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Traversée de l'Islande d'Est en Ouest, version MUL

par erwan dans Voyager léger 17 janv. 2014 mis à jour 28 janv. 2014 3174 lecteurs Soyez le premier à commenter
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Vers l'ouest... si possible !

Texte et photos : Olivier Balch de randonner-leger.org
www.randonner-leger.org
Article publié dans Carnets d'Aventures n°15

8 ans plus tard, me voilà de retour au camping de Reykjavik. Il fait 9°C et il pleut ; je suis réfugié sous ma toile-abri, isolé parmi toutes ces tentes. Les souvenirs affluent, mais pas que les bons : je me demande pourquoi je suis de nouveau venu me fourrer dans cette galère. Assis dans le froid et l'humidité sur mon morceau de matelas mousse, un moment je cherche un autre itinéraire que ce projet de traversée est-ouest qui me trotte dans la tête depuis quelques années : je suis presque certain de ne pouvoir le réaliser cette fois-ci : trop long, trop risqué tout seul... Mais finalement, j'ai voulu revenir ici seul : m'y voilà ! Pourquoi me mettre la pression ? J'irai au départ de l'itinéraire, puis vers l'ouest mais dans l'esprit « Voyons où ça te mène », j'ai deux semaines d'autonomie. Peu importe que je marche 500 km ou que je pose le camp près d'une rivière, je veux être libre et simplement prendre du plaisir à vivre l'instant présent.

C’est en août 2008 qu’Olivier Balch, adepte de la « marche ultra-légère » et fondateur du site randonner-leger.org, a effectué ce périple d’envergure en solitaire qu’il relate pour nous. 17 jours de marche en autonomie à travers l’Islande. Une très belle réalisation que nous ne pouvons qu’admirer connaissant le type de terrain qu’il a dû traverser et la rudesse des conditions islandaises.

Le Lonsoraefi

Après toute une journée de car à longer la côte sud de l'île, le chauffeur me dépose à 17h30 au départ de la piste F980 près de Stafafell. La région est pluvieuse et traversée par des rivières glaciaires. Dès la première soirée, mon itinéraire me fera traverser la Skyndidalsa avec de l'eau jusqu'aux fesses, une bonne mise en jambe en quelque sorte ! Je suis heureux, je me sens bien ; à part quelques averses, le temps est agréable et le vent d'ouest... rafraîchissant. Le deuxième jour, je rejoins le refuge Mulaskali caché parmi les montagnes, puis continue jusqu'au refuge Egilssel où je rencontre plusieurs « volontaires » qui balisent les itinéraires en échange d'un hébergement gratuit aux refuges. En soirée, je vais me promener 3 ou 4 km vers l'ouest, mais sans voir de rennes (pourtant nombreux dans cette région), la vue sur la vallée Trollakrokar et son immense chute d'eau valent le détour.

Les glaciers Eyjabakkajoküll et Bruarjoküll

D'Egilssel je ne trouve aucun sentier, aucun balisage pour aller vers l'ouest... Et ça me plaît ! L'aventure commence en quelque sorte ici... Pas de trace humaine, seul dans une nature vierge. Le terrain est extrêmement varié, des kilomètres de caillasses casse cheville, de la mousse moelleuse, quelques névés, du sable, des rivières à négocier, de l'herbe rase, c'est jouissif. Tantôt à flanc, tantôt sur le plat, monter ou suivre la courbe ? Il faut sans cesse improviser pour trouver le meilleur itinéraire, j'observe, j'anticipe, me trompe parfois. Carte, boussole et GPS sont là pour me recadrer, mais le meilleur indice est l'observation du terrain.

Après m'être bien fait rincer toute la matinée, le soleil apparaît, me voilà enfin près du glacier Eyjabakkajoküll. Pas très grand sur la carte comparé au suivant, mais impressionnant quand même quand on y fait face. Les abords du glacier sont « piégeux » ; je m'embourbe plusieurs fois dans des sables, voire des cailloux mouvants. Une arche assez précaire faite d'un mélange de glace et de cailloux surplombe le torrent qui longe le glacier, pas d'autre moyen de l'aborder, j'y vais prudemment et ça passe. Tout de suite l'impression est fabuleuse ; le sol croustille, j'ai tous les sens en éveil, je perçois mille et un sons, odeurs, couleurs, textures. L'eau, le soleil, le vent ont sculpté tout ce qui m'entoure et quelle que soit l'échelle à laquelle je regarde, c'est d'une beauté indescriptible. Le soleil est déjà bien bas ; autour de moi tout prend des tons rouges ; c'est beau, que c'est beau ! Je décide de bifurquer au sud-ouest pour rejoindre directement le Bruarjoküll sans revenir « à terre » ; plus loin, un gouffre immense et circulaire m'oblige à rallonger un peu la route en le contournant par le sud. Je trouve un bout de terre où bivouaquer vers 22h ; le ciel est redevenu gris, un vent glacial vient du glacier, je ne traîne pas pour monter mon abri et me glisser dans mon sac de couchage. Quelle journée fabuleuse ; je dors comme un bébé.

