Un hiver en pèlerinage – Partie 2 : Le Camino Francés
52 jours
878km
+12310m
/ -12435m
Après le froid, la neige et les matins gelés du GR65, place à l’Espagne et à son légendaire Camino Francés.
Le froid s’efface, les jours rallongent, et le chemin prend une autre dimension.
Ce n’est plus seulement une marche, mais une transition, une mue. Une suite logique, et pourtant un tout nouveau départ.
Le froid s’efface, les jours rallongent, et le chemin prend une autre dimension.
Ce n’est plus seulement une marche, mais une transition, une mue. Une suite logique, et pourtant un tout nouveau départ.
Activité :
randonnée/trek
Statut :
réalisé
Distance :
878km
DATE :
09/03/2023
Durée :
52 jours
Dénivelées :
+12310m
/ -12435m
Alti min/max :
3m/1517m
Mise à jour section : hier
119km
+1573m
/ -1098m
390m/1155m
19 Mars – Far West et bivouac sous tension
6h30, j’ouvre les yeux et saute dans mes rangers. Un coup de flotte sur le visage et je suis prêt. Ada fait de même. En trois minutes, nous sommes dehors, au moment même où l’auberge s’active et que les gens font la queue pour aller pisser. Ouf, nous sommes libres.
J’en ai fait, des dortoirs, au fil de mes voyages… Mais là, après deux mois à vivre comme des sauvages, ça transforme l’expérience. Une sensation étrange nous envahit, l’impression d’être en cage, soudainement privés de liberté, parqués comme des moutons.
En chemin, nous croisons le jeune Parisien rencontré il y a quelques jours et lui proposons de se joindre à nous pour le café. On trouve un petit coin, sortons la popote et dressons un super petit-déjeuner.
Il vient d’être emmerdé avec son tendon d’Achille et a changé de chaussures. Les premiers jours sont toujours piégeux, c’est le rodage : il faut laisser le corps s’adapter. Sa longue première étape nous avait laissés perplexes. Il bosse comme cartographe chez IGN, c’est passionnant je trouve. J’adore sortir mes cartes papier et étudier les profils, les reliefs, etc. Malheureusement, c’est de plus en plus délaissé au profit des applis téléphoniques.
À Ventosa, on se laisse tenter par une jolie terrasse. Cyclistes, pèlerins… l’ambiance est bonne. Une Allemande panse ses orteils, la pauvre a les ongles explosés. Et puis il y a ce type qui fait l’attraction au comptoir — un local certainement en after, ou alors un pèlerin qui pète un câble, va savoir : il est 10h et il enchaîne les Desperados entre deux shots d’orujo de hierbas (liqueur traditionnelle galicienne). Chaud bouillant le garçon !
Nous faisons cap sur Nájera et apercevons au loin des crêtes et un superbe sommet enneigé : on dirait le Mont Fuji planté au milieu du Far West. Le décor change peu à peu, le climat devient plus sec, aride, et nous sommes entourés de roches rouges.
On rencontre June, un jeune Coréen. Il parle un peu anglais et on bavarde un moment. Il nous fait rire, tout ce qu’on lui dit se termine par des « ouaahhhh », « ohhhhh », « aahhhhh »… Il s’extasie devant le moindre truc. Il est proche de l’orgasme lorsqu’on lui dit qu’on dort dehors.
L’entrée de Nájera est franchement moche : du béton partout. Mais quelques rues plus loin, la ville change complètement et révèle une petite bourgade pleine de vie. C’est dimanche : ça sent la grillade, ça rit, ça parle. Les familles sont dehors, tirées à quatre épingles, et une belle ambiance flotte dans les rues. On déguste des glaces artisanales en observant ce spectacle sur la place du village.
Le rio Najerilla traverse la ville, et un joli pont l’enjambe pour tomber sur le magnifique monastère de Santa María la Real.
À la sortie du village, ça grimpe et le soleil cogne dur. D’ailleurs, j’ai des irritations qui commencent à me démanger autour des fesses : la sueur et le manque de respirabilité de mon pantalon… Il va falloir changer de tenue d’ici peu. Je me nettoie avec des lingettes bébé et je badigeonne de vaseline : ça fait le taf.
Un bout de forêt perché sur une petite colline apparaît plus loin. Au sommet, une petite plateforme fait l’affaire : on est pas mal, vue panoramique sur les vignes et les sommets au loin. Enfin du répit. Demain, c’est grasse matinée.
On s’apprête à monter le tipi quand une voiture arrive par un petit chemin et s’arrête juste au pied de la colline. On se camoufle pour rester discrets. Deux mecs sortent et fouillent dans le coffre. Ils baragouinent un patois que je n’arrive pas à comprendre. En position commando, on ne bouge pas d’un poil, et la parano s’installe… Faudrait pas qu’on ait affaire à deux truands venus planquer de la came.
Ils finissent par rentrer dans la vigne. L’un commence à pelleter pendant que l’autre regarde autour de lui. Mince, ça me rappelle une scène dans Casino. Finalement, les voilà qui sortent un pulvérisateur et aspergent les vignes avec un produit. Ouf, je préfère ça ! Ils passent de rangée en rangée. Ça risque de traîner un peu, mais au moins, on est rassurés.
On patiente. Je m’endors à moitié. La nuit tombe et on commence à se refroidir. C’est seulement à 20h30 qu’ils nous foutent la paix.
