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Priscilla Telmon, au Tibet interdit

par Johanna dans Récits et entretiens 08 mai 2006 26020 lecteurs Soyez le premier à commenter
Lecture 7 min.
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6 mois et 5000 km de marche et d'aventures sur les traces d'Alexandra David-Néel
(récit publié dans Carnets d'Expé N°3, épuisé, sur la base d'un entretien entre Priscilla et Johanna)

80 ans après le voyage et l'entrée clandestine à Lhassa d'Alexandra David-Néel, Priscilla Telmon s'élance à pieds et en solitaire dans les traces de l'illustre aventurière. Partie d'Hanoi au Vietnam en juillet 2003, elle chemine vers le nord ouest à travers le Vietnam, la Chine, puis le Tibet et la cité de Lhassa, puis descend au sud traversant l'Inde et les jungles du Bengale pour atteindre Calcutta au terme d'un périple de 5 000 Km en 6 mois.

6 mois d'aventures !
Sur les traces d'Alexandra : aventure spirituelle et historique.
A pieds pendant 5 000 Km : aventure sportive.
En solitaire : aventure intérieure.
A la rencontre des populations, de leur histoire et de leur vie : aventure humaine ethnique et spirituelle.
A travers des terres de mythes, des terres d'exil, des terres encore mal connues et peu accessibles : aventure exploration et découverte.
A travers des espaces grandioses et sauvages : aventure Nature.

Voir l'encart Priscilla Telmon en bref

Voir l'encart "Alexandra David-Néel en bref"


Au Vietnam sous une lourde chaleur humide

40° à l'ombre, 95% d'humidité, les premiers kilomètres sont rudes. Priscilla affronte les difficultés de début de voyage : le corps n'a pas encore pris son rythme, le sac pèse sur les épaules (lire l'encart "Sac à dos et équipement"), la solitude est dure à apprivoiser et le trajet encore long ! Le climat apporte aussi son lot d'épreuves : la chaleur d'étuve – le jour comme la nuit – ne cesse que pour laisser place à des violentes pluies qui trempent la marcheuse jusqu'aux os. Cette énorme quantité d'eau qui s'abat sur les chemins, les champs et les rivières rendent parfois la progression difficile : boue, marais, gués délicats, berges inondées…comment le ciel peut-il déverser tant de larmes ?
Malgré tout la jeune aventurière avance ; d'abord 10, 20 puis 30 Km par jour… le corps d'adapte. L'objectif journalier de 40 Km doit être atteint afin, notamment, de franchir les hauts cols himalayens avant la fin de l'automne.

Lire l'encart "Rencontres nocturnes"

La solitude est parfois pesante mais, si Priscilla est partie seule, c'est aussi pour rencontrer les gens du pays, rencontrer ces peuples qui vivent loin des sentiers battus. Sur les hauts plateaux montagneux du nord, elle est accueillie par des familles d'agriculteurs de diverses minorités (H'mongs, Tay, Jahos, Cuchu, Lu) qui vivent pour beaucoup dans des conditions misérables. Sa présence intrigue, amuse, indigne parfois : quelle est donc cette femme qui voyage seule ? Impensable au Vietnam !

Le Vietnam, pays communiste qui semble quelque peu paranoïaque aux abords de ses frontières… "Le territoire n'est pas sûr, des agents anticommunistes de la CIA ont infiltré le nord" lui dit-on au poste de police de Than Uyen ! Sous prétexte de sécurité, c'est en compagnie – forcée – d'un policier qu'elle effectue les 100 derniers kilomètres avant la frontière chinoise à Lao Cai.

Priscilla Telmon, Yunnan Chine, traversée de fleuve à l'aide de câbles
En Chine à travers le Yunnan

Au poste de douane, pour tenter d'apaiser les doutes et d'écourter les interrogatoires, c'est en tant que "consultante en panneaux solaires" que Priscilla se présente ; "ici on aime ni les journalistes, ni les photographes et encore moins ceux qui s'intéressent au Tibet" commente-t-elle. La pluie elle aussi passe la frontière et va continuer de la suivre… lui évitant tout de même souvent une insolation.

