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Veni, bici, chianti...

(réalisé)
Les petits périples font aussi les grands voyages. Pour notre premier trip à vélo (et quels vélos !), c'est sur la Toscane que nous avons choisi de mettre le cap pour une boucle improvisée de 545 km, effectuée sur une semaine durant le mois d'août. Une paille pour des cyclistes chevronnés, une aventure pour nous qui allions découvrir une région aussi fascinante qu'accueillante en même temps qu'un art de vivre à la cool au jour le jour.
Andiamo !  
vélo de randonnée
Carnet publié par Olivier Meissel le 20 nov. 2019
modifié le 27 août 2020
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Le compte-rendu (mise à jour : 27 août 2020)

Jour#1
« Je ne peux pas partir avec ce vélo ». Elle m’a regardé et elle a répété « je ne peux pas partir avec ce vélo... ». Récupéré la veille chez notre vélociste pour qu’il procède aux réglages nécessaires après sa restauration, nous n’avions pas eu le temps de l’essayer. À peine avais-je pris cinq minutes pour vérifier que les vitesses passaient correctement.
Mais les stigmates de sa collision avec une moto quelques semaines plus tôt étaient nettement perceptibles et la conclusion sans appel : fourche tordue. Impossible d’envisager un itinéraire de plusieurs centaines de kilomètres avec un vélo qui tire continuellement à gauche et obligerait à compenser en permanence. Sauf qu’il est 9h du matin et qu’on a prévu de partir dans moins de deux heures avec nos deux vélos dans le break, direction l’Italie. Coup dur.
Je peux lire la déception dans son regard. Et même une forme de désespoir. Je maudis jusqu’à la troisième génération l’imbécile qui l’a renversée, elle et son vélo, sur la rocade d’Avignon et qui s’est enfui après l’avoir copieusement insultée.
Je n’ai pas de solution, là tout de suite alors j’improvise... « Je vais prendre les mesures du Lapierre, peut-être que ça s’adaptera ». Le vélo de mon adolescence, qui sommeille à la cave, pourrait servir de banque d’organes. Je descends en priant sainte-Gamelle (patronne des usagers de deux roues), pour que les pièces s’adaptent et que la greffe prenne. Miracle, les côtes ont l’air identiques ! Ni une ni deux, on fonce à la boutique. Fabien, le sorcier de l’atelier est là et je me dis que Dieu existe. Je lui explique la situation (à Fabien, pas à Dieu) et lui laisse les deux ancêtres. Une heure plus tard, coup de fil : le vélo est prêt. Nous partons en Toscane.
Mitaines de cycliste pour stigmatisé (Padre Pio, omniprésent)
Mitaines de cycliste pour stigmatisé (Padre Pio, omniprésent)
Jour#2 
La Spezia. C’est notre porte d’entrée pour la Toscane. C’est à quelques kilomètres de là aussi, à Stadano Bonaparte, que nous passons notre première nuit en Italie, allongés dans le break, en bordure d’un vignoble, nos montures amoureusement attachées et couvertes dehors pour n’avoir pas à souffrir de l’humidité.
Le réveil a sonné. Même si aucun de nous ne l’a entendu, il a sonné 7h, puis 8. C’est le soleil qui m’a tiré du sommeil. J’ai laissé Nezli dormir, détaché les vélos, accroché les sacoches puis ai doucement réveillé ma belle aux vignes dormant. 
Après avoir parqué la voiture dans l’enceinte d’une résidence, nous donnons notre premier coup de pédale à 11h en direction des Alpes Apuanes, cette chaîne de montagne dont on dirait qu’elle vient doucement mourir dans la plaine. Sur la carte en tout cas car pour l’heure ça grimpe. Pas très fort mais longtemps. Et nos chargements se font sentir. Le vélo de Nezli, avec ses sacoches pleines, dépasse les vingt kilos. Le mien dix de plus.
 
À Metra, ça se corse. Nous n’avons parcouru que 40 kilomètres depuis le départ mais la perspective de grimper jusqu’au Passo Carpinelli nous fait renoncer et nous repérons un champ où planter la tente. Suffisamment loin du village pour n’avoir pas à souffrir de la sono qui crache une variété aussi mauvaise que tristement internationale. C’est la fête en bas, et pour nous le début de l’aventure avec une douche sommaire et improvisée grâce à nos deux litres de réserve d’eau. Nous referons le plein plus loin, plus tard, car ici l’eau des fontaines est aussi abondante que bonne à boire. 
C’est aussi le temps des premières rencontres et des premiers échanges. Les Italiens croisés depuis le départ se montrent avenants, chaleureux, en un mot hospitaliers et ne cachent pas leur stupéfaction à la vue de nos vélos lourdement chargés. 
Longtemps j’ai rêvé d’une compagne qui partagerait mes envies de voyage, capable comme je crois l’être moi-même de faire fi des difficultés ou, à tout le moins, de les traverser en se disant qu’elles font elles aussi partie intégrante du voyage. Longtemps j’ai rêvé d’une femme qui nourrirait ce même désir d’ailleurs sans me sentir coupable de l’entraîner là où je souhaite aller. Même si, pour le coup, ce voyage c’est son idée. Une idée lancée en l’air, un jour, comme ça, et dont nous nous sommes tous les deux saisis.
Cette femme est là, à côté de moi. Derrière lorsque ça grimpe trop fort pour son vélo qui n’est pas le plus adapté pour ces dénivelés, et devant lorsque la route devient plus plane. Elle est là avec son beau sourire, sa joie de vivre que rien ne semble pouvoir altérer et son enthousiasme communicatif. Elle est là avec sa chevelure magnifique, son beau visage hâlé et son fessier endolori. Car oui, nos Brooks toutes neuves nous font un peu mal au cul. À l’entrejambe plutôt. Mais ça ne durera pas. Tout passe, même les premières courbatures. 
Entre Aulla et Forca Carpinelli
Entre Aulla et Forca Carpinelli
Jour#3 
Il est 8h lorsque nous enfourchons nos montures. Le col est à portée de pédales, nous le passons dans l’allégresse et, grisés par un premier kilomètre de descente, nous nous arrêtons pour prendre un café avant de repartir plein d’entrain. Cent mètres plus bas, les carabinieri sont là qui nous barrent le passage. Ils nous apprennent qu’une course de moto se déroule plus bas et nous somment, gentiment mais inflexiblement de changer d’itinéraire. 
Curieux, les pandores s’intéressent à nos vélos. Je leur dis qu’on vient de les restaurer et qu’ils ont 35 ans tous les deux... comme celle qui pédale dessus. Le flic rigole et nous apprend qu’il a 63 ans. On lui dit qu’il ne les fait pas et on se sépare bons amis. 
La nouvelle direction à prendre est donc celle qui conduit à Sillano. Adieu notre belle descente, il faut nous fader de la montagne, encore... 13km de grimpette qui n’étaient pas prévus au programme. Qu’à cela ne tienne, puisqu’il faut grimper, nous grimpons... L’arrivée sur Camporgiano tout en bas, n’en sera que plus belle. 
Elle l’est. Nous nous ravitaillons dans une alimentari en tomates, mozzarella et autres anchois en persillade... Un repas frugal que nous consommons sur la place du village en observant les clients du café. Nous remarquons qu’à l’inverse de la France, jeunes et vieux sont attablés ensemble et tous conversent avec le même enthousiasme, sans distinction d’âge.
Entre Gragnola et Metra
Entre Gragnola et Metra
Physiquement je me sens moins en forme que la veille et demande à ma chérie de faire le poisson-pilote. Rouler derrière me convient très bien aujourd’hui.
Comme nous dormons où nos mollets nous portent, nous avisons Fornoli sur la carte, non loin de Bagni di Lucca. Qui dit bagni dit rivière. Et une rivière nous serait bien utile pour nous décrasser.
Camporgiano
Camporgiano
« Il y a des fous, on en fait partie et c’est rassurant »

