Je consomme donc je suis. Tu ne consommes pas : tu n’es rien… Ah bon ?
Chronique publiée dans Carnets d'Aventures n°40.
Voir les autres points de vue de l'extraterrestre.
L’humain a actuellement une étrange manière de fonctionner. Il tend, à tous les étages de la société, à réfléchir en matière de valeur en argent, en matière de rentabilité. La politique actuelle le montre (l’Hôpital, la Poste, l’École ! doivent devenir rentables), tous les indicateurs de nos sociétés sont des valeurs comptables (le PIB, le PNB, la croissance…) et même le « moral des ménages » ! Eh oui, très sérieusement, on répète sur les ondes que votre moral – votre joie de vivre en quelque sorte – à vous Terriens, est lié à votre consommation, ne trouvez-vous pas cela inquiétant ?
Le voyageur nature est lui aussi évalué en termes de valeur marchande. Les acteurs de la politique locale vont se demander : « s’il vient dans notre région, consommera-t-il de l’hébergement, de la restauration, fera-t-il tourner notre économie ? ». Si oui, il sera le bienvenu, sinon qu’il reste chez lui. C’est un petit peu schématisé, mais pas tant que ça malheureusement.
Pourtant revenons quelque peu en arrière. Pourquoi essaie-t-on de maximiser l’argent à gagner ? La politique locale veut que les habitants puissent travailler en local, que la région, le département, la communauté de communes, la commune, récupèrent de l’argent provenant de personnes « extérieures », un petit peu comme des devises, qui permettrait de développer le territoire. Donc, globalement, certaines personnes – les commerçants, les hébergeurs et autres acteurs du tourisme – vont recevoir de l’argent provenant des touristes pour qu’ils puissent… qu’ils puissent quoi justement ? Vivre, dans un premier temps, gagner suffisamment pour se loger, se nourrir, se déplacer ; cela paraît la base et c’est complètement légitime. Ensuite, pouvoir avoir des loisirs, des vacances, des voyages, du temps pour profiter de la vie, du bien-être. Eh bien oui !
Le regroupement en sociétés humaines vise à améliorer le bien-être des humains qui les constituent. Malheureusement, il semble que, progressivement et insidieusement, le concept de bien-être ait dérapé vers celui de « bien-avoir ».
Ainsi, les objectifs d’une société, et l’utilisation des richesses qu’elle (au sens large) produit, ont-ils migré de l’amélioration du bien-être des hommes vers l’augmentation du « bien-avoir », et donc l’optimisation de valeurs comptables, lesquelles ne sont pourtant que des outils créés par l’homme pour faciliter la gestion du système.
On arrive alors à un schéma qui peut sembler aussi pervers qu’inexplicable : au lieu d’avoir une société au service des hommes, l’homme se retrouve au service d’un modèle sociétal qui vise à optimiser des valeurs économiques !
Si des personnes arrivent à être heureuses sans consommer, juste en se déplaçant et en bivouaquant dans la nature, sans passer par la case argent, alors elles atteignent déjà l’objectif de la société et la société devrait s’en réjouir ! Ne pas perdre de vue l’objectif final permet de ne pas faire de grossières erreurs : éviter de confondre la fin et les moyens ! Malheureusement la plupart des acteurs de notre modèle occidental n’ont pas cette vision et adhèrent au schéma sociétal « comptable ».
Mais rassurons tout de suite l’industrie du tourisme : le voyageur qui bivouaque en pleine nature ne va certes pas consommer de l’hébergement (et encore, cela pourra lui arriver de temps à autre), mais il va se nourrir, faire ses courses dans les épiceries, acheter des produits locaux, des petits fromages, des saucissons sur les marchés, du pain, un petit café en terrasse, etc. Et puis il fait vivre l’industrie du matériel outdoor, un gros secteur. Ouf ! Son existence a une légitimité puisqu’il fait circuler les euros. Il s’en est fallu de peu. Encore une fois, la grave erreur de perception de notre société qui voit l’argent comme une fin alors qu’il a été créé comme un moyen a failli faire une nouvelle victime…