6h30, j’ouvre les yeux et saute dans mes rangers. Un coup de flotte sur le visage et je suis prêt. Ada fait de même. En trois minutes, nous sommes dehors, au moment même où l’auberge s’active et que les gens font la queue pour aller pisser. Ouf, nous sommes libres.
J’en ai fait, des dortoirs, au fil de mes voyages… Mais là, après deux mois à vivre comme des sauvages, ça transforme l’expérience. Une sensation étrange nous envahit, l’impression d’être en cage, soudainement privés de liberté, parqués comme des moutons.
En chemin, nous croisons le jeune Parisien rencontré il y a quelques jours et lui proposons de se joindre à nous pour le café. On trouve un petit coin, sortons la popote et dressons un super petit-déjeuner.
Il vient d’être emmerdé avec son tendon d’Achille et a changé de chaussures. Les premiers jours sont toujours piégeux, c’est le rodage : il faut laisser le corps s’adapter. Sa longue première étape nous avait laissés perplexes. Il bosse comme cartographe chez IGN, c’est passionnant je trouve. J’adore sortir mes cartes papier et étudier les profils, les reliefs, etc. Malheureusement, c’est de plus en plus délaissé au profit des applis téléphoniques.
À Ventosa, on se laisse tenter par une jolie terrasse. Cyclistes, pèlerins… l’ambiance est bonne. Une Allemande panse ses orteils, la pauvre a les ongles explosés. Et puis il y a ce type qui fait l’attraction au comptoir — un local certainement en after, ou alors un pèlerin qui pète un câble, va savoir : il est 10h et il enchaîne les Desperados entre deux shots d’orujo de hierbas (liqueur traditionnelle galicienne). Chaud bouillant le garçon !
Nous faisons cap sur Nájera et apercevons au loin des crêtes et un superbe sommet enneigé : on dirait le Mont Fuji planté au milieu du Far West. Le décor change peu à peu, le climat devient plus sec, aride, et nous sommes entourés de roches rouges.
On rencontre June, un jeune Coréen. Il parle un peu anglais et on bavarde un moment. Il nous fait rire, tout ce qu’on lui dit se termine par des « ouaahhhh », « ohhhhh », « aahhhhh »… Il s’extasie devant le moindre truc. Il est proche de l’orgasme lorsqu’on lui dit qu’on dort dehors.
L’entrée de Nájera est franchement moche : du béton partout. Mais quelques rues plus loin, la ville change complètement et révèle une petite bourgade pleine de vie. C’est dimanche : ça sent la grillade, ça rit, ça parle. Les familles sont dehors, tirées à quatre épingles, et une belle ambiance flotte dans les rues. On déguste des glaces artisanales en observant ce spectacle sur la place du village.
Le rio Najerilla traverse la ville, et un joli pont l’enjambe pour tomber sur le magnifique monastère de Santa María la Real.
À la sortie du village, ça grimpe et le soleil cogne dur. D’ailleurs, j’ai des irritations qui commencent à me démanger autour des fesses : la sueur et le manque de respirabilité de mon pantalon… Il va falloir changer de tenue d’ici peu. Je me nettoie avec des lingettes bébé et je badigeonne de vaseline : ça fait le taf.
Un bout de forêt perché sur une petite colline apparaît plus loin. Au sommet, une petite plateforme fait l’affaire : on est pas mal, vue panoramique sur les vignes et les sommets au loin. Enfin du répit. Demain, c’est grasse matinée.
On s’apprête à monter le tipi quand une voiture arrive par un petit chemin et s’arrête juste au pied de la colline. On se camoufle pour rester discrets. Deux mecs sortent et fouillent dans le coffre. Ils baragouinent un patois que je n’arrive pas à comprendre. En position commando, on ne bouge pas d’un poil, et la parano s’installe… Faudrait pas qu’on ait affaire à deux truands venus planquer de la came.
Ils finissent par rentrer dans la vigne. L’un commence à pelleter pendant que l’autre regarde autour de lui. Mince, ça me rappelle une scène dans Casino. Finalement, les voilà qui sortent un pulvérisateur et aspergent les vignes avec un produit. Ouf, je préfère ça ! Ils passent de rangée en rangée. Ça risque de traîner un peu, mais au moins, on est rassurés.
On patiente. Je m’endors à moitié. La nuit tombe et on commence à se refroidir. C’est seulement à 20h30 qu’ils nous foutent la paix.
20 mars – Une journée farniente
6h, j’ouvre les yeux face à un somptueux lever de soleil, pile dans l’axe. J’ai droit à toutes les teintes de rouge. Je profite du spectacle depuis le duvet en grignotant quelques fruits secs, puis je replonge dans le sommeil.
On émerge vers 10h30. Ada a bien dormi aussi. Je me sens pas trop mal, mais on est bien courbaturés d’hier. Il va falloir penser à mieux s’hydrater par cette chaleur.
Aujourd’hui, c’est massage, étirements, journée de repos bien méritée. Ada file au village d’Azofra après le café. C’est elle qui s’occupe de la mission — elle ne veut pas rester seule sur le camp, on ne sait jamais. Deux heures plus tard, elle revient avec le plein d’eau et quelques provisions pour la journée : œufs au plat pour le petit dej, fruits frais, sardines à l’huile pour ce midi avec baguette et tomate fraîche.
