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Parcours d’une vie ordinaire, au bout de monde et de soi-même

par Johanna dans Récits et entretiens 28 nov. 2018 1994 lecteurs 2 commentaires
Lecture 23 min.

Parcours d’une vie ordinaire
Islande, Groenland, au bout de monde et de soi-même

Voici le récit des aventures et mésaventures que j'ai vécues ces quelques dernières années, entre autres un voyage en Stand up paddle et à pied seule en Islande, un autre au Groenland, et un voyage entre la vie et la mort, sur la "planète Cancéropolis".
Et surtout, je l'espère, de belles pensées positives !

Texte et photos : Ingrid Ulrich

FB : Au delà de l'Océan
Voir aussi l'excellent livre d'Ingrid Une vie presque ordinaire, ou l’art de se relever.

Note : Ingrid nous livre, dans le dossier Voyager au féminin de Carnets d'Aventures 54, un récit très touchant.
Dans l'article ci-dessous, elle évoque de façon plus détaillée son parcours de vie et son voyage en stand-up-paddle au Groenland, en images !
Nous vous encourageons à visiter la page de son association Au-delà de l'océan (et à la soutenir ! ) qui oeuvre pour aider les femmes malades du cancer ou en rémission.

On embarque avec Ingrid !

Parcours d’une vie ordinaire, au bout de monde et de soi-même

Je veux être navigatrice, exploratrice, aventurière ! « Ce n'est ni un métier, ni une vie pour une femme ! » me disait-on. Alors sans savoir que faire, je suis allée à la fac, je me suis mariée et j'ai eu deux jolies petites filles. Jour après jour, cette vie se complique. Les violences (conjugales) s'installent. Je serre les dents, je dois attendre que mes filles soient grandes pour me libérer de cette prison. Mes sorties sont limitées, chronométrées. Les années passent et tous les jours je me dis « reste, sois courageuse, les choses vont s'arranger ».
Et un jour, c'est l'accident. Une chute de cheval. La chute qui vous cloue sur un lit d'hôpital pendant 6 mois et sur un fauteuil roulant pendant presque un an. Un an à regarder sa vie, un an à regarder l'intérieur de sa maison et à comprendre que si j'attendais plus longtemps, j'allais m'éteindre doucement sous la violence de mon mari. Ils étaient loin mes rêves d'aventures et de grandes traversées.

Le début d’une nouvelle vie

Et un jour, mes jambes me permettent de sauter par la fenêtre avec mes 2 filles sous les bras. Voila le début de ma nouvelle vie, le début des aventures de la Grid.
J'apprends le stand up paddle (SUP) et j'y trouve rapidement un intérêt particulier : celui d'aller où je veux quand je veux et à la seule force de mes bras. Me voilà enfin maître de ma vie !
J'organise mes premières sorties en solitaire. À la montagne, sac à dos et raquettes, nuit sous la tente, 2 nuits, 3 nuits, puis une semaine… On ne part pas seule en montagne. C'est vrai. Mais en même temps si on attend toujours quelqu'un pour nous accompagner, on finit par ne pas partir. « On dort où ? » « Ben sous la tente » Et là, il y a plus personnes pour vous suivre. Je me régale et peu à peu je me retrouve et je retrouve la confiance en moi que j'avais perdue. Quand on est seul(e) en voyage, on est obligé de puiser dans nos ressources et on se découvre un énorme courage. On apprend beaucoup sur soi-même.
« Tu ne peux pas le faire » « c'est trop dangereux pour toi » « Tu es une fille, tu n'auras pas assez de force »
Voila les 3 phrases qui ont réglementé une bonne partie de ma vie et que j'entends encore trop souvent !
 

Parcours d’une vie ordinaire, au bout de monde et de soi-même

Seule en Islande

Petite, dans mon imaginaire, les océans m'ont emmenée partout et surtout vers les pôles. Rapidement, ma soif de liberté et mes envies polaires m'amènent à un projet : ramer au milieu des icebergs. Je contacte via Internet quelques guides polaires. La réponse est la même : « Du SUP au Groenland... IMPOSSIBLE ! ». J'ai aussi droit au traditionnel discours : « Seule ? Le Groenland est un milieu hostile et rude, il faut s'y préparer des longs mois à l'avance, ce n'est pas un endroit pour une femme ! » 
Encore dans le doute de moi-même, je revois ma copie. Je décide de descendre d'un cran sur le globe. « Ça sera l'Islande ! Là-bas aussi, il y a des icebergs ! » Je contacte un autre guide. Et rebelote !! « Seule ! Fin octobre il fait trop froid pour être sur l'eau. Il y a du vent et des tempêtes... Aucun homme pour vous accompagner ? »
Je n'en peux plus d'entendre ces phrases. Pendant 10 ans, le père de mes filles m'a dit que je n'étais capable de rien et que sans lui je ne pourrais rien faire. Eh bien là, c'est trop ! J'y vais et seule ! Pourquoi réduit-on toujours les aventures et les expéditions « un peu extrêmes » à la gent masculine ?
Pendant des semaines je me prépare à toutes les éventualités et à tous les scénarios : le froid, l'hypothermie, le climat capricieux, les cartes, jusqu'aux attaques de rhinocéros ? ! C'est dire !
Premier jour : tempête de neige -13°C. Ça commence fort.
Il y a peu d'habitants en Islande, l'insularité se fait vite ressentir. Je me retrouve seule au milieu de cet immense terrain. Me voilà libre, libre d'aller où je veux, libre de planter ma tente quand et où je le décide. Il va falloir prendre les bonnes décisions et se faire confiance. S'équiper de crampons pour s'aventurer sur le glacier, enfiler la combinaison pour nager dans une faille ou ramer entre les icebergs. Mon programme est complet, sportif et engagé. J'y fais ma petite vie, d'un bivouac à un autre, en alternant SUP et marche à pied. J'enchaine les kilomètres entre le feu et la glace. L'Islande me fait un effet dingue. C'est ici, au pays des Vikings, des hommes « poilus », que je me suis dit que rien était impossible, et encore moins pour une femme !
 

