La faute de l'orthographe - la convivialité
Vous n'aimez pas la chasse ? Nous si.
Mais pas celle qui tue des VTTistes ni qui vise les TGV. Alors à quelle chasse s'adonne l’équipe du magazine régulièrement ? Une véritable battue à l’issue de laquelle nous ne visons aucun survivant. Un massacre que nous réitérons chaque trimestre. Aussi sournoises soient-elles, les nouvelles proies ne manquent pas et nous ne rentrons jamais bredouille. Aucun d’entre nous n’a de permis, pourtant nous ne sommes pas des braconniers.
En effet, notre chasse est en règle. En règle d’orthographe plus exactement. Les fautes sont notre gibier, sinon l’orthographe nous piège. Les randonneurs et vététistes peuvent se balader sereinement, la nature suivre son cours paisiblement, notre traque se limite aux 108 pages de chaque parution de Carnets d’Aventures. Chaque article est lu, lu, et relu par plusieurs paires d’yeux. Et pourtant, tel un nuisible, nous ne parvenons certainement jamais à les éradiquer toutes. Certaines en réchappent in extremis. À qui la faute ? La faute à Voltaire ?
Non, la faute DE l’orthographe !*
L'année dernière, une partie de la rédaction avait assisté à un spectacle nommé “La convivialité”. Arnaud Hoedt et Jérôme Piron, deux anciens professeurs de français d’origine belge, y présentent quelques aberrations et paradoxes de la langue française, sans manquer d’ironie à leur égard. Après le spectacle, nous affichons un enthousiasme évident : d’une part la prestation scénique est excellente, et d’autre part la réflexion qu’ils suscitent est stupéfiante de justesse. À commencer par la perception de l’orthographe comme une forme de discrimination. Un peu fort de café ? L’argumentation des auteurs tient la route et on réfléchit ensuite à deux fois avant de fustiger une orthographe douteuse, voire d’être condescendant envers son voisin qui ne maitriserait pas la langue de Molière aussi bien que soi.
Le spectacle distille des exemples plus absurdes les uns que les autres, pour notre plus grand plaisir. Pourquoi écrit-on gelée de groseille au singulier, tandis que la confiture de groseilles se pare d’un pluriel ? Les auteurs ne tarissent pas d’incohérences de la langue, dont certaines seraient uniquement dues à l’extravagance d’académiciens. Un pied-de-nez aux ayatollahs de l’orthographe qui estiment qu’il suffit de connaître quelques règles et exceptions qui coulent de source. Il n’en est rien, un coup d’oeil à une des pages de l’académie française suffit pour s’en convaincre ! Si certaines règles sont admises sans rechigner, d’autres sont un peu plus tirées par les cheveux (le paragraphe sur les majuscules est un régal, et il nous concerne à chaque numéro de Carnets d'Av !)…
Malgré la majorité d’opinions conservatrices sur le sujet, le duo ose s’attaquer au monument sacré qu’est la langue française par son talon d’Achille : l’illogisme prépondérant, qu’aucune prétendue histoire française ne peut justifier. Et pour les chasseurs de fautes invétérés que nous sommes, c’est un soulagement. Il est donc a priori normal de faire appel à notre moteur de recherche préféré pour dégoter et corriger les fautes les plus fourbes. En même temps, le dictionnaire des difficultés de la langue française aurait pu nous mettre la puce à l’oreille : 448 pages, en version poche. Plutôt pour les grandes poches donc.
*à ou de ? La réponse par nos gentils académiciens :-)
Pour une langue française conviviale
Les auteurs ont ainsi le mérite de questionner de manière très pertinente ce qui doit être un outil plutôt qu’un dogme : l’orthographe. Et plus un outil est simple, plus vite on l’apprend et mieux il est maîtrisé. Des caractéristiques séduisantes pour une langue utilisée au quotidien par des millions de personnes à travers le monde (212 millions en 2014 d’après Wikipedia) ! Par simplification ils n’entendent pas prôner l’écriture SMS ni chambouler toutes les règles actuelles. Ils incitent à faire évoluer la langue dans le sens de l’usage – tout en respectant l’étymologie –, plutôt que ce soit l’usage qui s’adapte à la langue. Ce n’est ni un nivellement par le bas, ni une atteinte à la langue française comme peuvent le revendiquer certains académiciens ou politiciens à qui l’on tend trop facilement le micro quand il s’agit de prôner la culture de l’excellence. Néanmoins, la langue française n’est pas (plus) là pour sélectionner l’élite, elle doit servir à s’exprimer. La simplifier n’amputera donc rien de sa richesse, et les récits de voyages nous sembleront toujours aussi merveilleux.
Je n’en dis pas plus sur le spectacle qui regorge d’informations intéressantes et d’analyses approfondies sur des mythes trop souvent brandis comme arguments par d’autoproclamés amoureux de la langue française. Quel que soit votre résultat à la dictée de Bernard Pivot, foncez le voir : on se régale, on dédramatise, et on réfléchit sur le bien-fondé de règles à la limite de la perfidie. Le livre quant à lui est une retranscription du spectacle grâce aux illustrations de Kévin Matagne. Si vous n’avez pas la chance de pouvoir assister à une de leurs représentations, n’hésitez pas à vous le procurer.
Au quotidien, on s’amuse ensuite à essayer de trouver soi-même des incohérences de la langue. Et on y parvient sans peine… De quoi occuper facilement plusieurs journées de randonnée par exemple !
Si d’aventure vous vouliez creuser le sujet, voilà quelques ressources qui m’ont semblées intéressantes :
- Linguisticae : une chaîne Youtube qui s’attarde sur de nombreuses questions de langue. Son auteur sait casser quelques idées reçues sur la langue française, et le fait admirablement bien. Si vous deviez n’en regarder qu’une, je vous conseille celle qui traite de la réforme de l’orthographe !
- De nombreux articles de presse traitent de précédentes réformes de l’orthographe, comme cet article de Slate sur les accents circonflexes.
- Le Réseau pour la nouvelle orthographe du français (RENOUVO) permet de se plonger un peu plus dans la réforme de l’orthographe (qui fait parler d’elle aujourd’hui alors qu’elle date de 1990). On y apprend notamment en préambule que « Aucune des deux graphies [ni l'ancienne ni la nouvelle] ne peut être tenue pour fautive. »
- N’en déplaise à certains, on ne se lasse pas de voir le ministre de l’éducation nationale s’emmêler les pinceaux pour des règles qu’il qualifie lui-même de “pas si difficiles que ça”. Le stress de l’examen certainement :-)
Chassons les fautes, oui. Mais chassons d’abord les réactionnaires glorifiant le Bescherelle et les accents circonflexes !
De Arnaud Hoedt et Jérôme Piron - Illustrations par Kévin Matagne
143 pages - Editions Textuel - 18,8x13,5 cm
17€
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