Un hiver en pèlerinage – Partie 2 : Le Camino Francés
52 jours
878km
+12310m
/ -12435m
Après le froid, la neige et les matins gelés du GR65, place à l’Espagne et à son légendaire Camino Francés.
Le froid s’efface, les jours rallongent, et le chemin prend une autre dimension.
Ce n’est plus seulement une marche, mais une transition, une mue. Une suite logique, et pourtant un tout nouveau départ.
Le froid s’efface, les jours rallongent, et le chemin prend une autre dimension.
Ce n’est plus seulement une marche, mais une transition, une mue. Une suite logique, et pourtant un tout nouveau départ.
Activité :
randonnée/trek
Statut :
réalisé
Distance :
878km
DATE :
09/03/2023
Durée :
52 jours
Dénivelées :
+12310m
/ -12435m
Alti min/max :
3m/1517m
Mise à jour section : hier
87.2km
+1462m
/ -1681m
3m/477m
Cette étape s’impose après le vertige de Santiago et cette sensation de ne pas avoir vraiment terminé. Peut-être que l’océan nous offrira une forme de satisfaction, une fin… ou un nouveau départ. Chaque pas vers Fisterra nous rappelle que marcher reste notre repère, notre manière de vivre.
27 avril – Cap sur le bout du continent
On a tourné le problème dans tous les sens, et on a tranché : on continue.
Pas indéfiniment, non. On va pousser jusqu’au bout du continent, comme on l’appelle : Finisterre. La fin symbolique du Camino, la fin de la terre. Là-bas, on se retrouvera face à l’océan, au kilomètre zéro. Peut-être qu’avec une falaise devant nous, la houle qui se fracasse sur les rochers, on acceptera enfin que c’est la fin, qu’il est temps de rentrer.
On verra bien ce que la destinée nous réserve.
En attendant, ce matin, on est juste heureux de retrouver le chemin. Notre repère.
Nous voilà repartis pour environ 90 bornes, que l’on entame sous un soleil de plomb. On retrouve la balise du Camino à Carballal, à deux kilomètres de la ville. C’est calme : la grosse vague de pèlerins Sarria–Santiago s’est volatilisée, et ce n’est pas plus mal. J’aperçois aussi une balise de l’EuroVelo 3 et quelques cyclistes qui filent.
Le sentier est agréable : on retrouve vite la nature, les ruisseaux, les petites maisons en pierre de Pedrido, Portela, Ventosa, Aguapesada. Ça grimpe, on dégouline de sueur. Puis on tombe sur une source entourée de forêt : parfait pour le bivouac. On a démarré tard, il est déjà 19 h.
On monte le campement et on profite de la source pour laver les vêtements du jour et se doucher. Par cette chaleur, l’hygiène redevient primordiale. Pour la douche, l’idée est simple : on remplit une flasque, à poil au milieu de la forêt, y a plus qu’à appuyer sur la pipette pour régler le débit. Ça évite de gaspiller. Un litre suffit largement pour une personne, savonnage et rinçage compris.
Quel bonheur de retrouver le confort du tipi.
La journée a filé simplement, sans trop se poser de questions. Ça fait du bien, presque comme si on repartait à zéro.
On a tourné le problème dans tous les sens, et on a tranché : on continue.
Pas indéfiniment, non. On va pousser jusqu’au bout du continent, comme on l’appelle : Finisterre. La fin symbolique du Camino, la fin de la terre. Là-bas, on se retrouvera face à l’océan, au kilomètre zéro. Peut-être qu’avec une falaise devant nous, la houle qui se fracasse sur les rochers, on acceptera enfin que c’est la fin, qu’il est temps de rentrer.
On verra bien ce que la destinée nous réserve.
En attendant, ce matin, on est juste heureux de retrouver le chemin. Notre repère.
Nous voilà repartis pour environ 90 bornes, que l’on entame sous un soleil de plomb. On retrouve la balise du Camino à Carballal, à deux kilomètres de la ville. C’est calme : la grosse vague de pèlerins Sarria–Santiago s’est volatilisée, et ce n’est pas plus mal. J’aperçois aussi une balise de l’EuroVelo 3 et quelques cyclistes qui filent.
Le sentier est agréable : on retrouve vite la nature, les ruisseaux, les petites maisons en pierre de Pedrido, Portela, Ventosa, Aguapesada. Ça grimpe, on dégouline de sueur. Puis on tombe sur une source entourée de forêt : parfait pour le bivouac. On a démarré tard, il est déjà 19 h.
On monte le campement et on profite de la source pour laver les vêtements du jour et se doucher. Par cette chaleur, l’hygiène redevient primordiale. Pour la douche, l’idée est simple : on remplit une flasque, à poil au milieu de la forêt, y a plus qu’à appuyer sur la pipette pour régler le débit. Ça évite de gaspiller. Un litre suffit largement pour une personne, savonnage et rinçage compris.
Quel bonheur de retrouver le confort du tipi.
La journée a filé simplement, sans trop se poser de questions. Ça fait du bien, presque comme si on repartait à zéro.
28 avril – Ponte Maceira, cartes postales & Crocodile Dundee
On entend les premiers pèlerins faire le plein d’eau à la source. Nous, on est à peine au café, toujours pas pressés.
