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Kungsleden 2019

(réalisé)
Kungsleden, Voie Royale, Laponie, Grand Nord Sauvage : des mots qui font rêver et font briller les yeux d'aventurier en mal de Grands Espaces. Choisir cet itinéraire classique c'est entrer dans l'univers Sami, les côtoyer sans déranger, les fréquenter sans s'imposer.
Skis nordiques et pulkas afin de vivre au mieux cette aventure dans le Grand Nord.

https://vimeo.com/358489415
ski nordique
Quand : 07/03/19
Durée : 10 jours
Distance globale : 95km
Dénivelées : +759m / -677m
Alti min/max : 382m/971m
Carnet publié par Francky074 le 15 août 2019
modifié le 08 sept. 2019
Mobilité douce
C'est possible (ou réalisé) en train
565 lecteur(s) -

Le topo (mise à jour : 20 août 2019)


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Le compte-rendu (mise à jour : 20 août 2019)

« Abisko, Abisko.....five minutes to stop...be carefull when you go out...

Nous sommes le 07 mars 2019, il est 10h45.

Enfin nous mettons nos pieds sur le quai de gare enneigé d'ABISKO, petit village au nord de la Suède...Pas encore réveillés, pris de cours sur l'horaire prévu, nous jetons nos dizaines de kilos de sacs et bagages hors du train...Vite vite, avant qu'il ne reparte....Pulkas, skis, sacs à dos, sacs collectifs, sacs individuels, victuailles....tout est sorti en trois minutes à même le sol enneigé.... d'abord sortir du train, ensuite on verra...le message de Franck est clair, nous sommes dans l'urgence!!

Tchuuuuuuu...le long convoi de wagons métalliques bouge, se relance puis disparaît en direction de l'ouest... Ouf !!! C'était juste.... »

Vingt-quatre heures auparavant, Genève, Aéroport international.

Une bande de cinq copains embarquent pour le vol de 07h00 Amsterdam –Stockholm.

Quatre sont des montagnards Annéciens, le cinquième un chef d'entreprise Alsacien.

Objectif principal: suivre le KUNGSLEDEN, la Voie Royale de Laponie, située en plein territoire SAMI, peuple autochtone du nord de la Suède.

Périple en autonomie complète avec skis, pulkas, tentes. Un rêve d'enfants pour tous.

Ce projet conçu, imaginé et organisé par Franck, guide et spécialiste de l'expédition, se matérialise voici un an et demi.

Jérôme, Alain et Bruno, membres d'une précédente aventure dans le Nord Canadien sont du voyage.

Pascal, petit dernier passionné de l'image et pilote chevronné de drone complète l'équipe. De part son rôle, il deviendra la boussole, le référent souvenir, l'élément temporisateur du groupe.

Une équipe disparate sur le papier mais parfaitement complémentaire sur le terrain. Rodée à l'émotion et à l'humain, à l'expérience, capable de se transcender dans les moments faibles tout en se dépassant dans les moments forts et imprévus. Harmonie parfaite d'un groupe, gage de réussite dans l'engagement et le dépassement de soi. 

Benoit, le 6 ème élément, renonce malheureusement à cet objectif.
Il jette l'éponge une semaine avant le départ pour des raisons professionnelles. Ainsi va la vie.... 

Cette équipe au coude à coude en ce matin du 07 mars 2019 sur le quai d'ABISKO, c'est la nôtre. Cent cinquante kilomètres au-dessus du cercle polaire, en pleine nature suédoise, les pieds dans la neige, par – 20 degrés, à moitié réveillés et regardant les derniers wagons disparaître au loin derriere ces montagnes blanches et ces lacs gelés.

« Quel froid!! Allez, vite bouger, décider, agir, pas le temps de contempler le paysage. L'instinct de l'aventure nous pique déjà. »

Pulkas en place, skis sortis, chaussures mises, les gestes moulte-fois répétés dans nos têtes s'enchainent. 

Individuellement nous nous fondons dans le groupe, chacun connait son rôle et celui de l'autre. Tout le monde s'assume, c'est parfait.

En une demi-heure, nous voilà tous prêts à affronter l'inconnu, cette part d'imprévu qui fait le sel
de ces instants-là.

Il est 13h00, il fait très beau, très froid et nous sommes à 200 m du point côté 0, point de départ du Kungsleden.
L'objectif de cette 1ère journée est de rejoindre la station d'ABISKOJAVRE, lieu de notre 1er bivouac tant redouté.
Nous ne nous posons pas trop de questions. Pascal est déjà comme un « chasseur » à l'affût de sensations et de ses objectifs imagés. Le drone ok, les caméras ok, appareils photos ok, piles, protection des objectifs, batteries ok, c'est parfait.