On traîne à moitié nus sur le bivouac, on laisse nos corps respirer, prendre l’air. Je prends le temps de me masser les pieds douloureux sous les paumes, petite toilette, je taille un peu la moustache — je commence à bouffer ma barbe en mangeant. Ada se fait belle aussi. On savoure cette journée, détente maximum.
Personne ne nous dérange, jusqu’à ce que le vent se lève vers 16h. Il se faufile entre les arbres pour venir fouetter le tarp. Je reconfigure le tipi en utilisant les attaches qu’on n’avait pas encore utilisées, pour tendre les parois latérales et éviter que le vent les enfonce. Ça donne une forme bizarre au tipi, mais c’est efficace, et ça fait un peu moins de bruit.
Les tracteurs s’activent un peu autour des vignes ce soir, mais personne ne nous repère. Ce soir, Ada prépare une grosse gamelle de riz et haricots rouges en sauce.
21h, extinction des feux.
21 mars – Sous le cagnard, entre fatigue et fous rires
Il est temps de reprendre du service. Malgré une nuit pourrie, la gorge en feu et le nez bouché… pas la forme olympique. Nos articulations nous le rappellent vite sur les premiers kilomètres.
Vers 10 h, on arrive à Azofra, un petit bled charmant où une minuscule épicerie nous sauve le petit-déj. Quelques biscuits secs et des bananes, ça fera bien l’affaire.
À la sortie du village, on retrouve ces interminables sentiers de gravier blanc. On voit à des kilomètres, les clochers des villages pointant à l’horizon. On avance en silence, dans notre bulle — jusqu’à ce qu’un bonhomme déboule derrière nous : Marco, un jeune Italien bien bavard. Il dégouline de sueur, marche trop vite et porte un sac digne d’un sapin de Noël : duvet, chaussures, tasses, thermos… tout pendouille sur son paquetage rafistolé.
Le sac a craqué ce matin, il a tout sanglé comme il a pu. Un vrai foutoir, mais il nous fait bien marrer et met un peu de bonne humeur. Il nous raconte ses nuits en dortoir — une horreur — et nous explique qu’il a fini par acheter une tente pour bivouaquer, lui aussi. Plus loin, Marco retrouve des compagnons de dortoir et nous abandonne. Nous, on file vers Santo Domingo de la Calzada, avec l’espoir de trouver du gaz.
Dans les ruelles médiévales de cette jolie ville, on tombe sur un bazar chinois. Parfait ! J’y déniche des piles pour ma mini frontale et deux cartouches de gaz OBAK, made in Korea. Jamais vu cette marque, on verra bien — mais au moins, on est prêts pour de nouvelles galères.
Passage habituel au supermarché : muesli qu’on enrichit avec des noix, pain frais pour le midi, dîner du soir et petit-déj du lendemain. On a notre système maintenant, pas besoin d’en rajouter. On n’est plus aussi isolés que sur le GR65.
Sur la place centrale, les terrasses débordent de pèlerins qui s’enfilent hamburgers et pintes de bière. On passe notre chemin et on s’émerveille devant la sublime cathédrale. Les sculptures, les détails… fascinants. Dommage, elle est fermée entre 13 h et 16 h, et l’entrée est à 7 €. Je ne savais pas qu’on faisait payer les pèlerins sur le Camino… Bref. Le contraste avec le GR65 est bien marqué.
À la sortie de la ville, on se cale sous un arbre, au bord du rio, pour casser la croûte. Il fait de plus en plus chaud, un peu d’ombre fait du bien. On en profite pour savonner quelques fringues avant de repartir.
Le chemin perd vite de son charme : retour le long de l’autoroute. Un calvaire mental, et pas idéal pour le bivouac. Après une heure sans grand changement, on bifurque et finit par trouver un coin au fond d’un champ. On soigne le montage du tipi : choix du sol, orientation de l’entrée… pas envie de revivre l’enfer si le vent se lève.
Ce soir, c’est un tracteur qui vient nous pourrir la vie, ratissant le champ à 200 mètres pendant une heure. On coupe les lumières pour ne pas se faire repérer.
Grillés, pas faim. J’ai la nausée — sûrement un coup de chaud. Une infusion de tilleul au citron nous remet un peu d’aplomb… puis au lit.
6h, j’ouvre les yeux face à un somptueux lever de soleil, pile dans l’axe. J’ai droit à toutes les teintes de rouge. Je profite du spectacle depuis le duvet en grignotant quelques fruits secs, puis je replonge dans le sommeil.
On émerge vers 10h30. Ada a bien dormi aussi. Je me sens pas trop mal, mais on est bien courbaturés d’hier. Il va falloir penser à mieux s’hydrater par cette chaleur.
Aujourd’hui, c’est massage, étirements, journée de repos bien méritée. Ada file au village d’Azofra après le café. C’est elle qui s’occupe de la mission — elle ne veut pas rester seule sur le camp, on ne sait jamais. Deux heures plus tard, elle revient avec le plein d’eau et quelques provisions pour la journée : œufs au plat pour le petit dej, fruits frais, sardines à l’huile pour ce midi avec baguette et tomate fraîche.
On traîne à moitié nus sur le bivouac, on laisse nos corps respirer, prendre l’air. Je prends le temps de me masser les pieds douloureux sous les paumes, petite toilette, je taille un peu la moustache — je commence à bouffer ma barbe en mangeant. Ada se fait belle aussi. On savoure cette journée, détente maximum.