On plie en début d’après-midi et, surprise, sur le petit sentier qui mène à la source : du papier toilette bien garni, tout frais de ce matin. Certainement le groupe bruyant qu’on a entendu plus tôt.
Franchement… dégueulasse.
Le pire, c’est qu’il y a une poubelle à deux mètres. Et ce n’est pas ce qui manque ici : on trouve régulièrement des poubelles, et même des conteneurs de recyclage pour trier ses déchets. Bref, encore un bel exemple de “savoir-vivre”. Parfois, aimer son prochain, c’est un vrai challenge.
Il fait bon aujourd’hui, un peu d’air, ça fait du bien. Et surtout : quel calme. Le jour et la nuit avec les derniers jours vers Santiago.
On arrive sur le fabuleux Ponte Maceira, un pont médiéval du XIVᵉ siècle qui enjambe la rivière Tambre, où viennent se casser quelques petites cascades. Le coin est paisible : certains lisent au soleil sur les rochers, d’autres se baignent dans les vasques naturelles. Autour du pont, une petite chapelle, un vieux moulin à eau, et quelques maisons en pierre restaurées avec soin, grandes portes en bois, balcons en fer forgé… Un petit air de maison de maître au bord de la rivière. On a l’impression que le temps s’est arrêté ici. Un décor de carte postale.
On remonte la rue du village et on tombe sur un personnage assez mémorable : le sosie de Robert De Niro dans Casino, version vieux. Énormes lunettes teintées, béret vissé sur le crâne, petite canne, veste d’une autre époque… et, aux pieds, non pas des mocassins mais des pantoufles. Classe, mais à l’aise : “ici, c’est chez moi, je sors en détente”.
Évidemment, un type comme ça ne passe pas inaperçu, et en plus il nous alpague. Il nous tient la jambe un bon moment et nous raconte ses histoires de voyages – surtout en Italie et en Hollande, va savoir pourquoi…
On repart en rigolant : on a l’impression d’avoir croisé un figurant échappé d’un vieux film, téléporté là au bord du Camino.
Plus loin, un petit troquet à l’atmosphère feutrée, parfaitement dans l’ambiance du personnage qu’on vient de quitter. On s’installe en terrasse, je sens qu’on est bien tombés. Le patron vient nous servir un verre de rouge tout en rigolant avec ses collègues : le vin dégouline à moitié sur la table, ils sont tous bien chauds.
Soudain, une vieille Golf 2 débarque et se gare en face dans un grand bruit de pare-chocs. Trois jeunes en sortent, filent direct au bar : visiblement, c’est le QG. Avec nos dégaines, on fait un peu l'attraction, et j’ai même droit à un surnom : Crocodile Dundee. On en rigolait justement hier.
On se marre un bon moment avec nos nouveaux copains, puis on finit par s’extirper de ce traquenard avant que la nuit tombe.
On retrouve le bush, mais sans les crocodiles. Ce soir, Ada nous régale : riz, pois chiches, épinards, tomates fraîches et œufs au plat.
Les plats lyophilisés sont bien loin, maintenant. Toujours mon bon vieux sac plastique et notre épicerie ambulante : manger frais tous les jours, c’est lourd à transporter… mais qu’est-ce que c’est agréable.
On entend les premiers pèlerins faire le plein d’eau à la source. Nous, on est à peine au café, toujours pas pressés.
On plie en début d’après-midi et, surprise, sur le petit sentier qui mène à la source : du papier toilette bien garni, tout frais de ce matin. Certainement le groupe bruyant qu’on a entendu plus tôt.
Franchement… dégueulasse.
Le pire, c’est qu’il y a une poubelle à deux mètres. Et ce n’est pas ce qui manque ici : on trouve régulièrement des poubelles, et même des conteneurs de recyclage pour trier ses déchets. Bref, encore un bel exemple de “savoir-vivre”. Parfois, aimer son prochain, c’est un vrai challenge.
Il fait bon aujourd’hui, un peu d’air, ça fait du bien. Et surtout : quel calme. Le jour et la nuit avec les derniers jours vers Santiago.
On arrive sur le fabuleux Ponte Maceira, un pont médiéval du XIVᵉ siècle qui enjambe la rivière Tambre, où viennent se casser quelques petites cascades. Le coin est paisible : certains lisent au soleil sur les rochers, d’autres se baignent dans les vasques naturelles. Autour du pont, une petite chapelle, un vieux moulin à eau, et quelques maisons en pierre restaurées avec soin, grandes portes en bois, balcons en fer forgé… Un petit air de maison de maître au bord de la rivière. On a l’impression que le temps s’est arrêté ici. Un décor de carte postale.
On remonte la rue du village et on tombe sur un personnage assez mémorable : le sosie de Robert De Niro dans Casino, version vieux. Énormes lunettes teintées, béret vissé sur le crâne, petite canne, veste d’une autre époque… et, aux pieds, non pas des mocassins mais des pantoufles. Classe, mais à l’aise : “ici, c’est chez moi, je sors en détente”.
Évidemment, un type comme ça ne passe pas inaperçu, et en plus il nous alpague. Il nous tient la jambe un bon moment et nous raconte ses histoires de voyages – surtout en Italie et en Hollande, va savoir pourquoi…
On repart en rigolant : on a l’impression d’avoir croisé un figurant échappé d’un vieux film, téléporté là au bord du Camino.