Je pars en reconnaissance et, en traversant un pont, j’avise un espace en contrebas où sont parqués des kayaks. Il y a de la (bonne) musique et quelques personnes qui boivent un verre. Il faudrait descendre, parler, boire pourquoi pas (en voyage il faut être prêt à tous les sacrifices), pour tenter de se faire indiquer un site où planter notre tente et éventuellement manger quelque chose. Nezli descend et après avoir parlementé avec le beau gosse de service, m’informe qu’on peut boire un coup. C’est un bon début. On a parcouru 70km, nous affaler face à la rivière avec une bière fraîche est un pur moment de bonheur. Un bonheur n’arrivant jamais seul, Matteo (qui, en plus d’être beau gosse s’avère être sympathique), nous assure qu’on peut rester là pour la nuit. Suffit de s’en assurer auprès de Stefano, le patron des lieux. Non seulement Stefano accepte mais il nous propose en plus de dormir sous le tipi pour éviter d’avoir à déplier notre tente. Le saint homme nous dit aussi qu’on peut utiliser ses douches... chaudes s’il vous plaît. Et tous partent en nous laissant seuls dans ce magnifique endroit, non sans nous avoir proposé de nous revoir le lendemain matin à l’heure du café. Plus heureux que nous à ce moment-là, ça doit être difficile à trouver... « Il y a des fous, on en fait partie et c’est rassurant » me glisse Nezli.
Section 1
Jour#4 
Il ne fait pas encore jour lorsque j’émerge du tipi. J’ai envie de voir le soleil se lever sur la rivière. Aujourd’hui notre itinéraire doit nous conduire dans ce Chianti si souvent fantasmé et dont nous ne savons pourtant presque rien hormis quelques images d’Épinal, des clichés de L’Eroica et bien sûr les descriptions qu’en fait Emiliano Gucci dans « À vélo dans les vignes de Toscane », indispensable pour qui envisage de picol... de pédaler dans ces contrées.

« If you trust people, people trust you » 

Le ristretto, ce petit café serré qu’on prend chaque matin en regardant la carte avant de prendre le départ est un rituel si apprécié qu’on en use et abuse. Deux pour Nezli, souvent un de plus pour moi, faut toujours que j’exagère. Ce matin, on l’accompagne de croissants, un pour moi, six pour nos hôtes et des miettes pour Nezli qui s’autorise quelques écarts en Gluténie. Nous levons nos séants du café pour revenir à l'Aguaraja, notre camp de base, saluons sa joyeuse équipe à qui nous offrons les croissants avant de prendre la direction de Vinci, l’étape du jour. 