Personne ne nous dérange, jusqu’à ce que le vent se lève vers 16h. Il se faufile entre les arbres pour venir fouetter le tarp. Je reconfigure le tipi en utilisant les attaches qu’on n’avait pas encore utilisées, pour tendre les parois latérales et éviter que le vent les enfonce. Ça donne une forme bizarre au tipi, mais c’est efficace, et ça fait un peu moins de bruit.
Les tracteurs s’activent un peu autour des vignes ce soir, mais personne ne nous repère. Ce soir, Ada prépare une grosse gamelle de riz et haricots rouges en sauce.
21h, extinction des feux.
21 mars – Sous le cagnard, entre fatigue et fous rires
Il est temps de reprendre du service. Malgré une nuit pourrie, la gorge en feu et le nez bouché… pas la forme olympique. Nos articulations nous le rappellent vite sur les premiers kilomètres.
Vers 10 h, on arrive à Azofra, un petit bled charmant où une minuscule épicerie nous sauve le petit-déj. Quelques biscuits secs et des bananes, ça fera bien l’affaire.
À la sortie du village, on retrouve ces interminables sentiers de gravier blanc. On voit à des kilomètres, les clochers des villages pointant à l’horizon. On avance en silence, dans notre bulle — jusqu’à ce qu’un bonhomme déboule derrière nous : Marco, un jeune Italien bien bavard. Il dégouline de sueur, marche trop vite et porte un sac digne d’un sapin de Noël : duvet, chaussures, tasses, thermos… tout pendouille sur son paquetage rafistolé.
Le sac a craqué ce matin, il a tout sanglé comme il a pu. Un vrai foutoir, mais il nous fait bien marrer et met un peu de bonne humeur. Il nous raconte ses nuits en dortoir — une horreur — et nous explique qu’il a fini par acheter une tente pour bivouaquer, lui aussi. Plus loin, Marco retrouve des compagnons de dortoir et nous abandonne. Nous, on file vers Santo Domingo de la Calzada, avec l’espoir de trouver du gaz.
Dans les ruelles médiévales de cette jolie ville, on tombe sur un bazar chinois. Parfait ! J’y déniche des piles pour ma mini frontale et deux cartouches de gaz OBAK, made in Korea. Jamais vu cette marque, on verra bien — mais au moins, on est prêts pour de nouvelles galères.
Passage habituel au supermarché : muesli qu’on enrichit avec des noix, pain frais pour le midi, dîner du soir et petit-déj du lendemain. On a notre système maintenant, pas besoin d’en rajouter. On n’est plus aussi isolés que sur le GR65.
Sur la place centrale, les terrasses débordent de pèlerins qui s’enfilent hamburgers et pintes de bière. On passe notre chemin et on s’émerveille devant la sublime cathédrale. Les sculptures, les détails… fascinants. Dommage, elle est fermée entre 13 h et 16 h, et l’entrée est à 7 €. Je ne savais pas qu’on faisait payer les pèlerins sur le Camino… Bref. Le contraste avec le GR65 est bien marqué.
À la sortie de la ville, on se cale sous un arbre, au bord du rio, pour casser la croûte. Il fait de plus en plus chaud, un peu d’ombre fait du bien. On en profite pour savonner quelques fringues avant de repartir.
Le chemin perd vite de son charme : retour le long de l’autoroute. Un calvaire mental, et pas idéal pour le bivouac. Après une heure sans grand changement, on bifurque et finit par trouver un coin au fond d’un champ. On soigne le montage du tipi : choix du sol, orientation de l’entrée… pas envie de revivre l’enfer si le vent se lève.
Ce soir, c’est un tracteur qui vient nous pourrir la vie, ratissant le champ à 200 mètres pendant une heure. On coupe les lumières pour ne pas se faire repérer.
Grillés, pas faim. J’ai la nausée — sûrement un coup de chaud. Une infusion de tilleul au citron nous remet un peu d’aplomb… puis au lit.
22 mars – Ballon de rouge et miracles du quotidien
Le soleil tape déjà sur le tipi à 8 h ce matin et fait vite grimper la température.
Une migraine terrible m’a tiraillé toute la nuit — sans doute une petite déshydratation. Hier soir déjà, je me sentais mal. Il va falloir se focus là-dessus et boire plus aujourd’hui.
On lève le camp et on entre dans le premier village de l’étape, Grañón.
Une petite terrasse juste devant l’église nous attire : on s’offre un ballon de rouge. Pas la meilleure idée pour s’hydrater, mais l’ambiance s’y prête bien.
Les petites vieilles du coin s’affairent entre la boulangerie et deux-trois potins échangés au pas de la porte. Une camionnette déboule dans la ruelle en klaxonnant — le poissonnier. Et là, tout le village rapplique autour du camion. Les gens discutent, rigolent, choisissent leur poisson. Tout le monde se connaît.
C’est génial à voir, ça nous fait marrer et surtout, ça nous fait du bien. Parce qu’on commence à râler un peu, en voyant le Camino devenir trop “business” à notre goût. Mais ce genre de moment te rappelle pourquoi t’es là : juste être témoin du quotidien, sans rien forcer. Assis au bon endroit, au bon moment.
Par chance, l’église est ouverte. Après ce petit spectacle d’un autre temps, on y entre pour se recueillir un instant. Les églises espagnoles sont splendides — dorures, peintures, scènes détaillées… fascinantes.