Nous aussi, les femmes, nous sommes capables

À mon retour, j'enchaine les compétitions, les aventures, les défis sportifs. Je veux me montrer que je suis capable et par la même occasion j'espère montrer aux femmes que NOUS sommes capables. Elles aussi peuvent partir à l'aventure et réaliser leurs rêves.
À chaque aventure, les mêmes questions :

« Tu n'as pas peur ? Ce n'est pas prudent pour une fille »
Je me sens bien dans les grands espaces. J'avoue avoir un penchant pour les endroits très peu peuplés. Les êtres humains me font peur mais pas la nature, ni sa faune. Ainsi mes voyages se situent bien souvent loin de tout, loin de la civilisation, des villes et donc des hommes.

« Pourquoi pars-tu seule ? »
Voyager seule me donne un sentiment d'intense liberté. Je ne rends de comptes à personne, je vais où je veux quand je veux. Personne pour me juger. J'ai toujours été solitaire et j'aime ça. Malgré cela, partager reste dans ma nature. Maintenant avec les téléphones portables et les réseaux sociaux, on ne voyage plus vraiment tout seul. J'aime partager mes aventures. J'essaie de montrer que voyager seul(e) est à la portée de tous, et de donner l'envie d'oser tout simplement… de réaliser ses rêves (car la vie peut être beaucoup plus courte que prévue).

« Que cherches-tu ? »
La réponse est simple. Je ne cherche rien. Je ne cherche pas à sortir de ma zone de confort ou de mon contexte habituel de vie. J'aime ça, c'est tout. Ma vie c'est l'aventure, les voyages, déplacer mon « chez moi » chaque soir. Ne pas avoir d'endroit fixe, n'être obligée de rien, juste avancer, découvrir, rencontrer.
C'est quand je rentre que je dois sortir de ma zone de confort : je ne me suis jamais sentie à l’aise dans la société. Être responsable d'une famille, de biens matériels devenus indispensables à une vie en communauté, travailler pour payer les factures, être une maman… En quelque sorte rentrer dans une petite case.
 

Parcours d’une vie ordinaire, au bout de monde et de soi-même

Voyage entre la vie et la mort

Mon projet d'expédition au Groenland s'organise pour août 2017. Février, je suis dans les Dolomites, sur mes skis de randonnée. Je dois retrouver, de nuit, des copains dans un chalet d'altitude. Je fais une centaine de mètres et là, c'est le vide. Mon corps ne suit plus et ma tête me lâche. C'est la première fois que j'abandonne quelque chose. Je comprends alors qu'il se passe quelque chose de grave, mais quoi ? Un mois plus tard, les médecins m'annoncent un cancer du sein, déjà bien engagé. Je suis fatiguée. Ma première réaction est de refuser les traitements. Mais de retour à la maison, je vois mes deux filles et je ne peux pas les abandonner. Pourquoi moi ? N’ai-je pas assez galéré dans cette vie ?
Mes parents m'offrent un magazine : Carnets d'Aventures n°47 spécial « Résilience ». Deux articles vont donner un autre sens à ma vie : ceux de Franck Bruno et d'Alexis Loireau.
Je trouve dans le récit de Franck (amputé d'une jambe), la réponse à mes questions : « Parce que les malheurs qui nous arrivent ne sont pas des punitions mais des défis à relever ». Je me retrouve tellement ses paroles. Surtout dans sa règle de trois que j'entends encore trop souvent : en premier on vous dit « Tu ne peux pas le faire ». Quand on réalise que vous insistez, on ajoute « C'est trop dangereux pour toi ». Puis, quand envers et contre tout, vous avez réussi, on vous balance : « Oui mais toi c'est normal ! ». Ce qui est incroyable c'est que j'ai rencontré Franck Bruno lors de mon expédition au Groenland. Quelle pouvait-être la probabilité de le rencontrer à cet endroit ? Le hasard est bien étrange.
Quant au témoignage d'Alexis, il m'est précieux ; chaque jour, je tente de m'inspirer de cette philosophie de vie et du voyage qu'il a su développer pendant sa maladie du cancer. Une philosophie positive, joyeuse, qui lui permettait malgré tout de profiter intensément de chaque instant de l'existence.
À chaque aventure, dans les moments de fatigue ou de doute, je pense à Alexis et je repars toujours avec plus d'énergie.

Chimiothérapies et opérations se succèdent. Mon nouveau compagnon de vie JB (Jean-Bernard) est toujours là. Il fait partie de ces rares hommes qui ne fuient pas à l'annonce de la maladie. Il s'intéresse de plus en plus à mon projet et je vois bien qu'il aimerait m'accompagner. On croise beaucoup de femmes sur les routes, mais bien souvent elles suivent leur compagnon. Ici, ce sera l'inverse ! Je me dis aussi que cela peut être le test ultime ! 3 semaines sous une tente, dans le froid au milieu de nulle part. Va-t-on se supporter ? Le voyage est un accélérateur relationnel, il permet de connaître son conjoint plus en profondeur et plus rapidement qu'en plusieurs années de vie sédentaire. Certains traits de sa personnalité, qui n'auraient peut-être été visibles que des années plus tard, apparaissent ici au grand jour. Passer à travers tout cela, c'est ressortir plus fort personnellement, mais aussi au niveau de son couple. Il faut voyager seule pour se retrouver mais aussi avec d'autres pour partager. Voyager en couple est un projet bien différent de celui de partir seul, mais qui apporte autant de richesse : voyage et développement personnel font toujours la paire. 
Voyager ensemble, c'est un partage. Partager ce goût commun pour la vie au grand air, sans autre refuge que notre légère toile de tente. Partager ce besoin d'arpenter sans relâche, de découvrir encore et encore. Nous avons vécu à deux, pendant plusieurs semaines, sans nous quitter un moment, sans voir d'autre personne.
Je pense souvent à une phrase de Christopher McCandless (Into the Wild). Peut-être avait-il raison ? Et si le bonheur n'était réel que lorsqu'il était partagé ?