Les vignes, les champs d’oliviers, les cyprès qui bordent les routes blanches, tout y est. Rien ne manque, le tableau rêvé est là qui s’offre à nous pour de vrai. Ça monte et ça descend. La traditionnelle pause 15h-17h, obligatoire par ces fortes chaleurs, nous la faisons au bord d’un plan d’eau d’ordinaire fréquenté par les pêcheurs mais qui, pour notre plus grand bonheur, est désert à cette heure-là. Et c’est à poil qu’on passe cette fin d’après-midi, nous offrant même le luxe d’un bain... de boue. Nous nous rhabillons en hâte lorsqu’un vieux monsieur, responsable de l’Associazione di Padule, arrive pour mettre un peu d’ordre sur le site, réparer des lignes, ouvrir un petit kiosque qui laisse découvrir... des boissons fraîches. Nous nous présentons à lui et lui achetons deux coca. On ne doit pas lui inspirer grand chose de mauvais puisqu’il nous laisse là avec ses frigos pleins, ses bouteilles de soda et sa caisse ouverte pour aller bricoler sur un ponton un peu plus loin sans plus se préoccuper de nous. « If you trust people, people trust you ». Les mots plein de sagesse de Stefano nous reviennent à cet instant... Faut dire qu’avec nos vélos et notre candeur, les gens semblent plus enclins à nous venir en aide qu’à se méfier de nous. Nous repartons de plus belle et traversons d’autres cartes postales.
Section 1
Je suis dans sa roue. Trois jours que j’ai par alternance son beau p’tit cul en point de mire. Il fait partie intégrante du paysage. Il s’y fond, le sublime. Les italiens, qui ont aussi bon goût qu’ils sont mal élevés, le matent sans vergogne, autant lorsqu’ils la dépassent en voiture que lorsqu’elle entre dans un café. Je m’en moque, le soir venu, c’est contre moi qu’il vient se caler et tant pis si ça fait des envieux.
Aujourd’hui, elle a mis ses chaussettes blanches montantes. Elle trouve ça ridicule mais elle assume. Et surtout ça la fait rire. Et moi avec. J’adore son côté décomplexé. C’est une qualité rare. Et son sens de l’autodérision, je pourrais écrire des kilomètres là-dessus... 
Les kilomètres justement, continuent à défiler. On fait halte à Castelnuovo di Garfagnana où l’on déguste des gelati artesanales avant d’aller voir une expo photo car se déroulent ici des rencontres qui voient débouler de toute l’italie des amateurs qui se prennent pour des pros, le Leica ostensiblement posé sur la bedaine. Plusieurs d’entre eux nous shootent plus ou moins discrètement quand on se prend dans les bras. 
On se retape quelques côtes bien senties mais aussi une très belle descente. La plus rapide aussi puisque le compteur affiche 62km/h. On a envie d’éclater de rire. On ne se gène pas pour le faire. Cette descente est à l’image de ce voyage : euphorisante.
Castelnuovo di Garfagnana
Castelnuovo di Garfagnana
Vinci, le village du génie, se dessine maintenant dans la lumière d’une toile de maître florentin. Ces collines et ce soleil qui les caresse n’existent donc pas qu’au Louvre. Hormis le goudron des routes qui serpentent entre ces vallons, rien ne semble avoir changé depuis le XVIe siècle. Les villages perchés, les oliviers, la lumière... c’est à vélo que nous entrons dans ce tableau. 
Plutôt que de parcourir les derniers kilomètres par la route, nous empruntons un sentier de randonnée au bord duquel est écrit : Vinci 30mn. Nos vélos plus que trentenaires se donnent des airs de gravel. C’est grâce à eux que nous trouvons le spot du jour : sur une colline qui domine la ville, un vieux pin solitaire accueillera tout à l’heure notre tente. Nous mettons le cap sur le Montalbano et arpentons le centre-ville à pied avant de nous écrouler en terrasse pour y déguster une bière fraîche pour moi et une tentative plutôt malheureuse de boisson anisée pour Nezli (expliquer la recette du pastis en italien peut donner des résultats surprenants). 
73km aujourd’hui. Dérisoire pour un cycliste chevronné, mais dans ce décor qui joue les montagnes (italo) russes et les quinze petites vitesses du Raleigh de Nezli, c’est une jolie performance. Sans compter les bagages et une donnée non négligeable : nous ne sommes pas entraînés à parcourir de telles distances et avons encore plusieurs jours de roulage devant nous. Il faut donc s’économiser. Et puis on a tous les deux envie de profiter du paysage et du bonheur qu’on a à le traverser. On a surtout envie de profiter du bonheur d’être ensemble. Et on s’endort devant Vinci illuminée. Heureux.
La ville du génie au soleil couchant
La ville du génie au soleil couchant
Jour#5
Vinci sort du sommeil et moi de la tente. J’appelle Nezli pour qu’elle profite du spectacle : en contrebas, deux biches jouent dans un champ. Le spectacle durera plus d’une demi-heure, c’est du jamais vu. Comme cette vue sur le Montalbano que le soleil éclaire à contrejour. Superbe. Comme la femme qui m’accompagne mais qui, pour l’heure, fait provision de pignons de pin. Les sacoches du Raleigh prendront de l’embonpoint mais qui pourrait résister à un kilo de pignons ?
À propos de pignons, c’est l’heure de faire tourner les nôtres. Jusqu’à ce qu’on nous serve un ou deux ristretto d’abord, avant de mettre le cap sur Greve in Chianti.
Bivouac sur les contreforts de Vinci
Bivouac sur les contreforts de Vinci
Tout cycliste le sait : c'est avec des petits pignons qu'on avale les côtes
Tout cycliste le sait : c'est avec des petits pignons qu'on avale les côtes
Mon vélo, dont je connais dorénavant chaque cliquetis, produit un bruit insolite et régulier. Un clac, clac, clac discret mais pénible qui s’arrête lorsque je cesse de pédaler. Le pédalier n’a pourtant pas l’air d’être en cause car les manivelles ne me transmettent aucun à-coup suspect. Tout en roulant, je me baisse pour mieux entendre. Horreur, ce n’est pas le pédalier, c’est mon genou ! Ce bruit de cartilage qui claque me rappelle le supplice de la goutte d’eau. Au-delà d’une minute c’est insupportable. Alors je chante pour couvrir le bruit parasite. 
On pédale gentiment depuis une heure lorsque Cerbaia s’annonce. Il est près de 11h et ça cogne dur. Nous cherchons un point d’eau pour nous rafraîchir. Las, nous traversons le village sans dénicher la moindre goutte et devons nous résoudre à attendre la prochaine bourgade pour nous ravitailler. 
Et là, une côte, que dis-je, un mur ! Mon enthousiasme retombe, pas celui de Nezli, prête à en découdre. J’irai jusqu’au bout cependant, et en danseuse s’il vous plaît... en priant la madone locale de me laisser survivre à cette épreuve. Mon vœu est exaucé. Je me retourne et constate que ma coéquipière chérie a capitulé. Avec son petit développement, c’était inévitable. Elle passera pourtant la suivante mais marchera à nouveau aux côtés de sa mule dans celle d’après. Plus tard, à Greve in Chianti, nous découvrirons ce qu’Emiliano Gucci dit de ce chemin de croix...
Montagnes (italo) russes
Montagnes (italo) russes
Piscine ! Piscine en vue ! Z’ont pas dù en voir beaucoup des cyclistes aussi fourbus que puants par ici : l’établissement est moderne, les équipements dernier cri et à l’étage un peloton d’italiens musculeux se tire la bourre sur des vélos elliptiques. Ils me font penser aux vaches qui regardent passer les trains. Sauf qu’eux regardent nager les nageurs (les nageuses ?). Si c’est pas malheureux de s’enfermer avec la clim’ alors que le paysage dehors est une invitation permanente au voyage à pédales... 
Je n’ai pas les cinquante centimes requis pour prendre la douche. Alors je plonge directement dans la piscine comme un malpropre en attendant que ma belle ressorte des vestiaires des femmes pour me faire l’aumône... en espérant que ni mes odeurs corporelles ni la crasse de mes pieds ne me trahissent. Ce n’est qu’une fois récurés et rassasiés que nous reprenons la route.

