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Un hiver en pèlerinage – Partie 1 : Le GR65

(done)
Le pèlerinage de Compostelle nous habitait depuis longtemps. Un rêve souvent évoqué. Mais on ne voulait pas le faire à moitié.
En ce début d’année 2023, la décision est prise : on fait nos paquetages — cette fois pour parcourir ce sentier mythique dans son intégralité. Du Puy-en-Velay à Santiago, puis jusqu’à Fisterra, là où la terre se jette dans l’océan.
L’idée est simple : mêler aventure et cheminement intérieur. Dans un monde où tout est maîtrisé, planifié, chronométré… on choisit l’inverse. Laisser de la place à l’inattendu. Essayer de lâcher prise. Faire confiance au chemin, à ce qui viendra.
Pas de chrono. Pas d’impératifs. On prendra le temps qu’il faudra.
Pour corser l’expérience, et lui donner un goût d’expédition, on choisit l’autonomie. Le bivouac, le plus souvent possible. Une longue marche, en plein hiver. Confrontés à la solitude, aux éléments… mais aussi à nous-mêmes.
Le 15 janvier 2023, après une bénédiction intime dans l’immense cathédrale du Puy-en-Velay, nous faisons nos premiers pas. Nous partons en aventuriers, espérant arriver pèlerins.
Environ 1 600 kilomètres à pied, à travers la France et l’Espagne, jusqu’à l’extrémité du continent. Plus de Cent jours de marche, et quelque quatre-vingts nuits passées dehors...
Des mois de lenteur, d’épreuves, d’exil, de rencontres et d’introspection.
Un chemin qui dépasse la marche. Un chemin qui ramène à l’essentiel. À ce qu’on est, vraiment.
tekking/hiking
When : 1/15/23
Length : 100 days
Guidebook created by Chris et Ada on 01 Jun
updated on hier
Eco travel
Réalisé en utilisant covoiturage, autostop
Details : Covoiturage de Fréjus au Puy-en-Velay.
205 reader(s) -
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Guidebook : De Moissac à Nogaro (updated : 31 May)

Description :

Les premiers signes de la marche au long cours se manifestent, avec leurs douleurs et réflexions qui rythment désormais notre quotidien. Ce pèlerinage évolue progressivement en un véritable mode de vie nomade.
Malgré les défis rencontrés, nous prenons goût à cette existence en plein air — au risque de nous éloigner, doucement mais sûrement, du reste de la société.

Report : De Moissac à Nogaro (updated : 31 May)

16 Février – Philosophie et Désir D’ailleurs

Certains jours, on marche dans un silence presque sacré. Chacun dans sa bulle, à écouter les pensées qui défilent, le vent dans les arbres, ou simplement le bruit régulier de nos pas. Ce matin pourtant, pas moyen de se taire. On parle sans arrêt, comme si le silence nous pesait, ou que les mots nous brûlaient les lèvres. Tout y passe : rêves de futures aventures, nouveaux horizons à explorer. C’est fou comme le voyage en appelle toujours un autre, comme si l’itinérance devenait un mode de vie qu’on ne veut plus quitter. À peine plongés dans cette marche, on rêve déjà d’océan, de montagnes, d’autres chemins. Et pourtant, il faut sans cesse se rappeler d’être là, ici, maintenant.
La Garonne nous offre ce matin une très belle étape, en longeant une piste cyclable bordée de platanes. Les arbres forment presque un tunnel naturel. On croise un Anglais installé sur une péniche : encore une rencontre qui donne des idées. Lui aussi vit en itinérance, sur l’eau cette fois. Chaque rencontre devient une étincelle, un appel à partir autrement.
Soudain, un bruit de pas rapides derrière nous, et un grand gaillard déboule : Hugo, un Corse en route vers Saint-Jacques. Il marche deux fois plus vite que nous et avale les étapes par deux. Mais il ralentit et prend le temps d’échanger. Il bivouaque parfois aussi, par nécessité – en hiver, rares sont les gîtes encore ouverts. Quarante kilomètres sans hébergement, ce n’est pas rare. Il faut composer avec les aléas du chemin.
Ce soir, on plante le camp un peu avant le château de Lamotte-Bardigues. Le coin est joli, mais le sol est piégé de racines. On passe un bon moment à les arracher pour ne pas ruiner la bâche de sol. Hugo bivouaque pas trop loin. Chacun reste dans son coin, cuit par la marche, vidé par la journée, avec une seule envie : se jeter dans les duvets.


