Immobilisme
Chronique publiée dans Carnets d'Aventures n°15.
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À la fin de mes études, je partirai faire un grand voyage.
Quand ce sera un peu plus cool dans mon travail, je pourrai partir.
Quand j’aurai fini de payer la maison, je partirai.
Quand les enfants quitteront la maison, je partirai.
Quand je serai à la retraite, je partirai.
Dans ma boîte en sapin, je partirai enfin pour mon grand voyage…
Une caractéristique assez particulière à l’espèce humaine est sa tendance à l’immobilisme, ou à la procrastination perpétuelle, ce qui revient au même. Nous nourrissons quantité de rêves tout au long de notre vie, mais la plupart ne se concrétisent jamais. Transformer ses rêves en réalité est un art difficile. Tant de raisons nous poussent à vivre paisiblement la vie qui vient, comme elle se présente. Rompre avec le quotidien demande de l’énergie et des efforts importants. Ainsi la plupart des projets se concrétisent-ils plutôt au moment où la vie aménage naturellement un break, une période où le quotidien devient différent et où il est plus facile de s’en abstraire. La fin des études ou le début de la retraite sont par exemple des moments propices. Mais, lancé dans la vie, qu’il est difficile de tourner le dos à sa carrière, à la multitude d’asservissements subis ou acceptés que la société contemporaine dispense à foison, au rassurant lendemain qui se présente sagement sur le chemin pavé de la routine. Qu’il est aisé et tranquillisant de trouver mille et une raisons pour ne pas franchir le cap.
Nos peurs ataviques sont là, en nous, pour nous maintenir sur le chemin facile et balisé. Cela s’explique aisément : notre cerveau primitif est là pour nous protéger ; or, si depuis des années nous menons une vie confortable et tranquille, qui permet de manger, de nous protéger facilement et efficacement du froid, du chaud, de la pluie et de toutes sortes de vicissitudes, alors pourquoi en changer ? Ce serait forcément prendre un risque. Cependant, notre cerveau est composé de plusieurs strates, et cette couche primitive, très forte, est en conflit avec des strates plus élaborées où siègent nos rêves. Plus on obéit au cerveau primitif, et plus son emprise sera forte. Plus les peurs ancrées en nous nous empêcheront d’avancer.
En prenant de l’âge – et bien que beaucoup continuent de faire quantité de choses étonnantes –, trop nombreux sont ceux qui ont de plus en plus peur de la vie, bien plus que lorsqu’ils étaient jeunes. Ils n’osent plus, se méfient. Ils disent alors que c’est parce qu’avant, ils étaient inconscients. Mais si être « conscient » annihile la pulsion de vie, alors ne vaut-il pas mieux mettre ses peurs de côté et prendre ce que la vie a à nous donner ? S’empêcher de vivre devrait faire plus peur que la mort… À quoi bon avoir peur de tout en vieillissant comme si nous étions immortels, alors que le vieillissement conduit irrémédiablement à la mort ? En toute bonne logique, plus on prend de l’âge, et moins on a à perdre. Plus on devrait donc être avide de découvertes et d’expériences nouvelles, tout en étant moins craintif. Mais le cerveau primitif est là, maton de plus en plus expérimenté de nos envies.
Il est intéressant de faire la conjecture suivante. Imaginons que nous soyons sur notre lit de mort ; un ange apparaît et nous redonne 10 années de vie dans de bonnes conditions de santé physique et mentale. Qu’allons-nous faire de ces 10 ans ? Il y a fort à parier que nous serons moins sur la réserve et davantage fonceurs pour vivre pleinement ce bonus.
Finalement, n’est-ce pas cette vie-là qu’il faut vivre dès à présent ?
O.N.
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