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Le Stevenson en famille et avec un âne

(réalisé)
Souvenirs de voyages en itinérance.
Marches en famille avec des enfants.
randonnée/trek / âne
Durée : 8 jours
Carnet publié par Sandy458 le 26 mars 2023
modifié le 26 mai 2023
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Le compte-rendu (mise à jour : 26 mars 2023)

EN COMPAGNIE D’UN ÂNE - LE STEVENSON-GR70. ETÉ 2013.

A Popov.
 

  
 
Pourquoi partir sur les routes avec un âne ?

Qu’est-ce qui peut bien pousser notre famille, 2 adultes et 2 enfants de 7 et 10 ans, à passer une semaine itinérante avec un animal inconnu ?

Est-ce le goût de la marche au long cours ?

Est-ce l’envie de partager cette semaine rien qu’entre nous  quatre ?

Est-ce par recherche d’une certaine lenteur qui trancherait avec notre quotidien de citadins actifs ?

Est-ce encore pour se lancer un défi à relever tous ensemble ?

 
Il faut probablement chercher l’essence de notre choix dans chacune de ces propositions.
 

En 1878, l’écrivain Robert-Louis Stevenson était parti lui aussi sur les routes avec l’ânesse Modestine. Il souhaitait prendre du recul et fuir ses déboires sentimentaux.

Si son objectif premier n’était pas de marcher avec un âne, très vite, il s’est avéré qu’il avait besoin d’une aide sûre pour porter ses bagages.

De bête de somme, Modestine prendra du galon jusqu’à devenir une compagne à part entière.
Ce périple, l’écrivain le relate dans « voyage au travers des Cévennes avec un âne ».

J’aurais pu choisir ce livre comme compagnon de voyage. J’ai préféré en faire la lecture quelques mois auparavant et laisser le temps nécessaire pour que les péripéties soient moins présentes à mon esprit. J’ai craint de trop m’y référer, de rechercher obstinément les sensations et les visions de R-L Stevenson dans un pays qui a forcément évolué et changé. Enfin, je préfère découvrir et ressentir avec mes yeux et ne pas me sentir emprisonnée par les mots d’un autre.

Le livre qui me suivra sera donc tout à fait différent : « Tragédie à l’Everest » de Jon Krakauer.  Un voyage vertical et vertigineux bien loin des pas horizontaux et assurés de notre âne ! 
 
Nous avons choisi de nous lancer sur une partie du périple de l’écrivain : le GR 70 qui mène des Cévennes au Gard.

Le Stevenson au complet s’étire sur 250km, nous prévoyons de couvrir les 120 derniers km, les plus réputés.

Et notre âne sera d’emblée un compagnon choisi et voulu, une aide précieuse, un ami…
 
 
 
 
3 août 2013. Arrivée à Chasseradès…
… là  où l’Allier prend sa source à 1 486 m au Moure de la Gardille.

Ce soir, alors que nous venons de nous poser à l’Hôtel des Sources, l’attente et l’impatience vont grandissantes.

Gilles Romans, l’ânier qui va nous confier l’un de ses protégés, vient nous donner les quelques conseils nécessaires à notre voyage et à la bonne santé de notre compagnon.

Nous faisons connaissance de Popov, âne provençal, âgé de 17 ans. Sa jolie robe gris clair se pare d’une croix de Saint André allant d’une épaule à l’autre, joignant l’encolure à la croupe.  Cette  ligne sombre est l’apanage des ânes.

Il est de taille moyenne, de contact facile et inspire confiance au premier regard. Ses grands yeux sombres bordés de longs cils noirs, ses sabots menus, nous conquièrent d’emblée.
 

Section 1
Panser l’animal, entretenir le matériel, parer aux petits désagréments, savoir équilibrer la charge du bât, nous enregistrons toutes les consignes et reproduisons aussitôt les gestes de peur que les précieux conseils ne s’échappent de notre esprit.

Il s’agit de ne rien omettre pendant les jours qui vont suivre, Popov a droit aux égards et aux soins qui lui convienne ! Il en va tout autant de son bien-être que de la réussite de ce périple.
Gilles Romans nous laisse, confiant dans notre capacité à nous occuper de son âne.

