Un hiver en pèlerinage – Partie 2 : Le Camino Francés
52 jours
878km
+12310m
/ -12435m
Après le froid, la neige et les matins gelés du GR65, place à l’Espagne et à son légendaire Camino Francés.
Le froid s’efface, les jours rallongent, et le chemin prend une autre dimension.
Ce n’est plus seulement une marche, mais une transition, une mue. Une suite logique, et pourtant un tout nouveau départ.
Le froid s’efface, les jours rallongent, et le chemin prend une autre dimension.
Ce n’est plus seulement une marche, mais une transition, une mue. Une suite logique, et pourtant un tout nouveau départ.
Activité :
randonnée/trek
Statut :
réalisé
Distance :
878km
DATE :
09/03/2023
Durée :
52 jours
Dénivelées :
+12310m
/ -12435m
Alti min/max :
3m/1517m
Mise à jour section : il y a 2 jours
54.3km
+1351m
/ -1219m
313m/1061m
Changement de décor, changement d’ambiance.
En Espagne, fini la solitude : place aux pèlerins en série, au vent, aux villes, aux doutes.
Pampelune nous met une claque. On découvre une autre facette du pèlerinage.
L’euphorie du départ laisse place à la confrontation avec le réel.
Mais c’est peut-être là que le vrai pèlerinage commence.
En Espagne, fini la solitude : place aux pèlerins en série, au vent, aux villes, aux doutes.
Pampelune nous met une claque. On découvre une autre facette du pèlerinage.
L’euphorie du départ laisse place à la confrontation avec le réel.
Mais c’est peut-être là que le vrai pèlerinage commence.
12 Mars – Premiers pas sur le Camino Francés
Les chauves-souris nous ont épargnés cette nuit. J’ouvre la porte et découvre un ciel toujours aussi menaçant. Le soleil commence sérieusement à manquer. Le seul truc qui nous motive aujourd’hui, c’est qu’on va enfin franchir la frontière, en passant le col d’Ibañeta, à un peu plus de 1000 mètres d’altitude. De l’autre côté, c’est l’Espagne. Ce sera aussi notre premier jour sur le Camino Francés.
On plie rapidement bagage, et on profite de cet abri pour abandonner nos plaids. Les températures sont plus douces, autant s’alléger. Et puis, si un pèlerin passe par là, il trouvera de quoi se couvrir… et quelques bougies neuves pour l’ambiance.
Quelques kilomètres sur la route, puis on bifurque sur un sentier qui s’enfonce enfin en forêt. Un vrai chemin de rando. Petit à petit, on grimpe. La pente se raidit, mais on marche bien. Peut-être que l’idée d’entrer en Espagne nous booste. On remonte même deux groupes de randonneurs à la traîne.
Enfin, on aperçoit le col, et la petite chapelle de Puerto de Ibañeta, qui s'avère fermée. Un panneau indique 1057 m. Ça y est, nous sommes en Espagne. La température est parfaite, pas de vent, et la vue sur la vallée est splendide. On dévale la descente presque en trottinant. Le sentier est superbe, bordé de petits ruisseaux.
On arrive à Roncevaux – ou Roncesvalles, en espagnol. Un lieu surtout connu pour la bataille de Roncevaux en 778, où l’arrière-garde de Charlemagne, menée par Roland, s’est fait piéger par les Vascons. Un vrai carnage. On fait un saut à l’église Santiago, une église gothique du XIVe siècle. Un moment de silence, puis… c’est officiel : on démarre le Camino Francés.
Photo souvenir devant le panneau “Santiago de Compostela – 790 km”. Voilà, c’est reparti pour l’équivalent de ce qu’on vient de faire sur le GR65. De quoi filer le vertige. Mais cette fois, l’hiver est derrière nous. Et bizarrement, on se sent plus motivés que jamais.
Seul problème : on a les crocs. Rien d’ouvert à Roncevaux. Un fond de muesli avalé en marchant ce matin, ça ne suffit pas. Par chance, dans le hameau suivant, on tombe sur un distributeur automatique… qu’on dévalise sous un rayon de soleil.
Rassasiés de cochonneries, on repart en quête d’un coin pour bivouaquer. La forêt est magnifique : noisetiers, pins, hêtres… On s’éloigne du Camino, on longe un petit ruisseau, et on tombe sur l’endroit parfait : un coin tranquille, à une centaine de mètres du sentier, avec de l’eau… et des traces de sangliers.
