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PUPILLIN Solo Zéro carbone

(en cours)
750km sur 10 jours en courant et en complète autonomie de la Normandie au Jura.
trail
Quand : 14/07/2020
Durée : 10 jours
Carnet publié par PositivMen le 21 nov. 2020
modifié le 01 déc. 2020
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Le compte-rendu (mise à jour : 01 déc. 2020)

Nous sommes le 25 Octobre 2018, à quelques kilomètres de Perth, je suis épuisé mais j’arrive au terme de mon périple Australien*, un périple fou. Voilà 42 jours que je cours, 42 jours que je suis parti de Sydney, place de l’opéra pour une folle traversée de l’Australie d’Est en Ouest en courant. 3800 kilomètres dans le Bush désertique, 3800 kilomètres avec la chaleur, les mouches et la poussière. Je pourrais être écœuré par ce nouveau défi, d’autant que je le termine complètement démoli avec une fatigue extrême et une déchirure au tendon d’Achille, j’ai perdu 8 kg, je suis quasiment dans un état second lorsque j’entame ma dernière étape et pourtant je n’ai déjà qu’une envie : « repartir », préparer un nouveau défi !

* Pour le récit de ma traversée de l’Australie, cf mon livre « TRANS-AUSTRALIA Au bout de son horizon » (disponible uniquement sur www.passerelles.pro espace boutique
Section 1
Ce nouveau défi devait être la traversée de l’Europe. Concrètement traverser par la voie verte, les 10 pays Européens qui séparent Atlanta en Roumanie de Douarnenez, 3700 kilomètres en courant. L’idée marrante qui avait germé dans mon esprit était de me baigner en Mer Noire pour le départ et en Atlantique pour l’arrivée. Comme à l’accoutumée je me suis préparé méticuleusement, je me suis entraîné et entraîné encore afin d’être prêt pour le 01 Avril 2020. Mais, comme tout le monde, en Avril 2020 pas question de sortir, nous sommes tous en confinement, et les frontières européennes sont fermées, du moins pour la plupart, alors que faire ? Que faire lorsque les projets programmés sont devenus impossibles à mettre en œuvre ? Eh bien, innover, expérimenter, tenter autre chose.
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C’est à ce moment précis, là où tout le monde se lamentait de la situation, que j’ai décidé de monter un nouveau défi : Partir en vacances en juillet dans le Jura à Pupillin, chez mes amis Marie Hélène et François qui viennent d’ouvrir leurs chambres d’hôtes « les Prunelles », comme c’était prévu. Mais cette fois j’irai en courant et en solo. Mon objectif est double, tout d’abord aborder la mobilité sans impact carbone, et ensuite mettre en lumière l’ouverture du domaine de mes amis qui ont eu la riche idée d’ouvrir leurs chambres d’hôtes quelques jours avant le confinement.

C’est parti, je lance les recherches pour le matériel et cherche la carriole adéquate pour ce périple. Je constate qu’il n’existe pas grande chose sur notre territoire français à moins de 14 kg à vide.  J’élargis mes recherches et trouve aux Etats Unis un chariot porte-bébé pour running qui semble correspondre à mes besoins, Le Kid Runner, avec un poids total roulant à vide de 9,8kg, YEP génial ! Problème, avec le confinement, impossible d’en acquérir un avant septembre ou octobre ! Plusieurs dizaines de coups de fil plus tard je valide l’acquisition de l’unique modèle disponible en Europe, celui de Arpad, le revendeur pour la Hongrie. Ensuite tout a été très vite, établissement de ma checklist avec un objectif de ne pas dépasser les 22 kg de charge roulante en étant en totale autonomie, nourriture, toile de tente, couchage, panneau solaire pour l’ordinateur et la communication, micro-réchaud, pharmacie minimaliste, vêtements de course et change, je terminerai à 24kg. 
Il ne m’aura fallu que 2 mois et demi pour finaliser le projet et être prêt.