Vers 7h, je suis sur le Bruarjoküll ; 40 km de glace me séparent des monts Kverkfjöll que je distingue à peine au loin. Comme hier, sur mes gardes et les sens en éveil, je m'engage sans me presser, prêt à faire demi-tour si besoin. J'arrive à repérer les quelques bédières masquées par la glace avant de les voir grâce à leur bruit, parfois c'est la couleur de la glace qui indique la présence de cavités dont je n'ai absolument pas envie de connaître la taille ! La plupart des dangers (moulins, crevasses, etc.) sont quand même aisément repérables grâce à l'absence de neige, et leurs bords très évasés. Je dois franchir quelques bédières qui ont creusé le glacier sur plusieurs mètres mais tout se passe bien. Il fait froid, le ciel est gris : conditions parfaites pour la glace, même si la pluie tombe de temps en temps. Dans l'après-midi, le ciel se dégage ; la glace fond à vue d'œil et les rivières se font plus nombreuses. J'enchaîne alors sauts en longueur et sauts à la perche / bâtons, le sac léger facilitant énormément les choses. Une fois seulement, je dois jeter mon sac de l'autre côté puis sauter à mon tour. Le sol assez plat devient par endroits complètement trempé ; je mets les pieds dans l'eau à plusieurs reprises, mais la membrane de mes trails me garde au sec. À 18h, je franchis les dernières crevasses, me voilà sur la moraine, en amont de la kreppa : ouf ! Il n'est pas tard et je décide de continuer dans les collines à l'ouest ; l'ambiance est 100% minérale, et pas n'importe laquelle : des éboulis ! C'est physique, mais je suis heureux. Sur une hauteur, je me retourne pour admirer le glacier une dernière fois, son immensité me laisse rêveur pendant de longues minutes... Je longe le glacier Kverkjoküll ; le terrain devient abominable, morainique. Je continue espérant en sortir avant la nuit ; je glisse, piétine, zigzague sur un terrain extrêmement instable. À 22h30 je n'y vois plus grand-chose, bivouaque là où je suis après m'être aménagé un lit douillet. Je m'endors des images plein la tête.

Sigurdarskali - Askja

Le lendemain, j'y vois plus clair et je parviens rapidement au refuge de Sigurdarskali où je décide de passer le reste de la journée à faire le point sur le matos et sur le bonhomme, une lessive et à définir l'itinéraire des prochains jours. Le matos va bien, le bonhomme est en pleine forme (pas une seule ampoule !) et le parc du Hvannalindir me fait envie, il paraît qu'on y trouve une rivière d'eau claire, je veux voir ça !

6e jour. Avec un vent violent, je marche dans un désert de petits cailloux, puis dans un champ de lave, pour découvrir cet endroit quasi irréel : la rivière Lindaa. Des cygnes, des oiseaux, une eau claire, des berges verdoyantes. L'émotion est intense et je ne peux retenir quelques larmes. Chacun de mes pas dans ce paradis est magique. Contraste entre la lave et l'eau, le sable et la verdure...

Plus loin, je découvre des vestiges où vécurent le hors-la-loi Fjalla Eyvindur et sa femme, dans une rusticité extrême, je suis très ému... et reste là de longs moments à imaginer ce qu'ils ont pu vivre et ressentir.

Je reprends mon chemin lentement et rejoins la piste, passe près d'une minuscule cabane qui se trouve être celle du gardien du parc ; je lui demande où je peux bivouaquer : c'est interdit mais il m'autorise à me mettre dans le sable un peu à l'abri des regards. Ce soir encore je suis le plus heureux des hommes quand je m'endors sous ma toile dans mon lit douillet.

L'une des bédières que je dois franchir !
L'une des bédières que je dois franchir !