Les chauves-souris nous ont épargnés cette nuit. J’ouvre la porte et découvre un ciel toujours aussi menaçant. Le soleil commence sérieusement à manquer. Le seul truc qui nous motive aujourd’hui, c’est qu’on va enfin franchir la frontière, en passant le col d’Ibañeta, à un peu plus de 1000 mètres d’altitude. De l’autre côté, c’est l’Espagne. Ce sera aussi notre premier jour sur le Camino Francés.
On plie rapidement bagage, et on profite de cet abri pour abandonner nos plaids. Les températures sont plus douces, autant s’alléger. Et puis, si un pèlerin passe par là, il trouvera de quoi se couvrir… et quelques bougies neuves pour l’ambiance.
Quelques kilomètres sur la route, puis on bifurque sur un sentier qui s’enfonce enfin en forêt. Un vrai chemin de rando. Petit à petit, on grimpe. La pente se raidit, mais on marche bien. Peut-être que l’idée d’entrer en Espagne nous booste. On remonte même deux groupes de randonneurs à la traîne.
Enfin, on aperçoit le col, et la petite chapelle de Puerto de Ibañeta, qui s'avère fermée. Un panneau indique 1057 m. Ça y est, nous sommes en Espagne. La température est parfaite, pas de vent, et la vue sur la vallée est splendide. On dévale la descente presque en trottinant. Le sentier est superbe, bordé de petits ruisseaux.
On arrive à Roncevaux – ou Roncesvalles, en espagnol. Un lieu surtout connu pour la bataille de Roncevaux en 778, où l’arrière-garde de Charlemagne, menée par Roland, s’est fait piéger par les Vascons. Un vrai carnage. On fait un saut à l’église Santiago, une église gothique du XIVe siècle. Un moment de silence, puis… c’est officiel : on démarre le Camino Francés.
Photo souvenir devant le panneau “Santiago de Compostela – 790 km”. Voilà, c’est reparti pour l’équivalent de ce qu’on vient de faire sur le GR65. De quoi filer le vertige. Mais cette fois, l’hiver est derrière nous. Et bizarrement, on se sent plus motivés que jamais.
Seul problème : on a les crocs. Rien d’ouvert à Roncevaux. Un fond de muesli avalé en marchant ce matin, ça ne suffit pas. Par chance, dans le hameau suivant, on tombe sur un distributeur automatique… qu’on dévalise sous un rayon de soleil.
Rassasiés de cochonneries, on repart en quête d’un coin pour bivouaquer. La forêt est magnifique : noisetiers, pins, hêtres… On s’éloigne du Camino, on longe un petit ruisseau, et on tombe sur l’endroit parfait : un coin tranquille, à une centaine de mètres du sentier, avec de l’eau… et des traces de sangliers.
13 Mars – Pèlerins en série et moral en berne
Le vent s’engouffre sous le tarp et nous réveille ce matin. Il gonfle le tipi comme une voile prête à prendre le large. Heureusement qu’il est bien fixé, cette fois ! Il fait 9 degrés sous la toile et, on a dormi comme des bébés.
La cerise sur le gâteau, c’est qu’on a une météo fabuleuse, malgré le vent qui continue de souffler. On démarre l’étape de bonne humeur, heureux de poser nos premiers pas en Espagne, impatients de découvrir ce que nous réserve le Camino Francés.
Le premier changement notable, c’est qu’on croise rapidement nos premiers pèlerins, tout neufs, fraîchement partis de Saint-Jean-Pied-de-Port.
Dans le premier village, on trouve une terrasse sympa et commandons deux bocadillos pour le petit-déjeuner : des sandwichs au chorizo. La tenancière n’a pas l’air de très bonne humeur, malgré mes efforts pour lui parler en espagnol. Je jette un œil au sandwich rapidement : pain sec avec trois tranches de chorizo industriel qui se battent en duel. Bon, à 4,50 €, ça fait cher le sandwich, non ? Mais bon, on a faim, alors on les avale vite et on reprend la route.
Une petite supérette est ouverte à la sortie du village. Il est grand temps de se ravitailler et de voir ce que proposent les petites boutiques espagnoles. Il y a peu de choix, et les prix semblent similaires à ceux de chez nous. Ah tiens, c’est marrant, je trouve des paquets de chorizo à 1 € qui ressemblent étrangement à ceux de nos sandwichs… Simple constat.