L’animal est sûr, de bonne composition, nous pouvons nous remettre à sa sagesse et à son expérience.
 

Popov passe la nuit dans un pré, il mâche avidement son avoine tout en nous observant d’un œil intéressé.

« Serez-vous de charmants maîtres le temps de cette randonnée ? » semble-il demander.
Nous laissons notre nouvel ami à son repas et songeons à aller faire honneur à la table de notre hôte.

La nuit tombe mais malgré la fatigue de la journée, le sommeil tarde à nous gagner.

Nous parcourons silencieusement le village de Chasseradès et montons à l’Eglise romane du XIème siècle.  De là, nous admirons les 3 belles d’été dans le ciel nocturne : Altaïr, Deneb, Véga.

La clarté stellaire rassurante et immuable semble nous susurrer que nous pouvons nous tranquilliser.  Tout se passera bien.
 

 
 
4 août 2013. De Chasseradès à Le Bleymar.  18 km.

Ce matin, je prépare le bât de Popov pour sa première journée de randonnée et je l’empêche de fourrer son museau dans le panier repas des humains. Après tout, il a eu son petit déjeuner bien avant que nous ayons songé à nous caler nous-même l’estomac.

Un contretemps fâcheux, nous  a fait perdre les 3 bonnes heures de  marche matinale « à la fraîche »  que  nous avions prévu : Jocelyn a chuté d’une balançoire et des vives douleurs au bras nous ont fait craindre une fêlure ou une fracture. Un aller-retour aux urgences de l’hôpital de Mende situé à 40 km, des radiographies et une consultation ont achevé de nous rassurer.
Nous quittons Chasseradès très en retard sur l’horaire prévu. Il est plus de midi.

A peine 15 minutes après notre départ, nous sommes contraints de refaire le bât qui bascule sur les flancs rebondis de Popov. Qu’à cela ne tienne, c’est la première et dernière fois qu’un incident technique de ce type nous fait stopper notre marche, nous arrimons convenablement notre barda et passons maître dans l’équilibrage de nos affaires dans les immenses sacoches qui s’accrochent au bât.

Repartant d’un bon pas, nous passons le viaduc de Mirandol qui surplombe le cours d’eau de Chassezac.

Ses arches monumentales qui courent sur 120 m de long et 30 m de haut sont autant de foulées de géant pour les simples randonneurs que nous sommes !

Notre objectif se précise au loin, nous allons traverser une forêt composée majoritairement de résineux et monter au  col du Goulet ou nous ferons une pause repas.

Le soleil partage le ciel avec des nuages menaçant. Le temps est à l’orage mais devrait se maintenir favorablement.

Le cliquetis des sabots de Popov est une douce musique à nos oreilles qui chasse les peurs de tonnerre et de foudre.

Tandis que notre âne arrache des touffes d’herbe verte et bien grasse sur la route, nous goûtons à la saveur délicate des fraises des bois.

Nous croisons quelques promeneurs auprès desquels nous constatons la vocation ratée de Popov : il aurait dû se faire ambassadeur tant sa présence facilite les rencontres, simplifie les échanges en offrant un sujet de conversation tout trouvé pour nouer contact. Il gagne les humains à sa cause, nous les premiers.
 
 
Il est impossible de cheminer sur cette terre sans parler d’Elle.
 
Elle, la Bête du Gévaudan.
 

Section 1
Le 30 juin 1764, une habitante du Gévaudan est retrouvée morte, mutilée par ce qui semble être un formidable animal. Accident, crime unique ? Hélas, pendant trois années, une créature incertaine entre le loup, le gros chien mâtin ou même l’hyène sévira dans la Margeride en plein pays du Gévaudan. On dénombrera force victimes dévorées,  affreusement blessées et une terreur tenace paralysera toute la contrée. On évoquera la « Colère de Dieu », on priera, on fera des battues, on tentera de protéger bergères et enfants… sans succès. La Bête est partout, dotée d’une force incroyable, d’une vélocité qui dépasse l’entendement. Cette Bête est créature du Diable, c’est certain, et on se signe en murmurant son nom… Les fameux Dragons, menés par le Capitaine Duhamel, les nobles locaux, les paysans du cru, tous se lancent aux trousses de la Bête qui demeure insaisissable, invincible…

Jusqu’au 21 septembre 1765, où un certain Antoine de Beauterne, lieutenant de chasse de Sa Majesté, croira être venu à bout de la créature de terreur.

