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Kite ski Islande

par Johanna dans Récits et entretiens 04 déc. 2010 mis à jour 30 oct. 2012 8412 lecteurs Soyez le premier à commenter
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Kite ski en Islande hiver 2010 

Les coulisses de l'expé

Kite ski Islande hiver 2010

Partis pour tenter une traversée intégrale, hivernale et expresse de l'Islande, Michael Charavin et Cornelius Strohm ont dû modifier leur itinéraire en raison d'un déficit de neige particulièrement marqué durant l’hiver 2010.
Ils réalisent tout de même la traversée de la plus grande calotte glaciaire d'Europe, le Vatnajökull, d'est en ouest, de Jöklasel à Jökulheimar, en passant par le volcan Grímsvötn. Nom de code de cette expédition kite-ski en Islande : The Elements-Expeditions. Une expérience « punchy » au cœur de l'hiver islandais et un ride rock’n’roll pour ces deux pèlerins du Grand Nord qui n’en sont pas à leur première expédition polaire…

Le récit de cette expédition, que nous vous recommandons vivement, est publié dans Carnets d’Aventures n°22 (voir aussi CA n°18 et l’article « Autant en emporte le vent ! » sur leur traversée sud-nord du Groenland, en compagnie de Thierry Puyfoulhoux). En complément de cet article, nous publions ici « Les coulisses de l'expé », un papier de Michael Charavin qui complète très bien son récit. Dans les coulisses, l’auteur s’interroge sur cette quête de la performance et la vitesse qu’il a bien conscience de poursuivre au travers de certaines de ses expéditions, et il détaille davantage la lourde préparation qu’implique un tel projet dans le Grand Nord.

Texte : Michael Charavin, http://latitudes-nord.fr
Photos : Michael Charavin et Cornelius Strohm

Kite ski Islande hiver 2010
Kite ski Islande hiver 2010

Performance et vitesse : fantasmes d'une société qui se rêve toute-puissance ou symboles d'une humanité à bout de souffle ?
En tout cas, pas vraiment la ligne éditoriale et le fonds de commerce d'une revue comme Carnets d'Aventures. A priori, pas tellement non plus la philosophie qui sous-tend les activités du pèlerin nordique que je suis.
Adepte des longues traversées « polaires » depuis plus d’une douzaine d'années, j'ai toujours eu le souhait d'une « immersion » profonde au sein des territoires traversés… et, à défaut de faire l'éloge de la lenteur, j'ai très longtemps fait celle de la durée…
Et si cette dernière s'exprime toujours par l'intérêt passionnel que je voue aux expéditions polaires exigeantes, ma façon de les concevoir a pourtant résolument évolué vers une recherche… de vitesse et de performance. Aïe ! Aurais-je succombé aux sirènes de l'homme pressé, serais-je en train de devenir le militant quotidien de l'inhumanité, mannequin glacé qui file vite très vite… allant même jusqu'à rechercher la faveur des médias… ?

Si j'étais, quelques années en arrière encore, peu enclin à vouloir battre des records, j'avoue aujourd'hui volontiers un penchant récurrent pour l'ascèse poussée qu'exige la recherche de toute performance.
Tout voyageur au long cours – qu'il se définisse comme nomade, vagabond, explorateur, ou expéditionnaire -, pourvu qu'il se déplace par ses moyens propres et un bagage limité à l'essentiel, connaît le plaisir que procure un minimalisme volontaire – le sentiment de sa liberté. Dans un environnement difficile, ce minimalisme reste un élément moteur du plaisir, mais il devient aussi et surtout une nécessité.

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Le souhait de la performance suit un chemin sensiblement comparable : on ne peut objectivement prétendre qu'une immersion prolongée en territoire « hostile », avec des moyens limités pour un objectif de déplacement notoire (plusieurs centaines, voire milliers, de kilomètres), soit dépourvue de toute recherche de performance ; elle en est le pilier, pour ne pas dire le fondement !
Les traversées des grands déserts de glace de notre planète ne laissent pour ainsi dire aucune place – faut-il le regretter ? – à l'insouciance et à la fantaisie. Sans grand intérêt paysager, ces milieux extrêmes sont ceux du vide. Un vide radical, souverain et tyrannique. Leur intérêt intrinsèque se trouve là, dans le vertige que provoque cette vacuité. Plus qu'une page blanche sur laquelle l'individu sera tenté de réécrire sa propre histoire, le désert de glace est le miroir de ses propres failles. Traverser le désert, c'est, en définitive, accepter de se battre contre ses propres dragons…
C'est aussi l'expression d'une recherche d'absolu : simplicité, limpidité, virginité, pureté… Comme dans toute ascèse, s'ajoute à cela la quête, tout aussi indéniable, de la perfection et de l'engagement de l'individu. Ce sont là les racines (ou les germes) de la performance…
Oui, dans ces environnements extrêmes, littéralement inhumains et même abiotiques, il y a une logique certaine à vouloir aller vite, à rechercher cette « excellence », à exhorter son corps et son mental à repousser ses propres limites… Oui, la performance ne se réduit pas à l'état de simple corollaire ou conséquence de l'aventure : elle en est le moteur, l'enjeu principal, le sens même du projet…