On arpente une jolie forêt de pins, nos préférés. Puis, on se relaye avec quelques groupes de pèlerins, se doublant au rythme des pauses de chacun. La plupart restent silencieux, tout le monde semble dans sa bulle, et je respecte ça. Nous, on a plutôt envie de papoter après deux mois de solitude. En faisant le point, sur 800 km du GR65, on a rencontré... six pèlerins ! En deux jours ici, on en a déjà croisé des dizaines, mais sans échanges vraiment intéressants. C’est peut-être un jugement hâtif, mais on constate que tout a changé sur ce Camino. Tout semble très structuré, aseptisé, cadré…
Et puis, il y a tous ces panneaux : ici c’est "toilettes interdites", là-bas "feu de camp interdit"… Et ces papiers toilettes et lingettes jetés sur les bords de sentiers. Les gens sont dégeulasses. Cela laisse entrevoir un Camino beaucoup plus fréquenté que le GR65.
Le vent redouble en milieu d’après-midi et, à l’approche d’un village, c’est le drame. Un bruit sourd nous fait sursauter : un arbre vient de s’abattre à une centaine de mètres de nous, arraché un coin de la toiture d’une maison. Heureusement, ils ont évité le pire. Il va falloir faire attention où on plante le tipi ce soir.
C’est à l’entrée d’une forêt qu’on trouve un coin correct, abrité du vent. Plus bas, dans la vallée, de gros nuages noirs grondent et des éclairs déchirent le ciel. Le temps change, la pression monte. Ça pète fort, et le souffle de la tempête arrive jusqu’à nous… Pourvu que la nuit se passe bien.
Ada nous prépare de la bonite ce soir, trouvée en bocal ce matin. Elle la prépare avec du riz, un vrai délice. Puis un petit gâteau local pour le dessert.
Le vent s’engouffre sous le tarp et nous réveille ce matin. Il gonfle le tipi comme une voile prête à prendre le large. Heureusement qu’il est bien fixé, cette fois ! Il fait 9 degrés sous la toile et, on a dormi comme des bébés.
La cerise sur le gâteau, c’est qu’on a une météo fabuleuse, malgré le vent qui continue de souffler. On démarre l’étape de bonne humeur, heureux de poser nos premiers pas en Espagne, impatients de découvrir ce que nous réserve le Camino Francés.
Le premier changement notable, c’est qu’on croise rapidement nos premiers pèlerins, tout neufs, fraîchement partis de Saint-Jean-Pied-de-Port.
Dans le premier village, on trouve une terrasse sympa et commandons deux bocadillos pour le petit-déjeuner : des sandwichs au chorizo. La tenancière n’a pas l’air de très bonne humeur, malgré mes efforts pour lui parler en espagnol. Je jette un œil au sandwich rapidement : pain sec avec trois tranches de chorizo industriel qui se battent en duel. Bon, à 4,50 €, ça fait cher le sandwich, non ? Mais bon, on a faim, alors on les avale vite et on reprend la route.
Une petite supérette est ouverte à la sortie du village. Il est grand temps de se ravitailler et de voir ce que proposent les petites boutiques espagnoles. Il y a peu de choix, et les prix semblent similaires à ceux de chez nous. Ah tiens, c’est marrant, je trouve des paquets de chorizo à 1 € qui ressemblent étrangement à ceux de nos sandwichs… Simple constat.
On arpente une jolie forêt de pins, nos préférés. Puis, on se relaye avec quelques groupes de pèlerins, se doublant au rythme des pauses de chacun. La plupart restent silencieux, tout le monde semble dans sa bulle, et je respecte ça. Nous, on a plutôt envie de papoter après deux mois de solitude. En faisant le point, sur 800 km du GR65, on a rencontré... six pèlerins ! En deux jours ici, on en a déjà croisé des dizaines, mais sans échanges vraiment intéressants. C’est peut-être un jugement hâtif, mais on constate que tout a changé sur ce Camino. Tout semble très structuré, aseptisé, cadré…
Et puis, il y a tous ces panneaux : ici c’est "toilettes interdites", là-bas "feu de camp interdit"… Et ces papiers toilettes et lingettes jetés sur les bords de sentiers. Les gens sont dégeulasses. Cela laisse entrevoir un Camino beaucoup plus fréquenté que le GR65.