Elle est maintenant au Yunnan. A travers cette province chinoise longtemps interdite, elle remonte le Fleuve Rouge en direction du Tibet où il prend sa source. Plus de 20 ethnies différentes sont représentées dans cette région. Ici aussi les gens sont très accueillants malgré la rudesse de leur vie : le travail des champs et des troupeaux occupe tout le monde, jusqu'aux plus âgés. Le peu d'argent récolté sert souvent à payer des amendes : en Chine – contrôle de la démographie oblige – on n'autorise pas plus d'un enfant par couple.

Dans ce pays, l'aventurière a beaucoup de mal à trouver son chemin. En se perdant de nombreuses fois, c'est aussi de l'énergie physique et mentale qu'elle perd ! Mais parfois il suffit d'un petit coup de pouce pour repartir de plus belle : dans un village, un paysan déniche une carte chinoise qu'il arrache du mur de la pièce servant d'hôpital pour l'offrir à Priscilla !

Près du Lac Nam Tso, Tibet
Direction le Tibet !

En septembre, elle a déjà parcouru 1600 km. Approchant du Tibet, elle chemine maintenant à plus de 4000 mètres d'altitude ; le manque d'oxygène se fait sentir, mais son corps s'adapte et elle apprécie cette sensation d'aller mieux en mieux.

Approcher du Tibet signifie aussi approcher des obstacles administratifs chinois. Déjà à l'époque d'Alexandra David-Néel, ils refusaient l'entrée d'étrangers au Tibet du fait de sa position stratégique et géopolitique. Priscilla se bat pour obtenir permis et laissez-passer… pour finalement se préparer à entrer à son tour clandestinement au Tibet, déguisée et accompagnée de Gyatso, un jeune tibétain qui a passé plus de six mois en prison pour avoir commis la simple faute d'aller en Inde. "Deux voyages vécus à près d'un siècle d'intervalle, mais qui démontrent la même chose : rien n'a changé sur le toit du monde, ni l'interdiction d'y pénétrer, ni la difficulté d'y voyager." en conclut Priscilla.

Visite de la mission catholique de Tsedjrong : clin d'œil à Alexandra !

Juste avant la frontière et après une halte au monastère de Gandem Sumtseling, Priscilla chemine vers Tsedjrong. Là, elle visite l'ancienne mission catholique d'où Alexandra David-Néel avait, 80 ans plus tôt, entamé son voyage vers Lhassa. Le livre d'Alexandra à la main, elle retrouve avec joie et émotion de nombreux détails décrits par l'aventurière. Il est des endroits où le temps ne semble pas avoir de prise...

Pèlerinage du Kawa Kharpo
Entrée au Tibet

Devant elle se dresse le Kawa Kharpo, "le cavalier des neiges" ; 2003 est l'année anniversaire de cette montagne sacrée de la région du Kham et des pèlerins venus de tout l'Himalaya s'y dirigent en file indienne. C'est parmi eux qu'elle entre au Tibet, à 4600m, sous les "paho re, courage" clamés par la foule. Elle poursuit avec eux ce pèlerinage de 300 Km à travers les hautes montagnes tibétaines incluant 8 cols entre 4000 et 5000m. Le tout dans des conditions extrêmement difficiles : temps froid, pluie et neige ; terrain accidenté et boueux ; alimentation, hygiène et sommeil très réduits. Mais, la prière, l'élan spirituel et la ferveur collective leur donnent la force de continuer. Priscilla sait aussi qu'elle marche dans les traces d'Alexandra, elle reconnaît même des endroits décrits dans son livre !
Lire l'encart "Il te faut un prénom tibétain"

Puis ce sont de nouveau les luttes administratives pour obtenir des permis en règle. Certes, de nos jours le Tibet et Lhassa sont accessibles, mais pas pour ceux qui, comme Priscilla, arrivent seuls, à pied et hors des circuits classiques. Elle entretient alors son moral et sa motivation en songeant à Alexandra. L'hospitalité et la gentillesse des tibétains la touchent beaucoup. Elle se rend compte un peu plus chaque jour de l'influence de l'occupation chinoise : "on me raconte, dans l'intimité des foyers, l'horreur, la violence souterraine. Le Tibet n'est plus une civilisation blessée, mais un pays qui se meurt à jamais."