Après ce moment de silence hypnotique, nous voilà repartis sur un sentier monotone. Seuls ces petits villages éparpillés viennent casser la routine de la marche. Le ciel se couvre, l’air devient plus frais — agréable après ces derniers jours de chaleur.
On traverse Redecilla del Camino. Pas un chat, à part un vieil homme en pantoufles sur le pas de sa porte, assis dans sa chaise roulante. Il a l’air heureux de nous voir. On échange un sourire, un salut.
Un petit cours d’eau plus loin nous permet de faire un brin de lessive. Mon tee-shirt en avait bien besoin. Pour changer, j’enfile celui offert par Nacer et Julie à la paroisse Saint-François : blason devant, et dans le dos — “Jésus, ma joie, mon espérance et ma vie.” Il ne me manque plus qu’une paire de sandales et les cheveux détachés pour être un vrai pèlerin !
Castildelgado, Viloria de Rioja…
On traverse ces villages historiques — ce dernier a fêté ses 1 000 ans en 2019. Autant dire que les pavés qu’on foule ont été polis par des générations de pèlerins. La route qui suit, elle, est moins inspirante. La N-120, les camions défilent, le cauchemar recommence.
Puis un drapeau colombien s’agite dans le vent. Un petit bar au bord de la route nous appelle à la pause. À l’intérieur, une famille attablée autour d’un gros plat de frites et de sodas. Un air de salsa, une barre de pole dance dans un coin — pas de doute, on est bien en Colombie !
On commande deux parts de tortilla, et ils nous offrent un morceau de pan colombiano, une sorte de brioche fourrée au fromage frais. Un délice. Les Colombiens — comme beaucoup de Sud-Américains d’ailleurs — sont d’une immense gentillesse.
La preuve : vingt minutes plus tard, alors qu’on a repris la route, le patron nous rattrape en voiture. Il tend à Ada sa sacoche oubliée : argent, papiers… tout. Le genre de truc qu’il vaut mieux ne pas égarer.
On fait le plein d’eau à Belorado, une jolie commune recouverte de fresques murales. Un peu plus loin, on rencontre Rafael, pèlerin lui aussi. C’est son 42ᵉ Camino… rien que ça. Il nous parle de l’histoire du chemin, des Celtes, des légendes païennes, de l’énergie qui y circule.
Et puis il évoque les baptêmes du Camino. Apparemment, on aurait déjà passé celui de la Terre — logique, avec nos nuits à même le sol. Celui de l’Eau, ce sera à Finisterre, dans l’océan. Et celui du Feu, en brûlant un vêtement, symbole de tout ce qu’on laisse derrière soi.
J’aime bien l’idée. Comme si chaque élément marquait une étape, une mue, une renaissance.
On repère une forêt un peu plus haut. Alléluia : enfin un vrai bivouac. On grimpe à travers les champs de colza avant d’entrer dans une profonde forêt de pins. Soudain, le silence. Pas de camions, pas de vent, rien.
En retirant mes bottes, je découvre mon tibia gonflé comme une bouteille — sûrement une piqûre d’araignée. Elle m’a pas raté ! Dehors, on entend les rafales secouer la lisière. Ça a soufflé toute la journée.
J’ai les tympans en vrac et un mal de crâne qui s’installe.
Encore une sacrée journée.
Le soleil tape déjà sur le tipi à 8 h ce matin et fait vite grimper la température.
Une migraine terrible m’a tiraillé toute la nuit — sans doute une petite déshydratation. Hier soir déjà, je me sentais mal. Il va falloir se focus là-dessus et boire plus aujourd’hui.
On lève le camp et on entre dans le premier village de l’étape, Grañón.
Une petite terrasse juste devant l’église nous attire : on s’offre un ballon de rouge. Pas la meilleure idée pour s’hydrater, mais l’ambiance s’y prête bien.
Les petites vieilles du coin s’affairent entre la boulangerie et deux-trois potins échangés au pas de la porte. Une camionnette déboule dans la ruelle en klaxonnant — le poissonnier. Et là, tout le village rapplique autour du camion. Les gens discutent, rigolent, choisissent leur poisson. Tout le monde se connaît.
C’est génial à voir, ça nous fait marrer et surtout, ça nous fait du bien. Parce qu’on commence à râler un peu, en voyant le Camino devenir trop “business” à notre goût. Mais ce genre de moment te rappelle pourquoi t’es là : juste être témoin du quotidien, sans rien forcer. Assis au bon endroit, au bon moment.
Par chance, l’église est ouverte. Après ce petit spectacle d’un autre temps, on y entre pour se recueillir un instant. Les églises espagnoles sont splendides — dorures, peintures, scènes détaillées… fascinantes.
Après ce moment de silence hypnotique, nous voilà repartis sur un sentier monotone. Seuls ces petits villages éparpillés viennent casser la routine de la marche. Le ciel se couvre, l’air devient plus frais — agréable après ces derniers jours de chaleur.
On traverse Redecilla del Camino. Pas un chat, à part un vieil homme en pantoufles sur le pas de sa porte, assis dans sa chaise roulante. Il a l’air heureux de nous voir. On échange un sourire, un salut.
Un petit cours d’eau plus loin nous permet de faire un brin de lessive. Mon tee-shirt en avait bien besoin. Pour changer, j’enfile celui offert par Nacer et Julie à la paroisse Saint-François : blason devant, et dans le dos — “Jésus, ma joie, mon espérance et ma vie.” Il ne me manque plus qu’une paire de sandales et les cheveux détachés pour être un vrai pèlerin !
