de même que les bâtons sont bien accrochés de chaque côté. Me voici à bord.
"Alors, une demi-heure vous le sentez comment ?
- Tout dépend de la circulation. En temps normal, c'est possible, mais avec les Jeux Olympiques, pas mal de portions de rues ou de portes sont en sens unique quand elles ne sont pas carrément fermées obligeant à des détours conséquents.
- Si je rate mon train, c'est la cata. Je mise tout sur vous ! Votre prix sera le mien !
- Ce sera le prix du compteur, ne vous en faites pas pour ça !"
Non, je ne m'en fais pas, même si je vois le compteur continuer à tourner à tous les feux rouges où l'on s'arrête. Le gars est un pro. Quand je vois comment il se glisse dans cette circulation de dingue où chacun force sa place, alors qu'il a entre ses mains une voiture qui doit valoir plus de la moitié de ma maison, je salue l'artiste. Il reprend :
"Vous savez combien il y a de kilomètres entre gare de l'Est et Montparnasse ?
- Pas la moindre idée !
- Sept ! Sept petits kilomètres.
- Histoire de cinq minutes, quoi !
- Oui, sauf que là, on est à Paris. Tenez, voilà l'endroit le plus délicat. Si on parvient à passer rapidement, vous êtes sauvé."
Un passage avec deux portes dont une est condamnée. Tout le monde se rabat sur la seconde et bien entendu, tout est bloqué. Mais l'homme est un orfèvre du volant. Je le vois évoluer en douceur au milieu des voitures, des bus, des vélos, sans jamais forcer, il s'insinue, il se glisse, il se faufile et finalement passe la porte avec une aisance remarquable. Je suis admiratif et pousse un "youhou !" de joie lorsqu'il m'annonce : "Le plus dur est fait !"
Quand il me pose à Montparnasse, le compteur passe tout juste les trente euros. Une demi-heure pile. Une demi-heure pour faire sept kilomètres ; amis parisiens, je vous laisse à votre jungle urbaine et regagne ma campagne avec soulagement !
Gare Montparnasse. Mon sac au dos, je me précipite vers le panneau des départs et là, stupeur : mon train a quarante minutes de retard ! Aucune raison invoquée. Nous sommes nombreux à nous regarder, dépités. J'ai une heure et demie d'attente à Bordeaux pour ma dernière correspondance. Pour l'instant, ça passe encore. Le stress de la vitesse laisse peu à peu la place à celui de l'attente. Au fur et à mesure du temps qui passe, le retard monte : quarante-cinq minutes, puis cinquante, puis une heure.
Quand je monterai dans ce maudit TGV, il aura une heure et dix minutes de retard. Aucune explication. Il y a encore du boulot pour nous "faire préférer le train" !
Gare Saint-Jean, Bordeaux. J'arrive dans les temps pour prendre mon dernier train. Une grosse heure après, je suis à la gare finale et termine les dix kilomètres restants en voiture avec ma femme qui est venue me chercher.
J'entre dans la maison, me déchausse et pose mon sac et mes bâtons.
Tout est fini.
J'avance péniblement sur l'étroit sentier qui borde le ravin. Mes pas sont lents et lourds, de plus en plus lents, de plus en plus lourds. Le poids de mon sac me scie les épaules. J'avance tout de même, déterminé, je m'obstine à vouloir passer alors que je sais très bien que je n'y arriverai pas. J'ai deux parpaings aux pieds. Ça me gêne et ça me fatigue. Et ce mauvais sentier qui rétrécit de plus en plus. Ça va mal finir, c'est sûr. Inévitablement, je vais tomber. Je regarde mes jambes, difformes, et quand je relève les yeux, c'est trop tard : le sentier s'effondre.
C'est à ce moment-là que je me réveille. Plus ou moins à ce moment-là, en fait, je ne me souviens pas toujours. Cela fait deux, trois fois que je fais ce mauvais rêve, je ne sais plus. La dernière fois, c'était au refuge de Thann. La veille, j'avais longuement discuté avec un interne en médecine qui logeait là. Un gars sympa, curieux de trek longue durée. Je m'étais ouvert à lui de mes problèmes de membres inférieurs qui gonflent immanquablement dès que je marche plusieurs jours.