Tibet central, région du Kham, petits pèlerins
11 nouveaux amis !

Poursuivant sa marche vers le sud, Priscilla rencontre neuf enfants pèlerins se rendant à Lhassa pour devenir moines, emmenés par un couple. Elle est touchée par le groupe avec qui elle va cheminer quelques semaines. Une belle amitié grandit au sein de cette étrange caravane. Rugbo, Tachinso, Dela, Kartel, Djama, Kerguem, Semkiep, Kanga, Khamji, Karma et Tchousem sont sa nouvelle famille ! Priscilla est vraiment émue par le courage et la joie de vivre de ces tout jeunes enfants ; toujours joyeux et sans jamais se plaindre, ils marchent de longues journées dans des conditions difficiles, mal nourris et mal équipés. Ensemble et heureux ils poursuivent leur route vers Lhassa. Malheureusement à Nyinchi, ils sont arrêtés par la police chinoise qui interroge longuement Priscilla et lui interdit de continuer avec ses amis. Les larmes coulent, la séparation est douloureuse. "Nous nous quittons, séparés par la force. Je repars le coeur serré. Ils m'ont appris cette grande chose : être heureuse quoiqu'il arrive dans le froid, la faim et l'hostilité des Chinois. Être heureuse, car en vie." se souvient avec émotion l'aventurière.

« Nous marchons pendant des jours, partageant nos repas, dormant blottis comme des chatons sous une simple bâche pendant les nuits de neige. Pendant la journée, Tachinso -quatre ans - vient glisser sa petite main dans la mienne. Mon coeur fond. Ce n'est pas moi qui lui donne la force de marcher, mais c'est bien lui qui me ferait traverser des montagnes, tant son courage me subjugue. Ils galopent pour suivre les pas des grands. Jamais une plainte, un soupir, une larme. Ils ne sont que bonne humeur et rires en cascade. Au campement, nous improvisons des jeux pour retrouver l'insouciance perdue pendant ces longues journées. »
Tibet central, région du Kham. Priscilla chemine avec une caravane d'enfants pèlerins venus de la vallée du Sichuan en Chine et se rendant à Lhassa pour devenir moines.

C'est seule qu'elle continue sa route à travers la nature sauvage et reculée de l'Himalaya. Accueillie par des bergers et des nomades, faisant halte dans des monastères… la grandeur du Tibet l'envahit chaque jour !

Tibet, Vallée de Lhassa, aux abords du monastère de Ganden
Novembre 2003 : entrée à Lhassa

Après 3300 Km à pied, et 80 ans après Alexandra David-Néel, Priscilla entre à Lhassa.
Joie. Emotion. Euphorie !
Une semaine lui suffit à découvrir la Lhassa de ce début du XXIè siècle : chinoise. La majorité de la population est Han, il ne reste du Tibet que des lambeaux de son passé religieux, culturel et traditionnel. Le Potala, l'ancienne résidence du Dalai Lama, n'est plus qu'un musée bien surveillé. L'occupation chinoise est omniprésente.

Priscilla quitte Lhassa sans trop tarder fuyant les quelques problèmes qu'elle a avec la police chinoise. En ce début d'hiver, la traversée de la chaîne himalayenne est rude : nuits extrêmement froides, chemins enneigés, franchissements de cols à plus de 5000m et forts vents glacés… beaucoup de courage et de motivation sont nécessaires à la jeune femme pour trouver chaque matin l'énergie de continuer.

Dans la foule vers Calcutta

Déserts, hauts plateaux, puis de nouveau collines, jungles… et la chaleur ! Le Sikkim, l'Inde, la plaine du Bengale, elle marche vers le sud. La surpopulation de l'Inde lui pèse, la foule est partout et ce sont parfois des attroupements de 200 curieux qui se forment autour d'elle. C'est dans la chaleur et la marée humaine qu'elle arrive au terme de son voyage. Calcutta, 15 millions d'habitants… pauvreté, pollution, misère, et partout une foule énorme.

Un bain dans le Gange ponctue symboliquement son étonnant et riche voyage de 5000 Km de marches, de rencontres, d'émotions et d'aventures !


Photos de Priscilla Telmon et Pierre Perrin
Article de Johanna Nobili publié dans Carnets d'Expé n°3

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