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Me voilà au pied de la porte de la maison avec ma femme et ma fille, il est 7h30, nous sommes le 04 juillet 2020, ma carriole à la main je pars pour les 750 kilomètres qui me séparent du Jura. Le départ est fastidieux car je connais par cœur les 50 premiers kilomètres, je suis encore chez moi et il n’y a pas la magie de la découverte. Une petite pluie fine s’est invitée pour cette première étape. Je me cale, finalise les derniers réglages sur mon matériel, et cherche le bon rythme. J’ai décidé de ne pas courir vite, 9.00-9.5km/h max, car étant totalement seul je dois tout gérer et je devine qu’une autre fatigue, mentale celle-là, va venir se mêler au programme.  La carriole se comporte bien, elle est très roulante et je n’ai pas la sensation de « traîner » un poids, du moins pour le moment. Le temps est presque agréable pour cette première journée, la pluie reste légère, accompagnée d’un petit vent qui même de face, ne me gêne pas, et puis aussitôt trempé, aussitôt séché. 17h30 : mon objectif de la journée est atteint avec 75 kilomètres, il est temps de trouver un endroit pour planter la tente et dormir, car comme je le pressentais je suis épuisé.
Première nuit avec beaucoup de vent, mais j’ai tout de même bien dormi. Je sors du duvet à 6h15 pour constater que le temps semble similaire à la veille. Presque automatiquement et naturellement une logique se met en place avec un ordre précis pour faire les choses. Je me suis donné 1h max pour me préparer, prendre mon petit déjeuner et démonter le bivouac. 7h30 je suis déjà sur la route, mon téléphone sonne, c’est Thierry un ami qui me questionne :
« Alors, comment s’est passée la première nuit ? »
« T’es déjà reparti ? »
« Tu es sur quelle route ? »
« Oui mais où précisément ? » 
Je sens le coup venir. Thierry s’est levé très tôt ce matin pour venir à ma rencontre et je vois sa moto arriver devant moi, merci mon ami.
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La journée va se dérouler sans grande surprise, le paysage m’est encore connu. Mon GPS me fait des caprices, ce qui me fait perdre un temps fou, je me trompe régulièrement de route, reviens souvent en arrière, et même si ce n’est que pour quelques centaines de mètres, ça m’énerve. La journée va ainsi défiler avec ses petites péripéties de navigation et, cerise sur le gâteau, mon point de chute programmé pour le bivouac, un beau plan d’eau visualisé il y a quelques semaines sur google map, n’est pas accessible car il s’agit d’un plan d’eau privé grillagé et cadenassé. Je continue donc d’avancer et me réfugie dans un camping après plus de 10 heures sur la route, au moins j’aurai droit à une douche chaude bien méritée.  Alors que j’ai couru quasiment 90% du temps, je constate en fin de journée qu’avec tous ces micro-détours, et tous les multiples arrêts, ma moyenne au final est désastreuse avec 7.5km/h au compteur. Mon bivouac installé, j’appelle Tatoune mon épouse et lui fait part de mon désappointement, ça fait toujours du bien de pouvoir s’épancher un peu. Elle m’écoute et trouve comme d’habitude les justes mots, ceux qui apaisent.
« 7.5km/h en faisant 76 kilomètres aujourd’hui, en tirant une carriole de 24kg et avec toutes les petites misères de la journée, et bien c’est super bien, je suis fier de toi ».
Eh oui, en fait elle a raison, c’est pas si mal et même c’est bien ! Pourquoi je m’en fais pour ma moyenne, tout le monde s’en moque, il n’y a pas de record à battre cette fois, c’est juste pour le plaisir, allez, au dodo, demain sera une autre journée.
Le jour suivant sera teinté de beauté, avec la traversée de la forêt de Rambouillet, puis de la vallée de Chevreuse, mais elle sera aussi pour ma mémoire connotée côtes et descentes, et ça mes cuisses vont s’en rappeler un certain temps. C’est ainsi que j’arrive en fin d’après-midi à GIF sur Yvette, synonyme pour moi de fin d’étape. Alors que je cherchais mon chemin, je croise un couple d’un certain âge, en pleine marche nordique qui, apercevant ma carriole, s’arrête et me demande :
  • Qu’est-ce que c’est que cette charrette ?
  • Et bien c’est ma maison ambulante !
  • Mais pourquoi tirez-vous donc cette charge ? Vous venez d’où ? Vous allez où ? Ça doit être bigrement difficile de marcher avec cet attirail ?
  • Ah non ça va pas trop mal, mais je ne marche pas, je cours !
  • Quoi ! Vous courrez avec ça, expliquez-nous !
 
J’explique donc mon projet et vois leurs yeux s’agrandir au fur et à mesure de mon explication, ils enchainent :
  • Mais vous avez une assistance ?
  • Non je suis seul, c’est le sens de ce défi « Zéro carbone » !
  • Mais vous êtes fou mon jeune ami, et vous dormez où ce soir ?
  • Et bien il faut que je me trouve un petit terrain au calme et surtout plat, pour planter ma tente !
  • Et bien mon jeune ami il y a ça à la maison, si vous pouvez nous attendre une petite heure, nous vous y conduisons après nos courses.
 
Et c’est ainsi que pour ce soir je plante ma tente sur la pelouse de Monique et Patrice et que la toilette se fera au jet d’eau du jardin. S’il fallait définir ces deux retraités de 81ans, je dirais gentillesse, confiance et curiosité. Le soir arrive et alors que je m’apprête à rejoindre les bras de morphée, je les vois tous les deux arriver avec une tisane :
  • Vous prendrez bien une petite infusion avec nous, avant d’aller au lit ?
  • Avec grand plaisir (… je ne suis pas trop infusion …)
  • Alors donc demain vous repartez pour combien de kilomètres ?
  • Entre 70 et 80, comme chaque jour, tout va dépendre du lieu pour le bivouac, mais logiquement ce sera en bord de Seine.
  • Vous partez pour quelle heure, on va vous préparer votre café.
  • Non c’est gentil mais je ne vais pas vous faire lever pour 6h30 quand même !
  • Vous savez, à nos âges, nous sommes réveillés de bonne heure, et puis c’est pas tous les jours que nous avons un campeur sur notre pelouse.
 