Plus loin, un petit troquet à l’atmosphère feutrée, parfaitement dans l’ambiance du personnage qu’on vient de quitter. On s’installe en terrasse, je sens qu’on est bien tombés. Le patron vient nous servir un verre de rouge tout en rigolant avec ses collègues : le vin dégouline à moitié sur la table, ils sont tous bien chauds.
Soudain, une vieille Golf 2 débarque et se gare en face dans un grand bruit de pare-chocs. Trois jeunes en sortent, filent direct au bar : visiblement, c’est le QG. Avec nos dégaines, on fait un peu l'attraction, et j’ai même droit à un surnom : Crocodile Dundee. On en rigolait justement hier.
On se marre un bon moment avec nos nouveaux copains, puis on finit par s’extirper de ce traquenard avant que la nuit tombe.
On retrouve le bush, mais sans les crocodiles. Ce soir, Ada nous régale : riz, pois chiches, épinards, tomates fraîches et œufs au plat.
Les plats lyophilisés sont bien loin, maintenant. Toujours mon bon vieux sac plastique et notre épicerie ambulante : manger frais tous les jours, c’est lourd à transporter… mais qu’est-ce que c’est agréable.
29 avril — À vol de mouettes
Les forêts de Galice ont vraiment un côté jungle. La nuit, on y entend des sons étranges, des bruissements, des craquements… et surtout : les colocataires.
Nos meilleures amies, les araignées, ne nous quittent plus depuis le départ. À peine le tipi monté, elles débarquent, s’installent et tissent leurs toiles un peu partout. Certaines squattent le haut du mât et se balancent le long de leur fil ; parfois, au petit matin, on en voit une remonter tranquillement récupérer sa proie, une mouche ou un moucheron piégé pendant la nuit.
Mis à part les jaunes et vertes de l’autre soir, qui nous ont clairement mis la pression pour qu’on dégage, la plupart sont plutôt de bonnes colocatrices. Même si, de temps en temps, une piqûre me déclenche une belle enflure.
Mais le corps a cette faculté incroyable : il finit par s’habituer à tout.
Nos vêtements, eux, ne sont plus vraiment adaptés : trop chauds, trop humides… mais on approche de la fin, alors on fait avec. Dès que ça commence à frotter quelque part—principalement entre les fesses—je ne laisse pas traîner : rinçage à l’eau claire et vaseline, que je garde toujours dans ma pharmacie.
Ça m’était déjà arrivé vers Nájera, lors des grosses chaleurs, il y a quelque temps.
Aujourd’hui, le ciel joue au yo-yo : un nuage, une averse, puis le soleil qui revient comme si de rien n’était. On se croirait sous l’équateur.
On ne prend même plus la peine de mettre le poncho : de toute façon, on est mouillés et humides en permanence. Le chemin est à nous, et ce climat contrasté met encore plus en valeur le vert éclatant des feuillages.
On retrouve les champs, les vaches et les brebis qui broutent paisiblement, tandis que les tracteurs s’activent, taillent les herbes hautes et préparent les terrains pour l’été.
Soudain, un son familier résonne. D’abord, je crois à une hallucination… mais non : des mouettes. Une volée entière passe au-dessus de nous.
Elles semblent presque nous souhaiter la bienvenue, comme un signe que le but approche : une cinquantaine de kilomètres à vol… de mouettes.
L’océan arrive. Et dans l’air, je pourrais presque jurer qu’on sent déjà l’iode.
17h30. Toujours pas l’ombre d’un shop pour refaire le plein… Heureusement, une boulangerie nous sauve la mise : quelques bricoles sur une étagère, et hop, on repart avec un chorizo, deux boîtes de thon, du pain, des chips et des bonbons. Avec le riz qu’il nous reste et les dons culinaires d’Ada, on sait déjà qu’on va se régaler.
J’ai presque hâte d’être sous le tipi.
Mais ce soir, trouver un coin pour la nuit vire au parcours du combattant : bosquets touffus, herbes hautes, ronces, dévers… le terrain est merdique. On est obligés de pousser encore.
Ce n’est qu’à 20h30 qu’on finit par tomber sur la bonne config.
Si je peux glisser un conseil à ceux qui nous lisent et qui envisagent de faire le Camino en bivouac : prenez un hamac. Avec un petit tarp et une moustiquaire, ça peut devenir votre meilleur ami. Parce qu’un terrain plat et propre sur le Camino… croyez-moi, c’est loin d’être simple.
Les forêts de Galice ont vraiment un côté jungle. La nuit, on y entend des sons étranges, des bruissements, des craquements… et surtout : les colocataires.
Nos meilleures amies, les araignées, ne nous quittent plus depuis le départ. À peine le tipi monté, elles débarquent, s’installent et tissent leurs toiles un peu partout. Certaines squattent le haut du mât et se balancent le long de leur fil ; parfois, au petit matin, on en voit une remonter tranquillement récupérer sa proie, une mouche ou un moucheron piégé pendant la nuit.