17 Février – Le Pays de Cocagne

Il est 8h quand une ombre passe devant le tipi. Hugo nous fait un petit signe avant de filer, déjà en route pendant qu’on émerge à peine, le café à la main. Nos rythmes sont bien différents ; on prend notre temps, on s’imprègne de chaque instant, chaque village, chaque lumière du matin.
Aujourd’hui, nous entrons dans le Gers, terre de d’Artagnan et des Mousquetaires. Les villages deviennent de plus en plus charmants, comme sortis d’un vieux conte : Saint-Antoine, Flamarens avec son superbe château gascon, Miradoux, Castet-Arrouy… Une douce harmonie de vieilles pierres et de collines dorées. Nous prévoyons de nous arrêter juste avant Lectoure, pour visiter la ville tranquillement demain. Ce sera comme une demi-journée de repos bien méritée — et pourquoi pas un gîte demain soir, si la chance nous sourit.
Au détour d’un chemin, un prospectus attrapé sur un panneau me fait sourire. Il raconte une légende locale : celle du bleu de Lectoure. Ce bleu intense, tiré du pastel — une plante appelée Isatis tinctoria — faisait autrefois la richesse de toute une région. Avant que l’indigo et les colorants de synthèse ne viennent le supplanter, cette teinture végétale valait une petite fortune. Les boules de feuilles compressées prêtes à la vente s’appelaient des cocagnes. C’est de là que vient l’expression “pays de cocagne”, ce lieu de richesse et d’abondance. Drôle comme des mots qu’on utilise sans y penser cachent des histoires aussi singulières.
Ce soir, pour la première fois depuis le départ, nous posons le camp à côté d’un vrai point d’eau. Un petit ruisseau limpide nous offre le luxe rare d’une toilette décente. Se laver, même sommairement, devient un plaisir simple, presque sacré, quand les jours passent sans confort. Et avec la douceur du climat, on se jette à l’eau sans trop de grimaces.
       
 

    
 
On va finir par se mettre aux selfies !
On va finir par se mettre aux selfies !
18 Février – Le Miroir de L’errance

Après deux heures de marche, on aperçoit le clocher de la cathédrale de Lectoure, perché sur sa colline. Calme plat dans le coin, c’est apaisant. On remonte la rue Nationale : il y a un peu d’activité, quelques magasins ouverts. C’est propre, carré — on sent qu’on entre dans un coin où il fait bon vivre. N’oublions pas que nous sommes au pays de Cocagne ! Les gens sont souriants, il y règne une très bonne ambiance.
On fait nos courses dans une petite épicerie, et on dévore notre petit déj sur un banc, en plein soleil. C’est devenu notre routine : partir le ventre vide, juste un café, et manger plus tard quand la faim se fait sentir. Dans une vitrine, je tombe sur mon reflet. J’ai une sale tronche : visage cramé par le soleil, grosse marque des lunettes, barbe en vrac, cheveux raiches, un mélange de moniteur de ski et de Robinson Crusoé. Ada aussi a la peau bien tannée, l’air d’une vraie aventurière, mais elle parvient toujours à rester soignée et élégante. Je dirais qu’on incarne un peu La Belle et la Bête.
On a pas mal fondu tous les deux, mais sans perdre en force — au contraire, le sac semble plus léger maintenant, et les kilomètres s’avalent plus aisément.
On cherche un gîte, mais tout est fermé. L’office de tourisme est sympa, mais nous renvoie vers des hôtels étoilés… pas dans le thème. Il y a bien une aire de camping ouverte. On va voir. C’est pas terrible. Trop propre, trop carré, trop public. Des gamins, des vans, des douches... Franchement, ça nous emballe pas. On a pris goût à nos bivouacs planqués, notre feu du soir, la solitude, le vrai calme.
On reprend la route. À quoi bon chercher un gîte finalement ? Ce qu’on veut, c’est un coin tranquille, un ruisseau pour se laver, faire une lessive, se poser une journée. Le gîte devient un concept lointain. Et puis, nous sommes maintenant loin de l’Aubrac et de son froid polaire. On se sent mieux dehors. On devient peut-être un peu sauvages, va savoir.
Ce soir, pas de point d’eau sur le camp, mais on est tranquilles. Le bois est bien sec, le feu part vite. On fera une vraie pause quand on tombera sur un bon spot avec de l’eau. Pas besoin de forcer les choses. Jusqu’ici, on n’a jamais eu à courir après. Tout vient à point à qui sait attendre.