Ce qui amuse l’un enchante l’autre 
Des rangées de cyprès surgissent des demeures magnifiques. « Chéri j’ai trouvé notre maison ! ». Ça fait juste dix fois que j’apprends qu’elle nous a trouvés une maison. « Mais je te préviens, on habitera avec ma mère ! ». « Pourquoi avec ta mère ? » « Parce que c’est beau, parce que c’est grand et parce que c’est un bel endroit pour ses vieux jours ». Comme j’aime bien sa mère j’accepte la nouvelle maison. 
On continue à rouler en sortant connerie sur connerie. Ça nous fait déjà ça sans aller en Italie mais là, tout est encore plus prétexte à rigoler que d’habitude. Je n’ai jamais autant ri avec une amoureuse. Et quand ce n’est pas drôle, c’est tendre. Elle dit : « Ce qui amuse l’un enchante l’autre ». Elle a raison...
La place triangulaire de Greve in Chianti
La place triangulaire de Greve in Chianti
L’arrivée à Greve se fait dans cette joyeuse ambiance. Nous nous posons sur la place Matteotti où trône la statue du régional de l’étape des explorateurs (Giovanni da Verrazano découvrit en effet le 17 avril 1524 la baie de New York qu’il baptise la Nouvelle-Angoulême, en hommage à François 1er, Comte d’Angoulème et accessoirement roi de France qui le missionna pour ce voyage). La bière Toscana rafraîchit nos gosiers et l’agneau de l’Osteria Mangiando Mangiano ravit nos palais.
Après avoir tourné et viré sans résultat pour trouver le spot de la nuit, nous jetons notre dévolu, notre tente et nos vélos sur une aire pour camping-caristes. Moins glamour que les collines toscanes mais tout aussi efficace pour tomber comme deux masses... et se réveiller comme deux fleurs.
Bible pour cycliste à l'heure du ristretto
Bible pour cycliste à l'heure du ristretto
Jour#6
Cela fait maintenant plus d’une heure qu’on est assis à cette terrasse dont on n’arrive pas à lever nos fesses. Parce que le café y est bon mais aussi parce qu’on sait ce qui nous attend. Des côtes, des côtes, oui mais des côtes ! Et puis on papote avec nos voisins de table, des californiens venus dans le Chianti se dépayser en pédalant (sur des vélos électriques, ouuuuhhh...). Ils ont beau faire du vélo nucléaire, ils n’en sont pas moins sympathiques. Et bien sûr, une fois en selle, ils nous mettent leur race à la première colline venue... 
Nous avons besoin d’un jour de repos. Non que l’on soit épuisés mais comme la météo prévient d’une journée de pluie demain, nous décidons de ne pas nous détourner et de rallier Sienne pour y passer une journée en qualité de piéton. Nous nous y rendrons par Radda in Chianti sans passer par Gaiole. Il nous a fallu négocier ferme avec nous-mêmes pour faire l’impasse sur cette étape. Parce que Gaiole in Chianti, c’est le berceau de l’Eroica et qu’on serait bien allé saluer cette terre que tout cycliste vintage considère comme mythique avec ses célèbres strade bianchi et ses cailloux qui ruinent les pneus de leurs glorieuses montures. On se console en se faisant une promesse de gascon : revenir ici pour prendre part à la course, rien de moins ! Du moins si les italiens nous le permettent car ils ont fixé un quota d’étrangers à ne pas dépasser. 