Déterminée à réaliser mes rêves

La vie, les défis sportifs et les expéditions en solitaire m'ont permis de retrouver confiance en moi. Lorsque l'on est seule en mer, dans la forêt ou au sommet d'une montagne, on ne peut compter que sur soi-même et il faut avancer, prendre des décisions, choisir des trajectoires, évaluer des dangers… Ces obstacles et ces aventures m'ont aussi permis de développer certaines qualités : ne jamais, jamais abandonner !
Mon bonheur provient essentiellement du simple fait que chaque jour m'apporte de nouveaux paysages et de nouvelles expériences, tandis que la vie se résume aux besoins et plaisirs de base : manger, s'abriter et vivre l'instant présent.
Aujourd'hui je me sens encore plus forte et encore plus déterminée à réaliser mes rêves. Ce que j'ai vécu m'a permis de devenir qui je suis aujourd'hui et d'être enfin… moi-même. Je sais maintenant qui je suis, et ce dont mon corps est capable mais surtout je sais ce que je veux : être une femme libre et découvrir le monde.

Malgré la maladie et ces nouvelles questions qu'elle apporte pour les autres, mes aventures continuent.
« Mais tu ne peux pas, tu as un cancer ! Tu ne veux pas te reposer ? ».
Ma réponse est simple « Je n'ai pas le temps de me reposer ! Mon temps est compté, le vôtre aussi d'ailleurs, comme tout le monde. Et sinon vos rêves à vous, il serait peut-être temps de les réaliser, non ? »
 

Parcours d’une vie ordinaire, au bout de monde et de soi-même

Voyager au féminin : et si on cassait les clichés !

- Les femmes ne voyagent pas seules uniquement parce qu'elles se sont fait larguer ou parce qu'elles sont célibataires.
- Il n'est pas plus dangereux pour une femme que pour un homme de voyager seule.

Règles de base
- Ne pas attirer les regards avec des vêtements moulants, un short court ou des couleurs trop vives.
- Si vous dormez sous tente, trouver un endroit caché, d'où l'on ne vous voit pas de la route. Choisissez une tente de couleur sombre, il faut se fondre dans la nature !
- Essayer autant que possible de planifier votre arrivée en journée. C'est plus pratique de vous perdre en plein jour.

Rester en contact
Garder vos proches au courant de ce que vous faites. Avant le départ, les informer du parcours. Une balise de géolocalisation glissée dans votre poche leur permettra de vérifier que tout se passe comme prévu, et en cas de changement, un petit message suffira à les rassurer.

Voyager léger ! Ma trousse de toilette
- Une brosse à dent en bois (manche coupé pour alléger le sac) et dentifrice format voyage
- Un mini savon pour nettoyer quotidiennement mains et visage
- Une crème solaire light qui fera aussi office de crème hydratante.
- Un petit tube de gel douche corps et cheveux pour l'ultime douche lorsque l'on regagne la civilisation.
Voyager dans les grands espaces a son avantage : peu de rencontres. On est donc seule à sentir son odeur. Si l'opportunité se présente, une petite baignade dans une rivière fera l'affaire pour se débarrasser de la saleté.

Ma devise
« Donner l'envie d'oser tout simplement… de réaliser ses rêves ».
(car la vie peut être beaucoup plus courte que prévue).
 

Le Groenland à la pagaie

Juin 2018, c'est enfin le grand départ !
Aussi incroyable qu'il puisse paraître, je ne suis pas la première à visiter le Groenland ?. Tout un tas de Vikings, de baleiniers, de missionnaires, d'explorateurs, de scientifiques et de sportifs ont balisé le chemin avant moi. Mais s'aventurer sur un SUP pour 20 jours de navigation et de bivouacs en baie de Disko, je suis bien la première !
Côte ouest du Groenland, à 350 km au nord du cercle polaire arctique, début du Grand Nord. C'est ici que commence l'aventure. Ilulissat, la capitale mondiale des icebergs est un lieu tellement spectaculaire qu'il ne souffre d'aucun élément de comparaison.

Le cœur qui bat

L'arrivée à Ilulissat en avion, à bord d'un Dash 8 rouge à hélice est vraiment spectaculaire. Je me demande bien où je vais pouvoir poser mon SUP dans autant de glace. Nous survolons l'Isfjord. Un fjord glacé qui déverse 20 milliards de tonnes d'icebergs dans la baie chaque année (ce qui représente la quantité d'eau douce utilisée annuellement en France). Il y en a partout, de toutes tailles et formes. Vus d'en haut, ils ont l'air gigantesque. Il paraît que certains font plus de 100 mètres de haut !
Ce paysage aérien est d'une pureté aux couleurs incroyables : la mer bleu turquoise, les icebergs blanc immaculé, les petites maisons colorées, la toundra verdoyante… C'est impressionnant de beauté. Je suis émue. Ça y est, j'y suis. Je suis au Groenland.
Une sensation de joie m'envahit mais aussi une certaine appréhension s'installe. Très vite je prends conscience que cette aventure est loin d'une petite promenade sur l'eau, mais est véritablement une expédition engagée.