Voilà pourquoi j’ai eu droit à un beau petit déjeuner avant de repartir, une vraie belle rencontre.
L’étape suivante n’est pas très drôle car je suis dans la banlieue sud de Paris, et toute la journée je vais passer de zones pavillonnaires en zones pavillonnaires, heureusement que la fin d’étape elle, est juste géniale. Après plus de 74 kilomètres dont les 10 derniers dans la forêt de Fontainebleau, je longe enfin la Seine et trouve exactement le lieu du bivouac que j’avais programmé, une véritable carte postale, je suis aux anges ! Je me baigne avec un plaisir énorme dans cette eau fraiche qui me fait un bien fou avant de préparer mon GPS pour le lendemain et de sombrer dans un sommeil récupérateur.
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Les jours suivants seront enchanteurs, des paysages multiples, avec des plaines, des monts, des vignes, et des forêts, des chemins très roulants, d’autres moins avec du sable et de la boue. Une météo de saison avec sur deux jours un soleil très puissant et des chaleurs fortes.
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Des péripéties indispensables à toute aventure, avec des arbres couchés en travers du chemin m’obligeant à démonter les roues de la carriole pour pouvoir continuer, avec des chemins annexés soit pour des travaux, soit par des amas de ronces, soit tout simplement parce que ça doit arranger certains agriculteurs. Des sentiers magnifiques mais quelquefois à la limite du praticable, et des rivières, des fleuves et des canaux qui m’ont enchanté tout le long du parcours.
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Au fil de ce défi je me suis souvent interpellé sur une notion basique, celle de l’utilité et de la futilité ? J’ai couru durant plusieurs jours sur les sentiers et les chemins, complétement seul. Plusieurs jours où je n’ai dû compter que sur une seule personne, moi-même. J’ai eu tout le temps nécessaire à la réflexion, le temps d’analyser ma façon d’être, durant le défi bien sûr, mais aussi dans ma vie au quotidien. Le temps de comprendre ce qui est réellement indispensable et ce qui l’est moins, voire beaucoup moins. Lorsque je pense à ma carriole, je me dis que je n’ai vraiment emmené que le strict nécessaire, et qu’en réalité ça fonctionne plutôt bien. Pas de superflu, pas de gadget inutile, juste et uniquement de l’utile. Je pense sincèrement que ce voyage m’a mis en évidence l’impact de nos envies et de nos réels besoins dans notre vie de tous les jours. Je pense que cette dualité d’utilité et de futilité devrait devenir pour les années à venir notre seule question en tant que consommateur, gâté pour ne pas dire gavé : « de cette façon nous aurons peut-être une chance de sauvegarder cette si belle planète ».
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En traversant la France en courant de cette manière, je me rends réellement compte que c’est un pays magnifique, qu’il suffit de faire une centaine de kilomètres pour changer de région, changer d’accent, changer de paysages, de culture. Sur les 10 jours de ma traversée j’ai rencontré des gens formidables, mes « apporteurs d’eau » comme je les ai nommés, ceux qui m’ont alimenté au fil des kilomètres car l’autonomie a ses limites, je ne peux pas emporter avec moi les 50 litres d’eau nécessaires, je suis obligé de demander de l’aide, et cette obligation devient une magie par les rencontres qu’elle crée. J’ai couru le long de la Seine, de l’Yonne, du canal de Bourgogne, et je m’y suis baigné, j’ai  traversé des vignes comme Montrachet, des villages comme Nuit Saint-Georges, des bois et des forêts, j’ai croisé des regards formidables, retrouvé quelques amis qui m’ont fait la surprise de leur visite sur le parcours, comme Thierry, Patricia et Régis, Jean Mi et Cathy, Sophie et Vincent, Vanessa, François, Marie et bien d’autres encore. Et le 14 Juillet, comme prévu, je suis enfin arrivé, heureux et réjoui à Pupillin où m’attendait mon épouse, mes amis et une partie du village pour faire la fête et boire du bon vin.
De ce nouveau défi je retiendrai 3 enseignements fondamentaux :
. L’eau est le bien le plus précieux qui existe au monde.
. L’autre est le lien indispensable à une vie joyeuse.
. Nous sommes vraiment chargés d’inutile et il est plus que temps de faire notre tri.

* Pour le récit de ma traversée de l’Australie, cf mon livre « TRANS-AUSTRALIA Au bout de son horizon » (disponible uniquement sur www.passerelles.pro espace boutique)
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Merci à tous mes "apporteurs d'eau"
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