Kite ski Islande hiver 2010

C'est dans cet esprit-là que nous souhaitions réaliser une traversée de l'Islande en kite-ski durant l'hiver 2010. Les grandes lignes du projet étaient les suivantes : un itinéraire long d'environ 400 kilomètres, qui débuterait et se terminerait aussi près que possible des côtes nord-est et sud de l'île, et inclurait la traversée de deux calottes glaciaires, dont celle du Vatnajökull, la plus grande d'Europe ; le tout réalisé en autonomie totale évidemment.
À tout cela venait s'ajouter une motivation supplémentaire, un stimulus qui aiguillonnait davantage encore notre excitation : la tentation d'une traversée « éclair ». En effet, si d'aventure les conditions météo nous y autorisaient, notre ambition serait de couvrir ces 400 kilomètres dans les plus brefs délais… Vitesse et performance, toujours…
Bien que l'ampleur du projet puisse sembler modeste au regard de la traversée longitudinale du Groenland déjà réalisée au printemps 2008 (voir article « Autant en emporte le vent ! – 2250 km en snowkite à travers les glaces du Groenland », CA n°18), nous étions convaincus que l'itinéraire envisagé à travers les contrées les plus reculées d'Islande ne serait pas moins exigeant et original.
Si l'enjeu principal de l'expé groenlandaise reposait sur nos capacités et notre efficacité à couvrir quotidiennement de longues distances, en Islande, le challenge allait être tout autre :

- Les traversées des calottes glaciaires du Vatnajökull et du Myrdalsjökull soulevaient bien évidemment des questions spécifiques de sécurité. Ces dômes de glace sont les lieux d'une sismicité fréquente et d'éruptions volcaniques répétées (avec une éruption tous les dix ans en moyenne, Grímsvötn, situé au centre du Vatnajökull, est considéré comme le plus régulier des volcans islandais ; le très fameux Eyjafjallajökull se trouve, quant à lui, sur la bordure occidentale de la calotte du Myrdalsjökull ; et c'est au centre-est de cette même calotte que se tient le plus dangereux des volcans islandais, le Katla). Ces phénomènes sismiques et volcaniques affectent en divers endroits la structure même des dômes glaciaires : certains secteurs sont parcourus par de profondes failles qui se matérialisent à la surface des calottes par de nombreuses crevasses…
- Il faudrait par ailleurs négocier un relief souvent complexe (rares seraient les sections de l'itinéraire projeté qui ne présenteraient a priori pas de difficultés), avec tout ce que cela sous-entend lorsqu'on évolue sous voiles : progresser à la montée ou à la descente, sur des terrains déversants, peu enneigés, voire dangereux car possiblement très irréguliers et semés d'obstacles – laves affleurantes, ruptures fortes de pentes, corniches neigeuses, ravins… pour n'en citer que quelques-unes – exigeait un niveau technique adéquat et multipliait néanmoins les risques de chutes, de collisions et de casse du matériel…

Le secteur du Torfajökull, petit massif de la région de Fjallabak, nous posait d'emblée un problème par la complexité et le caractère plus marqué de son relief : aucune solution ne nous semblait évidente en dépit de la relative exiguïté de la zone en question. Le passage le plus direct était aussi le plus évident et le plus logique, mais il pouvait s'avérer difficilement franchissable – voire même infranchissable dans certaines conditions – et nous coûter une énergie importante. Pour finir, il y avait là un risque localement non négligeable (alors qu'il était quasi nul sur le reste du parcours) de plaques à vent…