Icebergs en vue !

Ouf ! Tout rentre dans les sacs étanches : tente, sac de couchage, nourriture, matériel de bivouac, j'ai plus de 40 kg de matériel ficelés sur le SUP.
Kampé, mon ami groenlandais, me regarde partir. Il est très inquiet. Il me rappelle pour la énième fois ce conseil : ne jamais s'approcher trop prêt d'un iceberg ; en effet, il faut savoir qu’ils sont vivants. Ils craquent, s'affaissent et se retournent sans prévenir, provoquant des déplacements d'eau énormes et créant une vague de plusieurs mètres. Le problème n'est pas la vague en elle-même mais ce qu'il y a dedans, des centaines de glaçons. Être percuté par de la glace à cette vitesse laisse peu de chance de survie. La règle d'or est donc de ne jamais s'approcher à une distance à 2x la hauteur d'un iceberg.

C'est parti, cap au nord !

Pagaie en main, debout sur mon SUP, je ne fais que quelques mètres. Je ne sais pas où aller. Il y en a de partout ! Ils sont énormes. Des monstres de glace se dressent devant moi.
Blancs, bleus, transparents, turquoise, bicolores ou zébrés de résidus terreux… Ils sont impressionnants de beauté. Ils me font peur et m'impressionnent. Les icebergs du Groenland ont bien mauvaise réputation depuis 1912. Il faut se méfier, celui qui a coulé le Titanic vient de quelque part par ici !
Ces icebergs sont immenses et le pire est en dessous. Des mètres cube de glace qui peuvent se briser et en remontant à la surface pulvériser mon embarcation. Le danger est donc partout. Il faut être plus que vigilante et anticiper chaque mouvement de ces géants de glace.
Je me faufile entre les glaçons et zigzague entre ces murs de glace. Rapidement les premiers phoques font leur apparition.

Oqaatsut

Nous rejoignons rapidement Oqaatsut, un joli petit village d'une trentaine d'âmes, constitué de maisons traditionnelles colorées et d'une église.
Il n'y a pas l'eau courante. Devant chaque cabane, un tonneau, contenant des morceaux de glace qui fondent doucement au soleil. Un habitant, Julien, nous explique comment choisir et tailler les growlers (petits icebergs) pour en faire de l'eau potable.
Je lui demande aussi s’il y a des orques dans le coin. « S’il y a une orque, tous les animaux se cachent, même les pêcheurs ne vont plus sur l'eau. Tu t'en rendras compte très rapidement. Mais aucune inquiétude, en été elles sont au nord ! » Voilà de quoi me rassurer. Cependant, il nous raconte l'histoire de deux habitants du village, un couple retrouvé mort de froid, en mer. Apparemment ils se seraient approchés trop près d'une baleine, et celle-ci aurait fait basculer leur bateau. 15 minutes dans cette eau à 0°C suffisent à tuer un homme. Ça me refroidit, c'est le cas de la dire ! Et j'espère ne pas croiser de baleine ! Il m'a foutu la trouille.

L'aventure c’est l’aventure

Programme du jour : avancer. Et atteindre l'un des jalons de la liste des destinations : une île, un cap, l'embouchure d'un fjord, un iceberg lointain…
Aujourd'hui, ça va être compliqué. C'est jour de brouillard. Il est dense, compact et intense. Je ne vois pas à 5 mètres. Je n'ai jamais vu un tel phénomène. Derrière lui, les icebergs surgissent comme des montagnes. Des géants terrifiants apparaissent sans prévenir. Respecter la règle de ne pas s'en approcher devient compliqué ! C'est inquiétant. L'atmosphère est étrange et pétrifiante. Tout est blanc. Difficile de se repérer, impossible de naviguer à vue. Il faut donc s'orienter avec un compas. Commencent alors les fameux calculs du nord géographique en utilisant le nord magnétique. Il ne faut pas faire d'erreur !
En plus, je n'ai vu aucun phoque aujourd'hui. L'inquiétude grandit. Je ne peux m'empêcher de penser aux orques. « Terre ! Terre ! » Après une matinée de navigation, j'aperçois enfin le bout d'une falaise. Nous sommes sauvés ! Par contre je ne sais pas où nous sommes, les cartes sont peu précises et le brouillard m'a complètement désorientée. L'arrivée à l'embouchure d'un fjord nous permettra de trouver notre position et de reprendre la route plus sereinement. Bien que le passage d'un fjord soit dangereux, il faut rester vigilant. Souvent le vent s'y engouffre, la mer s'agite et peut nous envoyer au large. Le fjord de Pakitsoq est particulièrement large et donc dangereux. Heureux d'avoir retrouvé la terre ferme, nous décidons de longer son intérieur avant de le traverser. À tribord, j'aperçois un phoque annelé. Je suis soulagée. Qu'ils soient marbrés, bruns, gris, lâchetés, moustachus, barbus, seuls ou en groupe… je les adore !