On a l’air de deux touristes en quête de souvenirs bon marché dans Radda écrasée de chaleur. Et je trouve le premier un cadeau à m’offrir : un magnifique étui en cuir pour les lunettes que je n’ai pas encore (et dont j’ai pourtant grand besoin). Un souvenir du futur en quelque sorte... 
Section 1
Pour la première fois depuis le départ, nous sommes dans un contre-la-montre avec la pluie et il nous faut arriver avant ce soir du côté de Sienne pour être certain d’être à l’abri demain... et ainsi jouir de notre premier jour de repos.
La route est belle et la lumière est douce, ce trajet vers la civilisation est un délice. Comme les mûres que nous dégustons à pleines poignées, à la sortie de Pianella. Après avoir un temps envisagé de planter notre tente dans le champ bordant la haie de mûres, nous avisons un couple poussant un homme en fauteuil roulant. Nous leur offrons ces desserts fraîchement cueillis avec le secret espoir qu’ils s’enquièrent de notre itinéraire et éventuellement nous proposent l’hospitalité. Mais ils poursuivent leur chemin avec force grazie mais sans se montrer curieux ou secourables. Comme nous ne souhaitons pas dormir dans les faubourgs de Sienne, nous faisons machine arrière jusqu’à cette petite épicerie aperçue en bord de route. Quelque chose me dit qu’on y sera abreuvés autant que renseignés... 
J’en viens à me dire que le flair est un sens que l’on développe à l’étranger lorsqu’on y voyage comme nous le faisons. By fair means, comme dirait un auteur que j’aime bien. L’épicière nous reçoit chaleureusement et nous sert deux bières tout en nous désignant un bon restau pour la suite de la soirée.
Pianella
Pianella
Pianella ne ressemble en rien aux villages pittoresques qu’il nous a été donné de traverser. Ses façades de briques rouges lui donnent des airs de choron et quelque chose d’usé, de las, émane de ce village-dortoir autant que de ses habitants. Mais les chorons du sud ont ceci de commun avec les chorons du Nord : la bienveillance et la générosité de ceux qui n’ont rien. Ou peu.
Je pars en éclaireur trouver le spot du-jour-de-la-nuit, laissant à ma moitié le soin de nous trouver une table. Le soleil décline lorsque j’avise, juché sur une colline, un grand arbre apte à nous accueillir.
Une famille qui termine sa promenade du soir vient à moi et j’en profite pour expliquer avec force gestes que « la mia dona est fatiguée (je ne sais pas dire « fatiguée » alors je mime comme je peux la situation ce qui a le mérite de faire marrer mes autochtones), et que je souhaite planter la tenda ici ». Je comprends que ce n’est pas un problème si je n’ai pas peur des animaux. Devant ma résolution, le type me tape sur l’épaule et part dans un grand rire.
J’apprends ainsi le mot « sanglier » en italien.
Le repas pris, nous prenons le chemin de mon arbre. Mais, venus des taillis qui bordent le petit sentier qui y conduit, nous entendons soudain des grognements sourds. Ce n’est pas un, ni deux, mais une harde de sangliers qui se fait entendre maintenant. On a beau diriger nos frontales à droite et à gauche, on ne les voit pas, les taillis sont trop hauts mais on s’attend à les voir débouler d’une seconde à l’autre. Son vélo, qu’elle poussait comme moi de la main, vient d’effectuer un parfait 180 degrés, et elle avec. Je la retiens comme je retiens mon souffle : « c’est juste des sangliers. On va jusqu’à l’arbre et on plante la tente, ils vont quand même pas nous attaquer ! ». Je fais mine d’être rassurant mais je suis tout autant impressionné qu’elle par leur présence et surtout leur raffut.
On arrive enfin à l’emplacement convoité, je monte la tente tandis que Nezli, tel un phare dans la nuit, fait la vigie en éclairant les quatre points cardinaux de notre carré d’herbe. Dans l’herbe justement, des dizaines de petites lueurs se dévoilent à nous. « Oh des lucioles ! ». Elle s’approche : horreur, ce sont des centaines d’yeux d’araignées que font luire nos lampes ! Je ris. Je ris car je ne suis pas arachnophobe.
Finalement je passerai là une des meilleures nuits du séjour. Et puis au réveil, notre récompense est là : des chevreuils qui s’ébattent sous nos yeux. Avant de prendre le large. Comme nous. Direction : Sienne.

Toscane jour#7
Peu motivés pour passer notre prochaine nuit sous la pluie, nous avons finalement réservé un Airbnb. Et puis ça nous reposera. On va pouvoir flâner et découvrir la ville en ébullition à quelques jours du célèbre Palio.
La route qui mène à Sienne est si belle qu’on s’offre un petit plaisir, que dis-je une revanche, en se faisant notre mini Eroica. En choisissant d’éviter les grands axes nous empruntons ainsi les strade bianchi de la célèbre course, grâce à une signalétique ad-hoc. C’est beau, c’est sinueux, ça monte (jusqu’à 14%, annonce un panneau) et ça descend (sans doute autant même si c’est toujours trop peu...). Jusqu’à découvrir, au sortir d’une belle courbe caillouteuse, les toits de la ville dominant la célèbre terre portant son nom.
A l'approche de Sienne
A l'approche de Sienne
L’entrée dans la ville se fait par la Porta Pispini, qui donne dans la démesure. Elle nous rappelle combien les voisins florentins, ennemis de toujours, ont dû se casser les dents sur ces fortifications. Personne ici n’a d’ailleurs oublié la déculottée qu’ils ont pris en essayant de faire main basse sur la ville et ses richesses lors de la bataille de Montaperti en 1260.
Nous poursuivons vélos à la main, puisqu’à peine avons nous commencé à nous frayer un chemin parmi la foule de piétons que les carabinieri nous intiment l’ordre de descendre de nos montures pour poursuivre à pied. Seuls les riverains ont ici le droit de circuler à deux, trois ou quatre roues.
En fait de tourisme, on s’écroulera sur nos pajots pour ne se réveiller qu’en début de soirée, non sans avoir pris deux douches consécutives. Au diable le développement durable, cette eau chaude et abondante nous lave autant qu’elle apaise nos courbatures.
Puisqu’il refuse obstinément de monter jusqu’au grand plateau, nous profitons de ce retour à la civilisation pour amener le Raleigh se faire régler le dérailleur chez un certain Rossi. Encouragés par les commentaires élogieux trouvés sur internet, c’est confiant que nous poussons la porte du plus ancien bouclard siennois.
Le type à lunettes qui nous accueille dans sa petite chemise à carreaux nous laisse penser qu’ici le temps s’est arrêté à la fin des années 70 et que notre bicyclette anglaise sera soignée par quelqu’un de consciencieux qui doit ignorer qu’on a depuis inventé les vitesses indexées, les cadres sloping et les freins à disque.
Nous déchantons vite : il martyrise la bête au point qu’on se dit que ce type est : soit un ancien boucher soit un patriote qui a décidé d’éliminer tous les deux roues qui ne seraient pas italiens. À force de réglages hasardeux et après avoir fait craquer la chaîne en tout sens, il finit par casser le dérailleur avant et jure dans sa langue à propos des vélos étrangers (nous y voila !). Nezli prend tout d’un coup conscience de l’attachement qu’elle a pour ce vélo, « quel bourrin, j’ai envie de pleurer ! », et nous quittons précipitamment cet atelier de malheur avec notre vélo momentanément transformé en fixie.
Il est trop tard pour changer de crémerie, nous décidons d’aller dîner en ville et reportons au lendemain matin notre visite au mécanicien de Siena Bike Shop, une jolie boutique aperçue plus tôt dans la journée, que l’on espère plus délicat que notre brute à lunettes...
Je doute donc je suis
Je doute donc je suis
À propos des produits italiens. Je ne sais pas s’il s’agit de chauvinisme ou d’une forme de protectionnisme mais les italiens semblent particulièrement fiers des véhicules qu’ils fabriquent. Il en va autant des voitures (la Fiat Panda est de loin l’automobile la plus répandue mais probablement d’abord pour des raisons économiques), que des vélos (Bianchi par ci, Colnago par là). À notre retour, la nostalgie aidant, on s’émerveillera à la vue des rares Panda égarées sur nos routes et je raterai de peu la vente sur un célèbre site d’occasions, d’un Bianchi au célèbre vert « Celeste » à un prix dérisoire (dans mes prix, donc).
 
