Au ban(c) de la société
Chronique publiée dans Carnets d'Aventures n°43.
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Rapport n°3 : « Les humains des sociétés riches laissent mourir de froid et de faim quelques-uns d'entre eux dans la rue. Ils sont nommés SDF. Ce n'est pas que la société ne puisse les loger ou les nourrir, mais il semble qu’aucune solution ne soit vraiment recherchée pour changer les choses… »
Estimation du nombre de SDF en France : 92.000 personnes en 2001 (source Insee, 141.500 en 2012 selon une autre publication de l’Institut(1)).
Population française estimée au 1er janvier 2014 : 66.000.000 de personnes(2).
Espérance de vie d’un SDF : 43 ans (source Don Quichotte).
60% d’entre eux touchent une prestation sociale (RSA, chômage, allocation adulte handicapé…). Un quart occupe un emploi, précaire la plupart du temps(2).
9 à 10% sont sans-abri(3) et ne disposent d’aucune source de revenus(2), soit 15.000 personnes, les « grands exclus ». Ce sont ceux-là qui sont probablement les plus fragiles, qui ont des problèmes graves liés à leur situation (malnutrition, froid, maladies non traitées…). 1 Français sur 4500 serait dans cette situation.
Si chaque Français donnait 0,20 € par mois, ces sans-abri en situation d’extrême précarité seraient sauvés. Mais puisque les Français sont victimes de fortes inégalités, on peut réfléchir au niveau du PIB. Avec 0,008% du PIB(4), il n’y aurait plus de sans-abri en situation extrême dans les rues. Ce n’est presque rien, l’épaisseur du trait de la courbe parce que nous vivons dans une société qui, globalement, est extrêmement riche malgré les dires des médias et leur tendance à n’éclairer que le verre à moitié vide.
Et pourtant devenir SDF est une crainte pour beaucoup de Français. Selon une enquête « BVA-Emmaüs-l'Humanité-la Vie », près de la moitié des Français pensent pouvoir le devenir un jour… L’incroyable crainte d’une société d’abondance, mais qui souligne un problème de partage ou plutôt de non-partage. Donner 20 centimes par mois pour ne plus avoir cette crainte ne parait pas un gros sacrifice...
On pourrait naïvement penser que le simple fait d’être choqué par la vue d’autres humains, nos frères, mourir dans la rue devrait naturellement nous mobiliser, nous qui avons la chance de ne pas être dans cette situation. Mais la société que nous avons construite ne fonctionne pas encore comme cela.
Dans un état démocratique, on peut se demander pourquoi il y a encore des sans-abri qui meurent dans la rue alors que la grande majorité des Français ne le souhaite pas (qui le souhaiterait ?) et qu’on a largement les moyens de mettre fin à cette situation ? Comment accepter que certains meurent au pas de notre porte alors qu’on peut les sauver facilement ? Il y a peut-être une explication à cela…
Imaginons un monde sans ce fléau. Admettons qu’on ne puisse plus être sans-abri. Même si on ne fait plus rien, on est sûr de ne pas finir dans la rue, on est sûr de ne pas mourir de faim. Il est possible que certains se disent alors : « de toute façon je ne risque rien, donc je ne fais plus rien qui me pèse, je ne travaille plus ». Et cette situation serait probablement l’une des pires que les dirigeants d’une société productiviste axée sur le travail puissent imaginer. La situation de sans-abri fait peur aux Français. La peur est un bâton efficace pour faire travailler la masse, et laisser quelques épouvantails est un moyen facile d’entretenir cette peur…
Une solution possible parmi d’autres : on entend de plus en plus parler du revenu pour tous (voir l’extraterrestre de CA 28), un revenu inconditionnel que chacun recevrait de sa naissance à sa mort. Cela est possible et défendu par nombre de partisans et d’économistes, « libéraux » comme « sociaux », et pourrait représenter l’un des plus grands progrès de nos sociétés. Plusieurs pays en débattent et s’apprêtent même à lancer des expérimentations sur certaines zones de leur territoire. Ce revenu aurait le mérite de ré-humaniser notre société en supprimant les inégalités les plus manifestes, celles qui aboutissent à la misère extrême. Cela aurait aussi le grand mérite de supprimer les stigmatisations, les « assistés » versus « la France qui se lève tôt », qui ne font qu’éloigner les citoyens les uns des autres alors que la solution à nombre de nos problèmes est de savoir mieux vivre ensemble.
Les sans-abri peuvent-ils disparaître de nos rues ? Si nous le voulons vraiment, la réponse est oui, bien entendu ! 0,20 € par personne et par mois, soit 0,008% du PIB : un infime toussotement dont les économistes ne jugeraient même pas utile de nous parler !
Et l’image du sans-abri, espérons-le, ne se trouverait plus que dans les livres d’histoire et ferait partie de ces non-sens archaïques, verrues d’une brutalité moyenâgeuse que l’on a traînée pendant des siècles malgré la prospérité…
Tiens en parlant d’archaïsmes brutaux, les bancs anti-sdf n’en sont-ils pas ? On peut voir en effet dans certaines villes que l’on ne citera pas, des bancs auxquels on a ajouté des barres transversales afin d’empêcher les sans-abri d’y dormir. Le peu de chose qui leur reste leur est retiré par des municipalités inhumaines… Comment peut-on concevoir ce genre de chose ? À méditer avant de répondre à la question : voulons-nous une société du partage, plus juste et plus humaine, où chacun a sa place et sa dignité ?
PS cynique : si les SDF servent au « système » pour faire peur aux masses afin de les faire travailler, on peut estimer que les SDF rendent un précieux service à ce système. Ne devraient-ils donc pas être rétribués pour cela ?...
L'Extraterrestre
Notes :
1. Publication de l’Insee faisant le point sur la fréquentation des structures d’aide par les sans-domicile en 2012 mais n’utilisant pas les mêmes méthodes de comptage que l’étude de 2001.
2. Sources Insee, disponibles sur www.insee.fr
3. Sans-abri, ils représentent 10% environ des sans-domicile ; les sans-domicile dorment la plupart du temps dans des structures variées (par ex. associations mettant à disposition des lits, centres d’hébergement, squats…), en revanche les sans-abri dorment dans la rue (ou d’autres lieux de type parking, cave, jardin, hall, gare, métro, tente, cabane, voiture…)2
4. PIB en 2014 : 2132 milliards d’€. 180 millions d’€ pourraient suffire à sortir les grands exclus de leur situation d’extrême précarité (1000 €/mois et par personne) ce qui représente 0,008% du PIB, autant dire « peanuts ».