
C'est pas la taille qui compte
« La cartographie de l'Europe est née des capacités pédestres, des horizons accessibles à des jambes. Hommes et femmes y ont tracé leurs cartes en marchant d'un hameau à l'autre, d'un village à l'autre, d'une ville à l'autre. »
C’est en préparant les récits de ce numéro que je découvre ces mots de George Steiner (philosophe européen) extraits de son essai Une certaine idée de l’Europe. Voilà qui incite à endosser son sac pour partir à l’autre bout de la carte ! Effectivement, traverser le continent européen sans moteur n’est pas une folie. S’il abrite de vastes étendues sauvages aux climats parfois extrêmes, il est aussi le berceau de territoires façonnés par l’homme depuis des millénaires. Tantôt sauvage, tantôt humaine, l’Europe offre à chacun la traversée qui lui ressemble.
De l’Atlantique à l’Oural, de la Méditerranée à la mer du Groenland, y voyager à pied, à vélo, à cheval, sur l’eau… est une expérience spatio-temporelle singulière : selon l’itinéraire, malgré la lenteur du déplacement et la relative étroitesse de l’espace considéré (par rapport à ses homologues), on peut changer très vite de pays (il y en a 55 !), de langue, de culture, sans avoir aperçu la moindre frontière physique. Les pays eux-mêmes sont parfois marqués par des différences régionales fortes. Des contours administratifs et culturels rarement corrélés à ceux des paysages qui ont leur propre dynamique et n’ont que faire des calculs humains. Autant de strates d’espaces et de temps qui remettent sans cesse en question les repères du voyageur itinérant. Celui-ci a l’agréable sensation de recoller les morceaux entre eux, de faire le lien et d’évoluer dans une vaste unité mosaïque. Comme une résistance douce dans un monde qui continue de s’accélérer et en tension géopolitique. Qui n’a jamais connu cette ivresse du voyage au long cours pourra s’enivrer des récits transeuropéens de ce numéro, qui laissent rêveur. Bienvenue dans l’intimité du Vieux Continent !