- Autres difficultés que nous aurions à gérer en permanence : les perturbations aérologiques induites par le relief ; une attention redoublée vis-à-vis de ces microphénomènes (rafales, venturi, rouleaux, rotors, abris, déventes, etc.) serait nécessaire pour parvenir à déjouer ces pièges et éviter leurs conséquences : la possibilité de chutes potentiellement traumatiques ou, moins graves mais tout de même ennuyeux, un risque répété de dévente et de se « se faire encalminer » à l'abri des reliefs…
- La dernière des contraintes, et pas la moindre, serait de composer avec les aléas d'une météo capricieuse. En effet, l'Islande n'est pas particulièrement réputée pour la clémence de son climat. Située au milieu de l'Atlantique Nord, l'île voit défiler les dépressions les unes derrière les autres : ici, la stabilité météo n'existe pas ! Précipitations et vents sont les maîtres incontestés de ces arpents de terre… En choisissant comme destination les secteurs les plus élevés d'Islande à la période la plus instable de l'année (l'hiver), nous nous attendions d'évidence à des conditions qu'il n'est pas exagéré de qualifier d'extrêmes…

Kite ski Islande hiver 2010

Nous étions intimement convaincus que la réussite de notre traversée reposerait en grande partie sur nos capacités à évoluer sous voiles dans les pires conditions météo. Pour arriver à gérer ces situations, nous comptions évidemment sur l'expérience déjà acquise : sur l'inlandsis groenlandais, lors des journées les plus ventées du mois de mai 2008 (les conditions ne furent, cependant, jamais extrêmes), ainsi que lors de nos réguliers séjours préparatoires en Norvège ; là-bas, au cœur de l'hiver, nous avions régulièrement rencontré un climat tout aussi exécrable que celui d'Islande…
Pour cela, le choix de nos ailes de traction s'avérait de première importance ; il devait d'abord être pensé dans un double objectif de sécurité et de fiabilité, favorisant les voiles performantes et pilotables par vents turbulents et forts. L'ensemble de nos ailes devraient donc couvrir une plage d'utilisation large de 8 à 40 nœuds (15 à 70 km/h) de vent.
Forts de nos expériences passées, nous avons opté pour un éventail de 6 voiles chacun. Pour les conditions fortes, nous savions pouvoir compter sur une « arme absolue » : les parawings dessinés et fabriqués par l'ingénieux Wolf Beringer, seules voiles qui permettent, dans un contexte d'expé, de progresser avec une relative sécurité par des vents de plus de 50 km/h et sans aucune visibilité… En complétant notre gamme par un modèle plus petit que celui déjà utilisé au Groenland, nous nous assurions la possibilité d'évoluer sous voile dans des conditions « à ne pas mettre un skieur dehors »…

Kite ski Islande hiver 2010

Mais il restait indéniable que les paramètres météo ainsi que l'enneigement du moment joueraient un rôle déterminant dans la réussite de notre projet : l'itinéraire prévu ne pourrait s'envisager sous voile et dans son intégralité que si les conditions météo nous étaient favorables.
Il était impératif de procéder, en amont, à un important travail de préparation afin de définir le parcours idéal à une progression aéro-tractée, ainsi que les nombreuses variantes et « réchappes » envisageable en cas de nécessité (vents défavorables, tempêtes durables, dégel violent, déneigement marqué, casse matérielle ou corporelle…).
Dans un premier temps et afin de cerner les principales difficultés que nous allions rencontrer, nous avons interrogé nos connaissances et amis islandais qui connaissent et pratiquent les lieux reculés de ce pays : enneigement classique des zones non glaciaires, état d'englacement des rivières, zones particulièrement crevassées sur les calottes glaciaires et routes traditionnellement empruntées par les expéditions (4x4, snowscooters, secours islandais), possibilités de replis, accès aux refuges, etc.
En parallèle, nous avons cherché à collecter des informations précises concernant le climat de ce secteur de l'Atlantique Nord : ses principaux systèmes météorologiques (positionnement et évolution des cellules dépressionnaires) et leurs caractéristiques (directions classiques des vents, précipitations, températures, etc.).
A suivi un important travail cartographique : collecter l'ensemble des cartes topographiques au 1/50.000e (échelle la plus précise en Islande) sur une large bande nord-est / sud de l'île ; analyser en détail la topographie des 400 km envisagés de façon à dessiner un itinéraire optimal à la progression sous voile, ainsi qu'un ensemble de variantes qui pourraient être utilisées selon les conditions (direction du vent, enneigement) du moment ; définir des itinéraires de réchappes ; numériser l'ensemble des cartes, les « rabouter » et les calibrer afin de leur donner une position exacte dans un système géodésique donné ; par le biais d'un logiciel approprié, transformer chacun des itinéraires envisagés en une succession de points géographiques référencés (nous avons ainsi défini une vingtaine de « routes », chacune étant constituée d'un ensemble de 10 à 70 « waypoints ») ; lister et organiser l'ensemble de ces données numériques, et les transférer sur nos 3 GPS…