Mis à part les jaunes et vertes de l’autre soir, qui nous ont clairement mis la pression pour qu’on dégage, la plupart sont plutôt de bonnes colocatrices. Même si, de temps en temps, une piqûre me déclenche une belle enflure.
Mais le corps a cette faculté incroyable : il finit par s’habituer à tout.
Nos vêtements, eux, ne sont plus vraiment adaptés : trop chauds, trop humides… mais on approche de la fin, alors on fait avec. Dès que ça commence à frotter quelque part—principalement entre les fesses—je ne laisse pas traîner : rinçage à l’eau claire et vaseline, que je garde toujours dans ma pharmacie.
Ça m’était déjà arrivé vers Nájera, lors des grosses chaleurs, il y a quelque temps.
Aujourd’hui, le ciel joue au yo-yo : un nuage, une averse, puis le soleil qui revient comme si de rien n’était. On se croirait sous l’équateur.
On ne prend même plus la peine de mettre le poncho : de toute façon, on est mouillés et humides en permanence. Le chemin est à nous, et ce climat contrasté met encore plus en valeur le vert éclatant des feuillages.
On retrouve les champs, les vaches et les brebis qui broutent paisiblement, tandis que les tracteurs s’activent, taillent les herbes hautes et préparent les terrains pour l’été.
Soudain, un son familier résonne. D’abord, je crois à une hallucination… mais non : des mouettes. Une volée entière passe au-dessus de nous.
Elles semblent presque nous souhaiter la bienvenue, comme un signe que le but approche : une cinquantaine de kilomètres à vol… de mouettes.
L’océan arrive. Et dans l’air, je pourrais presque jurer qu’on sent déjà l’iode.
17h30. Toujours pas l’ombre d’un shop pour refaire le plein… Heureusement, une boulangerie nous sauve la mise : quelques bricoles sur une étagère, et hop, on repart avec un chorizo, deux boîtes de thon, du pain, des chips et des bonbons. Avec le riz qu’il nous reste et les dons culinaires d’Ada, on sait déjà qu’on va se régaler.
J’ai presque hâte d’être sous le tipi.
Mais ce soir, trouver un coin pour la nuit vire au parcours du combattant : bosquets touffus, herbes hautes, ronces, dévers… le terrain est merdique. On est obligés de pousser encore.
Ce n’est qu’à 20h30 qu’on finit par tomber sur la bonne config.
Si je peux glisser un conseil à ceux qui nous lisent et qui envisagent de faire le Camino en bivouac : prenez un hamac. Avec un petit tarp et une moustiquaire, ça peut devenir votre meilleur ami. Parce qu’un terrain plat et propre sur le Camino… croyez-moi, c’est loin d’être simple.
30 avril — Sous la torture des moustiques
Les moustiques nous ont encore fait la fête. Une vraie invasion. Sans moustiquaire, c’est juste invivable. Le problème, ce n’est même plus les piqûres… c’est ce manège incessant autour des oreilles. Ce bzzzz démoniaque qui te rend fou, même avec des boules Quies. Ils ne nous lâchent pas. C’est terrible.
Heureusement, nos amies les araignées entrent en scène. Beaucoup de moustiques finissent pris au piège dans leurs toiles. Ceux-là, c’est sûr, ils ne sont pas venus nous embêter longtemps.
On grappille quelques heures de sommeil ce matin et on émerge péniblement vers 10h, dans une brume tenace. En fin de matinée, on se remet en route : le ciel se dégage, laissant place à un soleil éclatant et un bleu azur limpide. Ce moment de paix va rapidement virer au cauchemar : c’est dimanche, et une course de VTT a lieu. Une partie de l’épreuve passe par le Camino. Il y a un monde fou, c’est l’autoroute des dossards. Beaucoup de randonneurs sont là pour encourager les participants.
Ça grimpe sec. Les premiers passent sans problème, mais le reste du peloton est obligé de pousser. On leur crie des « ¡Vamos, vamos ! » qui semblent les booster un peu. Pour ma part, je ne dirais pas non à un vélo là… Sacoches le long du cadre, pédales à fond, et c’est parti.
On s’éloigne peu à peu et retrouvons la paix. Puis, au coin d’un virage, on s’arrête, sans un mot. Au loin, l’océan se dessine. La fin est proche. Les mouettes l’avaient prédit : nous touchons presque au but. Un drôle de sentiment nous envahit, nous rappelant que bientôt nous serons face aux falaises… et qu’une fois là-bas, il faudra à nouveau affronter le vertige de la fin.
Le paysage change doucement : nous quittons les champs pour retrouver le maquis, des forêts de pins, et l’air iodé de la côte se fait sentir. Ça me rappelle la Méditerranée, où j’ai grandi. Un joli ruisseau traverse le chemin et s’enfonce dans une pinède. Ce serait dommage de rater un créneau comme ça. On devrait trouver un coin sympa pour ce soir. Je pars en éclaireur et sillonne la forêt. Bingo : un emplacement parfait, avec une petite vasque naturelle qui part en cascade et fera office de jacuzzi.
Un peu de lessive, un bain froid… quel bien-être ! Là, c’est vraiment le coin VIP : les oiseaux sifflotent, un dernier rayon de soleil traverse la forêt, et la douce mélodie du ruisseau nous berce. Je ne veux plus que ce chemin s’arrête… Bon, j’imagine que les moustiques mettront fin à la fête d’ici peu, mais profitons de l’instant.