Le vent redouble en milieu d’après-midi et, à l’approche d’un village, c’est le drame. Un bruit sourd nous fait sursauter : un arbre vient de s’abattre à une centaine de mètres de nous, arraché un coin de la toiture d’une maison. Heureusement, ils ont évité le pire. Il va falloir faire attention où on plante le tipi ce soir.
C’est à l’entrée d’une forêt qu’on trouve un coin correct, abrité du vent. Plus bas, dans la vallée, de gros nuages noirs grondent et des éclairs déchirent le ciel. Le temps change, la pression monte. Ça pète fort, et le souffle de la tempête arrive jusqu’à nous… Pourvu que la nuit se passe bien.
Ada nous prépare de la bonite ce soir, trouvée en bocal ce matin. Elle la prépare avec du riz, un vrai délice. Puis un petit gâteau local pour le dessert.
14 Mars – Choc frontal avec Pampelune
La pluie tombe ce matin, mais au moins, le vent s’est calmé. Ce foutu vent nous a rendus dingues cette nuit. Réveillés à deux heures du matin, on a eu du mal à se rendormir. On plie doucement bagage, à l’abri sous le tipi, en attendant une accalmie. Quand enfin la pluie cesse, on attaque l’étape.
Aujourd’hui, la journée s’annonce longue. Il faut traverser Pampelune, et ce n’est pas un petit bled. Je sens déjà que ça va compliquer la logistique du bivouac.
À peine partis, les premières traces de papier toilette apparaissent. Ce n’est pas du plastique, ok, mais visuellement, c’est dégeulasse. Je comprends mieux maintenant tous ces panneaux qui interdisent les « toilettes sauvages ».
La pluie joue avec nos nerfs. Un coup il pleut, un coup non. On croise de plus en plus de pèlerins, et bizarrement, notre moral en prend un coup. On a du mal à accepter tout ce changement. Le contraste avec le GR65 est violent. On commence à ne plus trop se sentir à notre place.
Heureusement, l’église de Zabaldika est ouverte, et on y passe un moment tranquille. Peut-être qu’on y trouvera des réponses. En tout cas, aujourd’hui, on n’a plus envie.
Nous voilà à Pampelune. Et là, c’est le choc. Ça me rappelle la scène des Visiteurs quand Godefroy et Jacquouille arrivent dans le monde moderne. La réalité nous frappe de plein fouet. On fait quelques courses dans un supermarché. J’attends Ada devant le shop avec les affaires, et j’ai l’impression que certaines personnes sont prêtes à me filer une pièce.
On est maintenant dans un jeu vidéo. Pour sortir de la ville, il faut suivre des flèches jaunes peintes un peu partout. Ce sont les nouvelles balises du Camino. Un vrai jeu de piste : une flèche sur un passage piéton, une autre sur un poteau, une sur un feu… Ajoute à ça le monde, les voitures, les klaxons… C’est le chaos. Je dois avouer que, sur le moment, je suis vraiment irrité.
On a largement dépassé les 20 km et le bivouac reste une illusion, la ville n’en finit plus. Heureusement, certains passants nous lancent un "Buen Camino" en nous croisant. Ce petit mot, accompagné d’un sourire, fait du bien.
On s’éloigne peu à peu. En nous retournant, on aperçoit les tours de béton qui pointent vers le ciel noir. De gros nuages menacent la ville. J’espère qu’ils ne vont pas nous rattraper…
Enfin, on retrouve les traces de la campagne. On frôle les 30 bornes et on est cramés. Mais ce n’est pas fini : il faut attaquer la Sierra del Perdón, une grosse colline qui culmine à 1 036 m d’altitude, parsemée d’éoliennes sur ses crêtes. Pas de coin propice au bivouac, tout est en pente. Il nous faut continuer à grimper vers le col.
Malheureusement, nos rêves s’effondrent vite. Une fois en haut, on découvre une route menant au sommet, un parking… Des gens y viennent pour profiter du coucher de soleil. Le vent souffle fort. J’arpente les recoins à la recherche d’un spot, mais rien à faire. Il est déjà 19 h, et la journée commence à être très, très longue.
On garde notre sang-froid et on ratisse les bords du sentier en descendant de l’autre côté. Rien. Juste du maquis, des buissons denses, des cailloux… La nuit tombe vite, et soudain, au bord du sentier, on repère un petit carré à peu près plat. À peine la place de s’y allonger tous les deux. Alléluia ! Je me lance dans un montage rapide. Pas de place pour le tipi, mais au moins, on a un abri.