Sienna cyclistum funestum est !

« La bici est ok ». Ils y ont mis tout leur cœur, nous ont installé dans des fauteuils confortables, offert le café, on a même pu lire car ils ont une petite collection de livres sur le vélo autant que sur le pays. Ils sont allés récupérer un vieux vélo italien pour le cannibaliser et nous voilà avec un magnifique dérailleur Shimano (tout chauvin qu’ils sont, les italiens utilisent des composants japonais comme tout le monde). Un dérailleur d’époque mais fonctionnel, en lieu et place du Huret qui équipait jusqu’alors le Raleigh. La greffe a pris et tout le monde a le sourire, du chirurgien qui a opéré à la patronne derrière le comptoir. Emporté par l’élan on demande une pompe avec un manomètre pour faire nous-mêmes la pression des pneus et on quitte cette joyeuse équipe dans l’allégresse. Le voyage peut reprendre ! Enfin, presque...
Chez nos sauveurs (Siena Bike Shop)
Chez nos sauveurs (Siena Bike Shop)
On a tellement gonflé les pneus du vélo ressuscité que le garde-boue arrière frotte dangereusement. On avise alors une placette pour défaire le chargement et réajuster la pression.
Je laisse faire ma coéquipière et en profite pour chercher une poubelle afin de jeter nos maigres déchets (notre nuisance environnementale est quasi nulle à vélo, on serait bien inspiré de vivre comme ça le reste de l’année !), quand tout à coup, une explosion déchire le silence. Tout comme les rares passants que j’aperçois effrayés je pense immédiatement à un attentat, on est vraiment conditionné. Puis me parvient la voix de ma coéquipière qui tente de rassurer les braves gens apeurés : « La mia bici ! La mia bici ! ».
C’est son pneu qui vient d’éclater et dont les hauts murs de la placette ont amplifié le bruit. Je lui dis qu’elle aurait dû crier « Allahu akbar ! » histoire qu’on rigole un peu. Ses origines aidant, la scène aurait pu être crédible... Ce qui nous vaut un bon fou rire. Mieux vaut en rire justement car il nous faut maintenant changer la chambre à air complètement explosée. On saura désormais qu’il faut ajuster la pression en fonction du chargement. Bref, on apprend...
Et nous quittons Sienne sans lui avoir fait l’honneur de visiter ses monuments les plus emblématiques.
On se rend ainsi compte qu’on voyage pour les paysages et les rencontres plus que pour les villes et leur patrimoine. On fait le plein de collines, de vignes et de cyprès et on se régénère au contact des autochtones. Et pas n’importe lesquels, à chaque fois il se passe un truc, on se sent traversé par quelque chose de très fraternel, de très humain. C’est peut-être le voyage à vélo qui crée ça.
Mon père, voyageur patenté qui a enseigné toute sa vie l’histoire et la géographie (et qui a même tenté de me l’enseigner lorsque j’étais au lycée), a une autre vision du voyage, plus large, dont il me fera part à mon retour : « Je comprends le plaisir que vous avez eu à pédaler sur les routes de Toscane et à rencontrer des gens serviables. Ces rencontres, vous les devez aussi à votre approche, courtoise, toute de modestie. Mais il ne faut pas écarter les monuments. Ils font partie des paysage. Certains sont aussi le produit du génie humain... »

Bon dieu que ça grimpe ! Notre jour de repos nous pèse, on manque de jus, comme on dit. Et il n’a même pas plu, finalement. Donc il fait toujours aussi chaud... Heureusement la route pique sur Monteriggioni et nous avec. C’est le moment que choisit le bidon d’eau en aluminium de Nezli pour jouer les filles de l’air et s’exploser sur la chaussée. Coup dur. On fait une pause dans un village aussi joli que bienvenu pour faire le plein des bouteilles annexes. Et là, ô miracle, sur la margelle de la fontaine où nous nous arrêtons trône... un bidon. Un magnifique bidon aux couleurs de l’Italie bien sûr. Comme pour nous rappeler que ce n’est pas un hasard si le bon dieu a choisi ce pays pour y installer ses papes (a priori ses interlocuteurs directs sinon quoi, on nous aurait menti ?). Et puis, c’est le pays des miracles, non ? On hésite, on se dit que son propriétaire de cycliste va peut-être revenir, se taper une côte à plus de 10% pour récupérer son bien... et puis on prend le bidon. Un cadeau divin, ça ne se refuse pas, nom de dieu !
Et nous reprenons notre route, passons Colle di Val d’Elsa où l’on profite de sa généreuse fontaine pour nous asperger copieusement.
Reliques
Reliques
Castel San Gimignano le soir
Castel San Gimignano le soir
Puis c’est Castel San Gimignano où l’on accède en chanson puisque c’est une Nezli en voix et toujours pas remise de cette série de miracles qui entonne « I’m falling in love with Siena Bike Shop... »