Le dîner rend hommage à l’océan : Ada nous prépare du riz et des moules à l’escabèche — mejillones en espagnol. En dessert, banane et crème de cacao. Demain, ce sera le 1er mai, et nous devrions atteindre Fisterra, le km 0.
Avant de dormir, on se refait une fois de plus tout le film de notre aventure. Quelle aventure incroyable… comment ne pas devenir addict à la marche ?
Les moustiques nous ont encore fait la fête. Une vraie invasion. Sans moustiquaire, c’est juste invivable. Le problème, ce n’est même plus les piqûres… c’est ce manège incessant autour des oreilles. Ce bzzzz démoniaque qui te rend fou, même avec des boules Quies. Ils ne nous lâchent pas. C’est terrible.
Heureusement, nos amies les araignées entrent en scène. Beaucoup de moustiques finissent pris au piège dans leurs toiles. Ceux-là, c’est sûr, ils ne sont pas venus nous embêter longtemps.
On grappille quelques heures de sommeil ce matin et on émerge péniblement vers 10h, dans une brume tenace. En fin de matinée, on se remet en route : le ciel se dégage, laissant place à un soleil éclatant et un bleu azur limpide. Ce moment de paix va rapidement virer au cauchemar : c’est dimanche, et une course de VTT a lieu. Une partie de l’épreuve passe par le Camino. Il y a un monde fou, c’est l’autoroute des dossards. Beaucoup de randonneurs sont là pour encourager les participants.
Ça grimpe sec. Les premiers passent sans problème, mais le reste du peloton est obligé de pousser. On leur crie des « ¡Vamos, vamos ! » qui semblent les booster un peu. Pour ma part, je ne dirais pas non à un vélo là… Sacoches le long du cadre, pédales à fond, et c’est parti.
On s’éloigne peu à peu et retrouvons la paix. Puis, au coin d’un virage, on s’arrête, sans un mot. Au loin, l’océan se dessine. La fin est proche. Les mouettes l’avaient prédit : nous touchons presque au but. Un drôle de sentiment nous envahit, nous rappelant que bientôt nous serons face aux falaises… et qu’une fois là-bas, il faudra à nouveau affronter le vertige de la fin.
Le paysage change doucement : nous quittons les champs pour retrouver le maquis, des forêts de pins, et l’air iodé de la côte se fait sentir. Ça me rappelle la Méditerranée, où j’ai grandi. Un joli ruisseau traverse le chemin et s’enfonce dans une pinède. Ce serait dommage de rater un créneau comme ça. On devrait trouver un coin sympa pour ce soir. Je pars en éclaireur et sillonne la forêt. Bingo : un emplacement parfait, avec une petite vasque naturelle qui part en cascade et fera office de jacuzzi.
Un peu de lessive, un bain froid… quel bien-être ! Là, c’est vraiment le coin VIP : les oiseaux sifflotent, un dernier rayon de soleil traverse la forêt, et la douce mélodie du ruisseau nous berce. Je ne veux plus que ce chemin s’arrête… Bon, j’imagine que les moustiques mettront fin à la fête d’ici peu, mais profitons de l’instant.
Le dîner rend hommage à l’océan : Ada nous prépare du riz et des moules à l’escabèche — mejillones en espagnol. En dessert, banane et crème de cacao. Demain, ce sera le 1er mai, et nous devrions atteindre Fisterra, le km 0.
Avant de dormir, on se refait une fois de plus tout le film de notre aventure. Quelle aventure incroyable… comment ne pas devenir addict à la marche ?
1 er mai — Cap sur l’Atlantique
Départ à jeun ce matin, comme souvent. J’ai remarqué que je suis généralement en meilleure forme qu’après un petit déjeuner, surtout avec les portions qu’Ada prépare le soir : on a des réserves à revendre. On n’a pas fait gaffe, mais aujourd’hui, c’est le 1er mai, et j’imagine que la plupart des shops seront fermés. De quoi prolonger le jeûne un moment… enfin, j’espère qu’une petite boulangerie nous sauvera la mise.
Un petit camion apparaît au coin d’un virage. Un food truck providentiel ? Pas vraiment… mais c’est déjà un beau cadeau. On entend la douce mélodie d’un moulin, et l’air se remplit de l’arôme puissant du café. Un couple de Hongrois, vivant dans leur van depuis deux ans, s’est installé dans la région pour le plus grand plaisir des pèlerins. Ils proposent de très bons cafés, façon donativo : chacun met ce qu’il veut, ou ce qu’il peut, dans une petite tirelire.
Toujours ces montagnes russes… Le chemin est casse‑pattes et va nous donner du fil à retordre jusqu’au bout. Heureusement, on marche léger aujourd’hui : rien à becter, juste un peu de café et un reste de sucre en poudre.
Un nouveau panorama s’offre à nous. Cette fois, l’océan est tout proche. En contrebas, la ville de Cee, et tout au bout, un phare — certainement celui de Fisterra, le km zéro. Ça y est, on l’a en ligne de mire, mais ce n’est pas encore pour tout de suite.
On attaque une descente très raide vers la ville. Roche calcaire blanche, maquis, pins… on se croirait dans les calanques de Marseille. C’est superbe.