19 Février – Nouvelle Peau, Nouvelle Aventure

Ce matin, un simple changement de tee-shirt a transformé ma journée. Le synthétique, collant et malodorant, a cédé la place à un tee-shirt en laine de mérinos, léger, ample et respirant. C’est fou comme un petit détail peut changer la perception de l'effort. J'ai l'impression de démarrer un nouveau chapitre.
Nous avons aussi trouvé quelques astuces pour nous adapter à la chaleur, comme s'embaumer les pieds de cendres chaque matin. C’est une méthode maison, mais ça marche super bien en guise de talc.
Ada a eu un début d’ampoule sous le gros orteil, mais nous avons rapidement réagi pour éviter que cela ne s’aggrave. D’ailleurs, je me suis aussi équipé d’un truc super pour panser les pieds : de la bande élastique adhésive, celle que les kinés utilisent pour les tendinites. Ça tient même mouillé, bien mieux qu’un pansement classique.
Je suis vraiment surpris par mes Rangers, les gens font de grands yeux quand ils me voient marcher avec ça ! C’est sûr que certains en ont de très mauvais souvenirs... Pour ma part, ce sont mes meilleurs alliés. 100 % cuir, pas une seule odeur, même après des heures de marche, très souples, je pourrais même courir avec. Et la cerise sur le gâteau, c’est qu’elles me servent même de pelle à neige. Il faut juste en prendre soin, bien les graisser et ajuster les boucles selon les sensations. Deux règles d’or : bien les faire à son pied et les garder aux pieds pour dormir quand les températures sont négatives... J’en sais quelque chose !
Nous sommes passés par Marsolan et arrivés à La Romieu, un des plus beaux villages de France. C’est vrai que ce village est magnifique, un véritable tableau : un jardin botanique, des cygnes, des allées de gravier blanc. En arrivant, nous tombons sur un refuge de pèlerins, un lieu qui nous attire tout de suite. Nous n’avions pas prévu de nous y arrêter, mais le nom "refuge" a quelque chose de rassurant.
Laurent nous accueille et nous ouvre ce petit cocon avec six lits superposés, une cuisine, une douche, et même une bibliothèque. Et vous savez quoi ? C’est ici même que je découvre les magazines "Carnets d’Aventures". Ça vous dit quelque chose ? Numéros 23 et 31. Je passe la soirée plongé dans ces carnets, je découvre un super article sur la logistique pour empaqueter la nutrition en voyage itinérant, et quelques pages qui m’ont particulièrement marqué : Un tour du monde à pied pendant 11 ans. Ça fait réfléchir, nous qui ne sommes en route que depuis à peine plus d'un mois... Ce soir, je m’endors des projets plein la tête : à pied, à cheval, en kayak…
Le célèbre bleu de Lectoure, au village de la Romieu.
Le célèbre bleu de Lectoure, au village de la Romieu.
Certainement le chef du village.
Certainement le chef du village.
20 Février – L’Art de Ralentir

Ces derniers jours, on a ralenti, vraiment. Pas parce qu’on est fatigués, mais parce qu’on en ressent le besoin. On avance à l’instinct, sans chercher la perf ni le chrono. Ça, c’est pas notre chemin.
Aujourd’hui, tout le monde court. C’est comme si le monde entier était lancé dans une course contre la montre. Toujours plus vite, plus loin, plus fort. On encense ceux qui pulvérisent les records, qui empilent les exploits. Traverser tel massif en 48 h, courir un marathon par jour pendant un mois… Et si on prenait le temps, pour une fois ?
Le plus frappant, quand tu échanges avec quelqu’un, c’est cette obsession des chiffres : "T’as fait combien aujourd’hui ?", "Ton sac fait quel poids ?", "C’est quoi tes chaussures ? Et ta montre ?" Comme si le chemin ne se résumait plus qu’à des données.
Mais la lenteur, c’est pas un défaut. C’est pas une faiblesse, et il n’y a aucune raison de la fuir. C’est un choix. Et oui, certains diront : "Facile, vous avez le temps." Mais non. On l’a pris, ce temps. Et c’est toute la différence. Le temps, c’est le vrai luxe, la vraie richesse.
On est partis en début d’après-midi, un peu difficile de redémarrer après une pause boulangerie (les pains aux raisins étaient irrésistibles !). En route vers Condom, on s’arrête à l’église Sainte-Germaine de Baradieu, une merveille romane, classée monument historique. La vue depuis l’église est époustouflante, on voit à des kilomètres. Un peu plus loin, on s’installe pour la nuit, juste au-dessus d’un étang, dans un coin tranquille. La soirée est parfaite : un coucher de soleil splendide, et au loin, on entend les clochettes et le bêlement des moutons qui résonnent dans l’air.