Las, dès le printemps de l’année 1766, les massacres reprennent. La Bête est-elle revenue des Enfers pour continuer son œuvre de mort ?

Il faudra attendre le 19 juin 1767 pour que Jean Chastel,  cabaretier et chasseur à ses heures,  vienne à bout de la créature et que – miraculeusement – les tueries cessent enfin.

Où se termine la réalité historique ? Où commence la légende ? Impossible de faire la part des choses et puis, le souhaite-t-on réellement ? A l’heure où nous tournons le dos au Gévaudan, tous frissonnent délicieusement alors que j’accompagne nos pas du récit de l’Epopée sanglante de la Bête.

Espérons seulement que Popov saurait être un bon talisman protecteur si d’aventure, la créature décidait de revenir galoper dans ces terres à la recherche de voyageurs…
 

 
Après cette journée de marche en pleine chaleur,  goûter l’eau de la fontaine  d’un village touche au miraculeux.

Nous nous abreuvons délicieusement aux Sources du Lot alors qu’une heure de marche nous sépare de notre étape.

Nous dînons et passons la nuit à Le Bleymar,  et plus précisément à « La Remise » ou le repas gastronomique de qualité nous ravit.

Popov partage un pré en compagnie d’une jeune  ânesse de race provençal tout comme lui.  La demoiselle se nomme Matutu qui signifie, nous l’assure-t-on,  « araignée » en guyanais.

Ce soir, les pieds et les jambes des bipèdes  font sentir les km parcourus…
 
 
 
 
 
5 août 2013. De Le Bleymar à Pont de Montvert. 20km.

Nous quittons Le Bleymar pour attaquer notre première  journée avec dénivelé conséquent. Popov marche sans que nous ayons besoin de tenir sa longe, il nous suit ou bien nous le suivons, c’est selon.

Le point fort de la journée doit nous mener dans le Mont Lozère, au Sommet de Finiels qui culmine à 1 699 m d’altitude.

Nous foulons la moyenne montagne  des Cévennes, Parc National de renommée mondiale, consacré en 1985 par l’UNESCO  en «Réserve mondiale de la Biosphère ».

Ici s’épanouissent 2 250 espèces de végétaux ainsi qu’une faune importante et diversifiée : vautours fauve et moine, castor, cerf, chevreuil, mouflon, loutres, chouettes de Tengmalm, aigle royal, hibou grand-duc…

 Certaines espèces ont été réintroduites par la volonté de l’homme d’autres ont recolonisé naturellement cet espace de paix dédié à la Nature.

Ce qui frappe le randonneur, c’est avant tout l’incroyable prolixité d’insectes.  Ça bruisse, ça stridule, ça s’envole devant le pas,  ça se pose sur les vêtements.

Les enfants s’amusent, un peu inquiets,  des énormes criquets multicolores qui nous escortent.
Notre regard vagabonde de la bruyère au « pied de chat » jusqu’aux callures, nous prêtons l’oreille aux discussions du criquet, de l’alouette lulu, au débat des cigales. Nous frôlons de la semelle le  granit, le feldspath, le quartz ou encore le mica.
 

Section 1
Il faut dire qu’avec l’enfilade de 10 km de montée et 10km de descente, le randonneur se prend  vite à  apprécier les petits riens disséminés sur le chemin qui le distraient de l’effort. Aujourd’hui, la chaleur se veut écrasante sur les monts. Les herbes desséchées couchées par le vent nous rappellent l’âpreté qui règne ici. Je n’ose imaginer la désolation hivernale s’installant…
Dans cette nature austère, des pierres semblent pousser hautes et droites. Les montjoies balisent le chemin, indiquant la bonne route à suivre même en plein brouillard. Certaines arborent une croix de Malte gravée. Elles marquent alors la limite de la propriété des Hospitaliers de l’Ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem. Véritables sentinelles et protectrices du voyageur égaré, leur présence remontent à 1166.

