Kayakafrika, le fleuve Sénégal
Kayakafrika, saga africaineTexte et photos : Xavier Van der Stappen Parti en été 2004 pour débuter la circumnavigation du continent africain en kayak de mer, Xavier a atteint cet été la vallée du fleuve Sénégal qu’il a descendu jusqu’à Saint-Louis. À bord de son kayak de 6,5 m chargé de 300 kg qui lui permet une autonomie totale d’un mois, il longe les côtes à la rencontre des peuples dont il partage les craintes et les joies. Nous suivons Xavier régulièrement depuis le début de son aventure ; à l’occasion de ses escales en Europe, durant lesquelles il reprend ses notes et monte des films réalisés sur place, il nous livre le fruit de ses rencontres, une autre approche de l’aventure humaine. Voici donc quelques nouvelles de lui, fin 2005, juste avant de repartir pour la suite... |
||||
Retour chez les ImraguenDans le Banc d’Arguin en Mauritanie, c’est la saison de la pêche au mulet. Une bonne occasion de revenir sur place pour partager le quotidien des pêcheurs et remettre des exemplaires du livre dans chaque village (Kayakafrika, peuples des côtes africaines, tome 2 : La Mauritanie, Image Plus éditions). En cette période, la centaine de lanches à voile parcourt ces eaux considérées comme les plus riches du monde. Il y a bien longtemps que les pêcheurs imraguen ne pêchent plus collectivement au bord de l’eau parmi les dauphins et les autres prédateurs. Et ce malgré l’image qui est encore donnée aujourd’hui par des organisations de conservation. Celles-ci ne veulent voir en les Imraguen qu’un peuple à l’économie de subsistance dont ils soutiennent le non-développement pour éviter qu’ils n’aient d’impact sur l’environnement. Aujourd’hui, ils partent à la voile rejoindre les hauts-fonds situés au large de la côte. Endettés par des mareyeurs peu scrupuleux équipés de véhicules tout terrain grâce à des prêts consentis par le parc national du Banc d’Arguin, les pêcheurs passent une journée entière dans l’eau à chasser le poisson à quatre ou cinq pour le ramener le jour même afin qu’il soit vendu frais à Nouakchott. Autrefois, les femmes transformaient le poisson et géraient les dividendes. Aujourd’hui, elles ont perdu leur statut et la société imraguen se déstructure progressivement à cause des aides mal ciblées.
Le fleuve Sénégal600 km d’eau douce chargée en limon, brune et opaque. La descente du fleuve a été rajoutée aux 33.000 km de côtes africaines. Avant la création du barrage anti-sel de Diama, la mer remontait sur près de 200 km dans les terres. La construction de ce barrage et de celui, en amont, de Manantali au Mali, était destinée à augmenter les surfaces agricoles et à réguler le cours du fleuve. Plus de dix ans plus tard, l’irrigation contrôlée n’a pas atteint le vingtième des surfaces envisagées. Les coûts de production des céréales qui nécessitent des pompes, du carburant et des engrais ne peuvent rivaliser avec les importations asiatiques et les excédents occidentaux. Pire, l’eau douce provoque la prolifération de plantes aquatiques qui réduisent l’oxygène, favorise le développement des parasites, accueille les souches résistantes de paludisme et le choléra. Pour les pêcheurs, le bilan est également sombre. De nombreuses espèces ont disparu, le niveau de l’eau ne permet plus des pêches miraculeuses et les villages se déplacent loin des berges envahies par les moustiques. Cela n’empêche pas l’accueil chaleureux des riverains aux bivouacs. Mais à 20 heures, les millions de moustiques étouffent les conversations. Saint-Louis, ville musée ?Sous une pluie battante, devant la proue du kayak éclaboussée d’embruns, apparaissent les contours de l’île de Saint-Louis. La ville annonce l’embouchure du fleuve sur l’Océan Atlantique. À gauche, les arches du pont métallique. À droite, face à la mer, le quartier des pêcheurs. En face à la pointe de l’île, une grue à vapeur rouillée, vestige d’une époque révolue. Réputée pour son architecture coloniale, comptoir de traite depuis le 15ème siècle, ville hôte d’un festival de jazz réputé, escale de l’Aéropostale vers l’Amérique, nouvelle Mecque jet set des milliardaires investisseurs, Saint-Louis est bien plus que tout cela. En ce début septembre, la confrérie des Mourides commémore la déportation de leur guide religieux par l’occupant français. Plus de cent ans plus tard, les Sénégalais semblent reprendre possession des lieux. Ils rebaptisent les rues autrefois dédiées aux figures majeures du colonialisme. Ils tentent de déboulonner la statue de Faidherbe, gouverneur du Sénégal à la fin du 19ème siècle. Plusieurs milliers de personnes se réunissent pour prier sur ce qui fut la place des défilés militaires. Cette image d’un Sénégal musulman qui cherche à se débarrasser d’un passé colonial fort présent est curieusement tenue à l’écart par les médias. Pourtant, les confréries religieuses nées de la résistance locale aux envahisseurs occidentaux se font de plus en plus présents sur le terrain et en politique. À Touba, ce sont des millions de personnes qui se réunissent à l’occasion de pèlerinages religieux identitaires. Nous sommes loin des images « carte postale » d’un Sénégal touristique, accueillant, laxiste et soi disant francophone. Les Sénégalais seraient-ils en voie de reprendre possession de leurs terres ? Du côté du quartier des pêcheurs, les images des marabouts peintes sur les murs sont légion.
La Langue de BarbarieUne langue de sable d’une centaine de mètres et longue de cinquante kilomètres sépare le calme de la lagune de l’océan déchaîné. La quiétude des bolons ensoleillés bordés d’une mangrove verte contraste avec la fureur de la mer noyée de brume. Il y a quelques années, une brèche a été ouverte dans la Langue de Barbarie pour parer aux inondations prévues à Saint-Louis. D’un chenal de quelques mètres, l’ouverture sur la mer atteint aujourd’hui plusieurs centaines de mètres. Cette intervention humaine a eu pour effet l’ensablement de l’estuaire. Ceci provoquera sans doute la disparition de la réserve marine qui met en avant la présence de tortues marines. De mémoire de pêcheurs, il y a plus de dix ans qu’on n’a pas vu de tortue pondre dans le sable et les oiseaux se font de plus en plus rares. La toute petite réserve reçoit pourtant des touristes. En amont, le parc du Djawling en Mauritanie ne bénéficie plus des marées et les zones humides s’assèchent progressivement. Mais la nature reste la plus forte et ce que l’océan a façonné durant des siècles, l’homme ne pourra pas l’endiguer.
|