21 Février – Quand le Vent Dicte sa Loi

Vers 22h, le vent s’est levé et il a soufflé toute la nuit. Le tipi n’est vraiment pas idéal pour affronter ça : les bourrasques s’engouffrent par l’entrée, le tarp claque sans cesse, c’est comme avoir un drapeau qui flotte au-dessus de nous. Peut-être qu’un montage plus bas aurait mieux fait l’affaire.
Quand tu vis dehors presque tous les jours, tu te sens beaucoup plus connecté aux éléments. Le vent, la lune, la pluie. Ton corps est constamment mis à l’épreuve, comme un éveil instinctif, primal. C’est fascinant, mais quand les éléments se déchaînent, ça devient vite infernal. Le vent impose son rythme : il te réveille en sursaut à chaque rafale. Et quand il se calme, tu resombres dans un demi-sommeil, où les rêves deviennent intenses, presque cauchemardesques. Ces nuits-là, c’est une véritable épreuve.
Le vent est tombé ce matin, mais on est cassés. Il est 8h, je me lève enfin pour préparer le café et profiter de la vue sur l’étang.
On arrive à Condom un peu avant midi, et là, on tombe sur la fameuse statue de d’Artagnan et ses mousquetaires, juste au pied de la cathédrale Saint-Pierre. On s’arrête quelques minutes, puis direction Lidl pour faire le plein et tenter d’alléger notre tenue vestimentaire, qui devient trop chaude. Ada trouve rapidement un pantalon léger, mais moi, je n’ai pas encore trouvé ce que je cherche.
On traverse ensuite le pont d’Artigues, classé monument historique, qui enjambe l’Osse. L’eau est claire, et on voit des truites énormes se faire masser dans le courant. Dommage qu’on n’ait pas notre kit de pêche, ce soir, ça aurait été truite grillée à coup sûr !
Atelier cordonnerie ce soir sur le bivouac : la semelle d’une des bottes d’Ada se décolle. Je la bourre de colle et la wrappe de tape pour que ça tienne pendant la nuit, mais je crois qu'elles vont finir par être recyclées en pot de fleurs.
Ada et les Mousquetaires.
Ada et les Mousquetaires.
Le bel avenir des bottes d’Ada.
Le bel avenir des bottes d’Ada.
22 Février – Pluie, Semelle Béante et Goulash au Feu de Bois

Après le vent, c’est la pluie qui débarque ce matin. Le pire en termes de confort et de logistique de bivouac. Rester sec devient une véritable bataille. On s’y prépare, mais on n’avait franchement pas hâte que ça arrive.
On profite d’une brève fenêtre pour lever le camp vers 9h, mais la pluie revient vite, fine mais persistante. Elle nous ralentit et pèse rapidement sur le moral. On arrive à Montréal-du-Gers et fait une petite pause dans un bar pour boire un coup. La tenancière nous parle de la grippe aviaire qui touche la région, empêchant les éleveurs de canards de travailler depuis cinq ans. Mais ça ne nous empêche pas de passer chez le boucher pour acheter 500g de veau. Ada a l’intention de nous préparer une bonne goulash au feu de bois ce soir.
La pluie alterne entre averses et moments de répit, et chaque éclaircie est de courte durée. C’est compliqué de prendre le rythme et on ne sait plus comment s’habiller.
On arrive au "Mille Bornes", un gîte d’étape qui, comme son nom l’indique, annonce 1000 kilomètres encore à parcourir avant Saint-Jacques. On n’est pas arrivés ! Les propriétaires, très sympas, nous offrent un café, et on discute un peu. Ils préparent l’ouverture du gîte, ça a l’air vraiment sympa. Il y a même un petit bar pour les pèlerins, des bons moments en perspective.
On passe devant l’ancienne gare de Bretagne d’Armagnac, le chemin longe une ancienne voie ferrée. Le coin est très joli malgré la météo. En fin de journée, la pluie redouble d’intensité. Ada a les pieds trempés depuis ce matin. Ma réparation de fortune ne tient pas, et la semelle est complètement décollée.
À 18h30, on trouve enfin un coin pour bivouaquer. On est crevés et on patauge dans la boue. Je monte le tipi rapidement pour qu’Ada puisse se mettre à l’abri et se changer. La pluie cesse un peu, et je tente un feu d’urgence. Pas évident vu les conditions, mais je mets toutes les chances de mon côté pour ne pas rater l’allumage. Je prépare le bois, abrite les morceaux secs, et, après quelques minutes d’efforts, les flammes prennent enfin. Mission réussie. On se retrouve autour du feu, les affaires à sécher, et Ada commence la goulash. Ce moment de réconfort est tout simplement inexplicable.