Bivouacs

Les journées s'organisent autour d'objectifs très simples : avancer, trouver l'emplacement idéal pour la tente, se réchauffer, trouver ou faire de l'eau (puisée dans un torrent ou découpée dans un iceberg), préparer un bon repas et dormir.
Connaitre les marées ne suffit pas pour savoir où planter sa tente. Il y a une deuxième règle d'or dans les régions arctiques où se trouvent de gros icebergs. Celle de ne jamais rien laisser trainer sur la plage. Ni tente, ni SUP, ni sac… au risque de les voir disparaître à jamais, ou pire si vous êtes dans votre tente en train de dormir ! Lorsque les icebergs s'effondrent ou se retournent, ils provoquent de petits tsunamis qui remontent de plusieurs mètres sur la grève et embarquent tout sur leur passage. Tous les soirs il est donc nécessaire de remonter tout le matériel, y compris le SUP et le kayak de plusieurs centaines de mètres et de planter la tente assez haut pour ne pas subir les assauts d'une vague potentielle. Et je peux vous dire qu'après une journée de rame, hisser les embarcations et porter tous les sacs jusqu'au lieu de bivouac, c'est vraiment épuisant et éprouvant.
Plusieurs fois, à l'aide d'une corde et avec de la neige jusqu'aux genoux, j'ai dû tirer mon SUP sur des centaines de mètres afin de trouver un lieu où nous serions en sécurité pour la nuit.
Le soir commencent aussi les parties de pêches. Il me suffit de jeter un saut à la mer pour en extraire des ammassats (petits poissons de la taille d'une sardine). Grillés sur le feu, c'est un régal ! Morues, rascasses, moules et oursins seront aussi de la partie.

Le glacier Eqi

Ramer dans la baie de Quervain où se trouve la cabane des premières expéditions polaires de Paul-Émile Victor. C'est mon rêve, et j'y suis !
L'horizon est large et nous sommes seuls au monde. Nul village, nul sillage à portée de vue. Plus nous nous rapprochons du glacier et plus l'air est frais. Le froid de la calotte glaciaire se fait ressentir. Je suis toute petite, encerclée de falaises. Des cascades se jettent de l'une d'elles. C'est splendide. Le vent se lève et s'engouffre entre les falaises, il me fouette le flanc. Après 8 heures de rame et de lutte pour garder le cap, j'aperçois enfin notre lieu de bivouac : Ataa, un village fantôme, inhabité depuis les années 60. Jadis vivaient ici quelques chasseurs de phoques. Il s'agit d'un merveilleux endroit pour observer la faune et la flore typique de l'Arctique, mais aussi atteindre le glacier Eqi à seulement 25 km. Un lac se trouve juste derrière le village où paraît-il on pourra pêcher des ombles chevaliers (saumons). Je me lèche déjà les babines !
Il m'est difficile de trouver le sommeil. Le soleil tape au zénith. Il n'y a pas de nuit. C'est le jour permanent. Ma tête est complètement déboussolée. Il fait grand jour, les couleurs sont indescriptibles sous cette latitude. J'ai envie de courir partout ; je veux profiter de cet endroit magique jusqu'à l'épuisement.

Le chant des baleines

Le matin nous accueille avec un bonheur simple, l'apparition d'une baleine ! Entre deux craquements de la glace, sa respiration bruyante se fait entendre et les grands jets qu'elle projette à intervalles réguliers vers le ciel sont visibles de loin. Elle est en train de se nourrir de poissons proches de la surface, la dorsale apparaît distinctement à plusieurs reprises au fil de sa nage et puis subitement, c'est sa magnifique queue qui sort de l'eau lorsqu'elle plonge en profondeur. JB saute dans son kayak et se rapproche du mammifère. Peu farouche, elle vient vers lui. Je le vois faire marche arrière. Je regarde la scène de loin et je ris. Quelques minutes plus tard, il est debout sur une plaque de banquise à la dérive. Il doit certainement s'y sentir plus en sécurité. C'est vrai que ces 70 kg ne font pas le poids contre les 25 tonnes de cette bestiole.

Les expéditions polaires françaises

Aujourd'hui, direction le majestueux glacier Eqi ! Du moins nous allons essayer de nous en approcher. C'est la partie la plus dangereuse de l'expédition. Large d'environ 4 km, et d'une hauteur de plus de 200 mètres, c'est une véritable usine à icebergs. Quand le glacier vêle, des pans entiers tombent dans l'eau dans un bruit fracassant. Des tsunamis se forment, pouvant créer des vagues de plus de 10 mètres de haut. Un bateau à moteur, immobile à la distance de sécurité de 1,5 km ne coupe pas ses moteurs pour pouvoir, en cas de vague géante, faire rapidement les manœuvres appropriées. C'est dire !
Mais ce n'est pas tout, le glacier Eqi, c'est aussi une histoire : celle des premières expéditions polaires françaises de Paul-Émile Victor en 1948. L'objectif était d'ouvrir une piste jusqu'à la calotte glaciaire et faire des relevés scientifiques. Il s'y était installé avec 90 tonnes de matériel, des véhicules légers à chenille et 25 hommes. Son baraquement est toujours là sur le bord de la baie, maintenant un peu éloigné du glacier à cause du recul des dernières décennies.
Nous avançons prudemment. La glace se densifie. Le front glaciaire fait beaucoup de bruit. Il gronde comme le tonnerre. Il fait de plus en plus froid. On sent l'air glacé qui a voyagé durant des kilomètres sur la calotte. Wahouuuu ! La mer est blanche, la banquise est toujours là. Tout est gelé. Il est vrai que cette année l'hiver est particulièrement long. Impossible d'avancer plus près. Le glacier gardera tous ses secrets et ses mystères.