Castildelgado, Viloria de Rioja…
On traverse ces villages historiques — ce dernier a fêté ses 1 000 ans en 2019. Autant dire que les pavés qu’on foule ont été polis par des générations de pèlerins. La route qui suit, elle, est moins inspirante. La N-120, les camions défilent, le cauchemar recommence.
Puis un drapeau colombien s’agite dans le vent. Un petit bar au bord de la route nous appelle à la pause. À l’intérieur, une famille attablée autour d’un gros plat de frites et de sodas. Un air de salsa, une barre de pole dance dans un coin — pas de doute, on est bien en Colombie !
On commande deux parts de tortilla, et ils nous offrent un morceau de pan colombiano, une sorte de brioche fourrée au fromage frais. Un délice. Les Colombiens — comme beaucoup de Sud-Américains d’ailleurs — sont d’une immense gentillesse.
La preuve : vingt minutes plus tard, alors qu’on a repris la route, le patron nous rattrape en voiture. Il tend à Ada sa sacoche oubliée : argent, papiers… tout. Le genre de truc qu’il vaut mieux ne pas égarer.
On fait le plein d’eau à Belorado, une jolie commune recouverte de fresques murales. Un peu plus loin, on rencontre Rafael, pèlerin lui aussi. C’est son 42ᵉ Camino… rien que ça. Il nous parle de l’histoire du chemin, des Celtes, des légendes païennes, de l’énergie qui y circule.
Et puis il évoque les baptêmes du Camino. Apparemment, on aurait déjà passé celui de la Terre — logique, avec nos nuits à même le sol. Celui de l’Eau, ce sera à Finisterre, dans l’océan. Et celui du Feu, en brûlant un vêtement, symbole de tout ce qu’on laisse derrière soi.
J’aime bien l’idée. Comme si chaque élément marquait une étape, une mue, une renaissance.
On repère une forêt un peu plus haut. Alléluia : enfin un vrai bivouac. On grimpe à travers les champs de colza avant d’entrer dans une profonde forêt de pins. Soudain, le silence. Pas de camions, pas de vent, rien.
En retirant mes bottes, je découvre mon tibia gonflé comme une bouteille — sûrement une piqûre d’araignée. Elle m’a pas raté ! Dehors, on entend les rafales secouer la lisière. Ça a soufflé toute la journée.
J’ai les tympans en vrac et un mal de crâne qui s’installe.
Encore une sacrée journée.
23 mars – Vent de face et tempête intérieure
Le vent a soufflé fort toute la nuit, chahutant les branches au-dessus de nos têtes. On avait bien vérifié les arbres avant de planter les piquets, mais le bruit restait intimidant. Les craquements, les branches qui se frottent entre elles… tu te fais vite des films. Nuit agitée, donc. Ce matin, on est rincés. Comme d’habitude, j’ai envie de dire.
Je me bouscule vers 8 h pour préparer le café. Le vent est tombé, la forêt a retrouvé son calme. On y resterait bien un ou deux jours de plus. Mais finalement, on décide de redescendre vers la nationale — et retrouver nos camions préférés…
On passe Tosantos, Villambistia, puis cap sur Villafranca, où on espère se ravitailler. Huit kilomètres la gueule dans le vent. Je suis pas d’humeur. Heureusement, une énorme torta al olio, sorte de focaccia locale, vient nous remonter le moral. La supérette est fermée, il faudra patienter. Cette nationale n’en finit plus, et ces camions me rendent dingue. Le vent continue de nous fouetter.
Nouvelle pause dans une auberge : jolie terrasse, jardin, deux parts de tortilla et un verre de rouge. Y’a pas à dire, on mange local. En jetant un œil à la carte, je réalise qu’on se rapproche à grands pas de Burgos. On y sera demain. Et ça me fait un peu flipper. Traverser la ville entière, repartir et trouver un bivouac derrière… ce serait trop long. Vu notre état, ça sent la nuit en auberge.
Cet après-midi, on passe un petit col à 1 140 m avant de redescendre vers San Juan de Ortega. Le coin est joli, les forêts superbes — mais la nationale n’est jamais bien loin. Difficile de se connecter à la nature. Comme si on n’arrivait pas à couper le cordon. Jamais vraiment libres. C’est une sensation étrange.
Je repense à Rafael, l’homme aux 42 Caminos. Il nous avait dit qu’on entrait dans la partie “émotionnelle” du chemin. Je me demande s’il parlait de ça : ces routes, ce vent, cette lassitude qui te travaille à l’intérieur. Un jour tu ris, le lendemain tu rages. Les émotions font le yo-yo. J’ai l’impression qu’une autre facette du Camino s’ouvre à nous — plus intérieure. Faire abstraction du bruit, du béton, des camions. Se recentrer, avancer en paix.
Sur cette réflexion, on lève le nez : il est temps de trouver un coin pour bivouaquer. Mais les forêts sont exposées, le vent souffle toujours fort. Des branches jonchent le sol, pas rassurant. On avance encore.
Vers 19 h, on déniche un endroit à peu près correct, mais le bois est sec et craque sous le vent. Vers 22 h, alors qu’on s’apprête à dormir, les rafales redoublent. Les branches claquent, certaines se cassent. C'est l'alerte. On saute du tipi, frontales sur la tête, et on évalue vite la situation. Pas le choix : faut déguerpir. Du mode pyjama au mode commando en cinq minutes.
