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Philosophie du voyage nature 5

Conséquences de la surfréquentation de trekkeurs au Maroc

pascal schmid - 25 août 2007
1 messages
Suite à un trek au Maroc avec un voyagiste, voici le courrier que je leur ai récemment adressé, je pense qu'il peut constituer un sujet de discussion.

Bonjour,

Par votre intermédiaire nous venons d'effectuer en groupe constitué un magnifique trek de 12 jours dans la région du M'goun (Atlas central, Maroc).
Je voudrais vous faire part d'une réflexion qui me semble très importante pour l'évolution du tourisme en montagne dans ce pays, pour les années qui viennent.
Il se trouve que j'ai quelque compétence en la matière, étant responsable du développement touristique d'un grand département Français. Je suis également Accompagnateur en Montagne. J'ajoute enfin que j'ai pu porter sur ce séjour un regard en profondeur, ayant vécu jadis au Maroc et fréquenté assidûment l'Atlas à une époque où les treks organisés étaient encore rares ...
J'ai retrouvé ainsi le pays lumineux et accueillant que j'avais tant aimé, ces montagnes somptueuses et austères, ces vallées riantes aux habitants nobles et altruistes, et ces guides et muletiers toujours dévoués et plein d'allant.
Certes, le fait de passer pour la première fois par un voyagiste émoussait un peu le sentiment d'aventure et limitait l'exercice de l'autonomie auquel je suis habitué, mais cela faisait partie du concept et je m'y étais résolu volontiers.

Mais une découverte de toute autre nature m'attendait, qui s'est confirmée hélas à chaque étape :
les aires de bivouac en été sont devenues insalubres !

En une vingtaine d'années, le Maroc est devenu pour le marché Européen une destination phare de la randonnée exotique à prix modeste. Avec des atouts objectivement excellents, la fréquentation y est devenue chaque année plus grande.
Or, la faible densité des hébergements amène les agences de trek à recourir quasi systématiquement à une logistique sous tente, transportée par des mules et déplacée chaque jour vers un nouveau (et souvent rare) point d'eau.
Ainsi aux campements étions nous entre 2 et 5 groupes de 6 à 20 personnes chacun, urinant et déféquant au petit bonheur dans un espace malgré tout limité, et avec une assiduité souvent commandée par l'état pathologique de nos intestins (c'est ce qu'on appelle un cercle vicieux).

Cette gestion "sauvage" des besoins naturels a toujours eu cours en montagne, et au Maroc en particulier où l'on pratique traditionnellement l'ablution, sans recours au papier.
Jusqu'à un certain degré, la nature se chargeait d'en éliminer la majeure partie, ne distribuant la tourista qu'à quelques malchanceux.
Mais la croissance des déjections « touristiques » se rajoutant à la pression habituelle des troupeaux et de la vie nomade, il arrive ce qui était prévisible : la saturation.

Dans notre groupe ainsi que dans les autres, tout le monde était malade à des degrés divers, contaminé par les eaux polluées.
Même notre guide local à fini par l'être.
Même les mules ont été atteintes, dont une qui avait du mal à se dresser sur ses pattes le matin…


Du jamais vu pour moi qui ai arpenté jadis l'Atlas en une vingtaine de randonnées itinérantes ! Jamais il ne m'avait été donné d'y voir des bassins versants de sources méthodiquement mouchetés d'excréments humains. Jamais je n'avais encore ressenti sur des tronçons entiers d'étape cette odeur entêtante. J'en étais gêné pour la dignité et pour la santé des nomades qui vivent là l'été, ainsi que celle des populations villageoises en aval, notamment les vieillards et les enfants.

En bref, il se développe une menace sur les itinéraires de trek Marocains. Certaines vallées pourraient bien être au début d'un processus de crise sanitaire affectant d'abord les touristes, puis les populations d'accueil. Cela aurait un impact rapide sur la fréquentation, l'économie des villages, le chiffre d'affaire des prestataires.

Il y a trois scénarios de réponse possible :

1 - limiter la fréquentation et instaurer un numerus clausus comme dans les parcs nationaux
Américains. C'est suradapté au problème, peu dans l'esprit du pays, et relativement incontrôlable.

2 - gérer l'hygiène publique sur les aires de bivouac. Elles ne sont somme toute pas très nombreuses. Cela consisterait à aménager sommairement pour chacune 2 à 3 fosses à distance des points d'eau, et à faire la pédagogie de leur bon usage auprès de vos partenaires et de vos clients.

3 - laisser faire le marché en estimant qu'une crise de confiance ramènerait le problème à un seuil acceptable par baisse mécanique de la fréquentation, les vraies solutions pouvant être étudiées à terme par les autorités locales.
C'est bien sûr le scénario de l'absurde qui laisse courir successivement un risque de santé publique et une menace de baisse de production économique.
Malheureusement, il faut admettre que ce scénario à un risque d'occurrence assez fort.

C'est pourquoi dans ce contexte de relative urgence je me permets de vous interpeller au titre de vos engagements pour le développement durable des régions que vous nous faites traverser.
Si votre "Charte pour un Tourisme Responsable"(ATR) n'est pas qu'un outil de marketing, alors il vous faut agir avec TOUS LES PROFESSIONNELS, VITE, et CONCRETEMENT .

Dans l'attente d'une réponse de votre part qui sera certainement constructive et en rapport avec votre réputation, recevez mes sincères et meilleures salutations.