Alain et Jérôme, un peu moins expérimentés dans ce type de terrain, sont concentrés sur cette inconnue qu'est la pulka, « la boite à affaires » de notre raid. Ils positionnent avec soin tentes, liophylisés, duvets, réchauds et affaires personnelles sous les conseils et directives de Franck.

Ce dernier, calme et avenant, cache ses craintes de chef d'expédition par des mots choisis et une posture de leader expérimenté. Dans l'extrême du grand froid, chaque minute perdue en journée se paie cash en fin de journée. La morsure du froid se décuple au coucher du soleil, la température sombre. Le bien-être et la chaleur du déplacement se changent alors en stress à l'approche du bivouac. Monter les tentes, rechercher du bois pour le feu, fondre la neige en eau pour les thermos et préparer les repas, positionner les duvets, se changer les vêtements. Tout ça par -30 °C!

Le chef d'expédition le sait. Il ne doit pas montrer ses angoisses, juste donner le tempo du moment.
Bruno, quant-à-lui, est en recherche du point de départ.

Il jauge l'ambiance et s'imprègne du terrain. Il s'apprête à combler et fermer la marche du groupe. Il sera « l'essui-glace » de l'expédition, s'assurera que tout est ok dans les moments durs, estimera la capacité des moments faibles, confortera et encouragera, gueulera quelquefois et motivera surtout.

Le rôle du « roquet de service » quoi, bien heureusement accepté par l'équipe..enfin, il l'espère !!

Nous immortalisons la photo traditionnelle du passage de la « passerelle », top départ de notre épopée. Sourire aux lèvres, motivés et remontés comme jamais.

Immédiatement, cette 1ère partie s'avère technique et physique.

Le terrain est vraiment valonné avec un tracé sinueux et magique au milieu d'une forêt de bouleaux de toute beauté. Typiques de cette région, on imagine aisément rennes et élans gambader ici et là à la recherche de bourgeons naissants et d'écorces croquantes.

Pour nous, les choses sont un peu différentes. Montées dans le dur alternent avec descentes explosives. Harmonie totale entre nos skis et nos pulkas. Soit le poids nous bloque dans le dénivelé positif, soit il nous découpe allègrement dans les descentes incontrôlées.

Quel bonheur de sentir la pulka, rendue folle, talonner vos skis, vous percuter fixations et mollets puis vous catapulter dans un bouleau posté à l'entrée d'un virage. Un régal. Ces 1eres heures sont torrides. Chutes et virages loupés alternent avec changements de vêtements. Les gants légers remplaçent les chauds, les bonnets disparaissent, les peaux de phoques apparaissent. Toute une stratégie naturelle se met en place. Plus besoin de conseils où d'options techniques, la logique impartiale du terrain s'opère. Chacun gère au mieux ses réglages imprévus.

Les heures défilent et la sanction tombe. Nous ne serons jamais à la station pour 18h00. Heure butoir que nous nous imposons, gage de sécurité et de survie pour monter le bivouac en lieu sûr. Prise de décision rapide de Franck: nous continuons jusqu'à 17h15 max, puis posons le camp. Pascal, en attente depuis belle lurette, nous soumet alors son souhait d'images. Lieux et temps ensoleillé sont propices à l'utilisation du drone. Le vent quasi nul et la température autour de moins 12 degrés permet un vol serein. Alain et Jérôme, déjà éprouvés, fatiguent et se refroidissent vite lors des arrêts prolongés. Nous optons donc pour 2 équipes: l'une qui fait des images et l'autre qui recherche un emplacement bivouac. Ce fût notre première erreur. Ne jamais se séparer sauf cause de survie quand chaque élément maîtrise parfaitement sa zone d'inconfort. 

Alors que l'équipe1 se lance dans sa quête d'images insolites, notre bînome d'avant-garde se fait sa première frayeur. Confronté à un changement de direction, il se lance sur la mauvaise piste. Doutes et moments de solitude s'ensuivent. Alain remet la barre à gauche à travers une zone relativement plane et accessible. Progression à l'instinct, ils estiment retrouver la bonne direction et choisissent un lieu de bivouac. Cela leur vaut un long moment de stress, jusqu'à ce que nous arrivions enfin !! Ouf de soulagement et explications faites, nous ne sommes pas très fiers non plus. Si nous nous étions séparés, une partie de l'équipe aurait dormi à la belle étoile, sans tente
ni réchaud. Autant dire qu'elle aurait marché toute la nuit afin de ne pas geler sur place.