De curieuses boules de granit parsèment le terrain. Ces gros rochers ont donné la matière première pour la construction des habitations locales mais s’avèrent aussi être de biens fâcheux obstacles pour les agriculteurs qui se trouvent obligés de les contourner pour labourer.
 
Plus rien n’existe au cœur des  monts, temple de la minéralité, et cette solitude assèchent nos gourdes d’eau, le précieux liquide s’évapore dans le désert estival qui nous entoure.

Nous amorçons la descente vers  le village de Finiels, les  chemins escarpés nous font comprendre ce que signifie l’expression « pas assuré de l’âne ».  Popov nous épate !

La fraîcheur des arbres nous entourant nous donne de l’allant et nous accélérons le pas vers notre prochaine étape.
 
Nous rencontrons 2 randonneurs accompagnés d’une ânesse que nous reconnaissons. C’est Matutu, la compagne de pré de Popov ! L’équipage est également engagé sur Le Stevenson, nous ferons les mêmes étapes.

Nous échangeons au sujet de nos ânes respectifs. Je me fais l’effet de parents discutant de leur progéniture à une sortie d’école.

Pour ma part, je trouve l’âne injustement coincé entre le noble cheval et l’excentrique zèbre. Est-il le cousin un peu honteux qui amuse la galerie lors des repas de famille des équidés ?

Les mollets tirent un peu lorsque le Tarn coule enfin à nos pieds.

Le village de Pont de Montvert se révèle au détour d’une route. Nous faisons sensation en traversant la bourgade. Popov attire les autres randonneurs et les curieux, les automobilistes nous cèdent le passage de bonne grâce.

Notre étape nocturne se situe dans le cœur même du lieu, impossible de rester discret avec notre baudet!

Nous dînons et dormons aux « Sources du Tarn », un établissement tout droit sorti des années 50.

Popov, quant à lui,  se repose avec  5 compères dans le parc aux ânes.
 
Se racontent-ils des histoires de randonneurs et débattent-ils du mérite de leurs humains de compagnie ?
 
 
 
 
 
6 août 2013. De Pont de Montvert à Florac. 27km.

Une grosse étape s’annonce aujourd’hui et le temps tourne franchement à l’orage avec un risque de grêle.

Météo France a classé notre région en vigilance orange. Il n’est pas question de traîner et encore moins de prendre des risques d’autant plus que nous allons cheminer en hauteur ce qui n’est pas rassurant au vu des nuages gris qui s’amoncellent à l’horizon.

Nous quittons Pont de Montvert, ce joli petit village serré sur les bords du Tarn, son pont de pierre si typique, sa tour de l’horloge, ses ruelles qu’on jurerait sorties d’un vieux livre d’illustrations anciennes et son passé de  haut-lieu historique de la Guerre des Camisards.

Section 1
Les Camisards !

Révocation de l’Edit de Nantes en 1685 par Louis XIV, interdiction du culte protestant, sévices, démolition des temples. Voici, résumé en quelques mots,  tout ce qui anéantira la région.

La guerre historique commence le 24 juillet 1702 et s’achève le 14 octobre 1710 avec la mort du dernier Camisard : Abraham Mazel. Entre temps, des hameaux complets seront déportés, d’innombrables hommes et femmes perdront la vie au nom de l’intolérance érigée en loi divine.

Les protestants du pays cévenol se heurtent aux Dragons du Roi dans une guerre terrible qui saignera la population…

De révoltes en représailles, les Cévennes vivront des décennies sous un climat inquisitorial. Les pasteurs fuient mais certains gagnent le « Désert » d’où ils continueront à faire vivre la foi protestante. Sous-bois, ravins, clairières, peu importe le lieu si les fidèles peuvent se réunir et laisser libre cours à l’expression de leur croyance.

Pour contrer les exactions des Dragons, des hommes et des femmes se soulèvent et entrent dans une clandestinité farouche et guerrière, protégés par cette terre sauvage.

Le mouvement des  Camisards est né et l’espoir soutiendra les âmes pendant quelques années.

