Passer en langue fr
33 members et 23 guests online

Journal de cavale : La Grande Traversée du confinement

(done)
Récit d'une traversée du Vercors originale
tekking/hiking / MTB packraft trail caving travel bike aquatic hiking
When : 3/17/20
Length : 30 days
Total distance : 101km
Height difference : +5862m / -4419m
Alti min/max : 218m/1925m
Guidebook created by Vinc1 on 16 Apr 2021
updated on 13 Apr
Eco travel
du pas de la porte au pas de la porte
Possible with bus
Details : Départ au col de Comboire (Mahivert) en accès vélo depuis Grenoble (possible en bus aussi)
521 reader(s) -
Global view

Guidebook : Jour 3 (updated : 13 Apr)

Section distance : 8.3km
Height difference for this section : +147m / -699m
Section Alti min/max : 1002m/1554m

Download tracks and waypoints for this section GPX , KML
Download tracks and waypoints for the whole guidebook GPX , KML

Report : Jour 3 (updated : 13 Apr)

Jour 3

*** Coq de bruyère ***


Depuis ma cabane, j’entendais le volet grincé depuis mon réveil mais il me semblait maintenant aussi entendre le roucoulement d’un tétra-lyre, cet oiseau décrit souvent comme une poule des montagnes qu’on appelle aussi coq de bruyères, si emblématique de la tuerie de masse du vivant que nous commettons aujourd’hui.

Alors que l’hiver, il se réfugie à l’abri du froid dans un igloo creusé dans la neige pour ne sortir qu’à de rares occasions pour s’alimenter, il se fait plus visible au printemps :
on peut en effet l’observer à la limite de la forêt alpine où les coqs, de noir et blanc vêtus, profitent des milieux semi-ouverts, rhododendrons et aulnes verts, pour leurs parades. Ils chantent ainsi dès l’aube pour trouver l’âme soeur et leurs chorégraphies sont spectaculaires.
Mais leurs nombres n’a cessé de décroitre depuis le début du 20ème siècle.
Outre la chasse désormais réglementée (mais toujours autorisée!), les principales menaces auxquels il doit faire face sont la fermetures des habitats due à la déprise pastorale ainsi que le développement des infrastructures touristiques tels que les stations, qui réduisent toujours plus leur aire de vie, sans compter les risques de collision avec les câbles des remontées mécaniques.
L’hiver, il n’est pas épargné car les randonneurs peuvent le déranger à leurs passages (ce qui peut vite pour lui devenir synonyme d’épuisement et le conduire à la mort) : ils sont désormais avertis lorsqu’il s’approchent trop d’une population de tétras connue et invités à contourner cette zone de quiétude indispensable à leur survie.
Si certaines mesures sont prises pour tenter de stabiliser sa population , sa disparition paraît à moyen terme inéluctable avec le réchauffement climatique, le manque de neige mettant notamment en péril les sites de couvées des femelles quand ce n’est pas les étés avec une météo trop variable et capricieuse qui entraîne la mort des poussins. Dans le Vercors comme dans le reste des pré-alpes, l’altitude modérée rend les effets du dérèglement climatique particulièrement important et le tétra y est donc particulièrement vulnérable et menacé. Nous n’étions que le 19 mars, le printemps semblait cette année particulièrement précoce.
La neige réchauffait déjà et il me fallait donc partir sans tergiverser.
Je devais rejoindre le col de l’Arzelier. Par le chemin en balcon, cela s'avérait trop périlleux car la neige était encore bien présente et le chemin parcourait une pente des plus raides.
Je descendrais donc par la forêt en retraversant les zones avalancheuses désormais stabilisées.
Jour 3
***  La station du Col de L’Arzelier ***

Après le carrefour du bois de la Ferrière, me voici à la piste de la Queue de la Cavale un nom sans doute prédestiné... Une rivière en bordure du chemin, avec une belle vue dégagée sur la vallée et un rayon de soleil, m'invite à faire une pause. Idéal en effet pour ma toilette, je retrouve le bien fou de l’eau froide sur ma peau au cours d’un périple.