Ma vieille paire de Puma, choisie pour sa semelle plate (et aussi pour son côté vintage qui s’accordait bien à ma randonneuse d’un autre âge avec ses cale-pieds à cage), est en train de rendre l’âme. Je traverse cette ville bourgeoise avec ma godasse qui tire la langue. La semelle ne tient plus que par l’action du Saint-Esprit et un ultime et maigre point de colle. J’ai honte. J’ai honte mais je m’entête : mes tatanes finiront le voyage avec moi, j’en fais le serment. Je les entoure d’un genre de duck tape, un grossier scotch noir qui rendra ma démarche moins cocasse mais l’enfilage acrobatique.
À table nous devisons avec un couple de norvégiens auquel succédera une famille roumaine. Chacun évoque sa vision du voyage et partage son expérience. Ce soir, l’Europe a rendez-vous à San Gimignano. Nous prenons congé de ce petit monde pour passer la nuit dans un champ d’oliviers.
Castel San Gimignano au réveil
Castel San Gimignano au réveil
Toscane jour#8
C’est l’heure de décamper si on ne veut pas être découvert. C’est notre credo depuis le départ : monter la tente à la nuit tombante et lever le camp suffisamment tôt pour ne pas donner l’impression de squatter des terrains illégitimes. Et puis on a de la route et les températures en ce mois d’août sont particulièrement élevées même si l’on n’atteint pas les records établis en France où la canicule est en train de faire des ravages.
À un croisement, nous demandons des précisions à un cycliste sur l’itinéraire à emprunter. On cause vélos, forcément. Il nous apprend que celui qu’il chevauche, un Giant des années 90, appartenait à son père. À l’émotion qui le submerge, je comprends que c’est un des derniers, sinon l’ultime lien qui le relie à lui. On doit avoir approximativement le même âge. J’ai la chance d’avoir toujours mon père mais je ne peux m’empêcher d’entrer en empathie avec ce gars que j’imagine renouer avec ses souvenirs familiaux chaque fois qu’il prend la route. La bicyclette véhicule aussi de la tendresse.

La route est belle jusqu’à Castano, ça monte et ça descend jusqu’à Castelfalfi mais la beauté du paysage nous fait oublier les dénivelés.
Les paysages justement, sans cesse changeants, nous font à présent traverser une autre Toscane. Ce n’est déjà plus celle des oliviers et des cyprès.
À Baccanella, juste avant Forcoli, nous nous arrêtons déjeuner à l’Acquolina, chez Monica et Paola. Une pause méritée après nos quarante bornes de la matinée. Après un repas « à la bonne franquette », et surtout après avoir échangé sur nous, sur elles... nos hôtes, adorables et prévenantes nous offrent deux bouteilles d’eau fraîches avant qu’on ne reprenne la route. On se prend dans les bras, elles nous souhaitent bon voyage.
Pause chez Monica et Paola
Pause chez Monica et Paola
On passe Pontedera puis Calcinaia. C’est la plaine, c’est trop construit, c’est moche. Heureusement qu’il y a ma cycliste... au moins quelque chose de joli à regarder dans ce triste paysage !
Elle n’est pas du même avis que moi et trouve de la poésie dans ce paysage urbain. « C’est sûr c’est plat, mais ces maisons modestes avec leurs petits jardins et de l’autre côté de la route les champs avec les montagnes en arrière plan, moi j’aime bien ». Ah les filles de la ville !

J’irai dormir chez vous
Nous longeons l’Arno dans l’espoir d’y trouver un endroit au calme pour la nuit et peut-être même nous décrasser. Peine perdue, le fleuve est bordé de cultures d’un côté et de roseaux de l’autre, il n’y a pas moyen de s’approcher de son lit. Quant à s’y baigner, même pas en rêve ! Avec ce que doivent y rejeter les agriculteurs et les entreprises voisines, nous chassons vite cette idée, d’autant que son eau saumâtre n’incite pas à la baignade.
Alors nous tentons ce que nous n’avions osé tenter encore : demander l’hospitalité. Oh, pas une chambre chez l’habitant. Non, juste un carré d’herbe pour y dresser la tente.
Nous jetons notre dévolu sur un petit ranch où une femme finit de nourrir ses chevaux. Elle nous voit arriver, avec nos sourires contrits et nos vélos à la main... Elle accepte bien volontiers et nous désigne un coin pour nous poser avant de nous présenter à son mari. On ne connaît rien aux chevaux mais nous leur proposons notre aide, qu’ils refusent gentiment en nous montrant du doigt... une balancelle. Message reçu : on a l’air crevés, c’est de repos dont on a besoin !
Ils nous proposent aussi une douche chaude en plein air et une prise pour y faire charger nos téléphones.
Leur labeur terminé, ils nous rejoignent et nous leur proposons de partager le verre de l’amitié. On débouche la bouteille de Chianti Classico achetée la veille et nous trinquons à l’entente franco-italienne ! Le vin blanc nous fait fraterniser rapidement et nos hôtes nous invitent à les rejoindre le soir à la fête du village.
Section 1
C’est la Sagra degli Schiafonni. Un événement attendu par la populace locale où nous dégustons cette pâte toute pittoresque au milieu de 300 convives qui mangent en gesticulant, gesticulent en mangeant, s’apostrophent, rigolent... Ce n’est pas le coin le plus séduisant de notre itinéraire mais c’est de loin le plus animé ! On en profite pour se bourrer un peu la gueule et on rentre contents (et à pied).
 
Toscane jour#9
On a dit au revoir à nos bons samaritains, les laissant à leurs chevaux pour reprendre la route jusqu’à notre point de départ qui, de fait, devient notre point d’arrivée. Cent kilomètres nous attendent pour cette ultime étape alors on ne traîne pas.