7e jour. Je prends la piste F903 pour rejoindre l'inévitable pont sur la rivière Jökulsá á Fjöllum qui me permet de reprendre plein ouest vers le volcan Askja. Je fais 2h de hors-piste qui me réservera quelques surprises : par endroits, de curieuses cavités invisibles sous le sol cèdent sous la pression de mes pas ou de mes bâtons ; ils s'enfoncent parfois de près d'1m ! Après 35 km, j'arrive au pied de l'Askja ; le refuge Dreki est balayé par le vent, la zone de bivouac est l'endroit le plus exposé du coin, interdit de se mettre ailleurs... Je discute un peu avec des Français dont deux rencontrés sur la piste juste avant d'arriver à Dreki. Il est 17h, j'ai encore de l'énergie, laisse mon sac au refuge et pars en balade vers les crêtes avec le minimum. En haut, la vue sur la caldeira de l'Askja est saisissante, je m'offre un bain du soir dans le cratère Viti, très relaxant !

Tempête de sable et Vonaskard

Les jours précédents, le vent violent a déclenché une tempête de sable au sud-ouest de l'Askja. Ce matin, même météo : vent fort, ça va donner ! Inutile de suivre la F910, c'est un désert de sable, autant prendre tout droit et faire son chemin. J'entre dans le nuage de sable par un vent ¾ arrière ; c'est très appréciable, je n'ai pas besoin de sortir ma botte secrète : les lunettes de natation ! Le sable fouette ma capuche et slalome entre mes jambes. Toute la journée, je louvoie dans la tempête en parvenant à éviter la plupart des rivières qui grossissent à vue d'œil et apparaissent de nulle part dans le brouillard. En fin de journée, je crois être sorti de la tempête de sable, mais le vent tourne de 180° et reprend, cette fois-ci de face : je sors mes lunettes magiques. Vers 20h, j'arrive au refuge Kistufell ; deux motards sont là, on rigole de nos tronches plâtrées de sable.

8h à marcher dans la tempête de sable = tronche de ramoneur ;-) Refuge de Kistufell
8h à marcher dans la tempête de sable = tronche de ramoneur ;-) Refuge de Kistufell

9e jour. Le vent est complètement tombé, j'ai chaud ! Au milieu du champ de lave, j'aperçois deux randonneurs au loin... « Les Lillois ! » Assis à côté de moi dans l'avion, nous avions sympathisé ; ça me fait plaisir de les revoir ! Ils vont du nord au sud, moi vers l'ouest, on partage quelques moments et on se donne rendez-vous à Reykjavik.

Après Gæsavötn, je quitte la piste et marche au sud-ouest, passe deux rivières étroites mais pentues, avec un fort courant jusqu'en haut des cuisses, puis une zone de sables mouvants où je m'enfonce jusqu'aux genoux. Le soir, en haut d'une butte, je trouve un lieu de bivouac idéal avec une magnifique vue sur le Vonaskard. Assis pieds nus dans la mousse, adossé à un gros rocher, une soupe chaude à la main, je savoure l'instant présent.

Bivouac devant le Vonaskard
Bivouac devant le Vonaskard

10e jour. Il a plu pendant la nuit et encore ce matin ; mais ce n'est pas grave, un bain m'attend : les sources chaudes de Snapadalur ! Après 2h de marche, je m'y délasse avec grand plaisir avant de continuer mon chemin vers Nýidalur, non sans m'arrêter admirer les couleurs, les bouillonnements, et les fumerolles alentours. D'un peu trop près d'ailleurs puisque le sol se dérobe et mon pied tombe dans de la boue bouillante un bref instant, sans brûlure heureusement, protégé par la chaussure, la guêtre, le pantalon et la chaussette laine...

Entre les sources chaudes de Snapadalur et Nyidalur
Entre les sources chaudes de Snapadalur et Nyidalur

À Nýidalur, je demande conseil au gardien : je voudrais contourner le glacier Hofsjökull par le nord en 3-4 jours en prenant la F752 jusqu'à Laugafell (50 km) puis la piste jusqu'au refuge Ingolfsskali (45 km) et enfin une vieille piste pour rejoindre Hveravellir (45 km). Même par la piste il doute que je puisse arriver au refuge. La suite ? Il m'affirme que c'est impossible, que plus personne ne passe par là parce que les rivières ont grossi et sont infranchissables... Ça calme. Je ne sais plus quoi faire. Après avoir envisagé différents itinéraires bis, je m'endors seul avec mes doutes. Ces 10 jours furent tellement fabuleux que je ne veux pas les terminer par 100 km de piste et un demi-tour au bout...

Une rivière sort d'une grotte de glace
Une rivière sort d'une grotte de glace

Le déclic...