Comme on dit dans le jargon montagnard, ce qui ne rentre pas par la tête, rentre par les pieds ! C'est parti pour l'installation bivouac.

Nous avons 2 tentes spécifiques. Une de 2 places, prêtée par nos camarades du secours en montagne de Chamonix, taillée pour l'aventure et le grand froid. Et une de 5 places debout, pour 3 personnes allongées, dite « tente mess ».
Adaptée au collectif d'abord, de matière lourde et rigide, elle est structurée pour tenir dans le temps. Son montage est assez long, mais il permet d'intégrer un poêlel a bois démontable. Garant de chaleur, de possibilité de cuisson et de moments de confort si l'on est pris dans la tempête. Avantage, chauffage au bois. Inconvénient, chauffage au bois. Surtout lorsque celui-ci est humide où mouillé. Erreur numéro 2 ? Disons « mauvaise stratégie».

Nous voilà donc partis sur une tentative de feu, qui ne partira jamais réellement. Nos deux réchauds à gaz complètent alors la phase de fonte de neige afin remplir les thermos. Jusqu'à ce que l'un rende l'âme suite à une manipulation trop dynamique... Ça y est, on atteind rapidement le degré max de l'aventure. Pas de feu, un réchaud pour 5 et un poêle a bois qui ne sert à rien. Tout ça en début de raid !!

Allez, remotivation générale en vidant la petite fiole de génépis de Jérôme. Ça au moins c'est
du concret. Puis direction le « dodo ». Il est autour de minuit, réveil prévu 06h30 demain matin. Pour tous, duvet moins 40 degrés. Sauf pour Bruno qui tente un moins 20 degrés, doublé de doudoune épaisse. À voir....
Nuit récupératrice pour tout le monde, un peu moins pour Bruno qui a pris aussi l'option tapis de sol crevé..
Cette nuit révèle également l'intérêt d'une «poche à pipi », qui évite de se lever dans la nuit. Merci à nos camarades Québécois de nous avoir orienté en ce sens.

Le cycle infernal d'une progression grand froid est simple : Vous devez vous déplacer le plus longtemps possible dans un créneau horaire limité en journée. Avant et après, vous êtes dans une phase de récupération / survie articulée sur le principe de base de la pyramide de Maslow. À savoir répondre aux besoins fondamentaux de la survie humaine: « J'ai faim, j'ai froid, j'ai peur, je suis fatigué ». Le soir, lors du bivouac, vous absorbez un maximum de calories et d'eau qui vont permettre au corps de se reconstruire des efforts de la journée, éviter ainsi les blessures musculaires et pouvoir affronter l'engagement du lendemain. Forcément, lorsqu'on boit et mange principalement le soir, la nuit est alors rythmée par des besoins naturels pressants. Par -40 degrés C, sortir du sac de couchage devient alors un supplice autant psychologique que physique. C'est réellement le cycle infernal.
Jour 2, journée longue en perpective car nous devons rattraper notre retard.

À savoir 6 kilomètres supplémentaires. Le réveil est encourageant. Sortir du duvet chaud, s'habiller, faire les sacs est le premier rituel individuel. On se retrouve alors dans la tente mess pour chauffer l'eau et prendre nos lyophilisés. Démontage des tentes s'ensuit, chargement des pulkas puis mise en route.

Chose faite autour de 09h30.

Le temps est clément mais pas de soleil ce matin. Nuageux et légèrement venté.

Nous voilà donc en colonne bariolée, involontairement parés de couleurs qui deviendront nos repaires visuels. Jaune pour Francky, vert pour Alain, bleu pour Jérôme, noir pour Pascal et orange pour Bruno. Notre cadence est intéressante. Nous arrivons à ABISKOJAVRE plus vite que prévu.

La responsable nous acceuille avec un grand sourire et une convivialité exceptionnelle, avec
un thermos de thé sucré délicieux.

Cette rencontre sera primordiale sur plusieurs points.

1/ Nous prenons des cartes de passage dans le Parc National, qui nous donnent accés à des
« refuges » locaux où nous pouvons planter nos tentes, accéder aux dortoirs collectifs si besoin,
surtout utiliser des salles collectives pour faire chauffer de l'eau, et sécher nos chaussures et nos vêtements mouillés. Ces endroits superbes et rustiques vont nous permettre de densifier notre progression.
2/ Nous comprenons mieux les possibilités d'étapes.
3/ Nous assurons une potentiel secours officiel en cas de problèmes
4/ Nous visualisons le mode de recrutement des « gardiens » officiels du Parc. Ils se ressemblent tous, pensent la même chose, disent les mêmes choses et sont aussi sympathiques. Surtout, ils respectent à la lettre les consignes et règles des lieux.