Notre entrée dans la ville est mémorable : les premiers coups de canon résonnent, les mouettes s’agitent dans le ciel, les mâts claquent au vent, et l’odeur prononcée de l’iode envahit l’air. L’Atlantique est là, face à nous.
L’ambiance est joyeuse, tout le monde semble réuni pour l’occasion. D’immenses fresques de fleurs ornent le sol des petites placettes.
Par chance, une boulangerie est ouverte : on ne se fait pas prier. Mince, ils se sont déjà fait dévaliser, plus de pain, mais il reste des pâtisseries. Deux parts de Tarte de Santiago pour le repas, aux amandes bien sûr, puis j’y retourne pour le dessert : cette fois, tarte aux pommes. Et par sécurité, j'y retourne une troisième fois, pour en garder sous le coude pour ce soir, si nous ne trouvons rien à manger — les « heures sombres », comme dit Ada.
Mais je crois qu’elle a compris notre détresse : elle me dépanne de six œufs, qui complètent parfaitement notre panier.
Nous voilà repartis. On traverse la ville, et juste à la sortie, à l’entrée d’une habitation, un mini donativo : sur une petite étagère, il reste quelques pommes, qui viendront compléter notre panier.
On a repéré un camping sur la carte, à Estorde. Pourquoi ne pas y faire escale ce soir et réserver les dix derniers kilomètres pour les savourer demain ?
Et justement, on arrive sur Praia d’Estorde : un décor de carte postale. Plage de sable blanc, mer d’huile, quelques vieilles barques de pêche abandonnées sur le bord de l’eau. Cerise sur le gâteau : un petit chiringuito (bar de plage), planqué sous les pins, nous tend les bras. Quelques pirates sont en terrasse, l’odeur de sardines grillées flotte dans l’air. On se regarde… c’est sûr, celui-là nous est destiné.
Le patron est à l’apéro, entouré de sa famille et de quelques amis. Quand on entre, tout le monde s’interrompt : un vrai moment de silence, tous les regards braqués sur nous. L’ambiance est presque solennelle… jusqu’à ce que je la brise d’un grand :
« ¡Buenas tardes, señores y señoras ! »
Un sourire traverse la terrasse, les épaules se détendent, et je commande un pichet de vin rouge. L’atmosphère se réchauffe aussitôt.
On se régale d’une énorme assiette de sardines grillées : fondantes et croustillantes. Moi qui comptais seulement sur notre boîte d’œufs et nos parts de tarte aux pommes, on est ravis de cette trouvaille providentielle.
Après ce petit vin de pays et ces sardines magnifiques, on se dit qu’il est temps de filer au camping… sauf qu’il est fermé. L’idée de dormir là s’envole.
Même pas peur.
On reprend la route, joyeux, sans vraiment se soucier de l’heure ni des kilomètres restants. On avance comme des zombies, hypnotisés, le jour qui tombe doucement.
9 km… 8… 7… 6… On se rapproche.
Exténués, mais irrésistiblement attirés par notre but, je trace droit devant, tête dans le guidon. Ada suit derrière moi, muette, pas vraiment enthousiaste, mais toujours présente.
Et puis, soudain, l'océan.
On débouche sur l’immense plage de Langosteira, baignée par un soleil couchant. C’est magnifique. La plage marque l’entrée de Fisterra, que l’on aperçoit désormais clairement.
Ça y est : l’étape finale est là, juste devant nous.
Encore quelques instants et notre élan sera arrêté par les falaises…
La plupart des pèlerins sont déjà installés en terrasse, tout propres, douchés, claquettes aux pieds, un verre à la main.
Nous, on débarque seulement maintenant. Il est 21 h. On avance comme deux loques : lessivés, ruisselants, poussiéreux, avec mon sac plastique en lambeaux qui pend au bout de mes doigts.
Les gens nous regardent passer. On doit avoir une sacrée dégaine.
On ne sait pas vraiment ce qui va se passer, ni où on va finir ce soir… mais on continue d’avancer, happés par ces derniers kilomètres.
La fin est interminable. Il faut ressortir de la ville et longer la côte pour atteindre le phare. La nuit est tombée et les gens reviennent déjà, lampe frontale ou téléphone à la main. Eux, mieux organisés, ont profité du coucher de soleil depuis le bout du monde.
Nous, on l’a raté de peu… mais qu’importe. Arriver tard va nous offrir quelque chose d’encore plus précieux : un moment intime avec le lieu. Et ça, ça n’a pas de prix.
Le phare apparaît enfin, puis l’ultime borne, le km 0, et un peu plus loin, la croix.
Il est 22 h quand nous touchons au but.
On s’arrête là, devant la croix couverte d’offrandes. Le vent souffle fort, les vagues s’écrasent contre les falaises en contrebas.
On se regarde… et on pousse un long souffle, un vrai. Celui qui vide tout.
Ça y est.
On y est.
Le cœur bat la chamade.
On a avalé ces derniers kilomètres à une vitesse folle, portés par l’adrénaline. Maintenant qu’on est arrivés, il faut s’asseoir, souffler, comprendre ce qui est en train de se passer.
On avance un peu, jusque sur les rochers.