Ce matin la motivation me manque, j'envisage même faire du stop pour rejoindre Laugafell : après les moments exaltants vécus, je ne supporterai pas de marcher 50 km de piste. Il est 9h, je marche 5 minutes pour me réchauffer, m'arrête, regarde vers l'ouest... subitement je quitte la piste, une pulsion me pousse droit vers le nord-ouest. Je n'ai aucune idée de ce qui m'attend, mais j'y vais... Je traverse le désert du Sprengisandur, exalté par l'aventure, passe quelques rivières sans difficulté majeure. Arrivé à la Jokulkvisl, les choses se compliquent mais j'évite les pièges les uns après les autres, les sens aux aguets. Rivières, ravins, sables mouvants, terrain morainique, champs de lave, aucune erreur d'itinéraire, tous mes choix sont bons, je vis un moment de plénitude totale, l'impression d'être dans mon élément. La nuit tombe, je dois traverser encore plusieurs rivières, comme par magie la lune se lève à ce moment ; sa lueur m'éclairera jusqu'à ce que j'arrive à... Ingolfsskali vers 23h30 (aidé par la frontale dans le dernier champ de lave) ! Je n'en reviens pas : au lieu de 3 jours de piste, m'y voilà déjà, et en ayant pris un pied pas possible ! Le plus dur reste peut-être à faire demain, mais ce soir, je m'endors dans mon cocon avec un immense sourire aux lèvres.

Mon cocon de luxe...
Mon cocon de luxe...

12e jour. Je me lève tôt pour passer un maximum de rivières avant qu'elles ne grossissent ; il fait très mauvais, vent fort de face et pluie. Le gardien aura-t-il raison ? La plus grosse rivière est la dernière, la Blanda ; donc avant le dernier moment, je ne saurai pas si ça passe ou pas... Les premières rivières sont « costaudes » mais ça passe, en dérapage, je garde les chaussures aux pieds pour avoir de bons appuis et être rapide. J'aperçois parfois l'ancienne piste mais ne cherche pas à la suivre. 17 rivières franchies et enfin je distingue la Blanda. De loin elle m'impressionne, mais l'eau ne montera pas plus haut que mes hanches. Ça y est ! J'ai traversé ! Une immense joie m'envahit ; je la laisse éclater par un grand « Wouhouuuu ». Je m'assieds et mange un peu de chocolat aux noisettes pour fêter ça, un immense sourire ne me quittera plus de toute la journée.

Hveravellir - la mer

13e jour. Hveravellir. Je commence la journée par un bain chaud à la source naturelle, puis par une petite balade pépère aux alentours, parmi fumerolles en tous genres et champ de lave. 9h30, je repars vers l'ouest, le contournement du Langjoküll se passe sans trop de problème mais sous une petite pluie. Le contraste entre la vallée verdoyante et le désert minéral qui borde le glacier est saisissant, et il faut avoir de bonnes chevilles pour passer. Le soir, je trouve une cabane où passer la nuit.

14e jour. Le temps redevient abominable : vent de face et grosse pluie. Je bivouaque dans les collines avant Husafell. Ça sent la fin, mais malgré le mauvais temps, je n’ai pas envie de m'arrêter.

Le lendemain, la vue des cars de touristes achève de me convaincre : je continue. Je découvre la campagne islandaise, ses fermes et ses petites églises, suivi par un chien puis des chèvres ! Je bivouaque sous la pluie à l'est de Bifrost dans un joli vallon.

16e jour. Ma carte s'arrête à la route n°1 mais je ne veux pas (ne peux pas ?) m'arrêter. Je traverse la route et monte dans les montagnes ; elles sont très vertes et magnifiques, mais la progression est difficile, j'avance à l'instinct, sans carte. Un petit abri pour bateau au bord d'un lac inconnu m'accueille pour la nuit.

17e jour. J'aperçois la mer et descends de la montagne ; 10 km de bitume et me voilà sur le rivage ! Au nord-ouest, il y a encore la presqu’île de Snæfell, mais il ne reste que 2 jours avant mon retour. À regret je décide d'en rester là ; le plaisir a été tel que j'aurais souhaité marcher ainsi pendant des mois...

Pour avoir une liste complète et argumentée de l’équipement d’Olivier, voir :

www.randonner-leger.org/perso/doku.php?id=liste_equipement_islande

D’autres informations sur sa traversée :

www.randonner-leger.org/forum/viewtopic.php?id=6925

Le parcours !

Le parcours !

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