Après une journée pareille, Ada trouve encore la force de nous préparer un bon plat. De mon côté, je m’occupe d’une petite plaie sous la malléole. Première irritation depuis le début du pèlerinage.
À 22 h 30, enfin, la paix. On fait le point. On en a marre tous les deux. Si, dans quelques jours, rien ne change, l’aventure s’arrêtera là.
La pluie tombe ce matin, mais au moins, le vent s’est calmé. Ce foutu vent nous a rendus dingues cette nuit. Réveillés à deux heures du matin, on a eu du mal à se rendormir. On plie doucement bagage, à l’abri sous le tipi, en attendant une accalmie. Quand enfin la pluie cesse, on attaque l’étape.
Aujourd’hui, la journée s’annonce longue. Il faut traverser Pampelune, et ce n’est pas un petit bled. Je sens déjà que ça va compliquer la logistique du bivouac.
À peine partis, les premières traces de papier toilette apparaissent. Ce n’est pas du plastique, ok, mais visuellement, c’est dégeulasse. Je comprends mieux maintenant tous ces panneaux qui interdisent les « toilettes sauvages ».
La pluie joue avec nos nerfs. Un coup il pleut, un coup non. On croise de plus en plus de pèlerins, et bizarrement, notre moral en prend un coup. On a du mal à accepter tout ce changement. Le contraste avec le GR65 est violent. On commence à ne plus trop se sentir à notre place.
Heureusement, l’église de Zabaldika est ouverte, et on y passe un moment tranquille. Peut-être qu’on y trouvera des réponses. En tout cas, aujourd’hui, on n’a plus envie.
Nous voilà à Pampelune. Et là, c’est le choc. Ça me rappelle la scène des Visiteurs quand Godefroy et Jacquouille arrivent dans le monde moderne. La réalité nous frappe de plein fouet. On fait quelques courses dans un supermarché. J’attends Ada devant le shop avec les affaires, et j’ai l’impression que certaines personnes sont prêtes à me filer une pièce.
On est maintenant dans un jeu vidéo. Pour sortir de la ville, il faut suivre des flèches jaunes peintes un peu partout. Ce sont les nouvelles balises du Camino. Un vrai jeu de piste : une flèche sur un passage piéton, une autre sur un poteau, une sur un feu… Ajoute à ça le monde, les voitures, les klaxons… C’est le chaos. Je dois avouer que, sur le moment, je suis vraiment irrité.
On a largement dépassé les 20 km et le bivouac reste une illusion, la ville n’en finit plus. Heureusement, certains passants nous lancent un "Buen Camino" en nous croisant. Ce petit mot, accompagné d’un sourire, fait du bien.
On s’éloigne peu à peu. En nous retournant, on aperçoit les tours de béton qui pointent vers le ciel noir. De gros nuages menacent la ville. J’espère qu’ils ne vont pas nous rattraper…
Enfin, on retrouve les traces de la campagne. On frôle les 30 bornes et on est cramés. Mais ce n’est pas fini : il faut attaquer la Sierra del Perdón, une grosse colline qui culmine à 1 036 m d’altitude, parsemée d’éoliennes sur ses crêtes. Pas de coin propice au bivouac, tout est en pente. Il nous faut continuer à grimper vers le col.
Malheureusement, nos rêves s’effondrent vite. Une fois en haut, on découvre une route menant au sommet, un parking… Des gens y viennent pour profiter du coucher de soleil. Le vent souffle fort. J’arpente les recoins à la recherche d’un spot, mais rien à faire. Il est déjà 19 h, et la journée commence à être très, très longue.
On garde notre sang-froid et on ratisse les bords du sentier en descendant de l’autre côté. Rien. Juste du maquis, des buissons denses, des cailloux… La nuit tombe vite, et soudain, au bord du sentier, on repère un petit carré à peu près plat. À peine la place de s’y allonger tous les deux. Alléluia ! Je me lance dans un montage rapide. Pas de place pour le tipi, mais au moins, on a un abri.
Après une journée pareille, Ada trouve encore la force de nous préparer un bon plat. De mon côté, je m’occupe d’une petite plaie sous la malléole. Première irritation depuis le début du pèlerinage.
À 22 h 30, enfin, la paix. On fait le point. On en a marre tous les deux. Si, dans quelques jours, rien ne change, l’aventure s’arrêtera là.

Saint-Jean-Pied-de-Port → Pampelune