Pour nous, point d’épopée historique, mais une bonne montée par un chemin qui nous amène à flanc de montagne au-dessus de Pont de Montvert vers le chemin des crêtes. Nous sommes prévenus, cette journée sera sous le signe de montées et de  descentes.

Elle sera longue et  fatigante et nous craignons un peu que les enfants aient de la peine à parcourir une telle distance. Nous prions pour que les conditions météorologiques restent clémentes. Popov est là bien sûr et si nous nous chargeons nous même des bagages, nous pouvons lui confier les enfants à tour de rôle. Mais nous n’avons que peu envie de nous répartir 40 kilos et d’avancer pendant 27 km sur des chemins escarpés sous la menace d’un orage…

Alors, lorsque la fatigue et la lassitude se fait sentir, nous inventons des jeux, nous nous posons des devinettes, nous chantons. Occuper son esprit permet de moins penser aux petites jambes fatiguées.

Sur le chemin des crêtes, nous croisons un couple d’allemands accompagné de leur chien, un jeune border collie tout-fou.  En mêlant français, allemand et anglais, nous apprenons que Madame est  photographe de métier et que Monsieur tâte aussi de cet art. Ils nous tirent le portrait, un peu impressionnés par cette famille de français partie sur la route avec un âne. Popov continue son travail de lien entre les hommes et y ajoute maintenant une notion d’internationalité.

Puis, de  longues heures de marche se succèdent,  sans croiser âmes ou ânes qui vivent. La montagne semble comme vidée de toute vie humaine,  nous avançons dans un no man’s land, seuls représentant s de notre espèce au milieu des genêts, des pins, des châtaigniers. Ici, le son de nos voix est recouvert par celui des cigales et des sauterelles.

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Nous passons le col du Sapet à  1 080m d’altitude.

Nous marchons encore et toujours. Pas après pas. Dans une ambiance quasi mystique.
Pour ma part, je pense que nous touchons à quelque chose de primordial en déambulant ainsi.
Le randonneur goute à s’enfermer dans son effort, l’âme et le corps tendus vers un but qui vaut toutes les gloires du monde. Un  logis, un repas, de l’eau à discrétion. Son paradis est là.
Il en oublie jusqu’au nom des jours. Il touche  à l’état de détachement ou plus rien n’a d’importance.

Il se recentre sur l’essentiel, le vital.

Sa marche en elle-même devient hypnotique : il enfile les pas, les kilomètres  comme d’autres égrènent leur chapelet : confiant et tout consacré à un dieu miséricordieux qui ne peut être qu’amour puisqu’il nous offre l’opportunité de vivre de telles sensations.

En fin de journée, nous descendons sur la ville de Florac, un autre lieu sacré de l’histoire camisarde.

A quelques minutes de notre étape, Popov se fige sur la route et tourne la tête en arrière.

Intrigués, nous décidons de lui faire confiance et nous rebroussons chemin. Nous constatons que nous venions de nous engager sur une mauvaise route et qu’il vient de  nous indiquer le bon chemin vers « le Rochefort » notre étape du soir.

Popov, déjà venu en ces lieux,  se souvient fort bien son itinéraire !

Le soir venu, nous sommes rassurés et contents en dressant le bilan de cette journée.

Popov a marché vaillamment, les enfants aussi.  Ont-ils pris exemple sur notre compagnon ou ont-ils voulu lui épargner de monter sur son dos ? Le fait est qu’ils ont couvert les 27 km sans trop rechigner. Même le temps nous a souri en se retenant de déverser la pluie annoncée.
 

Dans la nuit, l’orage éclate. Nous pensons à Popov dans son pré. Notre brave ami.
 

 
 
7 août 2013. De Florac à Cassagnas. 20km.

Pluie, pluie, pluie… Il n’y a rien d’autre à dire de cette matinée.

Qu’il est difficile de se résoudre à sortir de la chaleur du « Rochefort ». Pourtant 20km nous attendent jusqu’à la prochaine étape. Le temps se couvre de plus en plus, la nuit semble faire de la résistance et refuser de laisser place à la lumière du jour. Le tonnerre frappe la montagne en face. Le fracas se répercute sur la barre rocheuse et fait dresser les cheveux sur les têtes.
 