Nous les surnomons les « Papas Schulz ».

Nous reprenons notre progression vers 12h30, motivés et débarassés des doutes de la veille. Quasi-immédiatement, nous attaquons un fort dénivelé positif. L'expérience d'hier est bénéfique. Nous absorbons cette difficulté rapidement. Nous croisons à cette occasion 2 groupes disparates qui confirment notre bon choix d'itinéraire.

Le temps commence à tourner, le mauvais arrive. Nous l'avions prévu. Heureusement, la Voie Royale est jalonnée de croix rouges horizontales caractéristiques, un peu comme notre signalétique sncf française. Ce sont des repaires visuels très importants lorsque les conditions météorologiques basculent. Les Kairns lapons.

Au faire et à mesure de la journée, ce seront nos phares de progression. Nous évoluons maintenant sur un plateau lunaire. Une dalle Celte nous prévient de ce changement de zone.

Plus d'arbres, fini les bouleaux, les grosses traces animales, les végétaux et autres essences locales. Bienvenue au minéral.

Des vallons blancs à perte de vue, un sol glacé par les vents, l'ambiance se tend.

Bruno prend les devants afin de pister le peu de traces visibles. Il confirme avec Franck les choix d'itinéraires. C'est rassurant pour tout le monde d'avoir ces échanges.

Ce sera dans ce moment délicat que nous croisons la route d'un jeune aventurier allemand, esseulé dans cette immensité blanche et complètement désorienté. Il deviendra notre compagnon de route pour 5 jours. Jeune étudiant inexpérimenté qui se lance en solo dans cette aventure. Il aura tout notre respect. Bruno le surnommera Gunther, en souvenir de Gunther love, figure déjantée du air- guitare français. Nom que le reste de l'équipe pense être le bon! De bons délires lors des bivouacs futurs où, Sébastian de son vrai nom, nous écoutera parler de lui avec de gros yeux perplexes. Nous optons pour un azimut direct afin de contourner une zone montagneuse. Le vent se lève fort, nous progressons maintenant en tension totale. Toute notre attention se focalise sur la gestion du froid et sur la cadence soutenue. Nous croisons la route de troupeaux de rennes déambulants sur les versants ouest de notre progression. Magnifiques formes disparates perdues au milieu d'une tempête glaciale: ENCHANTEUR !! L'impression qu'ils ne ressentent rien.

Cette fin d'après-midi ne sera pas suffisante pour rejoindre la station de ALESJAVRE. Nous sommes encore à 10 kms de l'objectif vers 17h00, et nous commençons à subir physiquement. Une cabane perdue au milieu de nulle part sera notre rayon de soleil. Ni une ni deux nous l'investissons, dégainons réchaud et thermos, et avalons 2 lyophilisés par personne.

Pas de pitié pour le gras, important dans ces moments difficiles.

Gunther est sidéré de ce bonheur bien français. Il y goute avec grand plaisir.

Reprise de notre progression à la nuit, vent dans le dos. Les lumières d'ALESJAVRE sont en vue vers 22h00. Dernier grand moment de notre progression à l'aveugle. C'est dans ces derniers moments que Franck et Pascal bascule en fond de vallon, alors que la station est sur un promontoire. Encore une heure à louvoyer dans les pentes verglacées. Le syndrome du « jour blanc » est terrible. Vous êtes certains d'être sur le bon axe, mais vous tournez en rond. Les
repaires physiologiques sont complètements chamboulés par le manque de repaires visuels.

Ce soir, pas de bivouac, nous optons pour la sécurité du refuge lapon. Le papa Shulz local nous reçoit comme d'habitude, avec un grand sourire et bonne humeur malgré l'heure tardive.

Matin 3, nous voilà partis en direction de TJAKTJA. Comme d'habitude, réveil, sac, petit déjeuner et travail collectif prennent 2 à 3 heures. La coupe du bois et la recherche d'eau sont prioritaires dans ces refuges. Notre progression devient maintenant bien rôdée. Pascal gère les images, sa capacité à affronter le froid est bluffante. Il fait tout sans gants où avec de simples protections insignifiantes. Cela lui vaut des onglets mémorables. Chapeau l'artiste! 

