Coupés du monde
Chronique publiée dans Carnets d'Aventures n°17.
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Lors d’un voyage nature, on peut parfois se retrouver déconnecté du monde. Cet été, nous sommes partis un mois et demi en kayak de mer. Nous n’avons appris la mort de Michael Jackson que plusieurs semaines après l’événement, évitant – involontairement mais complètement – le rouleau compresseur médiatique (et mercantile) qui a concerné l’immense majorité des populations occidentales (pour les quelques voyageurs nature coupés du monde et qui ne lisent que Carnets d’Aventures : oui, Michael Jackson est mort ! l’information a fini par vous atteindre vous aussi J). L’année dernière, c’est également plusieurs semaines plus tard que nous avions appris la libération d’Ingrid Betancourt, alors que nous étions en train de traverser l’Islande à pied.
Lors d’une itinérance dans la nature, nous vivons notre propre vie, au contact d’éléments réels, tangibles et bien concrets. La nature nous impose son rythme, nous oblige à adopter l’attitude juste. Lorsque le ciel devient menaçant, il nous faut adapter notre progression, choisir le bivouac avec attention. Être confronté à ces aspects essentiels – la vie réelle et concrète en quelque sorte – a quelque chose de stabilisant : on sait pourquoi on fait les choses. Le lien entre ce que l’on fait et pourquoi on le fait est très fort, très logique, très naturel. Dans la vie de tous les jours, on se rend compte que ce lien est moins tangible, moins logique. Pourquoi achetons-nous ce bien de consommation dont nous ignorions complètement l’existence avant qu’un publiciste habile réussisse à en créer en nous le besoin ? Pourquoi suivons-nous certaines modes ? (nous entendons mode au sens large, la mode vestimentaire n’est qu’une mode parmi d’autres qui sont parfois bien moins facilement identifiables) Pourquoi avons-nous peur des autres ? (fleurissement des sociétés de télésurveillance, des caméras, alarmes, digicodes ; gros budgets à l’armement, volonté de tout « sécuriser ») Pourquoi travaille-t-on autant ? Pourquoi essayons-nous de faire une belle carrière ? Pourquoi faisons-nous ce que nous faisons ? Pourquoi croyons-nous ce que nous croyons ?
Peut-être parce que nous baignons dans un océan médiatique (la télévision, la radio, internet, les journaux, les films, les magazines, les chansons, les livres, les discussions avec d’autres, eux-mêmes influencés par les médias précités). On peut penser – sans trop prendre de risque, en étant objectif… et pas trop présomptueux – que la plupart de nos idées, nos opinions, nos convictions proviennent de cet océan. Nous vivons dans les préoccupations de ce monde. Nous subissons ses inquiétudes, ses craintes, ses motivations, ses envies, ses objectifs.
Se couper de cet océan me fait personnellement un bien fou ! Cette coupure et le contexte du voyage nature permettent de prendre du recul, donnent le temps de la réflexion, ce précieux temps sans sollicitation où l’esprit peut vagabonder à sa guise hors du cadre habituel, sans être guidé. C’est dans ces moments-là que je me sens le plus progresser…
Et pourtant, se mettre à l’écart de l’océan médiatique suscite inévitablement les critiques de ceux qui nagent dedans. Car de nos jours, on ne conçoit pas de vivre sans être constamment informé, il faut savoir ce qui se passe dans le monde. Mais ce qu’on nous dit à nous, au travers des médias, n’est pas la même chose que ce qu’entend un Américain, qui n’est pas ce qu’entend un Russe, qui n’est pas ce qu’entend un Iranien. Les médias ont une orientation, ils ne sont qu’une vision de la réalité, qu’une interprétation, souvent présentée de manière racoleuse et tapageuse pour augmenter l’audimat ; quand ils ne sont pas purement mensongers et propagandistes (l’affaire des armes de destruction massive en Irak en est un exemple flagrant). Bref, se couper de l’océan médiatique ce n’est pas se couper des réalités, loin s’en faut. Je dirais même que c’est exactement le contraire qui se produit…