"C'est pas anodin. Fais-toi suivre sérieusement. Pour un trek aussi long, c'est risqué". Je résume, bien sûr, mais en gros, c'était clairement son discours entrecoupé de termes médicaux peu rassurants. Ça n'avait pas manqué : la nuit même, le rêve revenait plus prégnant avec en apothéose, le sentier qui s'écroule sous mes pas. Au réveil, j'avais tapé en touche. Je n'allais pas me faire pourrir la journée par les sautes d'humeur électrochimiques de mon cerveau !
Je ne crois pas aux rêves prémonitoires - tout est une question de contexte et d'interprétation - mais ce matin, j'ai senti le vertige de la chute et me suis réveillé sur un spasme bridé par mon sac de couchage sarcophage.
Les yeux encore fermés, je laisse s'évaporer les dernières bribes du cauchemar et tente de ralentir les coups de boutoir d'un cœur qui tente de s'évader de sa cage thoracique.
"Bin alors, mon gars, on joue à se faire peur ?", je me souviens vraiment avoir pensé ça ! Le sourire, cela dit, est de courte durée quand tous les sens reprennent leur rôle. C'est l'ouïe qui gâche la fête. Le bruit caractéristique de la pluie sur la tente. Il pleut et pas qu'un peu. Et là, ce n'est pas le corps qui chute, c'est le moral.
J'allume mon téléphone et ouvre l'appli météo : trois jours de pluie minimum, après la confiance est si basse que rien n'est sûr. Pour enfoncer un peu plus le clou, le débit augmente subitement et change le ciel en mer verticale percée de petits trous.
C'est l'effondrement ; il pleut aussi dans la tente et c'est moi la source. J'en ai marre, j'en peux plus. Plus l'envie, plus la force, plus le courage. La décision est vite prise. Il est 6h00, j'envoie un texto à ma femme : "Tu es levée ?" Après son "oui", je l'appelle : "C'est la fin, je rentre. Je te tiens au courant." C'est résumé, mais essentiel. Je ressens un immense soulagement à ce moment-là. Terminé toute cette humidité, je rentre à la maison. C'est la colère, en fait, qui me tient, là. Et la colère, au bout d'un moment, ça retombe.
Pour l'instant, je commence à ranger mes affaires. J'ai faim, mais pas question de manger recroquevillé sous la tente. Je sais qu'il y a une boulangerie avec un coin café pas loin du camping ; il me faut du chaud, du doux, du sucré. Quand il ne reste plus que mon matelas à dégonfler, la pluie s'arrête enfin. Chaussures aux pieds, j'émerge de ma coquille de toile. Tout est gris, terne et dégoulinant.
Les maigres informations que j'ai pu glaner sur la boulangerie hier soir pendant le repas ne me permettent pas de la localiser avec précision. Je vois bien vers où aller, mais pas comment. Je me renseigne auprès d'un gars qui relève des bennes à ordures enterrées avec son gros camion-grue. Non seulement il sait où se trouve la boulangerie, mais il propose en plus de m'y déposer, passant devant. Allez hop, dans le camion poubelle, comme tout rêve de gosse !
Adorable, le bonhomme propose même de me ramener au camping si je le souhaite d'ici une grosse demi-heure quand sa tournée le fera repasser devant la porte du commerce. Il suffit que je l'attende sur le trottoir et que je lève le bras, comme pour le bus ! Merci mille fois, mais s'il ne pleut pas trop, je préfère marcher, maintenant que je me suis repéré. Il n'empêche, cette chaleur humaine me fait un bien fou et pour un peu, je le prendrais dans mes bras.
Assis à ma table, avec un chocolat chaud et un croissant, je cale mon retour. Rapidement, je réserve les billets de train. De Belfort, j'arrive à Paris gare de l'Est. La correspondance pour Bordeaux est gare Montparnasse. Je n'ai qu'une trentaine de minutes pour faire ce trajet. Trop risqué en métro, je tenterai le taxi. Enfin, un dernier train pour rallier ma gare locale et si tout va bien, ce soir je suis à la maison.
Ce soir je suis à la maison...
Je réalise. Ma colère retombe d'un coup ainsi que le léger stress de l'organisation si rapide de mon retour. L'évidence me frappe alors de plein fouet : j'ai échoué. Un an et demi de préparation, des gens derrière moi pour me soutenir, quatre mois prévus pour une aventure hors norme et j'arrête au bout de quinze jours. Je me sens nul, je me sens faible et la honte me submerge assez pour que je chiale comme un veau sur mon chocolat qui refroidit. Tout ça pour ça.
