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Un hiver en pèlerinage – Partie 2 : Le Camino Francés

52 jours
878km
+12310m / -12435m
Chris et Ada
Par Chris et Ada
publié hier
126 lecteurs
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Un hiver en pèlerinage – Partie 2 : Le Camino Francés

Épilogue : Une semaine au bout du continent

Mise à jour section : hier

Il fallait s’y attendre : le dernier bivouac va durer plus longtemps que prévu. La fatigue accumulée, le vide de la fin, et une météo capricieuse ont affaibli nos corps. Malades, fragiles, nous restons sous le tipi, ne sortant que pour quelques allers-retours en ville afin de refaire le plein de provisions. Comme des sauvages, perdus entre la contemplation de l’océan et l’appréhension du retour à la société. Nous passerons une semaine ici, à deux kilomètres du phare, dans un coin de forêt, suspendus entre repos forcé et réflexion.
Plusieurs raisons nous ont contraints à rester sur le camp. La première : ma forme physique. Chute totale, allergies en rafale, immunité en berne après tant d’efforts… bref, brisé. La deuxième : la météo. Pluie tous les jours, averses incessantes, vent froid. Il n’en fallait pas plus pour nous plonger dans la mélancolie, un état presque végétatif. On s’est juste laissé vivre.

Et puis, il y avait encore cette idée de marche qui nous hantait : refaire le Camino en sens inverse ? Continuer vers le chemin portugais ? Impossible de se dire « on rentre » avec un objectif précis. Tout était flou. Une indécision qui nous torturait l’esprit, un vertige intérieur, parallèle au vertige réel des falaises et de l’océan tout proche.

Ada, comme souvent, a pris les rênes. Elle faisait les courses, préparait nos repas, organisait le bivouac. Je me contentais de recharger nos quatre litres d’eau à la fontaine, un kilomètre avant le phare, au milieu des bourrasques. Le poncho était devenu notre meilleur ami, chaque sortie ressemblait à une mission.

Sur le campement, l’humidité nous écrasait lentement, les migraines et les crises d’allergie rendaient les nuits impossibles. La marche nous manquait, mais le chemin était terminé. Plus d’objectif précis, juste un vide diffus et cette inquiétude sourde : que faire maintenant ? 

Pour ne pas sombrer complètement, je me plongeais dans l’Évangile, méditant sur les paraboles et essayant de trouver un peu de lumière dans cette semaine de pluie et de brume. Les heures s’écoulaient au rythme des averses, des cauchemars et des crises d'éternuements. On dormait quand on pouvait, on regardait la pluie tomber, on laissait le temps passer. Les émotions étaient brutes, intenses, tourmentées.

Petit à petit, nous avons commencé à nous ressaisir. Le retour du soleil nous a rempli d’énergie et redonné l’envie de bouger, de retrouver la civilisation. Mais le monde moderne, avec sa vitesse, ses sons, ses lumières, était un choc. La douche, le lit, la chaleur entre quatre murs… tout paraissait étrange, presque inconfortable après tant de mois dehors. La réalité nous semblait stérile et trop rapide, et nous étions encore pris entre deux mondes.

Cette semaine fut une collision frontale : avec le corps, l’esprit, le silence et la colère de la nature. Une pause forcée, oui, mais pas douce : une immersion dans l’épuisement, le doute, la mélancolie et la réflexion brute, pour digérer l’aventure, laisser le corps épuisé se réorganiser, et permettre à l’esprit de reprendre pied face à ce que nous avions vécu.

Une aventure qui nous a beaucoup appris sur nous-mêmes, sur l’autonomie, sur la vie dehors. Elle nous a transcendés, nous a reconnectés à notre part animale, jonglant entre la vie moderne et la vie primal. Dans l’œil de cet animal que nous étions, en cohabitation avec les éléments et la faune, nous voyions l’Homme, mais lui ne nous voyait pas. Discrets, méfiants, toujours sur nos gardes, nous nous méfions davantage de l’homme que de l’animal.

Notre départ, le 15 janvier, nous paraît aujourd’hui à des années-lumière. Chaque jour a été vécu pleinement, du réveil au coucher : aucun moment perdu, aucun divertissement futile, pas d’écrans, pas de pollution visuelle ni sonore. Nous avancions, découvrions, apprenions. Le temps était à nous, et nous l’avons pleinement approprié.

Le départ en bus, le 6 mai, fut le seul vrai moment où nous avons senti que c’était terminé. Le phare et la forêt disparaissaient dans la brume, emportant avec eux le vent, la pluie et le bruit des vagues. Tout s’était arrêté. Nous étions maintenant coupés des éléments, plongés dans un monde moderne qui nous vend un rêve éloigné de notre vraie nature.

En quelques heures, à travers un carreau, nous avons vu défiler ce que nous avons construit en plus de 100 jours de marche. Reflet cruel de nos sociétés modernes : tout va trop vite, tout s’engloutit. Dans le silence, on fait défiler les photos, comme on feuillette un album qu’on regarde avec nostalgie.

Nous n’étions plus sur le Camino. Mais le Camino, lui… était en nous. 
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