Parcours d’une vie ordinaire, au bout de monde et de soi-même

Prisonniers des glaces

Nous naviguons depuis une semaine et chaque matin, je me réveille avec le même émerveillement : les icebergs et les baleines sont fidèles au poste. Chaque journée apporte son lot de merveille. Le paysage se densifie au fil des heures de navigation, il y a des milliers d'icebergs. Ils sont devant, derrière, tout autour. La nature se referme sur nous.
Face à nous le glacier Eqi et le glacier Kangilerngata. C'est une véritable autoroute à icebergs. Nous sommes dans une bassine, remplie de glaçons. Bourguignons, Sarrasins (brash ice), et autres icebergs se déplacent de plusieurs mètres, à gauche puis à droite selon les courants. Je dois me concentrer pour trouver le meilleur passage entre les morceaux de glace et être vigilante pour ne pas me faire encercler par les icebergs. Les morceaux de glace sont tellement serrés les uns contre les autres qu'il n'y a plus d'eau libre. J'avance demi-mètre par demi-mètre, je pousse délicatement les glaçons avec ma pagaie pour me frayer un chemin. JB panique, assis, il ne voit pas plus loin que le bout de son kayak. Je lui dis de me suivre. De ma hauteur, j'arrive à anticiper les mouvements de la glace. Il est persuadé que l'on va se faire écraser, broyer par la pression des glaces sur nos embarcations, surtout moi sur un SUP gonflable. Je remarque quelques plaques de banquise, si la situation devenait vraiment critique, il faudrait s’y refugier. J'envisage aussi une autre option, celui de saisir mon couteau, accroché sur mon gilet, afin de couper les sangles maintenant mes sacs et ainsi en sauver au moins un. J'accroche toujours devant moi, à portée de main, celui où se trouve le matériel de survie et de première nécessité.
Cette journée chargée en émotions nous offre ce soir un des plus beaux spectacles. Nous plantons notre tente sur île Ange, avec comme vue le glacier Kangilerngata et la calotte glaciaire. Nous sommes seuls devant cette immensité. Nous dégustons cette sensation si rare et grisante.

Moment émotion

C'est le moment de traverser la grande baie de Torssukatak. C'est par ce couloir que les icebergs, nouvellement nés des glaciers, s'échappent pour remonter vers le Grand Nord. Cela me fascine de ramer au milieu de ces colosses millénaires. Deux gigantesques baleines surgissent devant nous. Elles font au moins 15 mètres et se dirigent vers nous. Je suis pétrifiée. Je ne sais pas si je dois avancer ou fuir. Elles plongent et passent sous nos embarcations. Je crois que j'ai oublié de respirer. Je suis impressionnée. Ces mastodontes s'enfoncent dans la mer, sans même faire une ondulation sur l'eau. Ce moment est inoubliable.
Ce soir notre campement se situe sur la presqu’île de Nugaq. Déjà plusieurs jours sans aucune trace ou présence humaine. Se sentir seule au monde, quelle sensation apaisante. Mais rapidement nous ne sommes plus seuls ! Monsieur renard, alléché par l'odeur de mon poisson, pointe son nez. Un joli petit renard polaire. Gris brun l'été et blanc l'hiver, celui-ci a encore son pelage hivernal sur la queue. Nous partagerons ensemble un bon repas. Je lui offre le meilleur morceau, le foie de la morue fraichement pêchée.

Parcours d’une vie ordinaire, au bout de monde et de soi-même

70° nord
Sortir de sa tente et avoir devant ses yeux un tel spectacle de beauté, c'est impensable. Plusieurs fois, pendant la nuit (enfin, le jour), j'ouvre et je regarde dehors pour être sûre que je ne rêve pas. Le spectacle est saisissant. D'immenses icebergs descendent le fjord Torssukatak. Je les observe. D’énormes bouts de glace tombent dans un bruit assourdissant similaire à celui du tonnerre. Il faut savoir écouter la musique des icebergs : craquements, grondements, sons cristallins, l'eau de leur fonte qui ruisselle et se jette dans la mer… c'est féerique !
Cette journée nous accueille avec un bonheur simple, l'apparition d'un village. Nous arrivons à Qeqertaq. Un des Qeqertaq. Il y en a plein la carte des « Qeqertaq ». Cela signifie « île » et il y en donc partout le long de la côte. Mais celle-ci est spéciale : elle se situe précisément à 70° nord.
Nous sommes accueillis par les hurlements des chiens et les aluu (salut en groenlandais) des gamins, qui s'empressent de venir toucher mon SUP. Ils n'ont jamais vu ce genre d'engin. Dans le petit port, des pêcheurs rangent leurs filets. Sur un rocher gît un phoque fraichement abattu et qui attend d'être découpé. Les enfants jouent avec des bateaux en bois au bout d'un fil. Des femmes nettoient des peaux de phoques, certainement pour en faire des bottes ou des bonnets pour cet hiver. La vie d'un village au Groenland, isolé les trois-quarts de l’année par les glaces.
Une villageoise vient à ma rencontre, très intriguée elle aussi par mon embarcation. Nous échangeons un peu en anglais. Elle nous propose de dormir dans l'école pour y être au chaud et de nous ouvrir la petite échoppe du village pour nous ravitailler de quelques denrées. Qeqertaq est un chouette village, l'emplacement est paradisiaque, une île entourée de montagne et d'icebergs, à l’écart du monde, loin de tout mais où il fait apparemment bon vivre, les habitants ont l'air heureux. À Qeqertaq, on n'est pas riche, mais on n'a pas besoin de l'être, car on ne manque de rien d'essentiel.

Avis de tempête !