On replie tout à la hâte et on reprend la route dans la nuit, poussés par les rafales. Je suis prêt à marcher jusqu’à l’aube s’il le faut, mais il faut sortir de ce cauchemar. Minuit passé. Le cerveau est débranché. Et soudain, sur la gauche, un terrain dégagé. Un arbre gigantesque au milieu. Celui-là, avant qu’il tombe, il faudra une tornade. Sans un mot, on dresse le tipi. Ada veille à ce que le tarp ne s’envole pas. En un rien de temps, tout est monté. Boules Quiès dans les oreilles, on plonge dans nos duvets.
Le vent a soufflé fort toute la nuit, chahutant les branches au-dessus de nos têtes. On avait bien vérifié les arbres avant de planter les piquets, mais le bruit restait intimidant. Les craquements, les branches qui se frottent entre elles… tu te fais vite des films. Nuit agitée, donc. Ce matin, on est rincés. Comme d’habitude, j’ai envie de dire.
Je me bouscule vers 8 h pour préparer le café. Le vent est tombé, la forêt a retrouvé son calme. On y resterait bien un ou deux jours de plus. Mais finalement, on décide de redescendre vers la nationale — et retrouver nos camions préférés…
On passe Tosantos, Villambistia, puis cap sur Villafranca, où on espère se ravitailler. Huit kilomètres la gueule dans le vent. Je suis pas d’humeur. Heureusement, une énorme torta al olio, sorte de focaccia locale, vient nous remonter le moral. La supérette est fermée, il faudra patienter. Cette nationale n’en finit plus, et ces camions me rendent dingue. Le vent continue de nous fouetter.
Nouvelle pause dans une auberge : jolie terrasse, jardin, deux parts de tortilla et un verre de rouge. Y’a pas à dire, on mange local. En jetant un œil à la carte, je réalise qu’on se rapproche à grands pas de Burgos. On y sera demain. Et ça me fait un peu flipper. Traverser la ville entière, repartir et trouver un bivouac derrière… ce serait trop long. Vu notre état, ça sent la nuit en auberge.
Cet après-midi, on passe un petit col à 1 140 m avant de redescendre vers San Juan de Ortega. Le coin est joli, les forêts superbes — mais la nationale n’est jamais bien loin. Difficile de se connecter à la nature. Comme si on n’arrivait pas à couper le cordon. Jamais vraiment libres. C’est une sensation étrange.
Je repense à Rafael, l’homme aux 42 Caminos. Il nous avait dit qu’on entrait dans la partie “émotionnelle” du chemin. Je me demande s’il parlait de ça : ces routes, ce vent, cette lassitude qui te travaille à l’intérieur. Un jour tu ris, le lendemain tu rages. Les émotions font le yo-yo. J’ai l’impression qu’une autre facette du Camino s’ouvre à nous — plus intérieure. Faire abstraction du bruit, du béton, des camions. Se recentrer, avancer en paix.
Sur cette réflexion, on lève le nez : il est temps de trouver un coin pour bivouaquer. Mais les forêts sont exposées, le vent souffle toujours fort. Des branches jonchent le sol, pas rassurant. On avance encore.
Vers 19 h, on déniche un endroit à peu près correct, mais le bois est sec et craque sous le vent. Vers 22 h, alors qu’on s’apprête à dormir, les rafales redoublent. Les branches claquent, certaines se cassent. C'est l'alerte. On saute du tipi, frontales sur la tête, et on évalue vite la situation. Pas le choix : faut déguerpir. Du mode pyjama au mode commando en cinq minutes.
On replie tout à la hâte et on reprend la route dans la nuit, poussés par les rafales. Je suis prêt à marcher jusqu’à l’aube s’il le faut, mais il faut sortir de ce cauchemar. Minuit passé. Le cerveau est débranché. Et soudain, sur la gauche, un terrain dégagé. Un arbre gigantesque au milieu. Celui-là, avant qu’il tombe, il faudra une tornade. Sans un mot, on dresse le tipi. Ada veille à ce que le tarp ne s’envole pas. En un rien de temps, tout est monté. Boules Quiès dans les oreilles, on plonge dans nos duvets.
24 mars – Un vent de folie
Nuit cauchemardesque. Les boule Quiès n’y font rien : le vent a rafalé sans relâche, chahutant la toile et nos nerfs. Depuis des jours, il nous poursuit. Et à force de bivouacs, on ne coupe jamais vraiment. Je n’avais jamais vécu ça, mais c’est dur. Très dur mentalement. Ce vent nous presse comme des citrons.
Les mauvaises nuits s’enchaînent, on ne récupère plus. Ce matin, on émerge à 7 h, sans un mot. On plie les paquetages et on s’échappe d’ici. La météo est pourrie : toujours ce foutu vent, et la pluie s’invite. On descend vers Agés, marchant comme des zombies. Je rage dans ma tête. Qu’est-ce qu’on fout là ? À quoi bon ? Zéro plaisir, juste de la souffrance. Mais au fait… ça y est, je crois qu’on y est. Au cœur d’un pèlerinage, non ?
