La sobriété : radinerie ou générosité ?
Chronique publiée dans Carnets d'Aventures n°38.
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Qui n’a jamais renoncé à s’offrir un petit restaurant car c’est quand même bien trop cher ici et que l’on est en voyage nature ? Qui ne s’est pas déjà imposé de ne jamais dormir dans un lit pendant un séjour nature car là non plus, ce n’est pas « l’esprit » du voyage ? Et si jamais un jour, vous avez enfreint les règles que vous vous étiez fixées, n’avez-vous pas tenté de le justifier de mille façons ?
Partir en itinérance dans la nature est déjà une démarche d’allègement : on réduit tout ce que l’on emporte pour ne pas trop souffrir sous le poids du sac mais aussi pour nous délivrer de nos propres entraves. C’est bien connu, un sac lourd est un sac chargé de nos peurs : peur d’avoir froid, peur de manquer, peur de se blesser, peur de tomber malade… Avec un sac léger voire ultraléger, on est obligé d’aller au-delà de ces craintes : une doudoune se transforme en sac de couchage, une tarp* suffit à nous protéger de la pluie. En affrontant nos peurs on apprend à mieux comprendre nos propres limites, on les repousse et on en ressort grandi car un peu plus maître de notre destin. S’alléger d’un certain confort rend l’esprit plus ouvert à ce qui nous entoure : on s’émerveille du chant d’un oiseau, d’une lumière ou même d’une semoule au thon… Très vite les solutions à nos problèmes insurmontables quelques jours plus tôt émergent d’elles-mêmes, et nos problèmes eux-mêmes paraissent dérisoires.
Respecter une certaine frugalité en voyage nature, c’est apprendre à trouver en soi-même les ressources nécessaires pour avancer, apprendre à connaître ses propres capacités physiques et mentales. On gagne ainsi en confiance en soi et en sérénité. Jusque-là, la frugalité est vertueuse et on comprend que dans ce cas, dormir dans un refuge ou s’offrir un petit restaurant ne fait pas partie de la démarche. Mais, poussé à un certain extrême – qui arrive relativement vite pour tous ceux qui, comme moi, aiment à révéler leur force dans l’effort et dépasser ses propres limites – cette frugalité devient parfois dogmatique.
« Faire du stop, c’est tricher », « les repas en refuge sont toujours trop chers », etc. Si l’on oublie de questionner le fondement de ces assertions et surtout si l’on oublie de s’adapter aux circonstances, on bascule très vite dans une recherche de la performance. Sous couvert d’une frugalité nécessaire, on va chercher à alléger toujours plus son sac, à accumuler toujours plus de kilomètres dans la journée jusqu’à oublier qu’au départ, on faisait ça uniquement pour le plaisir d’être dans la nature ou dans la découverte. On en vient aussi à refuser toute aide ou toute générosité par crainte que cela altère notre performance. Et petit à petit, on oublie soi-même d’être généreux car on fait passer la réalisation de nos objectifs avant tout le reste.
Bien souvent d’ailleurs, si l’on commence à justifier sans cesse tel ou tel écart à la règle, c’est que l’on voit ça comme une faiblesse et que l’on ne l’assume pas. Or si l’on était réellement dans le plaisir, nous n’aurions pas à nous justifier de n’avoir pas rempli le « contrat ». On est donc dans la performance. Alors performance ou plaisir, l’important n’est-il pas d’assumer ses choix et leurs conséquences ?
Après avoir été en autonomie plusieurs jours dans la nature sans rien dépenser, il peut paraître aberrant de payer pour dormir au chaud. Et pourtant, contribuer aux revenus des gens qui habitent les régions où l’on aime tant nous promener peut aussi rendre notre passage plus utile. Plutôt que de trouver que tout est cher, on peut aussi considérer que n’ayant rien dépensé pendant plusieurs jours, on peut justement se faire plaisir pour un bon repas et faire plaisir à nos hôtes. Pour les populations à faible revenu, notre passage peut faire la différence. D’ailleurs, à votre avis, que pensent les petits producteurs locaux quand ils voient débarquer dans leur région des vacanciers avec le coffre rempli de courses faites chez eux avant de partir et qui ne dépensent rien sur place ?
Ainsi s’imposer une certaine frugalité permet d’être meilleur tout en étant plus ouvert à ce qui nous entoure, mais en même temps, être généreux (au sens large du terme, c'est-à-dire dépenser, donner et recevoir) permet de ne pas tomber dans un individualisme qui remplit éventuellement la bourse et la liste d’exploits, mais jamais les cœurs. Je formulerai ainsi mon vœu pour 2015 : que chacun assume de temps en temps de n’être absolument pas performant, et vous m’écrirez ce que cela vous a apporté !
Olé Rica !