Un pêcheur nous annonce l'arrivée d'une tempête. Je réalise aussi que cela fait 10 jours que nous sommes partis. Nous sommes à mi-chemin. Si nous restons ici, cela va être compliqué d'être dans les temps pour l'avion retour. Il est midi, il faut quitter l'île. La baie, toujours chargée en glace, nous laisse un petit passage libre. Nous nous dépêchons car cela reste toujours éphémère et, avec le renversement de la marée, cela risque de ne pas être libre très longtemps. Notre progression est bonne. Un léger vent se lève, je retrouve le plaisir de la glisse et m'offre le luxe de surfer doucement quelques vaguelettes.
Nous traversons la baie pour atteindre l'île Arve Princess. La mer est calme et le soleil brille, nous décidons de « tirer tout droit » et par conséquent de traverser au large d'un fjord. Quelle belle erreur ! Au détour du cap, le vent nous malmène. La tempête est déjà là. En quelques minutes, la mer est devenue noire. Le vent souffle à plus de 60 nœuds dans les rafales. C'est la panique. Je dois amplifier la cadence. Si je m'arrête de ramer, je recule plus que ce que j'ai avancé. Il n'y a pas de repli dans l'Arctique. Il n'y a pas de plage tous les 500 mètres. Dernière moi, il n'y a rien. Le vide. Certainement des creux de plusieurs mètres dans des eaux gelées. Au mieux, je m'écrase contre une falaise sur l'île de Disko à 40 km d'ici, et au pire je me retrouve en Alaska ou au Canada. Voilà qui ne fait pas partie de mes plans. Je n'ai même pas assez de nourriture pour aller jusque là-bas.
Nous nous attachons avec des cordes. Le kayak tient mieux le cap. Nous nous réfugions sur une île constituée de quelques gros cailloux. Nous ne pouvons même pas y passer la nuit. Des icebergs gigantesques se promènent autour de nous. Si l'un d'entre eux venait à se retourner, nous serions engloutis dans sa vague. Plusieurs heures passent et le froid s'empare de nous. Le vent persiste. Nous reprenons la mer. Difficilement, après plusieurs heures et seulement quelques kilomètres, nous arrivons in extrémis à rejoindre l'île d’Agpat.
Nous débarquons dans le passé. C'est un village abandonné, un autre. Plus exactement c'est une ancienne station baleinière. Une vieille bâtisse en pierre, des cabanes, une église, des os de baleines de-ci-de-là, ainsi que quelques tombes donnent le décor. Avec ce vent, impossible de planter la tente, même mon SUP s'envole. Nous nous réfugions dans une veille cabane. Le lendemain, la navigation est toujours difficile. Le vent est établi et de face. Nous avançons lentement et perdons beaucoup d'énergie. Il fait froid. Les grandes falaises nous interdisent tout arrêt. Il faut ramer et progresser. Les bourrasques de vent ont poussé les icebergs au nord de la baie. Au loin nous apercevons l'île de Disko et sa calotte glaciaire. Il pleut et le ciel est gris. Le paysage devient lugubre et austère. Seuls quelques guillemots à miroir, grâce à leurs petites pattes rouges, viendront égayer et colorer cette journée.

Le jour sans fin

Cela fait plusieurs jours que nous avons quitté le village de Qeqertaq. Après avoir longé toute la côte ouest, nous arrivons au bout de l'île Arve Prinsens. Au petit matin, je suis réveillée par le souffle d'une baleine. Elle est accompagnée de son baleineau. Ces animaux ont une telle allure, c'est majestueux. J'ai le souffle coupé à chaque fois qu'elles viennent à notre rencontre.
Aujourd'hui, il faut traverser pour rejoindre le continent. Une navigation longue, périlleuse et dangereuse. Une légère brume apparaît. Rapidement, celle-ci se transforme en un brouillard très dense. La traversée est impossible dans ces conditions. Alors chacun reprend ses petites activités. JB se lance dans une partie de pêche et moi, je fais des crêpes ! Oui oui, des crêpes ! Mes premières crêpes polaires ! Cela nous a beaucoup fait rire. Elles avaient un goût particulier, celui des imprévus et de l'aventure.
Nous attendons, après tout, nous avons du temps, il fait jour 24h/24. Se plonger dans la nature arctique, c'est avant tout s'affranchir du temps. Ici on peut vivre sans montre, au rythme du soleil, du vent et des marées. Le jour peut être la nuit. Et la nuit, le jour. Nous partirons quand les conditions seront meilleures. Après 24 heures d'attente, vers 1h du « matin » c'est enfin le départ. La nuit, les teintes sont somptueuses et les vents nés de la différence de température entre la mer et la terre surchauffée par le soleil moins capricieux. En contrepartie, la température est à peine au-dessus de 0°C : les membres s'engourdissent vite.

Parcours d’une vie ordinaire, au bout de monde et de soi-même

La vie au village

Nous rejoignons Oqaatsut, le petit village de chasseurs pêcheurs. Nous y resterons quelques jours, le temps de rencontrer les gens qui y vivent. Ils sont détenteurs d'un savoir ancien. Comment vivre avec la nature, comment puiser les ressources et comment rendre à la terre ce qu'on lui prend. C'est aussi l'occasion de ma première toilette depuis plus de 18 jours. Comme tous les habitants, j'échange 20 couronnes contre une bonne douche à la maison communale.
Ce soir menu groenlandais : mataq de narval (un régal !), ammassats séchés, poisson cru et autres surprises… Tous les jours, les hommes partent à la pêche au flétan et chassent le phoque pour nourrir leur famille et leur meute de chiens. Il y a 5 enfants dans le village. L'un d'entre eux a tué son premier phoque. Tout le village est rassemblé autour de l'animal qui se fait dépecer. C'est la fête. Aujourd'hui, il est devenu un homme.
Le cœur serré, je quitte Oqaatsut et ses habitants. Hier la mer était dégagée. En une nuit, le vent a poussé des milliers d'icebergs le long de la côte, bloquant notre passage pour rejoindre Ilulissat. Il faut pourtant traverser cette zone, les glaces forment un véritable barrage entre la côte et la mer. Il y a plus de glace que d'eau. Je me faufile entre les blocs de glace. Il faut rester vigilant, c'est mon dernier passage au pied de ces monstres. La bataille dure 4 heures, 4 heures tendues pour franchir quelques milles. À l'approche du port, je suis les sillages des bateaux de pêche m’ouvrant la voie. Ilulissat apparaît derrière ces gigantesques murs de glace.
Encore quelques heures de quiétude avant de monter dans l'avion. Je m'installe dans un café, codes wifi en main. Internet me ramène à ma vie réelle. Un message de mon docteur : « Ingrid, j'ai tes résultats, ils ne sont pas bons, il faut te retirer le deuxième sein. »
Commence alors une tout autre aventure…
 