Une auberge ouverte. Double expresso et part de cake à la carotte. On se regarde avec Ada — ici, plus un bruit de vent. Enfin un break. Mais il faut repartir : Burgos nous attend. Je m’en passerai bien ! On a vite calculé la distance entre les zones industrielles à l’entrée et celles à la sortie : au moins trente bornes. C’est mort pour le bivouac. Il faudra dormir en auberge ce soir.
À la sortie d’Atapuerca, on attaque un petit col à 1 082 m, avalé sans peine sous une pluie fine mais tenace. De l’autre côté, on traverse Cardeñuela Riopico, Quintanilla Riopico, puis Orbaneja Riopico. L’enfer s’accentue : la pluie cesse, mais la route longe l’aéroport. Les voitures, les camions, le vent de face… mes tympans me font souffrir. La civilisation approche. La ville.
Je rigole tout seul. La situation me rappelle Les Visiteurs. Je m’imagine entrer dans Burgos à cheval, brandissant une épée. Quelle époque ! Sauf que là, l’entrée est interminable : dix bornes sur une immense avenue bordée de zones commerciales, de garages et d’entrepôts. On n’a rien mangé depuis le café, mais je ne sens plus rien. Pas faim, pas mal. J’avance, le regard fixe. J’entends juste le claquement de mon bâton : clac, clac, clac. Suis-je en train de devenir fou ? Ada marche derrière, même regard vide. Les passants nous dévisagent comme s’ils voyaient le Christ.
On erre jusqu’à une vieille église plantée au milieu du chaos moderne. Juste en face, un petit rade. Refuge immédiat. Un vrai bar typique : comptoir à tapas, anciens au béret, ballon de rouge à la main. Super ambiance. On commande à manger, et ils nous offrent deux petits caldos de cerdo, bouillons de porc brûlants. On souffle enfin. On observe les gens discuter, rire. Mais mes tympans me lancent, je peux à peine ouvrir la bouche.
Ce soir, miracle : une piaule libre dans une auberge de la vieille ville, juste à côté de la cathédrale. Le quartier grouille de monde, le bruit résonne dans ma tête. Je m’écroule sur le lit, lessivé. Otite carabinée, gorge en feu. Ada part chercher de quoi manger. Rien que d’être coupés du vent, de cette météo pourrie, ça suffit à me soulager.
Nuit cauchemardesque. Les boule Quiès n’y font rien : le vent a rafalé sans relâche, chahutant la toile et nos nerfs. Depuis des jours, il nous poursuit. Et à force de bivouacs, on ne coupe jamais vraiment. Je n’avais jamais vécu ça, mais c’est dur. Très dur mentalement. Ce vent nous presse comme des citrons.
Les mauvaises nuits s’enchaînent, on ne récupère plus. Ce matin, on émerge à 7 h, sans un mot. On plie les paquetages et on s’échappe d’ici. La météo est pourrie : toujours ce foutu vent, et la pluie s’invite. On descend vers Agés, marchant comme des zombies. Je rage dans ma tête. Qu’est-ce qu’on fout là ? À quoi bon ? Zéro plaisir, juste de la souffrance. Mais au fait… ça y est, je crois qu’on y est. Au cœur d’un pèlerinage, non ?
Une auberge ouverte. Double expresso et part de cake à la carotte. On se regarde avec Ada — ici, plus un bruit de vent. Enfin un break. Mais il faut repartir : Burgos nous attend. Je m’en passerai bien ! On a vite calculé la distance entre les zones industrielles à l’entrée et celles à la sortie : au moins trente bornes. C’est mort pour le bivouac. Il faudra dormir en auberge ce soir.
À la sortie d’Atapuerca, on attaque un petit col à 1 082 m, avalé sans peine sous une pluie fine mais tenace. De l’autre côté, on traverse Cardeñuela Riopico, Quintanilla Riopico, puis Orbaneja Riopico. L’enfer s’accentue : la pluie cesse, mais la route longe l’aéroport. Les voitures, les camions, le vent de face… mes tympans me font souffrir. La civilisation approche. La ville.
Je rigole tout seul. La situation me rappelle Les Visiteurs. Je m’imagine entrer dans Burgos à cheval, brandissant une épée. Quelle époque ! Sauf que là, l’entrée est interminable : dix bornes sur une immense avenue bordée de zones commerciales, de garages et d’entrepôts. On n’a rien mangé depuis le café, mais je ne sens plus rien. Pas faim, pas mal. J’avance, le regard fixe. J’entends juste le claquement de mon bâton : clac, clac, clac. Suis-je en train de devenir fou ? Ada marche derrière, même regard vide. Les passants nous dévisagent comme s’ils voyaient le Christ.
On erre jusqu’à une vieille église plantée au milieu du chaos moderne. Juste en face, un petit rade. Refuge immédiat. Un vrai bar typique : comptoir à tapas, anciens au béret, ballon de rouge à la main. Super ambiance. On commande à manger, et ils nous offrent deux petits caldos de cerdo, bouillons de porc brûlants. On souffle enfin. On observe les gens discuter, rire. Mais mes tympans me lancent, je peux à peine ouvrir la bouche.
Ce soir, miracle : une piaule libre dans une auberge de la vieille ville, juste à côté de la cathédrale. Le quartier grouille de monde, le bruit résonne dans ma tête. Je m’écroule sur le lit, lessivé. Otite carabinée, gorge en feu. Ada part chercher de quoi manger. Rien que d’être coupés du vent, de cette météo pourrie, ça suffit à me soulager.

Logroño → Burgos