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A cheval en Afghanistan

par Coralie dans Récits et entretiens 01 mars 2012 mis à jour 28 févr. 2017 5264 lecteurs Soyez le premier à commenter
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Voyager avec un enfant : à cheval en Afghanistan


A cheval avec un casque d'alpinisme !En complément de son témoignage dans le dossier « Voyager avec ses enfants » publié dans Carnets d’Aventures n°27 (voir le sommaire, le commander). dans lequel elle présente son voyage en Asie Centrale avec Lou en 2010 ainsi que des réflexions sur le voyage avec un enfant. L’été 2011, Mariette et Lou ont chevauché plusieurs semaines à travers l’Afghanistan ; un beau périple qu’elle évoque ici.

Texte : Mariette Nodet
Photos : Mariette Nodet et Christophe Charpentier

Débarqués en début d’été 2011 au Tadjikistan, nous filons cap au sud, dans des jeeps bondées sur des pistes défoncées vers cette langue de terre mystérieuse et mythique qu’est le Corridor du Wakhan afghan.

 

Petite Afghane
Petite Afghane

Lou tient le coup à bord, tendue vers l’objectif final qui est le voyage à cheval dans la montagne. Sa capacité à s’adapter est impressionnante : alors que l’on gère la logistique avec mon compagnon de route, elle se fait des amis en un clin d’œil, manipulant avec aisance les quelques mots de persan utiles et les habitudes culturelles locales. À Khorog, alors que nous nous reposons de la route en sirotant un thé dans un lodge, elle disparaît même un après-midi entier… à l’école du quartier !

Lou pas farouche pour un sou
Lou pas farouche pour un sou

Une fois la frontière passée, la bascule est radicale : nous entrons dans un monde marqué par la pauvreté et la guerre. Mais rien n’est choquant, et les Wakhis sont d’une gentillesse et d’un accueil incroyables. Trois semaines à cheval nous font découvrir la région du Petit Pamir, une immense vallée perchée à 4 000 m environ, encastrée entre les sommets alpins du Pakistan et les reliefs plus doux du Tadjikistan. Nous chevauchons de campement en campement, et chaque fois nous sommes reçus sous la yourte des nomades kirghizes qui vivent dans ce bout du monde depuis toujours. Lou monte à cheval avec moi : je me méfie des étalons sauvages de ces régions ! Elle s’essaye aussi à l’âne et au chameau, selon les opportunités du moment.

A cheval avec un casque d'alpinisme !
A cheval avec un casque d'alpinisme !

Tout est bonheur : la découverte de ce mode de vie si éloigné du nôtre, la vie au grand air avec les chevaux, l’itinérance sans stress : nous avons tout notre temps et la météo est clémente. Une femme et une enfant s’immiscent aussi plus facilement dans les activités que les hommes ne fréquentent pas : cuisine, lessive à la rivière, traite des yacks. Malgré la frustration de ne pas parler suffisamment bien le wakhi, on arrive à deviner leur labeur et leurs joies, à échanger un peu. Alam Jam Dario, notre ami poète du nord Pakistan qui fait partie de l’expédition et connaît tout le monde ici (les frontières Afghanistan-Pakistan sont poreuses…), nous est très précieux pour comprendre plus finement ces femmes et ces hommes. Lou s’isole parfois dans la tente pour faire son carnet de voyage ou jouer avec les quelques petites figurines qu’elle a emportées de France. Avec les bouts de tissus ramassés ici et là, elle a cousu un petit sac où elle glisse pierres, ossements, fils de fer et objets divers. Elle est devenue une folle collectionneuse au fil de nos aventures !

Elle est aussi très interpellée chaque fois que nous rencontrons, en Afghanistan ou au Tadjikistan, des personnes « décalées » qui lui ouvrent son horizon : ici un écrivain anglais solitaire qui voyage depuis 40 ans dans ce coin perdu, là un agriculteur suisse qui construit des serres dans des zones d’altitude où rien ne pousse, ou un photographe qui a couvert une expédition de chercheurs récoltant des graines rares pour la Banque Mondiale de la graine au Spitzberg, ou encore un jeune homme aveugle qui voyage seul, sans parler de ces Pakistanais si loin de leurs familles qui travaillent pour le compte d’ONG afin que des écoles se construisent sur une terre laminée par des décennies de guerre… Encore une fois, je ne sais pas ce que Lou retiendra d’un tel voyage : beauté absolue des paysages, accueil inconditionnel de ces divers peuples d’Asie Centrale, amitiés improvisées, ou rudesse de la montagne et de ses sentiers parfois vertigineux, attentes, fatigue, faim, inconfort, journées trop longues ?