Notre cadence est soutenue, nos couleurs bien visibles, nous évoluons dans du dénivelé positif avec des changements de direction fréquents. Le temps est toujours aussi violent, nous maitrisons maintenant. Nous longeons lacs gelés et versants Est glissants, puis affrontons 200 m positif de face pour rejoindre un nid d'aigle. Ce visuel sur la station de TJAKTJA est une pure production Himalayenne: Nous sommes dans un décor tibétain à couper le souffle. Monastère en bois sur un pic montagneux, visue délirante entre nuages et jour blanc, dernier vallon avant une montée radicale pour déboucher sur un amas de 2 refuges mi-bois mi-pierre. Personne dehors, pas de signe de vie, ambiance glauque du XV siècle. Franck tape à une porte, grincement d'ouverture, aboiements de chien et, hooo surprise, Papa Shultz devant nous. Ce sont vraiment des clones. Mêmes sourires, mêmes gestuelles, mêmes visites et consignes, on est chez nous.

Nous voilà partis pour une soirée douce et singulière tant l'ambiance est sympathique. Un groupe de militaires est présent, un autre de nationalité Allemande et une dame au facies « montagnard » sont présents. Moments de partage et de lâcher prise. Soirée tempête où nous re-découvrons le bonheur des jeux de « casse-tête » et des écrits sur carnet.

Quelques instants sont également consacrés à la remise en état de notre matériel mis à mal par ces 2 jours intenses.

Au petit matin, c'est le bonheur total. Le beau temps est de retour.

Une vue de toute beauté est là, devant nous. Malgré les -30 °C, nous nous retrouvons dehors avec bonheur et impatience.

À 360 °, tout est parfait. Flans de montagne blancs au sud, vallons au nord, falaises à nos pieds, chemin d'arrivée en Est, sorti de nulle part, et chemin de progression en Ouest, sinueux et axé vers un cirque magnifique. Nous sommes pantois du potentiel ski de randonnée, avec ses pentes lisses et vierges de toutes traces. Magnifique.
La recherche d'eau est physique ce matin. Descente abrupte en direction de la rivière en contre- bas, casser la glace, pendre le seau gelé, descendre dans le trou de 3 m, remonter les « glaçons », faire le transfert dans les géricanes, recommencer. Bruno revient détrempé de sueur.

La gestion des efforts par grand froid est toujours aussi complexe. Franck et Gunther gèrent le bois. La mission du vidage des toilettes sèches revient au trio Jérome, Alain, Pascal. Rien ne se perd, tout se transforme, l'adage de l'aventurier. Papa Shulz a vu en nous un potentiel certain pour remettre en état son piton rocheux. « Good Team » nous lance-t-il sincère et soulagé.

Nous prenons maintenant la direction de SALKA, en ce jour 4. Plein sud. Temps très beau, nuages immobiles, neige lisse et avenante nous aspirent lentement. Dernieres mains levées en direction de nos hôtes, nous voilà partis.
À flan d'Est, Pascal sort son drone et immortalise notre progression.

Pas d'inquiétudes particulières, nous avons le temps avec nous aujourd'hui.Temps météo et temps horaire. 1H30 d'aller / retour à l'endroit idéal.

Au moment même où Pascal range son matériel aérien, un vent léger et rasant se lève, accélère doucement puis commence à frapper fortement nos visages. Il semble decendre de la montagne. Les nuages au-dessus de nous sont toujours immobiles. Bizarre.

Au fur et à mesure, il devient d'une violence inouie. Cagoule, gore-tex, moufles et masques sont de sortie. Bienvenue au vent catabatique. Vent d'environ 60 à 80 kms/h qui dégringole des sommets, vous découpe sans pudeur et disparaît dans les antres des vallons sud.

Bruno en a déjà subi voici quelques années au Baffin, nord Canada. Ils peuvent atteindre plus
de 100 km/h.

Naturellement le groupe se met en mode « combat ». L'équipe se resserre et s'ancre sur ses skis, les têtes sont bessées, les pulkas tiennent plus où moins bien la ligne, plus personne ne parle. Sauf Bruno qui hurle quelques mots inaudibles à Alain qui subit pleinement les trajectoires maudites de sa pulka. Plusieurs heures passent avant de rejoindre le col temps tant espéré. Nous y débouchons avec bonheur tant ce passage fût dur. Une vue imprenable nous laisse alors sans voix.

Là, devant nous, un paysage glaçiaire s'étend à perte de vue. Du bleu en haut, du blanc en bas et un vallon quasi-parfait bordé de sommets d'au moins cinq cent mètres. Games of Trônes chez les Lapons. Petit problème, une descente de plusieurs centaines de mètres pour y accéder. C'est reparti pour le ballet Homme et Pulka. Un coup l'un devant, un coup l'autre, avec percussions, projections et explosions fréquentes de chacun. Dur le ski nordique quand même.