Nous patientons un peu puis, devant la pluie qui semble se calmer, nous installons le bât de Popov, bâchons les sacoches et prenons la route. Il est 11h déjà, il est plus que temps de se décider à partir.

Hélas, l’embellie ne se concrétise pas et nous traversons la ville de Florac sous un déluge.

La présence de Popov nous force à marcher sur la route et les voitures nous arrosent bien involontairement. Le bitume est saturé par la pluie qui ne parvient plus à s’évacuer.

Nous avisons un immeuble dont les balcons nous offrent un surplomb suffisant pour nous abriter. Popov soulage sa vessie devant la vitrine d’un assureur pour notre plus grande confusion…

 
La pluie se calmant un peu, nous reprenons notre route et nous sortons de Florac. Notre itinéraire nous invite à emprunter un sentier tout en montée, serpentant dans un sous-bois glissant et détrempé. Si le passage de ruisseaux  n’est pas pour nous déplaire en temps normal, il n’en est pas tout à fait de même lorsque lesdits ruisseaux sont fortement gonflés par les averses. Notre marche se poursuit à flanc de montagne pendant un long moment,  les sabots de Popov glissent sur les pierres qui ont perdu toute adhérence.

Nous traversons le Tarnon qui comme son nom l’indique est  un affluent du Tarn. Cette traversée nous indique l’imminence de la pause du midi à Saint Julien d’Arpaon. La pluie  cesse enfin,  le temps se calme, les nuages se dissipent. Le soleil pointe.

Nous déjeunons assis sur des troncs d’arbres couchés, c’est incroyable comme le moindre morceau de pain devient succulent après l’effort, comme une pêche juteuse devient plus enivrante qu’un divin nectar ! Et la moindre bouchée de gruyère rivalise avec  les mets préférés !

La seconde partie de la journée nous amène sur une portion inattendue du GR70.

Nous empruntons la ligne d’un ancien chemin de fer désaffecté. Les rails ont été ôtés et laissent place à un terrain de randonnée facile, dans un cadre grandiose.
 

Section 1
La montagne a été percée à intervalles réguliers pour la construction de  tunnels où rugissaient les locomotives à vapeur d’antan, le GR 70 nous fait circuler dans ces galeries obscures où nous nous amusons à hurler « Tchou Tchou » de toute la force de nos poumons !
 En fin d’après-midi, nous parvenons à Cassagnas, une autre ville témoin du passé camisard.

Notre arrivée à  « L’Espace Stevenson », installé dans l’ancienne gare de Cassagnas, est très remarquée. Popov fait sensation, on se presse pour venir le voir et s’enquérir de notre voyage.
On ne cesse de nous demander si c’est Modestine, ce à quoi je rétorque en souriant qu’il en est au moins l’un des dignes descendants.

Popov, après son quart d’heure « warholien » de gloire,  gagne son pré  pour un dîner bien mérité constitué d’orge trempé.

Nous passons une soirée chaleureuse, l’accueil est attentionné et sincère, l’ambiance est au rendez-vous dans ce relais qui accueille les randonneurs, les cavaliers et les ânes de passage.

Nous nous sentons bien, comme si nous partagions un repas en famille, une famille vraie, sincère et réunie autour d’une passion commune.

Après une  courte promenade de nuit, nous songeons à nous coucher. Peine perdue, une pipistrelle  reste accrochée sur le mur de l’accueil du Relais et les enfants ne se lassent pas d’observer le petit animal au corps frêle et soyeux.

Section 1
C’est aussi cela, l’esprit de la marche : se noyer dans la contemplation de ce qui est offert.
 
 

 
8 août 2013. De Cassagnas à Saint Germain de Galberte.17km.

Ce matin, une sacrée surprise nous attend, le thermomètre affiche à peine 16° !

Outre la fraîcheur surprenante pour un jour d’été, la pluie tombe drue et le ciel est plombé.

C’est donc sous des vêtements de pluie que nous prenons notre départ pour le deuxième jour de suite.

Une autre surprise nous attend. Le pont de pierre que nous devions emprunter est en réparation ce qui nous inflige un détour de 2 km pour rejoindre notre route.