Je parvins peu après à l’Arzelier. Au col, je croisais des VTTistes, alors que téléskis et télésiège étaient à l’arrêt ; il faut dire que la neige n’était cette année encore pas au RDV et que cette mini station faisait partie des stations désormais abandonnées. Le géographe Pierre-Alexandre Metral avait sorti récemment une étude montrant que près de 30% des stations déjà avaient fermées, et le réchauffement climatique était bien sûr le principal responsable. Cette tendance n’allait probablement pas s’améliorer, le Vercors était particulièrement vulnérable à cause de la faible altitude de ses stations. Et si les grandes stations avaient jusque-là encore tenu le coup, c’est bien parce qu’elles étaient maintenues en vie qu’à coup d’argent public et de canons à neige. Pas sûr qu’elles survivraient à cet hiver sinistre. Ici gisaient encore immobiles ses infrastructures qui jusqu’à peu faisaient la fiertée des vallées. Une association de protection de la montagne se battait bien pour les faire démonter, mais le boulot était colossal et parfois certains arguent que peut-être un jour, elles pourraient redémarrer. Vains espoirs. C’est sur cette réflexion avec un pylône dans l'objectif de mon appareil photo, que j’étais interrompu par un homme:
“Elles vont servir à quoi vos photos ?”
“J’aime bien faire des photos quand je me balade” répondis-je machinalement.
Comme s’il fallait une utilité à tout… La photographie ne devait donc plus avoir bonne presse dans notre pays et sans doute avait elle rejoint depuis peu la longue liste des activités désormais interdites par le pouvoir. Pourtant, au côté de cet arrogant pylône pointait fièrement la Grande Soeur Agathe, somptueuse falaise que j’avais jadis arpentée dans tous les sens, elle méritait bien un peu d’attention. On pouvait y accéder à pied par le plateau en suivant la crête du Vercors ou par le Pas des soeurs. En escalade, une sympathique voie permettait d’emprunter 400m de son joli calcaire, mais pour ça, il aurait fallu se lever de bonne heure.
Jour 3
Je commençais déjà à perdre de vue sa Petite Soeur Sophie fuyant plus au nord.
Moi, je poursuivais vers le sud, cheminant en sous bois autour d’un tapis d’ails des ours. Leurs bonnes odeurs parfumaient cette belle journée de printemps et les oiseaux piaillaient de toute part. J’en cueillis un bon paquet afin d’en déguster plus tard. Un peu plus loins je croisais la Croix de Jacques et suivant les précieuses indications à la lettre, je récupérais une sente offrant une vue dégagée sur les ravins encore enneigés de la Grande Moucherolle. Un petit pont de bois et les cairns annoncés pour rejoindre un bois déjà bien dévasté. Un peu plus loin, au détour du Mas des Roux, deux enfants jouaient librement dans une cabane au fond d‘un jardin.
Jour 3
Au niveau de la Rue de la Liberté, je bifurquai alors pour rejoindre les hauteurs du hameau de Château Bernard. Une croix comme prévu et puis, je tombai pile sur la grange en cours de rénovation. Lucas m’aperçu de suite et m’invita à me mettre à l’abri. 
Lucas Dataz est un glaciologue qui avait travaillé un temps dans un laboratoire gouvernemental pour étudier les effets du réchauffement climatique aux 4 coins de la planète. Sentant le vent tourner, il avait choisi de quitter ce métier voué à une disparition certaine tant l’Etat faisait le choix de se détourner de ce problème. Dans le Trièves, il se pensait tranquille et organisait désormais formations et rencontres pour mobiliser les citoyens sur les questions climatiques et avait même développé un centre environnemental sur le village de Gresse En Vercors. Mais ses activités étaient parvenues jusqu’au plus haut sommet de l’Etat qui avait fait fermer le centre et ses apparitions en public étaient désormais interdites. Il continuait tout de même clandestinement aidé pour cela par un collectif de militants qui s’étaient réfugiés au alentours. Ce soir justement il avait RDV pour une vidéo-conférence diffusée sur le réseau local crypté TReve. Pour plus de sûreté, il partit se réfugier dans sa cave, me laissant reprendre des forces autour d’une bonne lasagne végétarienne. 
A bord d‘un simple hamac, la nuit qui suivit fut un voyage étoilé.
Comments