Point positif, une fois dans le vallon, les vents catabatiques disparaissent comme ils sont venus. La progression devient alors un plaisir. Nous voilà bientôt sans bonnet ni gants tant la différence de température est grande. Notre cadence n'est ralentie que par les arrêts images de Pascal.

La station de SALKA est en vue.

Plantée en plein milieu de notre vallon, centrée entre deux flans montagneux, on ne peut vraiment pas la louper. Alors que nous nous en approchons tranquillement, un balai majestueux nous encadre sans prévenir. Aboiements et cris viennent à nous.

De fantastiques chevauchées de chiens de traineaux sont à notre niveau, nous doublent et vont se poster au loin, à l'entrée de SALKA. Mains levées de rigueur entre sportifs humains et canidés. Gestes simples, regards appuyés, le respect est sincère. Un régal.

Nous stoppons notre journée à l'endroit où l'ensemble du potentiel touristique lapon semble le plus exploité.
« The place to be » pour adeptes de la neige en tout genre.

Ce soir nous sommes au contact de chien de traineaux, de randonneurs à ski de pentes vierges, de pentes raides, de raquetteurs et, le comble des puristes, de pratiquants d'héliskis. Oui oui, d'héliskis.

Mariage éphémère de l'ensemble de la pratique des sports de glisse d'hiver. Avec ces inconvénients de pollution et ses avantages de construction. À savoir un vrai sauna nordique. Nous nous y jetons vivement dès la nuit tombée. Notre premiere douche gelée depuis plusieurs jours, de plus sous un ciel étoilé à l'infini. Un sacré moment de bien-être, tant physique que mental. Nous aurons un mal fou à intégrer nos duvets tant cette sensation fût bonne.
Jour 5, objectif SINGI. La journée la plus facile du raid sur le papier.

Nous prenons donc notre temps ce matin. Le bois ok, l'eau ok, les thermos remplis à moitié, nous sommes prêts.
Le jeu avec les chiens de traineaux reprend de plus belle. Cris, aboiements puis silence. C'est assez impressionnant. Nous progressons toujours plein sud, avec notre objectif en contre-bas d'un passage technique. Nous nous préparons déjà, dans nos têtes, à quelques figures de style.

L'état physique général est vraiment bon. Pas de gros bobos, le matériel est ok, notre dernier réchaud tient le coup, les tentes aussi, on est franchement dans une bonne dynamique.

Nous arrivons tôt en vue de SINGI. Nous voulons absolument monter le camp le plus tôt possible, les températures ce soir approchent les -40 °C. Il ne faut pas se louper.

Afin de parfaire la cinématographie de Pascal, nous nous scindons en 2 équipes à l'approche de la dernière descente. Pas de perte visuelle car nous sommes tous à vue. Une équipe va monter le camp pendant que l'autre est filmée par drone. À cet endroit, nous passons d'un paysage Himalayen à celui du Far West: SINGI est typiquement un tout petit repaire des Grandes Rocheuses du nord US. Un village Sami en bord de rivière gelée, et plusieurs constructions en bois autour du shériff local Papa Schulz. Le tout dans un environnement d'énormes pierres et éboulis, il ne manque que les cactus.

La descente se passe comme d'habitude, entre chutes et percussions. Maintenant, ce choc psychologique et physique est abordé d'une façon presque nonchalante. On sait que ça va piquer, c'est acté !
Nous voici donc dans notre derniere station Nord / Sud, avant de bifurquer plein Est demain.

Le soleil se couche rapidement, nous nous focalisons sur le montage des tentes. Chose faite assez rapidement à proximité d'un baraquement servant de refuge collectif. Direction la recherche d'eau à 1km, vers le camp Sami. Le bois est prêt, nous pouvons savourer un temps de repos bien mérité. Nous échangeons sur la beauté du site, et préparons cette soirée en espérant le graal d'une nuit étoilée au dessus du cercle polaire, les aurores boréales.
Pas de vent, un froid glaçant s'installe. Réchauffés par 2 lyophisiés engloutis avec délice, nous voilà en pleine digestion, les yeux tournés vers le ciel.

Pascal a déjà tout prévu. Son schéma tactique de mise en scène est prêt. Alchimie entre lumière naturelle, lumière artificielle et inconnue. Il nous demande de laisser les lampes allumées dans les tentes afin de créer cette ambiance particulière de bivouac.