Les derniers penseurs quittent le lieu en silence.
Petit à petit, le monde disparaît autour de nous.
Nous sommes seuls.
Face à l’océan.
On reste longtemps là, assis dans les rochers, sans parler.
Puis mes esprits reviennent doucement. Je sens d’un coup toute la fatigue tomber sur mes épaules : j’ai brûlé mes dernières cartouches dans ces ultimes kilomètres. Ada n’en peut plus non plus, les yeux fermés, immobile.
Je pense à ces alpinistes qui donnent tout pour atteindre le sommet… et n’ont plus rien pour redescendre.
On a fait pareil. Sauf qu’eux payent le prix de leur vie.
Il faut dormir.
On tombe littéralement de fatigue. Le vent nous glace. C’est impossible de rester ici : trop exposé. Pas d’abri. Il faut repartir.
Reprendre ce sac, remettre un pied devant l’autre, chercher un endroit pour camper.
Et honnêtement… à cet instant, l’idée seule me donne envie de me jeter dans le vide.
Avant de partir, dans un geste symbolique, je laisse tomber mon bâton de marche dans le vide. Il disparaît entre les falaises, avalé par les vagues.
Je sais que vous vous attendez peut-être à un grand monologue de fin de Camino.
Trois mois et demi de marche, la vie dehors, les galères, les rencontres, les miracles du quotidien…
Tout ça pour quoi ? Pour finir à errer dans la nuit, à chercher encore un coin plat pour monter le tipi ?
Oui.
Parce que la vérité, c’est que sur le moment : on ne pense à rien.
On est vidés.
On ne réalise rien.
On ne sait même plus quoi faire, à part obéir à nos instincts les plus primaires :
s’abriter, manger, dormir.
Le reste — le sens, l’émotion, le recul — viendra plus tard.
Quand le corps aura enfin cessé de crier.
Départ à jeun ce matin, comme souvent. J’ai remarqué que je suis généralement en meilleure forme qu’après un petit déjeuner, surtout avec les portions qu’Ada prépare le soir : on a des réserves à revendre. On n’a pas fait gaffe, mais aujourd’hui, c’est le 1er mai, et j’imagine que la plupart des shops seront fermés. De quoi prolonger le jeûne un moment… enfin, j’espère qu’une petite boulangerie nous sauvera la mise.
Un petit camion apparaît au coin d’un virage. Un food truck providentiel ? Pas vraiment… mais c’est déjà un beau cadeau. On entend la douce mélodie d’un moulin, et l’air se remplit de l’arôme puissant du café. Un couple de Hongrois, vivant dans leur van depuis deux ans, s’est installé dans la région pour le plus grand plaisir des pèlerins. Ils proposent de très bons cafés, façon donativo : chacun met ce qu’il veut, ou ce qu’il peut, dans une petite tirelire.
Toujours ces montagnes russes… Le chemin est casse‑pattes et va nous donner du fil à retordre jusqu’au bout. Heureusement, on marche léger aujourd’hui : rien à becter, juste un peu de café et un reste de sucre en poudre.
Un nouveau panorama s’offre à nous. Cette fois, l’océan est tout proche. En contrebas, la ville de Cee, et tout au bout, un phare — certainement celui de Fisterra, le km zéro. Ça y est, on l’a en ligne de mire, mais ce n’est pas encore pour tout de suite.
On attaque une descente très raide vers la ville. Roche calcaire blanche, maquis, pins… on se croirait dans les calanques de Marseille. C’est superbe.
Notre entrée dans la ville est mémorable : les premiers coups de canon résonnent, les mouettes s’agitent dans le ciel, les mâts claquent au vent, et l’odeur prononcée de l’iode envahit l’air. L’Atlantique est là, face à nous.
L’ambiance est joyeuse, tout le monde semble réuni pour l’occasion. D’immenses fresques de fleurs ornent le sol des petites placettes.
Par chance, une boulangerie est ouverte : on ne se fait pas prier. Mince, ils se sont déjà fait dévaliser, plus de pain, mais il reste des pâtisseries. Deux parts de Tarte de Santiago pour le repas, aux amandes bien sûr, puis j’y retourne pour le dessert : cette fois, tarte aux pommes. Et par sécurité, j'y retourne une troisième fois, pour en garder sous le coude pour ce soir, si nous ne trouvons rien à manger — les « heures sombres », comme dit Ada.
Mais je crois qu’elle a compris notre détresse : elle me dépanne de six œufs, qui complètent parfaitement notre panier.
Nous voilà repartis. On traverse la ville, et juste à la sortie, à l’entrée d’une habitation, un mini donativo : sur une petite étagère, il reste quelques pommes, qui viendront compléter notre panier.
On a repéré un camping sur la carte, à Estorde. Pourquoi ne pas y faire escale ce soir et réserver les dix derniers kilomètres pour les savourer demain ?
Et justement, on arrive sur Praia d’Estorde : un décor de carte postale. Plage de sable blanc, mer d’huile, quelques vieilles barques de pêche abandonnées sur le bord de l’eau. Cerise sur le gâteau : un petit chiringuito (bar de plage), planqué sous les pins, nous tend les bras. Quelques pirates sont en terrasse, l’odeur de sardines grillées flotte dans l’air. On se regarde… c’est sûr, celui-là nous est destiné.