23 Février – En Quête de Soleil et de Chaussures

Et encore cette foutue pluie. La forêt semble morte, noyée sous une brume épaisse qui flotte entre les arbres. L’ambiance est toujours aussi morose. Il faut chercher loin pour trouver la motivation. Ma foi, en avançant, on finira bien par sortir de ce calvaire. Rester là n’arrangera rien. Et puis, on dit qu’après la pluie vient le beau temps, non ?
L’espace intérieur du tipi nous permet de rester dessous pour plier bagage, et même de pouvoir se tenir debout au centre. Un détail non négligeable quand les conditions sont pourries. Une fois le paquetage prêt, je fourre le tarp trempé dans un sac-poubelle et je mets le tout dans mon sac, au-dessus du reste. À l’inverse, lorsqu’on arrive sur un bivouac sous la pluie, je l’ai tout de suite sous la main pour installer le tipi en vitesse.
L’humeur en berne, nous partons à la conquête du soleil. De mon côté, je râle à voix haute pour extérioriser, c’est ma technique. Ada, plus discrète, ronchonne dans son coin, ses chaussures la rendent folle. Marcher sous la pluie avec une semelle décollée, ça n’a rien de réjouissant. Mes réparations ne tiennent pas plus d’une heure. Elles sont foutues, et il est grand temps de trouver une nouvelle paire avant qu’elle ne finisse par marcher pieds nus.
À Eauze, on cherche un magasin, mais peu de choix. On se pose la question : acheter la première paire venue, une solution temporaire qui pourrait amener d’autres problèmes selon la qualité, ou alors serrer les dents encore un peu et attendre de trouver quelque chose de solide ? Mais où ? Une troisième option émerge : commander en ligne, et faire livrer en point relais, mais ça veut dire marcher encore quatre jours avant de réceptionner la paire. On prendra une décision à Nogaro, la prochaine ville-étape.
L’étape est difficile, les articulations souffrent et le moral est malmené. Par chance, la pluie se calme un peu. Nous tombons sur une petite chapelle au fond d’une forêt, malheureusement fermée, mais l’endroit est parfait pour le bivouac. Seulement quelques kilomètres nous séparent de Nogaro, où nous irons chiner demain matin.


24 février : Après la Pluie... le Beau Temps !

Miracle : un rayon de soleil filtre à travers le tipi. Quel bonheur après des jours de pluie. Je sors d’un bond, prépare le café, tends une corde entre deux arbres et étale nos fringues humides. Nous traînons un peu sur le camp afin que les affaires sèchent. J’en profite pour rafistoler une nouvelle fois les semelles d’Ada, ce qui la soulage pour une heure ou deux. C’est toujours ça de pris.
En haut d’un virage, les Pyrénées surgissent. La vue sur les sommets enneigés est splendide. Ça nous met un sacré coup de fouet. On sait que l’Espagne se cache derrière, ce n’est plus si loin. Le Camino Francés se rapproche, et nous attaquerons bientôt la deuxième partie de notre pèlerinage. On pousse jusqu’à Nogaro et… toujours pas de chaussures. Mais une piste : un Intersport à Aire-sur-l’Adour, à 28 km. Ce n’est pas tout près. Mais là-bas, c’est sûr, nous trouverons une bonne paire. Encore un peu de patience.
Les premiers symptômes du marcheur au long cours apparaissent, et la route devient peu à peu introspective, méditative. Absorbé, je plonge dans mes souvenirs, rouvre des chapitres oubliés. Parfois je ris, parfois je pleure. Tout est si réel, vivant, c’est fantastique.
C’est drôle, moi qui, plus jeune, me moquais de ces gens rencontrés au coin d’une rue, qui riaient tout seuls ou parlaient à voix haute. Je les croyais fous… Aujourd’hui, c’est moi ce fou, aux yeux des gens. Ils n’étaient pas si fous, finalement, mais peut-être simplement heureux, plongés dans leurs souvenirs, connectés au plus profond d’eux-mêmes, et le reste n’avait plus aucune importance.
Ce moment de transe est tellement puissant et hypnotique qu’on loupe une balise. Déconnectés, on est complètement hors-piste. Demi-tour.
Ce soir, on monte le tipi au-dessus d’une vigne, juste à la tombée du jour. Le ciel est clair et les étoiles scintillent. Une belle soirée, pleine d’images et de souvenirs ressuscités par cette journée.
Les Pyrénées surgissent enfin.
Les Pyrénées surgissent enfin.
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