Vers les 21h30, le miracle se produit. Une aurore boréale pointe son nez au-dessus des sommets au nord-est de notre position. D'une couleur verte caractéristique, ce phénome lumineux se prénomme également aurore polaire. Elle est provoquée par l'interaction entre les particules chargées du vent solaire et la haute atmosphère. Son mouvement est dansant, aérien, et évolue enfin sous nos yeux. Malgré ce froid glacial, nous restons de longues minutes devant ce ballet naturel. C'est tout simplement magnifique.

22H30, Bruno et Jérome rejoignent leurs duvets dans la tente mess, Alain se place dans la petite North face, pendant que Pascal et Franck finalisent les montages techniques.

Soudain, un bruit monstrueux perfore la toile épaisse de la tente mess. Jérome vient de s'endormir et gratifie toute la zone bivouac d'un ronflement purement dantesque. Cette nuit sera épique pour Bruno. Son test de duvet à -20°C dans du -40°C sera, ce soir là, un échec cuisant. Les pieds gelés, Jérome à fond, la nuit est alors très très longue. Que dire lorsque vers 05h30, obligé de se lever, il a la joie d'entendre son binome lui déclarer sans rire : « j'ai pas fermé l'oeil de la nuit ». Grosse partie de rigolade en contemplant le lever du soleil. Surtout, soulagement indescriptible de la faune sauvage rassurée de ne pas avoir un prédateur méconnu dans son bel environnement. 

Après le rituel du matin, nous mettons la barre plein Est en ce matin du jour 6.

Gunther nous quitte, il part plein sud, notre histoire se termine donc là. Mais ce n'est qu'un début, seules les montagnes ne se retouvent jamais. Tchao l'ami!

Un parterre d'une dizaine de traineaux à chiens nous rejoint à l'entame de notre progression. Superbe moment de partage. Les chiens survoltés sont vraiment impressionnants de dynamisme, ils nous doublent avec une facilité déconcertante dans la montée vers la station de KEBNEKAISE. Cette partie vallonnée nous mène sur une zone caractéristique de la haute -montagne locale: le sommet du Kennekaise, 2106 m d'altitude, point culminant de la Suède. En raison de la fonte des neiges, son altitude est variable et décroit régulièrement. Nous progressons entre falaises, cascades de glace et glaciers éparses. Nous sommes comme à la maison avec cette ambiance de Haute-Savoie. Le temps est beau et froid, avec un soleil chaleureux pour nos mains et nos têtes dépourvues de protections. Le froid se maitrise avec l'habitude et la confrontation aux éléments. Après plusieurs jours dehors, nous sommes plus à l'aise dans notre gestion individuelle vestimentaire. Nous sommes maintenant dans un dédalle de petits plateaux, de courbes de niveau et de changements de direction. Une dernière tentative de drone tombera ce jour-là à l'eau. Le froid a raison des batteries de notre araignée volante. Pas grave, nous tenterons plus tard.
Après plusieurs heures, nous débouchons dans une vallée grandiose. Le Kebnekaise est sur notre gauche, avec ces couloirs de pentes raides et ces glaciers millénaires. Nous longeons les pentes d'approche en flan gauche, suivant méthodiquement nos croix rouges. Tout en bas, sur une colline anodine, une antenne de grande taille attire notre attention. Les zones boisées sont de plus en plus nombreuses, alternance de couleur verte et blanche. La neige est encore présente mais nous commençons à slalommer entre bouleaux et rochers piégeux. Encore un « coup de cul » très raide puis nous sommes au pied de notre fameuse antenne. Tout autour, des bâtiments de couleur
kaki sont construits sur plusieurs étages. Un balai d'hélicoptères propulse skieurs et secouristes sur les pentes majestueuses des sommets environnants. En quelques minutes, nous passons de zones inhabitées à un complexe touristique digne des plus belles stations françaises.

C'est bluffant.

Nous laissons nos pulkas attachées à l'entrée d'un batîment central. Tels des cow-boys à l'entrée d'un saloon.
À l'intérieur, tapis rouge, zone pour chaussures, salle de séjour avec bar central et vue sur la vallée. Nous traversons le temps en trois secondes, un retour à la civilisation quasi-instatanée. Wifi, fauteuils douillés et bières en pression vont bientôt avoir raison de nous.

Nous finirons tous dans un dortoir collectif, le montage des tentes s'avérant trop difficile.
Ce soir, pas de repas ni de veillée, mais de grands fou-rires pas trop contrôlés. Le tout sous le regard amusé des personnels présents. Pour une fois, pas de Papa Shulz aux environs, on lâche prise...
Le départ au matin du jour 7 est le plus difficile de tous. Le mal de tête y est peut-être pour quelque chose.
Après un petit déjeuner local récupérateur, le froid et la brise nous permettent de reprendre tant bien que mal nos esprits.

