Source d’immobilisme
Chronique publiée dans Carnets d'Aventures n°35.
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La culture du profit est visiblement bien prégnante sur cette planète puisqu’elle peut prendre le pas sur le bon sens et la logique… Regardons par exemple l’immobilier. L’immobilier dans Carnets d’Av !! mais quel est le rapport avec le thème du mag ? Eh bien, comme l’indique le titre, l’immobilier entraîne une diminution de nos libertés. En effet, les prix de l’immobilier en 10 ans ont doublé. Doublé ! On pourrait penser que c’est la loi du marché ; moins de biens, plus d’acheteurs. Sur la même période, le nombre de logements vacants a augmenté de 11%... Étonnant non ?
L’immobilier a augmenté de manière presque irrationnelle ces dernières années, même si aujourd’hui le phénomène s’est calmé et qu’on commence à assister à une baisse. Une baisse ?! Enfer et damnation du modèle économique standard, la sacro-sainte croissance bafouée ! Et les propriétaires qui veulent vendre sont pour la plupart consternés par la situation. Même si c’est une résidence principale, ce qui est le cas le plus fréquent.
Pourtant, le citoyen « moyen » a tout intérêt à ce que le marché de l’immobilier baisse ou soit stable. En effet, l’argent d’une vente sera dans la plupart des cas réutilisé pour un nouvel achat immobilier, puisqu’il faut bien se loger… Donc la somme en argent est complètement virtuelle car vous n’aurez jamais cet argent en poche, il sera toujours affecté à votre logement. Si on n’a pas envie de se retrouver sans logement au cours de sa vie, alors la valeur qu’il représente n’est pas concrète. Elle ne sera jamais « liquide » (à part peut-être au moment de l’héritage). Les personnes qui n’ont qu’un logement principal sont gagnantes seulement si elles ne rachètent pas de maison (ni ne louent puisque les loyers suivent plus ou moins le marché de l’immobilier même si, et heureusement, ils sont plus régulés), si elles rachètent une maison plus petite, ou si elles changent de région pour une autre bien moins chère. Donc, à part les lecteurs « radicaux » de Carnets d’Aventures, qui étaient propriétaires et vendent tout pour partir à l’aventure jusqu’à la fin de leur vie, bien peu de gens sortent gagnants dans cette affaire de marché haussier.
Prenons un exemple concret et assez classique :
a) Marché à la hausse : en 2000 un jeune couple achète un appartement à 100.000 €, ils n’ont besoin que d’un F2 ; le F4 voisin est à 150.000 € à cette époque. En 2010, avec 2 enfants tout frais, le couple souhaite acheter un appartement plus grand. Ce fameux F4. Le marché de l’immobilier a été multiplié par 2 pendant cette période. Ils revendent leur appartement à 200.000 €. Yahoo ! 100.000 € de gains, quelle aubaine ! En revanche, le prix du F4 a aussi été multiplié par 2, le voila maintenant à 300.000 €. Il leur faut maintenant débourser 100.000 € de plus pour l’avoir (en fait bien plus si on compte les frais de notaire et les frais d’agence qui sont proportionnels à la valeur…). 100.000 € qu’il va falloir payer avec leurs salaires. Donc prendre un nouveau prêt et payer de nouveaux intérêts (ça, c’est bon pour les banques).
b) Marché stable : en imaginant maintenant que le marché n’a pas évolué sur cette même période, ils auraient revendu leur appartement 100.000 €, pas de gain. Mais le F4, ils l’auraient acheté 150.000 €, la différence entre les 2 biens aurait été de 50.000 € seulement. Nettement plus facile à absorber avec leurs salaires. Prêt plus petit, durée moins longue, coût du prêt moins élevé, frais de notaire et d’agence nettement moins élevés. Bref ils sont gagnants sur tous les tableaux !
c) Marché à la baisse : et si le marché est baissier, ils sont encore plus gagnants ! Pour le jeu, imaginons un marché qui s’effondre, les prix sont divisés par 2 en 10 ans. Premier réflexe : la vente de leur appartement à 50.000 € les rend malades. Ils ont l’impression de « perdre » 50.000 €. Mais le F4 est maintenant à 75.000 €, il va leur falloir débourser seulement 25.000 € en plus pour l’avoir. Un prêt encore plus petit, encore moins de frais de notaire… Il leur reste bien plus d’argent à la fin de chaque mois que dans les 2 scénarios précédents. Ils sont donc plus riches alors qu’ils croient avoir perdu de l’argent.
Le bilan de cette petite histoire, c’est que plus l’immobilier augmente et plus le peuple s’appauvrit au profit des banques et de ceux qui font du business autour de l’immobilier (en achetant et vendant des biens qui ne sont pas leur résidence principale), creusant encore plus les différences entre les très riches et les autres.
La part de revenus allouée par les citoyens au logement a énormément augmenté ces dernières années. Le marché a obligé les gens à s’endetter sur des durées de plus en plus longues, payant d’autant plus cher leur prêt malgré la baisse des taux de ces dernières années (voir la note 5).
Par exemple le remboursement du prêt est souvent cité comme facteur limitant à la prise d’une année sabbatique, d’un temps partiel, de congés sans solde… On est obligé de bosser pour rembourser la maison (qui est d’autant plus chère, d’ailleurs, qu’elle se situe à proximité d’un bassin d’emploi). Bref, une bonne solution pour faire travailler la population, c’est d’avoir un marché immobilier en hausse. Mais cela a-t-il encore du sens dans un monde où on atteint les limites du productivisme à cause de la finitude des ressources ?
La société, et donc son organe exécutif l’État, n’ont-il pas leur rôle à jouer dans cette situation ? Une société qui ne permet pas à tous ses membres de manger à satiété, boire de l’eau potable, et d’avoir un toit, est-elle souhaitable ? Est-il sain de pouvoir spéculer sur les biens de première nécessité au risque d’en priver une part toujours plus grande de la population ?
Oli Daiye
Quelques références
1. Évolution des prix en euros courants de l’immobilier entre 2000 et 2010 : +100% environ ! (fois 2) (107% en réalité source notaires/INSEE)
2. Évolution du salaire moyen français en euros courants sur la même période : +23% (source INSEE)
3. Augmentation du nombre de logements vacants entre 2000 et 2010 : +11% (source INSEE)
4. Durée moyenne du crédit immobilier : 170 mois (14 ans) en 2000, 215 mois (18 ans) en 2010. L’apport moyen est en forte hausse (source crédit logement/CSA)
5. Un taux à 4% sur 14 ans, c’est 73% de la somme empruntée à rembourser en plus ; c'est-à-dire si on emprunte 100.000 €, on devra rembourser à la banque 173.000 €.
Un taux de 4% sur 18 ans, c’est 103% de la somme empruntée à rembourser en plus ; c'est-à-dire si on emprunte 100.000 € on devra rembourser à la banque 203.000 €.