Pendant l’heure suivante,  la pluie varie en densité et en intensité. Nous alternons sourire et grogne et nous guettons le moment où nous pourrons vérifier la véracité du dicton « Après la pluie, le beau temps ! ».

Finalement, la pluie cesse à midi et fait place au soleil et au ciel bleu.

Le chemin forestier qui constitue le gros de notre itinéraire du jour est facile, il alterne des montées douces et des descentes qui le sont tout autant, sur un sol souple et agréable au pas.
 
« L’Hort de Dieu » est une forêt agréable avec sa palette d’essences d’arbres variées, sa belle végétation dense qui invite à la détente.

En fin de matinée, Ysilde est victime d’un gros coup de pompe dû à une fringale, elle  avance mal, elle est épuisée.

Par précaution, nous décidons de nous arrêter pour laisser tout le monde souffler et récupérer.

Continuer en étant affaibli et donc avec un pas mal assuré n’est pas une bonne option, un bête accident peut très vite arriver.
 

Nous pique niquons dans une clairière, à deux pas d’un  monument érigé à la mémoire des protestants.

Popov broie du pain dur comme de la pierre et déguste un « Prince » au chocolat en guise de dessert.

Le repas requinque Ysilde  de façon étonnante qui repart vaillamment en tête de notre troupe.
Vers 16h, nous passons le Col de la Pierre Plantée. Tout comme en Bretagne, les Cévennes regorgent de menhirs, de dolmens et autres vestiges des temps anciens.

En fin de journée, nous parvenons à notre étape, le  lieu-dit de la Serre de la Can.

Nous faisons pause au « Petit Calbertois » pour la nuit.

Nous, les adultes,  sommes fatigués. Les jours de marche précédents,  couplés aux nuits de mauvais sommeil entrecoupées de réveils malgré notre désir de dormir tout notre saoul, nous empêchent de récupérer correctement.

Et puis, nous songeons au lendemain. Ce sera la dernière grosse étape, la fin du voyage mais surtout, ce sera le jour de la séparation d’avec Popov.
 
 
 

9 août 2013. De Saint Germain de Calberte à Saint Jean du Gard. 26 km

Ce matin, le temps décide de nous sourire. Le soleil est radieux, pas un nuage en vue et les températures sont remontées.

Nous commençons la journée par une longue descente dans une belle châtaigneraie.  Le châtaignier, le fameux « arbre à pains », a été longtemps l’arbre providentiel pour les Cévennes. De l’alimentation du bétail à celle des hommes en passant par la fabrication des paniers, de meubles ou de charpente, l’arbre a tout donné. Triste revers des choses, les châtaigneraies sont aujourd’hui quasiment toutes abandonnées et les arbres vivotent tristement…

La sériciculture, élevage du ver à soie, a également subi la même fin funeste. Autrefois, elle assurait la fortune des magnaneries -pièces dédiées dans les maisons à l’élevage du ver à soie. Mais la propagation de la « maladie du ver », la concurrence de l’élevage asiatique puis l’arrivée de la soie synthétique ont eu raison de l’élevage. Les dernières filatures de soie ont mis la clé sous la porte à l’aube des années 60.

Nous gagnons  Saint-Etienne-Vallée-Française dans les effluves de tapis de menthe sauvage chauffée par le soleil. Le vent dissémine le parfum épicé dans l’air. La matinée est parfaite, légère.

Sur la route,  nous retrouvons  un couple de jeunes randonneurs rencontré à l’Espace Stevenson.  En vacances itinérante dans les Cévennes pour 2 semaines, ils résident habituellement dans le même département que nous. Nous ironisons sur notre rencontre à des centaines de kilomètres de notre lieu de vie habituel. Nous serions nous rencontrés autrement ? C’est peu probable !

Vers 15h, nous passons le Col de Saint Pierre.
 

Section 1
L’histoire ne dit pas si des clés auraient été égarées dans les parages mais c’est un petit paradis sur terre…

Du thym, des figuiers… la flore change brusquement,  marquant le passage des Cévennes au Gard.

Des oiseaux de proie nous survolent très hauts dans le ciel.

Nous empruntons la rue principale d’un village désert aux portes et fenêtres closes. Le bruit des sabots de Popov résonne entre les murs.