Parcours d’une vie ordinaire, au bout de monde et de soi-même

Petit mot de la fin

Au Groenland, tout est fonction de la météo, de la condition des glaces, des saisons… de l'imprévu. Le bateau qui arrivera peut-être demain, s'il n'est pas bloqué par les glaces, l'hélico qui partira peut-être ce soir, si la brume s'est levée, font partie du quotidien. Un proverbe inuit dit « Au Groenland, seuls les glaces et le vent sont maîtres ». Ce qui me fascine dans la nature, c'est qu'elle vous fait sentir sa force, son énergie brutale, sa capacité à nous dominer et notre insignifiance face à un milieu hostile ; elle nous oblige à nous montrer plus humbles, à admettre que nous ne pouvons pas toujours la maîtriser, malgré nos efforts.
Mais l'aventure vaut d'être vécue ; l'immensité et la pureté des paysages, les glaciers débitant leurs icebergs, les glaces aux mille bleus illuminant les fjords, les pêches miraculeuses… l'isolement, donne à ce périple un caractère d'expédition et des ambiances inoubliables. Que l'on soit un homme ou une femme, au Groenland bien peu de différence. Nous sommes tellement minuscules dans cet environnement. La nature vit sa vie et impose ses humeurs. Une tempête se moque bien de savoir si elle impose sa colère à un homme ou à une femme.

À Alexis
 

Séchage de capelans (petits poissons de l’océan Glacial Arctique qui migrent vers le nord pendant l’été).
Ils serviront de repas pendant l’hiver.
Séchage de capelans (petits poissons de l’océan Glacial Arctique qui migrent vers le nord pendant l’été).
Ils serviront de repas pendant l’hiver.

Association « Au-delà de l’océan »

Initiation au SUP, conseils et partage d'expérience pour faire face au cancer du sein. Je propose aux femmes malades d'un cancer du sein ou en rémission des séances d'initiation au SUP, afin de leur montrer les bienfaits du sport pendant les lourds traitements (réduction des effets secondaires, meilleure estime de soi, mieux-être) et après la maladie (réduction des récidives, augmentation du taux de survie). Ces séances gratuites sont de véritables moments de partage, d'encouragement et de conseil.
Projet « Une maison au Groenland, après la maladie, la vie ! » : nous projetons d’acquérir une cabane groenlandaise pour en faire une « maison de la deuxième vie » où nous organiserons des stages pour inciter les personnes en rémission du cancer à reprendre goût à la vie.
Ingrid recherche des partenaires financiers et des sponsors pour soutenir son association et développer ses projets.
lesaventuresdelagrid.com / FB : ingrid Ulrich - Au delà de l'Océan
 

Parcours d’une vie ordinaire, au bout de monde et de soi-même

Le Groenland à la pagaie : quelques chiffres

Environ 400 km parcourus
3 semaines de navigation et de bivouac
1 journée de 504 heures (soleil de minuit) et 0 nuit
2 tempêtes et 1 nuit de neige
8 feux allumés pour se réchauffer
Passage des 70° nord

Parcours d’une vie ordinaire, au bout de monde et de soi-même

Quelques autres voyages

•    L'Islande, terre de feu et de glace. SUP et Trek (octobre 2015).
•    Le piémont pyrénéen, trek au pied de la montagne (avril 2016).
•    Traversée de la Méditerranée à la rame en SUP (Fréjus/Calvi 190 km en 39h, Paddle Raid 2016).
•    Défi : relier la Méditerranée à l'océan Atlantique en SUP, 600 km 10 jours à la force des bras (juin 2016).
•    Sur les traces des derniers Indiens Arawak, La Dominique. SUP et trek (juillet 2016).
•    Traversée de la mer Egée et des îles du Dodécanèse en SUP (octobre 2016).
•    Voyage entre la vie et la mort, planète Cancéropolis (année 2017).

Prochaines expéditions

•    Sur les pas de Paul-Émile Victor, ski pulka, Groenland, avril 2019.
•    À l’affût à l'ours, SUP, Slovénie, été 2019.
•    Traversée de la calotte glaciaire du Groenland, ski pulka, avril 2020.

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Commentaires
2 Bike 3 - 24 janv. 2019
1 messages
Un million de bravos pour ton audace et ton sens de l'initiative. Ton récit m'a émue aux larmes et je félicite la belle femme (extra;))-ordinaire que tu es!!!
Carinos <3

Lyzou

Marylou972 - 27 janv. 2019
1 messages
Je te suis à travers, ta soeur, tes parents , ta belle soeur.....
Avec admiration, j'ai lu avec grande attention ton récit. Cela donne envie d'en savoir plus.....dans un livre?
Bravo pour cette détermination, la prise de risque qui permet d'exister et ta devise.
Marylou