On dit des italiens qu’ils conduisent vite. Eh bien c’est vrai ! En revanche, nous les avons toujours trouvés particulièrement attentifs à notre présence sur la route. Les dépassements, bien que promptement effectués, l’ont toujours été avec une large distance de sécurité.
Ce matin pourtant, j’entends une voiture dépasser Nezli bruyamment pour s’intercaler de manière un peu hasardeuse entre nous. Lorsque son conducteur me double finalement, je découvre que son gros 4x4 urbain est immatriculé... en France (dans les Hauts-de-Seine, coucou mon frère !). Plus tard dans la journée, un autre fera une manœuvre à la hussarde aussi, sur un rond-point mais se fera aussitôt engueuler par le conducteur qu’il précédait.
Pour l’heure, nous musardons sur la jolie petite route menant au Lago di Massaciuccoli, espérant trouver un peu de fraîcheur au bord de cette petite Camargue. Peine perdue, c’est sous un soleil de plomb que nous faisons halte au milieu des oies et des baraquements de pêcheurs désertés.
Lago di Massaciuccoli
Lago di Massaciuccoli
Nous filons à bonne allure à travers les faubourgs de Carrare. C’est d’ici que les marbres les plus renommés sont arrachés à la montagne. Mais les arrière-cuisines de ce commerce de luxe suintent la misère et la sueur. Derrière ces façades grises et ces fenêtres aveugles, des vies minuscules participent à ériger ailleurs les colonnes, balustres et escaliers parmi les plus somptueux que compte la planète. La prospérité de la ville est à ce prix.

Et puis c’est la longue remontée par Viareggio et ses interminables plages bordant le littoral. Mais rien qui ne nous incite à la baignade. C’est Disneyland ici et cette vaste étendue de sable ne semble accessible qu’à ceux qui consomment. Des enfilades de restaurants semblent d’ailleurs barrer l’accès à la mer. La west coast toscane ne s’ouvre qu’à condition de faire tinter les euros. C’est plat, c’est sur-fréquenté, on trace !

Déjà 90 kilomètres avalés sur nos baudets, aujourd’hui. Nous guettons les panneaux « Stadano » et songeons qu’au terme des dix dernières bornes qui nous séparent de la bagnole c’est une autre vie qui nous attend. Dès demain il nous faudra reprendre le cours de nos vies, préparer la rentrée des enfants, répondre aux mails laissés en attente et remiser les vélos jusqu’à la prochaine sortie. 

Une semaine durant, pédaler m’a paru aussi évident et essentiel que manger, boire et dormir.
Je suis entré en vélocipédie comme on entre en religion il y a fort longtemps avant de m’en désintéresser pendant trente ans. Aujourd’hui c’est le vélo qui entre en moi. Et les retrouvailles sont heureuses.
 
« Où se trouvent les canaris ? » me demande Nezli. Je la regarde sans comprendre, on a bien des chats mais pas d’oiseaux, que je sache. « Non, les îles Canaries ! Regarde, on dirait la Lune » me dit-elle en me montrant une photo.
À défaut de pouvoir la décrocher, j’irais bien pédaler dessus. Chiche ?
Section 1




Nos mulets 
Des vélos pour randonner, il en existe de fort beaux et de forts chers. Mais je suis né dans les années 70 et ma chérie dans la décade suivante. Et c’est, je crois, ce qui explique notre goût du vintage (la nostalgie, camarade...). Et puis aussi sans doute une certaine conception de la consommation ou plutôt une aversion certaine pour la consommation à outrance doublée d’une tendresse particulière pour tout ce qui se trouve être recyclé.
Notre choix s’est donc porté sur un MBK Grand Touring en bien triste état (photo ci-dessous), mais complet, déniché sur leboncoin et un Raleigh Weekender, en meilleure forme, lui. Tous deux millésimés 1984.
Le MBK avant...
Le MBK avant...
Le même, après :-)
Le même, après :)
Le Raleigh prêt à être remonté...
Le Raleigh prêt à être remonté...
Le même prêt à prendre la route !
Le même prêt à prendre la route !
Peu versé dans la mécanique, pour ne pas dire carrément gauche, c’est avec une certaine appréhension que j’entrepris de démonter intégralement nos montures en vue de les restaurer. Le résultat fut aussi heureux qu’inattendu. À cœur vaillant, rien d’impossible !
Commentaires
Anthony - 27 déc. 2019
278 messages
Joli carnet empreint d'humour et de dérision, j'ai adoré :)
Très belle restauration de vélo au passage, de vrais chefs-d'oeuvre. Je ne dirais pas que c'est le fruit d'une personne gauche !
Hâte de lire vos prochaines aventures !

marie31 - 30 déc. 2019
490 messages
Cela me donne des idées ...
Ceci étant une petite carte sera bienvenue

Moi aussi ma fourche est tordue
( elle a reculé dans l'axe de plusieurs cm) après une collision avec une voiture garée sur une piste cyclable au détour d un virage

Olivier Meissel - 09 janv. 2020
1 messages
Merci à vous. Il me tarde de reprendre la route... et la plume. En attendant, je lis les autres (vous m'avez fait rêver avec le fly & bivouac dans les Écrins pour l'un, le kayak en Suède pour l'autre). Pour la carte, oui il faut que je me penche dessus... Bon courage pour ta fourche. Nous allons tester le redressage avec un copain ferronnier (et cycliste :) Si les résultats s'avèrent probants, je te dirai. Mais sinon, faut pas hésiter à la changer carrément... Bon(s) voyage(s) à vous !

Kajak - 14 mars 2020
305 messages
sympa votre carnet. il représente bien l'esprit italien ainsi que la region.
la course Eroica:
il ya plusieurs parcours avec des distances variées, mais quelque soit celui que vous choisirez les paysages (et l'ambiance) seront au rendez vous. le seul problème est qu'il y a vraiment trop de monde.
une alternative serait de faire le parcours complet sur plusieurs (trois ou quatre) jours c'est joli comme paysage mais il y a quand meme quelques jolies montées rendues plus difficiles car les pistes sont en gravier.

bonnes balades