Kite ski Islande hiver 2010


Enfin, durant les deux mois précédents le départ, nous avons fait un suivi quasi quotidien de la météo islandaise. Cela afin de se faire une idée empirique du « fonctionnement » de la météo sur l'île ; de tester la pertinence de nos choix en matière d'itinéraire (élément fondamental si l'on considère l'importance que nous donnions à l'usage des voiles de traction) ; de déterminer avec plus de précisions encore quelles étaient les directions et les vitesses de vent les plus régulières selon les différents secteurs de l'île, la fréquence des « coups de tabac », les températures auxquelles on pouvait s'attendre ; de suivre l'enneigement progressif durant la période hivernale afin de caler au mieux notre itinéraire une fois sur le terrain…

Kite ski Islande hiver 2010


Si, en Islande, la fin décembre ne semblait rien annoncer d'anormal, au tout début janvier, un anticyclone étonnamment puissant prit position sur la mer Baltique et la Scandinavie. Pendant près de 3 semaines, ces hautes pressions bloquèrent la progression classiquement sud-ouest / nord-est des dépressions nées sur l'Atlantique Nord, contraignant ces dernières en des trajectoires sud-nord inhabituelles. Ainsi, des masses d'air humides et douces (nées à peine plus au nord que le tropique du Cancer), accompagnées de vents violents de secteur sud, atteignirent la latitude de l'Islande. Déversant pendant près de 3 semaines toute leur humidité (sous forme d'eau liquide !) sur l'ensemble du pays, elles entraînèrent la fonte du manteau neigeux déjà constitué jusque sur les plateaux et chaîne montagneuse de l'intérieur…
À la toute fin janvier, la situation s'inversait soudainement, le froid revenait (sur les pentes du Vatnajökull, le mercure du thermomètre descendait même sous les -20°C), mais les précipitations se faisaient désormais rares…
À la mi-février, un soleil radieux brillait sur la ville de Reykjavik, capitale de l'Islande. Situation et prévisions météorologiques étaient enfin propices à notre projet : un flux atmosphérique stable de nord-est, venu de l'océan Glacial Arctique, se propageait sur l'île, faisant chuter les températures au voisinage de -25°C sur les hauteurs du pays. La météo rêvée, en somme, pour nous engager dans la longue traversée de l'île que nous préparions depuis plusieurs mois.

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Sauf que… Les nombreux contacts pris et les coups de fil passés à travers le pays depuis notre arrivée confirmaient nos craintes : l'enneigement restait très largement déficitaire et clairement insuffisant sur la très grande majorité de l'île. Il fallait être réaliste : la traversée intégrale de l'Islande en kite-ski ne serait pas pour cette fois…

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Si ce constat anéantissait nos ambitions initiales de dessiner la trajectoire parfaite, nous restions tout de même bien décidés à tenter de traverser… ce que l'on pourrait bien traverser ! Le Vatnajökull, qui devait constituer une étape majeure de notre itinéraire, allait donc devenir notre nouveau champ d'investigation. Nous nous donnions comme nouvel objectif d'explorer les confins de cette calotte glaciaire vaste comme la Corse.
Au-delà du fait que la position et l'altitude moyenne des lieux nous assuraient d'un enneigement correct, rider ces vastes étendues glaciaires avait un intérêt propre et bien réel : un relief très adapté à la progression sous voile, à l'exception peut-être des pentes soutenues et crevassées sur les bordures orientale et méridionnale du massif ; s'ajoutait à cela la présence de sites géothermiques de forte température… Nous avions donc bon espoir d'emmener nos voiles au-dessus des solfatares de Kverkfjöll ou de la caldeira du volcan Grímsvötn, voire d'enchaîner les loops sur l'arête nord-ouest du Hvannadalsnhukur, le point culminant de l'Islande… Et puis, rider ce géant de glace, réputé pour l'hostilité de son climat, restait un défi en soi, très très rarement relevé au cœur de l'hiver…

Kite ski Islande hiver 2010

Dans nos pulkas, 92 m2 de voiles répartis en 12 ailes différentes, 40 kg de nourriture, 5 litres de carburant pour réchauds, cordes, piolets, crampons, poulies-bloqueurs, ropmans, téléphone satellite, balise de détresse, radios, tentes, GPS, matériel de réparation de première nécessité, trousse de secours…
Le 20 février, un véhicule 4x4 nous déposait à la lisière du Glacier de Skálafell, sur le versant sud-est du Vatnajökull. L'aventure pouvait commencer !

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Note : voir aussi le récit de cette expédition dans Carnets d'Aventures n°22

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