Le patron est à l’apéro, entouré de sa famille et de quelques amis. Quand on entre, tout le monde s’interrompt : un vrai moment de silence, tous les regards braqués sur nous. L’ambiance est presque solennelle… jusqu’à ce que je la brise d’un grand :
« ¡Buenas tardes, señores y señoras ! »
Un sourire traverse la terrasse, les épaules se détendent, et je commande un pichet de vin rouge. L’atmosphère se réchauffe aussitôt.
On se régale d’une énorme assiette de sardines grillées : fondantes et croustillantes. Moi qui comptais seulement sur notre boîte d’œufs et nos parts de tarte aux pommes, on est ravis de cette trouvaille providentielle.
Après ce petit vin de pays et ces sardines magnifiques, on se dit qu’il est temps de filer au camping… sauf qu’il est fermé. L’idée de dormir là s’envole.
Même pas peur.
On reprend la route, joyeux, sans vraiment se soucier de l’heure ni des kilomètres restants. On avance comme des zombies, hypnotisés, le jour qui tombe doucement.
9 km… 8… 7… 6… On se rapproche.
Exténués, mais irrésistiblement attirés par notre but, je trace droit devant, tête dans le guidon. Ada suit derrière moi, muette, pas vraiment enthousiaste, mais toujours présente.
Et puis, soudain, l'océan.
On débouche sur l’immense plage de Langosteira, baignée par un soleil couchant. C’est magnifique. La plage marque l’entrée de Fisterra, que l’on aperçoit désormais clairement.
Ça y est : l’étape finale est là, juste devant nous.
Encore quelques instants et notre élan sera arrêté par les falaises…
La plupart des pèlerins sont déjà installés en terrasse, tout propres, douchés, claquettes aux pieds, un verre à la main.
Nous, on débarque seulement maintenant. Il est 21 h. On avance comme deux loques : lessivés, ruisselants, poussiéreux, avec mon sac plastique en lambeaux qui pend au bout de mes doigts.
Les gens nous regardent passer. On doit avoir une sacrée dégaine.
On ne sait pas vraiment ce qui va se passer, ni où on va finir ce soir… mais on continue d’avancer, happés par ces derniers kilomètres.
La fin est interminable. Il faut ressortir de la ville et longer la côte pour atteindre le phare. La nuit est tombée et les gens reviennent déjà, lampe frontale ou téléphone à la main. Eux, mieux organisés, ont profité du coucher de soleil depuis le bout du monde.
Nous, on l’a raté de peu… mais qu’importe. Arriver tard va nous offrir quelque chose d’encore plus précieux : un moment intime avec le lieu. Et ça, ça n’a pas de prix.
Le phare apparaît enfin, puis l’ultime borne, le km 0, et un peu plus loin, la croix.
Il est 22 h quand nous touchons au but.
On s’arrête là, devant la croix couverte d’offrandes. Le vent souffle fort, les vagues s’écrasent contre les falaises en contrebas.
On se regarde… et on pousse un long souffle, un vrai. Celui qui vide tout.
Ça y est.
On y est.
Le cœur bat la chamade.
On a avalé ces derniers kilomètres à une vitesse folle, portés par l’adrénaline. Maintenant qu’on est arrivés, il faut s’asseoir, souffler, comprendre ce qui est en train de se passer.
On avance un peu, jusque sur les rochers.
Les derniers penseurs quittent le lieu en silence.
Petit à petit, le monde disparaît autour de nous.
Nous sommes seuls.
Face à l’océan.
On reste longtemps là, assis dans les rochers, sans parler.
Puis mes esprits reviennent doucement. Je sens d’un coup toute la fatigue tomber sur mes épaules : j’ai brûlé mes dernières cartouches dans ces ultimes kilomètres. Ada n’en peut plus non plus, les yeux fermés, immobile.
Je pense à ces alpinistes qui donnent tout pour atteindre le sommet… et n’ont plus rien pour redescendre.
On a fait pareil. Sauf qu’eux payent le prix de leur vie.
Il faut dormir.
On tombe littéralement de fatigue. Le vent nous glace. C’est impossible de rester ici : trop exposé. Pas d’abri. Il faut repartir.
Reprendre ce sac, remettre un pied devant l’autre, chercher un endroit pour camper.
Et honnêtement… à cet instant, l’idée seule me donne envie de me jeter dans le vide.
Avant de partir, dans un geste symbolique, je laisse tomber mon bâton de marche dans le vide. Il disparaît entre les falaises, avalé par les vagues.
Je sais que vous vous attendez peut-être à un grand monologue de fin de Camino.
Trois mois et demi de marche, la vie dehors, les galères, les rencontres, les miracles du quotidien…
Tout ça pour quoi ? Pour finir à errer dans la nuit, à chercher encore un coin plat pour monter le tipi ?
Oui.
Parce que la vérité, c’est que sur le moment : on ne pense à rien.
On est vidés.
On ne réalise rien.
On ne sait même plus quoi faire, à part obéir à nos instincts les plus primaires :
s’abriter, manger, dormir.
Le reste — le sens, l’émotion, le recul — viendra plus tard.
Quand le corps aura enfin cessé de crier.

Santiago → Fisterra