Une longue descente sinueuse nous permet de nous concentrer sur les dangers habituels. Nous y rajoutons les motos-neige et les dameuses, nombreuses ici a faire des rotations de touristes. Ils conduisent vraiment forts. Franck gère le danger arrivant de face, Bruno tout ce qui arrive dans le dos. Et ça passe près.

Cette journée nous permet de rejoindre la station de NIKKALUOKTA, point final de notre périple. Nous sommes toujours en direction de l'Est. Le chemin longe une fleuve tout blanc, avec de nombreux passages sur de petits lacs gelés. Le vent de face est de plus en plus fort, surtout sur les passages encaissés dépourvus de protections forestières. Nous devons pousser fort sur les bâtons. Tantôt doublés par des skieurs de fond, tantôt par des machines, notre progression est rapide. L'approche du final se ressent.

Jérôme, blessé au pied, est aujourd'hui en appui total sur ses bâtons. Rien ne l'arrête.
Alain, bloqué au dos en début de semaine ne ressent plus rien.

Pascal sort ses Go-Pro à main nue maintenant, le froid n'a plus de prise sur lui, l'acclimatation est parfaite en cette fin de trip.

Franck donne toujours le tempo, on sent en lui un bien être total.

Nous sommes maintenant dans une forêt de bouleaux très compacte. Les croix rouge nous sont d'une grande utilité dans ce piège multi-directionnel. Nous profitons pleinement des derniers kilomètres.
Finalement, au détour d'une grande boucle sur notre gauche, nous imaginons la forme bien singulière d'un bâtiment de briques rouges. Une église? Un bâtiment d'État? Un hôtel ? Nous ne le saurons jamais. Ce sera la première habitation SAMI en dur que nous rencontrons.

Dans notre axe, s'étalent maintenant de nombreuses maisons simples, principalement en bois, entourées pour certaines de voitures, pour d'autres de ski-doo, avec quelques dameuses garées ici et là.
Bienvenue à NIKKALVOKTA, terme de notre aventure.

Sur le bord de la piste, nos croix rouge s'arrêtent à la « passerelle » d'arrivée. Amas de bois typique des Sami, elle nous permet d'immortaliser l'instant. Drone et photos sont de sortie. Devant nous, enfin la réponse à notre question du moment: Tentes où cabane? Comment sera notre dernière soirée lapone?

La réponse est dans le plaisir de se retrouver ensemble, de souffler et profiter des instants simples. Cette soirée, au chaud, permettra à notre cuistot Alain de pouvoir enfin libérer son savoir faire culinaire. Nous en rêvions tellement.
Un raid, une aventure, une expédition ne se fini qu'une fois tout le monde rentré.

Dans notre cas, nous passons forcément par ce « sas de décompression ». Mais nous nous obligeons à garder une certaine pression afin d'assurer le bon retour à Stockholm, et ainsi rejoindre l'aéroport pour la France. Encore 2 jours à gérer entre bus et traversée en train.

D'ici là, bonheur et moment collectif tout azimut. Chacun prend garde à maintenir l'esprit de cohésion si important jusqu'à présent.

Ce soir-là du 13 mars 2019, ni la fatigue ni les petits bobos n'auront de prise sur nous. Sourires, regards et attentions sont au programme...partage et intensité d'une aventure aboutie.
Merci à vous les Amis pour ces moments inoubliables, Merci à toi Dame Nature, pour tes joyaux Lapons,
Merci à toi « l'Inconnu », sel de l'aventure et de la vie, sans qui jamais la peur ne se transforme en plaisir,
Merci enfin à toi la Vie, qui nous permet de vivre ces joies et ces émotions si intenses...

Franck, Pascal, Jérôme, Alain, Bruno

« avec une grosse pensée pour toi Benoit » 
Commentaires
Anthony - 26 août 2019
278 messages
Belle aventure, et belles images !
J'imagine que vous prévoyez un film aussi ?

Francky074 - 08 sept. 2019
3 messages

Johanna - 08 sept. 2019
659 messages
Merci Franck pour le lien vers le film ; douceur et intensité dans ces belles images !

Anthony - 18 sept. 2019
278 messages
Superbe vidéo en effet, belles images et belle narration. Merci pour le partage !

Francky074 - 29 sept. 2019
3 messages
Merci Anthony pour les compliments. C'est le beau travail de Pascal, membre de l'équipe.