Ce dont je suis sûre, c’est qu’il restera quelque chose de profond en elle de ces deux mois d’aventure ; quelque chose qui la façonne déjà.

 

Suite à cet article, certains lecteurs se sont demandés comment il était possible de franchir la frontière de ce pays en guerre et quels étaient les risques encourus. Mariette leur répond :

Quelles sont les formalités à accomplir avant de partir pour l’Afghanistan ?

Etonnamment, je n'ai eu aucun souci pour faire faire mes visas à l'ambassade d'Afghanistan à Paris pour moi et ma fille. C'est l'Ambassade de France qui déconseille fortement de se rendre là bas. Ma lettre de motivation, à fournir, était en même temps très complète avec des personnes connues sur place.

Comment passe-t-on la frontière terrestre pour arriver dans le corridor de Wakhan?

Nous sommes passés par le Tadjikistan (magnifique pays) sans aucun problème : la frontière est minuscule et se trouve au milieu de nulle part, au niveau de la ville d'Ishkashim. Nous avons croisé d'autres touristes (une petite dizaine de Polonais, Suisses, Roumains, Anglais) dans la zone. Trois jours de galères sont nécessaires avant de se diriger vers la montagne, avec des visites officielles et officieuses, des barrages divers et variés.

J'avais la chance de voyager avec un ami Pakistanais qui connaissait tout de ce coin d'Afghanistan, ce qui m'a permis de me laisser guider en toute confiance. Sans lui, j'aurais pu trouver un guide local à Ishkashim mais peu connaissent ensuite le Petit Pamir et le bout du corridor.

Voit-on que le pays est en guerre lorsqu’on va dans ces contrées ?

Je n’ai pas vu trace de guerre alors qu'il y avait des combats à plusieurs dizaines de kilomètres au sud (je l'ai su après coup, mon ami pakistanais ne me l'a pas dit sur le moment). Je m'étais bien renseignée quelques temps avant d'y aller et à nouveau quelques jours avant : tout était calme dans cette zone, la ville d'Ishkashim était pacifiée à ce moment, et dès que l'on va vers la montagne, c’est encore plus calme. Ceci était valable à l'été 2011, la situation peut évoluer rapidement. En dehors de la pauvreté, rien ne montrait que le pays avait été touché par la guerre ici.

Pensez-vous qu’il est inconscient de voyager en Afghanistan ?

Je ne sais pas quoi dire sur l'inconscience ou l'audace d'avoir fait un tel voyage, qui pour moi a été absolument fantastique. Est-ce que je peux dire : "allez-y en toute confiance" ? Je n'en suis pas sûre. Si c'est un très vieux rêve, c'est beau à réaliser, et la situation sur place est toujours plus humaine que ce que l'on s'imagine à l'avance. Mais je pense qu'en même temps, pour ces zones qui sont toujours au bord de l'explosion, on doit être très vigilant, et cela jusqu'au bout, quitte à se tenir prêt à renoncer au parcours prévu (et comme pays de rabattement, le Tadjikistan n'est pas des moindres destinations).

Quel a été votre itinéraire détaillé ?

Au Tadjikistan, nous sommes allés de Dushanbe à Khorog, nous avons passé la frontière à Ishkashim. Nous sommes entrés dans le corridor de Wakhan en jeep jusqu’aux quelques maisons de Sarhad. De là, on suit une haute route (col à 4900 m) jusqu'au Petit Pamir. On a chevauché pendant plusieurs jours dans le fond de cette immense vallée jusqu’à la frontière chinoise. Puis nous sommes retournés à Sarhad par les gorges et avons refait en sens inverse la route jusqu’au Tadjikistan.

NDLR : Pour en savoir plus, un article de Mariette Nodet sortira dans la revue "l'Alpe" à l’automne (vous la trouvez en librairie uniquement).

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