Je me lève, sors de la boulangerie et regagne le camping au pas de course. Je plie ma tente détrempée en bourrant mon sac estropié et prends le chemin que m'indique mon GPS pour rallier la gare. Je n'ai pas trop réfléchi et arrive à 10h00 alors que mon train est à 13h30. Revenant dans le centre-ville, je repère un troquet dans lequel je me pose pour mon petit noir du matin ; celui-là, j'y tiens toujours !
J'y passerai un bon moment, au chaud et au sec, alors que la pluie s'est remise à tomber. Je vérifie à nouveau mon plan de rapatriement ; le point noir sera la liaison entre les deux gares à Paris, mais je ne sais pas encore que le sort me sera favorable, ce coup-ci.
Après un kébab rapidement avalé, me voici à nouveau dans la gare où je n'ai plus qu'à me laisser porter. Je suis passé de l'état de randonneur dans la marge à celui de touriste dans la masse.
Gare de l'Est. Je descends comme un V2 du train et file vers la sortie. Là, je m'approche de la file de taxis et frappe à la vitre passager de l'un d'eux : "Bonjour, trente minutes pour la gare Montparnasse, vous pensez que c'est jouable ?
- Attendez d'abord que je m'avance à la prise passager !"
Je ne suis pas du tout habitué au principe du taxi dans les gares ou aéroports. Apparemment, on ne peut pas monter n'importe où ! Je suis le chauffeur qui remonte de place en place et s'immobilise en descendant de la voiture. Le coffre s'ouvre déjà tout seul et j'enfourne mon sac à dos en vérifiant tout de même que les bâtons sont bien accrochés de chaque côté. Me voici à bord.
"Alors, une demi-heure vous le sentez comment ?
- Tout dépend de la circulation. En temps normal, c'est possible, mais avec les Jeux Olympiques, pas mal de portions de rues ou de portes sont en sens unique quand elles ne sont pas carrément fermées obligeant à des détours conséquents.
- Si je rate mon train, c'est la cata. Je mise tout sur vous ! Votre prix sera le mien !
- Ce sera le prix du compteur, ne vous en faites pas pour ça !"
Non, je ne m'en fais pas, même si je vois le compteur continuer à tourner à tous les feux rouges où l'on s'arrête. Le gars est un pro. Quand je vois comment il se glisse dans cette circulation de dingue où chacun force sa place, alors qu'il a entre ses mains une voiture qui doit valoir plus de la moitié de ma maison, je salue l'artiste. Il reprend :
"Vous savez combien il y a de kilomètres entre gare de l'Est et Montparnasse ?
- Pas la moindre idée !
- Sept ! Sept petits kilomètres.
- Histoire de cinq minutes, quoi !
- Oui, sauf que là, on est à Paris. Tenez, voilà l'endroit le plus délicat. Si on parvient à passer rapidement, vous êtes sauvé."
Un passage avec deux portes dont une est condamnée. Tout le monde se rabat sur la seconde et bien entendu, tout est bloqué. Mais l'homme est un orfèvre du volant. Je le vois évoluer en douceur au milieu des voitures, des bus, des vélos, sans jamais forcer, il s'insinue, il se glisse, il se faufile et finalement passe la porte avec une aisance remarquable. Je suis admiratif et pousse un "youhou !" de joie lorsqu'il m'annonce : "Le plus dur est fait !"
Quand il me pose à Montparnasse, le compteur passe tout juste les trente euros. Une demi-heure pile. Une demi-heure pour faire sept kilomètres ; amis parisiens, je vous laisse à votre jungle urbaine et regagne ma campagne avec soulagement !
Gare Montparnasse. Mon sac au dos, je me précipite vers le panneau des départs et là, stupeur : mon train a quarante minutes de retard ! Aucune raison invoquée. Nous sommes nombreux à nous regarder, dépités. J'ai une heure et demie d'attente à Bordeaux pour ma dernière correspondance. Pour l'instant, ça passe encore. Le stress de la vitesse laisse peu à peu la place à celui de l'attente. Au fur et à mesure du temps qui passe, le retard monte : quarante-cinq minutes, puis cinquante, puis une heure.
Quand je monterai dans ce maudit TGV, il aura une heure et dix minutes de retard. Aucune explication. Il y a encore du boulot pour nous "faire préférer le train" !
Gare Saint-Jean, Bordeaux. J'arrive dans les temps pour prendre mon dernier train. Une grosse heure après, je suis à la gare finale et termine les dix kilomètres restants en voiture avec ma femme qui est venue me chercher.
J'entre dans la maison, me déchausse et pose mon sac et mes bâtons.
Tout est fini.