Pascal SCHMID
Courrier adressé à Allibert, montagne et déserts, le 24 août 2007.


mad - 19 déc. 2007
981 messages
Je fais un "UP" sur ce post déjà ancien, mais qui me parait remarquable!

Si ce type de courrier était adressé plus souvent aux voyagistes (même si peu d'entre nous y font appel - ? - on croise parfois leurs "traces" ), avec copie aux autorités locales compétentes, et peut-être avec le poids d'un courrier collectif soutenu par les membres d'un forum comme celui-ci, on arriverait peut-être à éviter des horreurs.

Qu'en pensez vous?

pascal schmid - 05 janv. 2008
1 messages
Concernant cette lettre envoyée au voyagiste Allibert, voici sa réponse :


[q][/q]Monsieur Schmid,

Nous avons bien reçu et lu avec attention votre courrier parlant des problèmes de déchets et d'excréments rencontrés au cours de votre trek dans l'atlas marocain.

Merci pour votre retour lucide et objectif sur le sujet.

Nous sommes bien conscients de la situation et Allibert se sent bien concerné par cette question... dans la mesure du possible.
- Nous donnons des consignes strictes à nos équipes pour veiller à l'état des lieux des campements.
- Nous faisons au mieux pour sensibiliser nos voyageurs: par les guides (qui sont sensibilisés et formés sur ce sujet), par l'information dans les fiches, par la distribution de la Charte Ethique du Voyageur à nos voyageurs.
- Nous organisons ponctuellement des opérations qui ont autant pour but d'être utiles et efficaces que de sensibiliser. Je peux vous citer parmi celles-ci: réalisation de toilettes en Bolivie et en Equateur, opérations de nettoyage impliquant équipes locales et parfois voyageurs, par exemple au camp de base du Toubkal en 2005 et dans le désert marocain cet automne.

Mais, nous ne pouvons agir qu'avec nos moyens et compétences. Nous sommes une agence de voyage impliquée et non une ONG. Nous ne pouvons non plus nous substituer aux autorités locales. Or le rôle des instances publiques locales est primordial dans ces questions de gestion des déchets. Sans leur action ou au minimum leur soutien, il est difficile de faire quelque chose.

Néanmoins, vous avez largement raison sur le poids que peut (doit?) avoir ATR, justement pour mieux travailler avec les autorités locales. Cette association de voyagistes est relativement jeune et met progressivement en place des actions communes... Il faut donc lui laisser un peu de temps.
Nous avons donc transmis votre courrier au coordinateur d'ATR en soumettant l'idée de "faire quelque chose". Mais il faudra un peu de temps.

Encore merci pour votre "alerte" et votre implication
Cordialement[q][/q]
MON AVIS :
Cette réponse botte en touche. Le voyagiste pourrait très bien instaurer une obligation de résultat à ses équipes locales en matière de W.C. de bivouac , et non un "essai de sensibilisation ". Cela démontre que ce ne sont pas les voyagistes qui traiteront le problème, mis à part quelques coups de communication.
Première réaction : méfions-nous de l'" Ethique-Mercatique", surtout quand elle est bien
emballée...
Ceci dit je dois rappeller que ma lettre à été aussi envoyée au Ministère
Marocain du Tourisme, et là je n'ai carrément jamais reçu de réponse, même
bidon. N'oublions pas que ces pays d'accueil n'ont pas par définition un statut
de victime. En tant qu'Etats souverains, leur part de responsabilité est
complète...

Pascal SCHMID

Rowel - 11 janv. 2008
193 messages
Voilà qui donne envie de parcourir l'Atlas !
Malheureusement ça corrobore bien les échos que j'avais eu... et ça m'a coupé l'envie.

ChristopheD - 11 janv. 2008
351 messages
Rowel :
Voilà qui donne envie de parcourir l'Atlas !
Malheureusement ça corrobore bien les échos que j'avais eu... et ça m'a coupé l'envie.

ET c'est un tort ! :D
J'ai eu l'occasion d'y aller il y a un gros paquet d'année, avec des amis marocains (c'est peut-être pour ça que ça s'est super bien passé), et l'Atlas en rando dans la neige avec le désert à portée de vue, c'est magnifique (tout le reste aussi).
Un vrai régal !

Poitre - 13 janv. 2008
7 messages
Il est important de faire remonter aux agences ce que l'on constate sur le terrain, surtout lorsque les guides locaux ne l'osent pas (ce qui est souvent le cas je pense), en espérant que cela puisse faire changer les choses et que les agences améliorent par exemple leur travail de communication envers les clients. J'avais pour ma part envoyé une lettre à Nomades Aventures à la suite de deux treks effectués dans le Tassili n'adjer, en réaction aux comportements scandaleux d'autres membres du groupe. Je n'ai d'ailleurs jamais eu de réponse :(

Ce qui m'avait frappé à l'époque, c'était que les touaregs n'osaient pas (par timidité ?) faire de reproches à ceux qu'ils accompagnaient. Et pourtant il y avait de quoi, avec des abrutis gaspillant l'eau sans compter ou brûlant en un feu de camp l'équivalent de la consommation annuelle d'un touareg. Ayant très vite sympathisé avec le guide, celui-ci m'avait d'ailleurs par la suite utilisé comme porte-parole officieux pour râler auprès des autres touristes, ce que j'avais fait avec joie :D

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