La maîtrise du temps
Voilà un titre ambitieux, mais bon, tout est (peut-être) possible pour un extraterrestre, non ?
En quête de sens, c’est le thème de ce numéro. L'humain, avec son gros cerveau, a besoin de plus que de l’air, de l’eau, de la nourriture et un abri. De bien plus. Entre autres, il entretient avec le temps un rapport particulier : il se projette dans l’avenir, se souvient de son histoire, sait sa fin inéluctable. Cet écoulement ne dépend pas de lui ; le temps file, inarrêtable, inexorable, et la quantité qui lui reste ne fait que diminuer. Ce temps lui est donc précieux, et il est nécessaire d’en avoir de libre pour le remplir avec ce qui le rend heureux, avec ce qui le fait vibrer, pour pouvoir courir après son idéal. Avoir le temps de forger une vie qui lui paraît riche, belle, épanouissante, intense. Une quête de plénitude, une quête de sens…
Ce qui est pervers avec cette perception de l’écoulement du temps, c’est qu’une vie quotidienne monotone donne l’impression de n’avoir aucune prise sur lui ; les repères manquent, on ne distingue plus vraiment un jour d’un autre. Le temps fond, se dilue, glisse comme du sable entre les doigts d’une main grande ouverte.
Si comme moi, la vie au grand air vous attire comme un aimant, vous aurez sans doute constaté que ces moments dans la nature ont tendance à modifier notre rapport au temps. Une expérience facile à réaliser : partir bivouaquer après une journée de travail – même si on doit y retourner le lendemain – donne souvent la sensation qu’il s’est écoulé bien plus qu’en réalité et que l’on a vécu plusieurs journées. On perçoit alors une étonnante dilatation du temps. Il ne s'agit pas de l'impression que le temps passe plus lentement, mais plutôt que ces moments dehors, en créant une rupture franche avec le quotidien, en modifient notre perception. En effet, la vie au contact de la nature nous offre toute une palette de sensations différentes, de lumières, de sons, de températures, de paysages, de points de vue… Ces changements de repères, ainsi que les inévitables surprises et imprévus, nous imposent de constamment nous adapter. Dans la nature, on doit accepter de ne pas maîtriser les éléments, d’être bousculé parfois. Mais cela crée des jalons dans notre vie, lui donne du relief, de la texture. En quelque sorte, nous créons des poignées pour saisir l’insaisissable. Une vie parsemée d’aventures, parce qu’elles sont marquantes, peut donner une sensation de plénitude, l’impression d’avoir trouvé du sens.
Les projets à venir, aussi, rythment le temps. S’imaginer arpentant le grand dehors, dans quelques semaines, quelques mois, quelques années ; poursuivre une quête aussi futile qu’utile – puisque c’est celle-ci qui nous fait vibrer – et s’y préparer font partie de ces plaisirs qui nous permettent de mailler le temps. Bousculer le quotidien, le faire varier, mélanger, secouer, pour faire apparaître la fibre du temps, la tisser intimement avec nos expériences, et en faire la structure solide de nos vies, c’est peut-être la promesse facile à tenir d’une vie au contact de la nature…