Nous franchissons une rivière et nous restons interdits.

Devant nous, nous avisons une descente des plus  escarpées constituées de sortes de marches naturelles toutes  de pierre et de rocher.

Nous hésitons.

Faut-il déchargé Popov ?

Pouvons-nous réellement nous engager  avec lui dans un terrain aussi difficile et  qui nous semble bien dangereux ?

Nous vérifions notre itinéraire qui nous fait bel et bien passer  par cet endroit.

Nous nous souvenons des conseils de l’ânier : « Là où vous passez, l’âne vous suivra. Laissez-le négocier son passage. Si c’est impossible, il ne s’engagera pas. »

Nous décidons de laisser Popov décider de la suite des événements.

Bien nous en a pris !

Nous assistons, éberlués, au numéro d’équilibriste de notre vaillant âne qui franchit facilement des marches nous forçant pourtant à prendre nous-même appui !

Pauvres bipèdes que nous sommes !

Les antérieurs plantés dans le rocher et les postérieurs tantôt à l’horizontal, il avance d’un pas toujours aussi précis, sans montrer le moindre soupçon de fatigue, de peur ou de déséquilibre.

Décidément, l’âne ne mérite pas sa réputation d’animal idiot et retors.

Là où il passe, la plus noble conquête de l’homme ne passerait pas.
Là où il passe, nous passons en tout confiance, mettant nos pas dans ses sabots.

Notre arrivée à Saint Jean du Gard se déroule avec un sentiment mitigé. Nous mettons un terme à notre randonnée avec succès mais nous savons fort bien que nous vivons les dernières minutes avec Popov.

Nous avons rendez-vous  avec Gilles Romans, l’ânier, sur la place de la gare.

Popov, débâté,  repart avec son maître.

Tristesse de laisser notre âne, pudiquement camouflée dans un silence commun. Nous détournons les yeux lorsqu’il s’en va définitivement. Nous perdons notre ami, celui qui a été le 5ème membre de la famille pendant cette semaine.

Certains décrètent que les animaux n’ont pas d’âme, Popov est la criante objection à cette assertion.

Son âme est volontaire, généreuse, courageuse.

Il nous manque déjà.

Le Stevenson de l’été 2013 est bel et bien fini pour nous, nous passons la nuit à l’Oronge, un charmant hôtel de caractère.

Nous fêtons autour d’un bon repas et d’une coupe de champagne notre joie d’avoir réussi notre challenge familial, d’avoir couvert la moitié du Stevenson, donnée pour être  la plus intéressante et la plus difficile,  des Cévennes au Gard.
 

Un peu nostalgique, je songe  aux mots de Robert-Louis Stevenson, écrits dans cette ville : « J’avais perdu Modestine (…). Adieu, et si c’est pour toujours… ».
 

Section 1
10 août 2013. De Saint Jean du Gard à Chasseradès.
La boucle est bouclée.

 
A Saint Jean du Gard, nous croisons tout à tour le couple de jeunes randonneurs de l’Espace Stevenson ainsi que les  randonneurs qui étaient accompagnés de l’ânesse Matutu.
Eux aussi ont laissé repartir leur compagne hier soir.

 
Nous tuons la matinée en visitant la charmante petite ville mais nous sommes assaillis par une sensation d’oppression et de déphasement. Après une semaine sur les sentiers avec pour seule compagnie celle de la nature, nous peinons à retrouver la foule – si restreinte soit-elle - et la présence de véhicules à moteur.
 
 
Robert-Louis Stevenson avait poursuivi son périple vers Alès en empruntant  une  calèche.
Il s’était séparé de Modestine à Saint Jean du Gard, la vendant avec tout son barda pour une trentaine de franc.

De notre côté,  nous empruntons la malle postale, service de transport de personnes et de bagages. Nous remontons vers Chasseradès où nous attend notre voiture.  Nous avons une curieuse sensation  de rembobiner l’écheveau du  temps tandis que le véhicule nous conduit vers notre point de départ. En deux heures, nous revivons notre  randonnée à rebours.

 
Maintenant, direction l’Hérault, le Larzac, Lodève et le cirque de Navacelles…

Mais ceci est une autre histoire.
 

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