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Philosophie du voyage nature

le paradoxe du voyageur

michelg - 12 sept. 2011
70 messages
( note extrait de mon blog de voyage )



Le café de Sentarada est le seul établissement ouvert. Hors saison, il n'y pas même une épicerie.
Il n'y a pas grand chose ici, mais c'est justement ce qui m'attire, j'y reste deux jours. Tout juste le temps d'une ébauche de relations avec les gens... C'est à cette terrasse que j'ai rencontré la Cubaine...

A gauche sur la photo, la route qui me conduira jusqu'à Vilaller, toute montée. Je n'aurais plus peur de la montagne en vélo. Chaud sera chaud, pentu pentu, fraiche l'ombre sous le grand pare-soleil en canevas, l'herbe sous les pieds enfin nus. Un groupe d'apprentis-guides avec leur prof qui parle parle parle et je me sens plus libre, moins inséré, plus hélas invisible aussi. Je me trompe sur ce dernier point, comme le prouve chaque rencontre, chaque conversation à chaque arrêt. C'est vrai, je suis présent, tellement ! Mais puisque les mots font lacunes un peu pour insérer ce passant sur vélo que je suis, chacun y va des siens, reforme son récit, dans lequel je me reconnais rarement.

Savoir qui est qui, le sentiment de je-te-connais ! si bon au coeur humain, cet espace par lequel on se donne le droit de laisser court parfois à sa mauvaise humeur en sachant bien qu'on sera pardonné - la place sociale, tout cela n'est pas accordée facilement au voyageur. Alors chacun y va de son histoire, une histoire reflet des violences sociales que le voyageur semble défier: s'il a peu d'argent, c'est qu'il est presque clochard et tout ce qui s'ensuit. Ou bien c'est qu'il est "jeune" quelque part et tout ce qui s'ensuit. Ou bien dans la catégorie des révoltés et tout ce qui s'ensuit. Il faut bien quelque chose.
Alors que je n'ai jamais été autant simple présence, je n'ai jamais été non plus d'avantage invisible.

D'où ce sentiment de malentendu permanent, le paradoxe et la frustration du voyageur. Parti pour être en contact avec autrui, j'y suis en effet - avec grand bonheur. Mais dans ce contact tout pâlit, l'ombre du voyageur se perd dans l'épaisseur hyaline de l'air.
J'agit comme une caresse sur l'existence d'autrui. Au-delà du bien et du mal, ni vérité ni mensonge, sur l'épiderme des rituels.
Mais sitot que nos récits prendraient le risque de se déployer en maison commune, dans l'arêne ordinaire des échanges humains, à cet instant je cesse aussi d'être ce pour quoi j'ai été si facilement acceuilli: un voyageur, un passant, un point d'interrogation vivant. Je ne propose rien - ni technique nouvelle, ni vision révolutionnaire du monde. Je ne milite pour aucun mode de vie singulier. Je dis " allo, Michel en vélo ! " - alors je la fine ligne de crayon dessinée autour des récifs ou des vagues - urbaines et rurales -, sans qu'on puisse vraiment pressentir le poids ou la matière réelle de mes pierres ou de mes eaux. Pour cela, il faudrait le seul bien qui manque au voyageur: le temps ensemble, l'ennui qu'on remplit comme on peut, - c'est à dire finalement de soi.

A l'allée, à Vilaller, Monika a glissé entre mes mains un livre sur l'Histoire du Flamenco. Je leur avait dit, à elle et à sa soeur, le "but" de mon voyage, ce chant flamenco de Jerez. Alors que j'écris ça aujourd'hui, à Toulouse, au "Kub", entouré de ces gens qui peu à peu se dégagent en amis, cette invitation de Monika au voyageur voué au monde pointilliste et aux tirets d'émotions, elle me parait comme une des plus généreuses qui m'ait été faite.

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